Janvier 2023 • GSIEN

Dossier GSIEN
Sources internes de secours des centrales françaises

La cinquième roue du carrosse cabossée


Imaginons une situation analogue à celle de Zaporijia dans une des centrales françaises où toutes les alimentations électriques externes seraient coupées, où la sûreté des réacteurs ne survivrait plus que sur le bon fonctionnement des sources électriques internes. Il faudrait pouvoir disposer de matériels robustes, fiables et ayant une autonomie conséquente.

Architecture des alimentations électriques

Regardons leur fonctionnement avec l’IRSN : « Le fonctionnement d’une centrale nucléaire nécessite de disposer d’un système d’alimentation électrique permettant d’assurer l’exploitation et la sûreté de l’installation. Le système de distribution électrique est conçu pour répondre aux besoins de l’exploitation normale de la tranche lorsqu’elle produit de l’électricité ou en période d’arrêt (auxiliaires de marche et auxiliaires permanents) mais aussi pour assurer l’alimentation des équipements assurant les fonctions de sûreté requises lors d’une situation incidentelle ou accidentelle sur l’installation (auxiliaires secourus). Sur les tranches françaises, ces fonctions de sûreté sont assurées par deux systèmes indépendants (auxiliaires de sûreté voie A et voie B). Un seul de ces deux systèmes est suffisant pour placer le réacteur dans un état sûr et le maintenir dans cet état. Leur alimentation électrique est assurée par deux tableaux secourus (voies A et B) qui peuvent être alimentés par plusieurs moyens (cf. figures).


Principe de l’alimentation électrique

Source, IRSN

En situation normale c’est la ligne électrique dite "principale_d’évacuation" de l’énergie produite par la centrale vers le réseau électrique national, qui alimente les auxiliaires de la centrale. Si la centrale fournit de l’énergie au réseau, c’est une partie de sa production qui est ainsi prélevée. Si la centrale est à l’arrêt c’est le réseau électrique national qui apporte la puissance nécessaire.

(...)

En cas d’avarie prolongée sur la ligne "principale" (via le Transformateur de Soutirage - TS), la production est stoppée et l’énergie nécessaire, pour placer le réacteur dans un état sûr et le maintenir dans cet état, reste fournie par le réseau national en utilisant une seconde ligne dite "auxiliaire" (via le transformateur auxiliaire TA) qui relie la centrale au réseau.

(...)

Si un événement rend indisponible les deux sources externes, la centrale s’arrête automatiquement et deux générateurs de secours à moteur diesel (groupes électrogènes : GE) propres à la centrale doivent alimenter en quelques secondes chacun une voie de sûreté (...). Un seul générateur est suffisant pour accomplir les actions nécessaires.

Par ailleurs, sur chaque site, une source dite ultime peut être connectée manuellement en quelques heures à la place d’un groupe de secours défaillant d’une quelconque des tranches du site (cette source ultime peut être un groupe électrogène [dit GUS - palier 900_MWe CPY] ou une turbine à combustion [TAC - Bugey et les autres paliers]. Enfin pour parer à l’éventualité d’une perte simultanée des deux sources externes et des deux groupes de secours, chaque tranche a été dotée d’un turboalternateur [de secours (TAS) dit] (LLS) alimenté en vapeur par les générateurs de vapeur et qui assure en quelques secondes le secours électrique ultime des fonctions nécessaires pour maîtriser la sûreté en attendant de retrouver une des sources électriques (mise en place de la source ultime, réparation d’un des deux groupes de secours défaillants...).

Il est également à noter que l’alimentation en eau de secours des générateurs de vapeur peut être réalisée par des turbopompes alimentées par la vapeur des générateurs de vapeur [TPS ASG] (1 turbopompe sur les réacteurs du palier 900_MWe et 2 sur les paliers 1300_MWe et N4).

Le séisme est pris en compte dans le dimensionnement de des deux générateurs de secours à moteur diesel et du LLS » [IRSN 2013].

A cette architecture de conception, un Diesel d’ultime secours (DUS) a été ajouté à chaque tranche du parc suite au REX de Fukushima. Cependant, les DUS installés sur le palier 1300_MWe posent des problèmes de fiabilité quoiqu’en dise EDF (Cf. [LIEN article10]).


Distribution électrique d'un réacteur de 1300_MWe

Source, IRSN

Le tableau ci-après résume les moyens de secours disponibles sur les tranches en fonctionnement.

Parc EDF - Moyens de secours

Type, énergie et nombre par réacteurs

Moyens de secours

Energie

Palier

900 MWe

Bugey

900_MWe

sauf Bugey

1300 et 1500_MWe

GE

Fioul

2

2

2

DUS

Fioul

1

1

1

GE LLS

Fioul

1

1

1

TAS LLS

Vapeur GV

1

1

1

TPS ASG

Vapeur GV

1

1

2


Il existe également 1 GUS (GE ou TAC selon le palier) commun à toutes les tranches d’un même site

GE

Gazole

0

1

0

TAC

Fioul ou Kérosène

1

0

1


TAC fioul : Cattenom, Paluel, Golfech, Penly et Saint-Alban; Civaux et Chooz.

