Dossier GSIEN
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Turboalternateur LLS
Sa puissance électrique est bien moindre que celle des groupes diesel : un peu plus de cent kilowatts contre quelques milliers de kilowatts pour les alternateurs à moteur diesel. Le LLS ne pourra par conséquent alimenter qu’un nombre restreint d’équipement de sauvegarde.
Explication d’EDF en 2014 : « Le système LLS intervient en cas de perte de tension sur les tableaux » électriques des auxiliaires de sûreté. « La perte de tension (…) peut être due soit à la perte des sources électriques externes et internes, soit à l’indisponibilité du tableau ». L’alternateur LLS alimente d’une part une pompe nécessaire à l’injection d’eau aux joints des pompes primaires, « nécessaire à leur intégrité » et « d’autre part, (…) les principaux capteurs et enregistreurs nécessaires à la conduite de l’accident et l’éclairage de la salle de commande.
Le système LLS est indispensable dans le cas, hors dimensionnement, d’une perte totale de sources électriques externes (réseau) et internes, pour se prémunir contre les risques de détérioration des joints n°_1 des pompes primaires conduisant à une brèche primaire en l’absence des moyens normaux de sauvegarde ». Quand on évoque une situation hors dimensionnement, on parle en fait d’une situation non prise en compte à la conception des installations qui peut rapidement dégénérer en situation incontrôlable. Et bien que dernier recours pour faire face à un accident grave, le système LLS n’en est pas moins obsolète. Le « Bilan système LLS 2014 » fait état d’un nombre impressionnant de « fiches obsolescence » classées « inacceptables » [1] par EDF, tous paliers confondus (voir figure ci-après).
Près de cent fiches d’obsolescence jugées inacceptables par EDF ont été listées sur l’ensemble des CNPE du « 1er avril 2013 au 31 mars 2014 », « période d’étude » baptisée « Système IQ ». C’est dire si la fiabilité du système de secours LLS posait problème.
Source, Note technique - Bilan système LLS 2014
- EDF UNIE, 24/10/2014
Ce système LLS vieillissant est-il adapté pour assurer le dernier secours électrique d’une centrale nucléaire ? Pas vraiment selon une note d’EDF de 2011 présentant « les différentes implantations proposées pour le bâtiment abritant le groupe diesel qui remplacera le turbo-alternateur LLS actuel » : « les conditions de fonctionnement du turbo-alternateur LLS sur les tranches nucléaires sont très différentes de l'utilisation industrielle classique de ce type de matériel ce qui conduit à de nombreux dysfonctionnement du système venant d'une part impacter la durée des essais périodiques réalisés au redémarrage des tranches et d'autre part interroger sur la fiabilité à long terme de ce système ». Il a donc fallu une quarantaine d’années d’exploitation pour que les ingénieurs d’EDF mettent enfin en cause la fiabilité d’un matériel inadapté et désormais obsolète. Et de proposer une alternative en 2011 : « une des solutions envisagées pour pallier ces dysfonctionnements consiste au remplacement de ce turbo-alternateur par un groupe électrogène » [2].
Trois années plus tard, en 2014, le vieux système LLS est toujours en place dans les centrales. Et l’exploitant vient de découvrir un nouveau problème : « le 28 mars 2014, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un écart mettant en cause la capacité du turboalternateur de secours (LLS) des réacteurs nucléaires de 900_MWe à assurer sa mission après 24 heures de fonctionnement ». La cause : « les températures atteintes dans le local dans lequel est situé le turbo-alternateur LLS peuvent être supérieures, après 24 heures de fonctionnement du LLS, aux températures maximales admissibles par ce matériel et ainsi conduire à son indisponibilité_» [ASN, 03/04/14], le local LLS n’étant pas ventilé. Non seulement ce matériel d’ultime ultime secours est inadapté et obsolète mais en plus il va entrer en surchauffe au bout d’une journée de fonctionnement, s’il arrive à fonctionner aussi longtemps le jour de l’accident. Nous mesurons la fragilité de la sûreté des installations nucléaires reposant sur d’antiques turbo-alternateurs que le moindre épisode de canicule risque de rendre rapidement indisponible.
