Janvier 2023 • GSIEN

Dossier GSIEN
Sources internes de secours des centrales françaises

Groupes électrogènes de secours
Incidents, maintenance et sûreté


Parfois c’est la maintenance qui met à mal la sûreté comme nous l’avons relevé avec quelques incidents répertoriés par l’ASN et l’IRSN.

Saint-Alban_1 - AVIS IRSN N° 2022-00070 - Prise en compte du retour d’expérience – Accroissement du risque de fusion du cœur induit par l’événement survenu en 2020 relatif à l’indisponibilité du diesel de la voie B à la suite d’une fuite sur son circuit de refroidissement

Extraits de l’avis :

«_Au cours d’un essai périodique du diesel LHQ du réacteur n°_1 de la centrale nucléaire de Saint-Alban dans le domaine d’exploitation « réacteur en production » le 30 décembre 2020, un intervenant détecte une fuite « goutte à goutte » au niveau du raccord d’une des deux vannes de prélèvement du circuit d’eau de refroidissement HT [Haute température] du diesel. L’intervenant diagnostique un sous-serrage du raccord entre la vanne de prélèvement et le circuit d’eau HT et resserre cette liaison. Toutefois, le resserrage provoque une aggravation de la fuite et la rupture du raccord, conduisant à une fuite d’eau non isolable. EDF répare le raccord, met en place une nouvelle vanne et réalise un essai de requalification du diesel qui est déclaré satisfaisant.

(...)

Le raccord de la vanne de prélèvement était dégradé au moins depuis février 2020. En effet, l’exploitant a détecté sur le sol, en février 2020, des résidus de fuites provenant du raccord du robinet de prélèvement d’eau HT du diesel LHQ.

(...)

En termes de conséquences sur la sûreté, la perte de fluide de refroidissement lors du fonctionnement d’un diesel à la suite d’une sollicitation réelle conduit à sa ruine._

(...)

À la suite de la détection, en février 2020, de résidus de fuites provenant du raccord du robinet de prélèvement du circuit d’eau HT du diesel LHQ, l’exploitant avait programmé la réparation de ce matériel, en avril 2020, lors de l’arrêt du réacteur pour renouvellement du combustible. Toutefois, cette réparation n’a pas été réalisée lors de l’arrêt en raison de l’absence de transmission d’un dossier d’intervention mis à jour au prestataire.

(...)

Un premier rapport d’expertise du raccord du réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Saint-Alban mentionne que sa rupture résulte d’un mécanisme de fissuration progressive par fatigue vibratoire.

(...)

Étant donnés ces éléments, l’IRSN ne peut pas exclure l’apparition d’une fissure par fatigue vibratoire sur d’autres diesels de réacteurs de 1300 MWe au niveau du raccord d’une des deux vannes de prélèvement du circuit d’eau HT. À cet égard, l’IRSN estime que le périmètre d’expertise prévu par EDF, qui couvre seulement 2 diesels, à savoir 5 % des diesels des réacteurs de 1300_MWe, est trop limité et pourrait ne concerner que des moteurs diesel pour lesquels ce phénomène de fatigue vibratoire n’est pas encore amorcé. Les résultats des contrôles pourraient alors conclure, à tort, à l’absence de défaut et à la non-nécessité d’action corrective. Or, une fissure par fatigue vibratoire au niveau du raccord d’une vanne de prélèvement du circuit d’eau HT conduit à un accroissement du risque de fusion du cœur important. Aussi, l’IRSN estime qu’EDF doit contrôler un nombre plus important de diesels, afin de disposer d’une vision plus exhaustive de la situation du parc eu égard au phénomène de fissuration par fatigue vibratoire » [IRSN, 6/04/22].

Commentaire GSIEN : on voit comment une petite fuite non réparée à cause d’un problème administratif (absence de transmission d’un dossier d’intervention) aurait conduit à la ruine du diesel en cas de sollicitation réelle, comme lors de la perte des lignes électriques extérieures par exemple.

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Dampierre_3 - AVIS IRSN N° 2022-00008 - Prise en compte du retour d’expérience – Accroissement du risque de fusion du cœur induit par une fuite interne de liquide de refroidissement constatée le 4 septembre 2020 au niveau d’une culasse du moteur Diesel de la voie B.

Extrait de l’avis :

«_Début septembre 2020, le réacteur n° 3 de la centrale nucléaire de Dampierre, d’une puissance de 900 MWe, est en puissance. Un essai sur le banc de charge est effectué au titre de la requalification du diesel LHQ à l’issue de sa maintenance préventive. Pendant cet essai, d’une durée totale de sept heures, le diesel fonctionne jusqu’à 100_% de sa charge nominale. Avant l’essai, le niveau du vase d'expansion du circuit d’eau HT est relevé conforme, tandis que, le lendemain, une fois le diesel refroidi, une baisse significative du niveau d’eau est constatée, ce qui conduit l’exploitant à déclarer indisponible ce diesel.