TAC kérosène : Flamanville, Nogent et Belleville.

La saga des problèmes rencontrés par EDF avec ses moyens de secours est longue. Un de ces épisodes a été relaté dans la Gazette n°_279 (mars 2016) avec un article sur la « Défaillance des groupes électrogènes à moteur diesel » des tranches de 900MWe causée par les coussinets de bielles des moteurs diesel (voir également l’enquête du Journal de l’Energie).

Les sources de secours des centrales EDF sont vétustes voire obsolètes comme le turbo-alternateur dit LLS. Certes, les Diesels d’ultime secours (DUS) post Fukushima ont été installés afin de sanctuariser l’alimentation électrique des réacteurs. Ils ne sont pourtant pas au rendez-vous de la sûreté, EDF ayant privilégié l’aspect économique à l’aspect technique comme nous le verrons plus loin.

Parfois, même si les groupes électrogènes démarrent correctement, un mode commun affectant les deux voies électriques secourues d’un réacteur (voie_A et voie_B) peut empêcher le fonctionnement des systèmes de sauvegarde. Exemple avec cet incident (INES_2) sur la tranche n°_2 de Penly en 2019 : lors du redémarrage du réacteur après un renouvellement du combustible, l’IRSN explique que « I’exploitant a constaté successivement des refus de démarrage de quatre pompes de systèmes importants pour la sûreté. Dans les quatre cas, le diagnostic des défaillances s’est orienté vers les CI relatifs à ces pompes, qui venaient d’être remplacés ». Les CI, ou « Contact d’insertion », sont des composants de contacteurs de cellules de 6,6_kV. « Ces composants défaillants provenant d’un même lot, tous les CI installés, lors de l’arrêt de 2019, dans des contacteurs de cellules de 6,6 kV des deux voies électriques secourues ont été considérés potentiellement affectés par un défaut de fabrication » [souligné par l’IRSN]. « L’IRSN a estimé l’accroissement du risque de fusion du cœur du réacteur n°_2 de Penly induit par la présence de composants en écart dans les contacteurs de cellules de 6,6_kV des deux voies électriques secourues, pendant une durée de 15 jours. Il est supérieur, d’au moins un facteur 10, au seuil au-delà duquel un événement est considéré précurseur (Un événement est dit « précurseur » lorsque son occurrence sur un réacteur induit un accroissement du risque de fusion du cœur supérieur à 10-6 par rapport à la valeur de référence) » [IRSN, 21/06/21].

Sur les antiques groupes diesel équipant les réacteurs (deux par tranches) des échanges standards de moteurs ont été réalisés mais des problèmes de conception et de corrosion (entre autres) ont été découverts ces dernières années sur les matériels auxiliaires. Cela a posé des problèmes de résistance aux séismes, de manière parfois récurrente, problèmes mis en évidence par l’ASN depuis plusieurs années. Ces dernières années, le GSIEN a répertorié trois incidents classés au niveau_2 de l’échelle INES qui concernent respectivement 20, 7 et 39 réacteurs...

Pour faire le lien entre le risque sismique et le danger d’un bombardement, voici une réflexion sur des engins tels les bunker busters capables de créer une onde de choc supersonique :

« Pendant la Seconde Guerre mondiale, le designer britannique Barnes Wallis, déjà célèbre pour avoir inventé la bombe rebondissante, a conçu deux bombes qui deviendraient les prédécesseurs conceptuels des bunkers modernes : le Tallboy de cinq tonnes et le Grand Slam de dix tonnes. Il s'agissait de bombes "tremblements de terre" — un concept qu'il avait proposé pour la première fois en 1939 ».

(...)

« Bien que ces bombes puissent être considérées aujourd'hui comme des "busters de bunker", en fait, la théorie originale du "séisme" était plus complexe et subtile que de simplement pénétrer une surface durcie. Les bombes sismiques ont été conçues pour ne pas frapper une cible directement, mais pour frapper à côté d'elle, pénétrer en dessous et créer un "camouflet" ou une grande caverne enfouie tout en délivrant une onde de choc à travers les fondations de la cible. La cible s'effondre alors dans le trou, quelle que soit sa dureté » [stringfixer.com].

Retournons rapidement à la centrale de Zaporijia, où comme on l’a vu dans la note de l’IRSN, « Les stocks de carburant alimentant les diesels pourraient permettre leur fonctionnement pendant sept à dix jours ».

En France, d’après la consigne de conduite des « Groupe électrogène d’ultime secours » du CNPE de Chinon, « La citerne combustible (80_m3) d'une capacité utile de 74_m3 autorise une autonomie de 3,5 j à la puissance maximale ». « L'autonomie requise du groupe est de 72_h ce qui impose une réserve de combustible ≥_60 m3 » [1]. Il y a deux groupes associés à chaque réacteur et, même s’ils ne fonctionnent pas à la puissance maximale, il faudra organiser rapidement une noria de camions citerne nécessaire à la poursuite de leur fonctionnement (s’ils ne tombent pas en panne...), au milieu d’une zone de conflit.

Réf. [1] Consigne permanente de conduite - F.0/9/8LHT.1 - Groupe électrogène d’ultime secours GUS - CNPE de Chinon, 11 février 2005.