En fin d’année 2014, le problème est constaté sur les autres paliers du parc : « Le 17 décembre 2014, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un écart mettant en cause la capacité du turboalternateur de secours (LLS) des réacteurs nucléaires de 1300 et 1450 MWe à assurer sa mission après 24 heures de fonctionnement » [ASN, 18/12/14].
Sur le site du Bugey, la situation est encore plus critique car les locaux LLS abritent également les turbopompes de secours (TPS) chargées de l’alimentation secours (en eau) des générateurs de vapeur (ASG). Comme le turbo-alternateur LLS, une turbopompe fonctionne avec de la vapeur de récupération sur les GV. La température des locaux va donc monter encore plus rapidement que sur les autres tranches. En conséquence, au Bugey, les « dispositions complémentaires » envisagées pour le parc ne permettent pas « de garantir l’évitement de conséquences inacceptables » comme « le découvrement du cœur » dans la cuve du réacteur. La fusion du combustible étant alors sérieusement envisageable, l’exploitant a sorti sa botte secrète qui consiste en une « ouverture des portes du local LLS » [3].
L’ASN ne souhaitait-elle pas divulguer la botte secrète d’EDF ? Elle est resté évasive dans son avis d’incident : « Pour le cas particulier de la centrale nucléaire du Bugey, EDF met en place, en complément, une disposition de conduite temporaire afin d’assurer la ventilation naturelle de ce local en cas de sollicitation du LLS ou de la TPS » [ASN, 03/04/14].
La fiabilité du système LLS est remise en cause par de nombreux disfonctionnements constatés par EDF dès 2011. Le remplacement du LLS par un groupe électrogène est envisagé bien avant la découverte du problème de surchauffe sur l’ensemble du parc. Mais les problèmes de fiabilité du LLS sont aussi vieux que le parc comme le rapporte le compte-rendu du « Colloque du 30 mai 1989 sur l’entretien des centrales nucléaires » : « Problèmes rencontrés sur le groupe turbo-alternateur LLS. (...) Les solutions techniques retenues à la conception initiale ne sont pas les meilleures. Aussi, le Département Matériel émet des réserves sur une fiabilisation suffisante et durable du système LLS et a demandé à l’Équipement d’étudier une solution de remplacement de type diesel (une préétude est en cours) » [4].
En 2015 et de façon discrète, l’ASN évoque le problème récurrent de fiabilisation du LLS : « la fiabilité de la TAC dispose d’un mauvais retour d’expérience sur les réacteurs en fonctionnement » [ASN, 23/12/15].
En 2014, un Rapport significatif d'expérience en exploitation (SOER) de l’Association mondiale des exploitants nucléaires (WANO) n’y va pas par quatre chemins dans son analyse du « Turboalternateur LLS ». C’est le « Service management de la fiabilité » du CNPE du Bugey qui rédige le rapport : « De conception archaïque, ce TAS doit à terme être remplacé par une turbine "Rateau" plus performante et fiable. (...)
Dans le cadre des actions Post Fukushima, des groupes électrogènes d'une puissance de 100 KVA sur pilotis ont été installés (un par tranche) » [5].
LLS Post-Fukushima
Compte-tenu des faiblesses du système électrique de secours, de son besoin vital en tout dernier recours et surtout du retour d’expérience des accidents de Fukushima, une sorte de secours du secours de l’ultime secours a été ajouté sur chaque réacteur. Plus sérieusement, on parle de « groupes électrogènes de secours LLS (GE_LLS) [qui] ont pour rôle d’alimenter les coffrets LLS et les mesures de niveau BK [piscine combustible] en cas de coupure des alimentations externes et de défaillance des turbines LLS. Ils jouent ainsi un rôle primordial dans la sûreté des centrales nucléaires ». Les 58 tranches du pays sont chacune équipées de secours_LLS qui « ont été installés et mis en service entre Février et Juin 2013 ». Précisons que « la Force d’Action Rapide du Nucléaire (FARN) possède des groupes électrogènes autonomes mobiles (GE FARN) pour la même fonction d’alimentation électrique de secours » [6], soit 25 groupes mobiles répartis sur le territoire.