Lors des investigations, une fuite interne est identifiée au niveau de la culasse de l’un des vingt cylindres du moteur (fuite d’eau dans la chambre de combustion et dans le cylindre). L'analyse des appoints de liquide de refroidissement effectués pour ce diesel met en évidence que les pertes significatives de liquide ont débuté en février 2017. Les données recensées lors des essais périodiques à pleine charge ont permis d’estimer un débit de fuite de 5_l/h en février 2017, de 10_l/h en octobre 2019 et de 15_l/h en septembre 2020.

La perte de fluide de refroidissement lors du fonctionnement du diesel en situation incidentelle ou accidentelle conduit à sa ruine ; avec un débit de fuite de l’ordre d’une dizaine de litres/h, la défaillance en fonctionnement du diesel survient en quelques heures.

De février 2017 à septembre 2020, huit baisses significatives de niveau dans le vase d’expansion ont été constatées lors des rondes en local ou des vérifications préalables aux essais périodiques. Chaque constat a été suivi d’un appoint, sans qu’aucune autre action corrective ne soit engagée ».

(...)

L’IRSN souligne que, parmi les défauts des diesels récemment recensés sur le parc en exploitation, celui ayant fait l’objet de la présente analyse se distingue par sa durée de latence particulièrement longue. Celle-ci provient notamment du fait que l’exploitant a systématiquement restreint l’analyse relative à la perte du fluide de refroidissement à la seule recherche d’une fuite externe, qui est le défaut le plus courant, tandis qu’une analyse réalisée en corrélant les baisses de niveau d’eau HT à la hausse du taux de sodium dans l’huile aurait permis de détecter la fuite interne plus rapidement » [IRSN, 26/01/22].

Commentaire GSIEN : encore une fuite qui aurait pu mener à la ruine du diesel en quelques heures. Les baisses anormales du niveau d’eau de refroidissement (8 fois en 4 ans) auraient dû alerter un exploitant soucieux des conditions optimales de fonctionnement d’un de ses groupes électrogènes d’ultime secours.

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Cruas_4 - Avis d’incident de l’ASN - Détection tardive de l’indisponibilité d’un groupe électrogène de secours à moteur diesel.

Extrait de l’avis :

«_Le 9 juillet 2021, alors que le groupe électrogène de secours à moteur diesel de la voie A était démarré dans le cadre d’un essai périodique, un léger dégagement de fumée a été constaté dans le local. L’équipe de quart a considéré que ce dégagement de fumée ne remettait pas en cause le résultat satisfaisant de l’essai. Néanmoins, elle a sollicité le service métier afin de déterminer l’origine de ce dégagement de fumée. Les investigations menées, moteur diesel à l’arrêt, n’ont pas mis en évidence d’anomalie et un nouveau diagnostic a été planifié lors de la réalisation d’un prochain essai périodique.

Le 6 août 2021, dans le cadre d’un essai périodique, le démarrage du groupe électrogène a de nouveau conduit à un léger dégagement de fumée dans le local. Les investigations complémentaires réalisées ont alors mis en évidence l’absence d’un collier au niveau d’un compensateur d’échappement du moteur. Les travaux de réparation ont été lancés immédiatement et le moteur a été remis en conformité le 7 août 2021.

L’analyse montre que ce défaut a remis en cause la capacité du groupe électrogène de secours à assurer complètement sa fonction. En effet, en cas de perte totale des alimentations électriques externes, le fonctionnement dans la durée du groupe électrogène de secours à moteur diesel n’était pas garanti » [ASN, 12/08/2021].

Commentaire GSIEN : toujours un problème de maintenance (oubli d’un collier au niveau de l’échappement du moteur) qui aurait empêché le fonctionnement dans la durée d’un groupe électrogène de secours.

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Flamanville_1 - Avis d’incident de l’ASN - Détection tardive de défauts affectant un groupe électrogène de secours à moteur diesel.

Extrait de l’avis :

«_Le 23 octobre 2020, EDF a réalisé un essai de requalification sur l’un des deux générateurs de secours à moteur diesel du réacteur 1. Cet essai s’est révélé non-satisfaisant en raison d’une élévation anormale de la température au niveau de l’alternateur. Les expertises ultérieures réalisées par l’exploitant ont conclu à un mauvais montage d’un composant de l’alternateur.

Le générateur de secours en question n’était pas requis au moment de la détection de cet évènement. Pour autant, les analyses complémentaires menées par EDF ont mis en évidence que celui-ci n’était pas en mesure d’assurer pleinement sa fonction depuis novembre 2019. Cela a conduit à une dégradation de la sûreté du réacteur_1 depuis cette date. EDF a notamment conclu qu’entre les mois de décembre 2019 et janvier 2020, aucune source d’alimentation électrique interne n’aurait permis de palier une perte des alimentations externes du site [souligné par le GSIEN]. Dans ce cas, seuls les systèmes de secours LLS et d’alimentation en eau des générateurs de vapeur [ASG] auraient permis d’assurer une conduite sûre de l’installation » [ASN, 10/03/2021].