La « Consigne de conduite » de la centrale de Cruas décrit ces nouveaux groupes de secours. Ils sont constitués de « moteur diesel John DEERE couplé à un alternateur Leroy SOMER permettant de fournir une puissance électrique de 100 kWe », un peu moins puissant que l’alternateur LLS de base. Ils permettent « de fournir une nouvelle possibilité d’alimentation, sous 1h » d’une « partie du système LLS ». Ils permettent par exemple « de garantir_l’éclairage de secours de la salle de commande », « d’assurer le maintien de certains indicateurs en salle de commande », comme le niveau de la piscine et « de rendre disponible les commandes indispensables à la conduite de la tranche ».
L’installation de ces groupes LLS « fait suite à l’accident nucléaire de Fukushima Daïchi » [7].
C’est dans des conteneurs 20 pieds qu’ils ont été installés sur site suite au retour d’expérience de Fukushima, catastrophe causée en premier lieu par un séisme. Logiquement, cette nouvelle installation devrait donc pouvoir résister à un séisme. Petit problème selon une « Fiche de synthèse » d’EDF : « Les GE LLS installés en 2013 dans le cadre de la phase 1 du plan d’actions post-Fukushima (…) ne sont pas qualifiés au séisme » [8].
Bricolage
Nous allons faire un petit aparté sur l’installation LLS des tranches de 1300_MWe. Il s’agissait en 2013, comme sur tous les sites EDF, de mettre en place les conteneurs dits LLS, de les raccorder électriquement aux matériels à secourir et de réaliser un essai de fonctionnement. Manque de bol, « Des essais de requalification ont généré des défaillances du disjoncteur LLS 011_JA » qui est le disjoncteur du turbo-alternateur LLS d’origine : « le matériel est obsolète et il existe très peu de pièces de rechange ». Et en effet, au moment de l’incident, « les 3 uniques pièces de rechange recensées étaient en cours de réparation ». Que faire ? Les ingénieurs se grattent la tête. « Les disjoncteurs LLS 011_JA ne sont plus fabriqués et font donc partie des matériels obsolètes_: en juin 2013, on constate que les études de remplacement sont au point mort ». Et de conclure qu’il « convient de relancer les études d’obsolescence (…) de manière à disposer de nouveaux disjoncteurs sous environ 3 ans » [9].
Et dire qu’il est question de prolonger la durée de vie des centrales…
Références
[1] Note technique – Bilan système LLS 2014 – EDF UNIE, 24/10/2014
[2] Note d’implantation d’un bâtiment abritant le groupe diesel alimentant le système LLS sur les paliers CP0-CP1-CP2 – EDF CIPN, 03/03/2011
[3] Déclaration d’un événement significatif pour le sûreté à caractère générique sur Bugey et le palier CPY « Écart de conformité relatif à la température dans les locaux LLS » – EDF UNIE, 28 mars 2014
[4] Compte-rendu du colloque du 30 mai 1989 sur l’entretien des centrales nucléaires 900 et 1300_MW à eau sous pression - EDF SPT, 30 août 1989
[5] Analyse de la déclinaison du SOER n°_2002-2 - Fiabilité des alimentations électriques auxiliaires sur le CNPE du Bugey - EDF Bugey, 19/06/2014
[6] Marché de maintenance des groupes électrogènes diesels FARN, LLS et SEG des CNPE – EDF UTO, 01/04/2015
[7] Consigne de conduite particulière – LLS – Groupe électrogène de secours LLS 682 GE – EDF CNPE de Cruas, 16 août 2013
[8] Directoire matériel du 22/05/2014 – Fiche de synthèse – EDF UNIE, 25/09/14
[9] Fiche de synthèse permanence DPN – requalification de la PNPP 3682 : ajout d’un groupe électrogène sur LLS – EDF UNIE, 12/11/2013