Commentaire GSIEN : on peut supposer que le second groupe électrogène était indisponible entre les mois de décembre 2019 et janvier 2020 puisqu’’il n’y avait aucune source d’alimentation électrique interne. La sûreté optimale ne reposait plus que sur le turboalternateur de secours LLS peu fiable, « de conception archaïque » aux dires d’experts internationaux (voir page 26) et sur la Turbopompe de secours ASG qui, sur le site de Flamanville était potentiellement indisponible à la pleine charge depuis 1999 (voir page 23). La perte simultanée de tous les systèmes de secours internes est donc tout à fait envisageable.

Quant à la perte de toutes les alimentations électriques externes d’un réacteur, est-elle concevable ?

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Blayais_3 - Avis d’incident de l’ASN - Perte des sources électriques externes sur le réacteur 3 nécessitant le fonctionnement d’un groupe électrogène de secours à moteur diesel.

Extrait de l’avis :

«_Le 28 mai 2022, le réacteur_3 de la centrale nucléaire du Blayais était à l’arrêt pour maintenance et renouvellement du combustible. Le cœur du réacteur était totalement déchargé dans la piscine du bâtiment combustible, dont le refroidissement doit être assuré en continu par des systèmes alimentés électriquement. L’exploitant a réalisé un essai périodique réglementaire visant à basculer l’alimentation électrique du transformateur principal vers le transformateur auxiliaire.

Au cours de cet essai, le dysfonctionnement d’un disjoncteur a provoqué un court-circuit entre les deux sources électriques externes. Le démarrage du groupe électrogène de secours à moteur diesel a permis de réalimenter électriquement les équipements dont le fonctionnement était requis. L’alimentation électrique a été assurée par le groupe électrogène de secours pendant une durée de 23 heures et 31 minutes » [ASN, 12/07/22].

Commentaire GSIEN : cet incident montre la fragilité de l’alimentation électrique via le réseau national. Un banal court-circuit peut rendre indisponible les deux alimentations externes. Un groupe électrogène a pris le relais pour assurer l’alimentation électrique du système de refroidissement de la piscine BK, et, on peut le souligner, sans tomber en panne.

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Ces groupes sont en fait équipés de moteurs de locomotive ou de navire. De tels moteurs diesel requièrent une montée en température progressive avant de fournir la pleine puissance, en tournant au ralenti avec une faible charge pendant au moins une dizaine de minutes. Cependant, en centrale nucléaire, on demande à ces moteurs de bateau de démarrer tels des hors-bords en compétition, comme l’explique EDF dans sa fiche technique sur les groupes électrogènes de secours : « la prise de charge totale n’excédant pas une minute » : « démarrage en 10’’ maximum, couplage, prise de charge rapide. Dans ce cas, toutes les sécurités sont hors service excepté la survitesse mécanique (pour des raisons de sécurité concernant le personnel) et dans le REP 900_MW, minimum de tension. Pour l’avenir la question des sécurités à maintenir opérationnelles sera revue, l’esprit est de conserver les sécurités sans l’action desquelles l’espérance de fonctionnement à pleine puissance est très brève ».

Le fonctionnement lors des essais périodiques mensuels sollicite bien moins le matériel : « dans ce type de fonctionnement, le démarrage comporte un palier de ralenti (sauf un à deux essais par 12 à 18 mois) ».

De fréquents démarrages usent prématurément la mécanique avec un impact sur la sûreté : « Un grand nombre de démarrages fatigue inutilement le matériel ; par contre, des périodes d’arrêt prolongées masquent des défauts. (...) L’expérience montre que le nombre d’heures de fonctionnement et le nombre de démarrages sont sensiblement les mêmes ; on s’aperçoit donc qu’un groupe fonctionne une trentaine d’heures par an. Même si durant les 2-3 premières années ce nombre est d’une centaine, les durées cumulées de fonctionnement sont très faibles et les essais périodiques ne sont pas une garantie suffisante de bon fonctionnement pour des matériels importants pour la sûreté » [Source, MTE n°_135, EDF 1987].

Principe de la modification de remplacement de la TAC par un GUS

Source, IRSN

Des essais d’endurance des groupes électrogènes sur plusieurs jours avec alimentation des systèmes de sauvegarde du réacteur permettraient de valider (ou pas) leur fonctionnement réel dans la durée.

Le risque de casse moteur lors de démarrage à pleine vitesse provient du manque de graissage de la mécanique pendant les premières secondes suivant le démarrage. Lors de la perte totale des alimentations électriques externes, faire tourner au ralenti les groupes électrogènes est peu envisageable. Faut-il donc se résigner à subir ces démarrages pied au plancher, en croisant les doigts ? Pour sécuriser leur fonctionnement, la solution pourrait être d’accoupler à chaque moteur un système de virage à basse vitesse qui le maintiendrait en rotation continue afin d’assurer le graissage permanent de la mécanique. La sûreté y trouverait son compte : réduction du temps de démarrage et baisse sensible du risque de casse moteur. Encore faut-il que l’exploitant soit pleinement sensibilisé de l’absolue nécessité de disposer de moyens de secours fiables pour assurer le fonctionnement des centrales nucléaires françaises dans les conditions optimales de sûreté...

Les quelques incidents relatés ci-dessus révèlent les problèmes récurrents de maintenance des groupes électrogènes de secours provoquant pannes et indispo-nibilités.

Qu’en est-il des autres systèmes de secours ?

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