Mai 1991
 ASSISES INTERNATIONALES DE L'OBJECTION DE CONSCIENCE
CUN du LARZAC
Rapporteur: Yves Renaud 
    Il y eut donc 4 jours d'Assises…
    Dommage, comme l'a dit l'un des "assis", «que la climatisation externe ait été en panne»: que d'eau, que d'eau!
4 jours donc, avec les 3 premiers consacrés à écouter et recevoir, le dernier surtout pour nous ouvrir aux autres, donner, parler de ce qui avait germé dans les groupes et bien sûr en chacun de nous.
    Le mot "consacré" n'est pas anodin: le temps qui nous fut hélas compté, n'a pas permis de parcourir, à plus forte raison d'épuiser toutes les facettes de l'objection, mais les lignes qui vont suivre vont tâcher d'insister sur une dimension un peu tenue à l'écart et qui est de l'ordre de la vie intérieure, voire spirituelle: «Vivre la Non-Violence ce n'est pas seulement lutter, c'est aussi servir» (thème d'ailleurs repris dans le programme du MIR branche italienne).

    Alors un dessin parlant mieux qu'un long discours, je vais utiliser des "images":
    Au matin du dernier jour, j'ai regardé le soleil se lever: il était seul; j'ai entendu le coucou chanter et il était seul aussi mais quelle présence! Et puis j'ai senti l'odeur de la terre encore humide, apparemment seule elle aussi dans un ciel déjà vierge d'étoiles; enfin, je me suis dirigé vers le CUN, apparemment inhabité. Pour la petite histoire, il y avait déjà (ou encore?) une seule personne dans le réfectoire et déjà (ou encore?!) une seule personne de service aux… sanitaires; j'ai utilisé l'ultime goutte du château d'eau pour me laver; il n'y avait qu'une personne pour passer la serpillière (personne qui a pu heureusement remplir la réserve d'eau); les pétitions semblaient bien peu nombreuses dans l'urne; les volontaires pour les pluches - et là j'ose mettre les pieds dans… le plat… - furent bien seuls le 1er jour (ensuite ça c'est amélioré…) et puis, pardonnez-moi, à 7h40 j'étais seul pour vous sonner les cloches, pardon, la cloche, elle aussi seule, mais le résultat ne s'est pas fait attendre, sauf pour quelques uns… (hum).

    Cette introduction pour tenter de faire saisir la force de ces "solitudes" et poser une première question: «Si l'on craint sa propre impuissance, comment ne pas craindre le pouvoir?» qui est finalement la réponse à une question (parfois timidement) formulée à ces Assises: «Nous sommes si peu nombreux, comment faire passer notre message?»
    Peut-on rappeler qu'«inventer sa vie c'est toujours un acte de liberté solitaire, quitte à être incompris de ses contemporains»? (F.Bonardel).

    Il fut d'autre part constaté qu'il y avait moins de femmes que d'hommes, mais je voudrais dire avoir été particulièrement sensible (et je sais ne pas avoir été le seul!) à leur parole où existait une vibration de la même nature que celle du soleil, du coucou, de l'eau, de la terre et de la cloche… informatrice; à ce sujet, comment ne pas croire que l'information doive être moins l'écho des fréquences officielles que celui de nos… vibrations intérieures?
    Il est écrit, dans le même esprit, en couverture d'un récent bulletin des "Réseaux Espérance": «L'espoir n'est pas seulement une forme d'optimisme, c'est la certitude que nos actes ont un sens, même si nous ne pouvons pas toujours en connaître le résultat».

    Jean Goss, dont j'aime à croire qu'il ne nous a pas quitté mais seulement précédé, a dit que la NON-Violence EST la vie: dire NON, c'est donc vivre, ainsi que veut le dire cette pensée d'indiens du Canada:

«Il n'y a que les poissons morts qui vont dans le sens du courant».

    Je profite de ce "courant" qui me fait penser au CUN et à son éolienne: soyons certains que si nous nous sommes retrouvés ici, ce n'est pas par hasard (celui-ci n'est-il d'ailleurs pas que le constat - provisoire - d'une ignorance de la vie?): la vie n'est-elle pas elle-même un «miracle inévitable»? Profitons donc de l'exemple qui nous est donné ici - comme une des formes probables de société à venir - pour accepter que l'important n'est pas seulement la "victoire" d'une objection (et pas seulement militaire) devenue forte: c'est presqu'au contraire, que l'abbé Pierre (par exemple) "gagne" en étant "seul", sans journaux, sans circuits de distribution, sans informatique, sans publicité (autre que celles de certains media, pour d'autres causes que la sienne), idée "qu'un certain bonhomme" a exprimé il y a quelques 2000 ans par:

«c'est alors que tu seras faible que tu seras fort»

    Gandhi n'a pas fait autrement, ni Lanza del Vasto avec l'Arche (lui qui d'une certaine façon a permis d'impulser le CUN), ni tant d'autres qui ne sont plus seulement des militants mais, comme le dit René Macaire, des "mutants"; leur réponse à la violence est avant tout une réponse à dimension humaine "pourtant": je veux dire que ce n'est pas "que" de la philosophie; car si la guerre est partout, elle est surtout économique; or l'économie étant produite par la vie d'humains, tout problème économique est un problème éthique, et c'est cela que nous ne devons pas oublier.

    Comme nous ne devons pas oublier que, même (surtout?) en objectant, nous ne possédons pas LA vérité, que nous ne pouvons en comprendre qu'une facette et qu'enfin nous ne sommes qu'une toute partie de la Vie, tout en la possédant toute en nous: au risque de choquer, il devrait être évident que même la pire des violences a son utilité "quelque part" et même aussi qu'il n'est pas possible de dire, pour enfoncer le CUN(coin en occitan) , pardon, le clou, que nous Occidentaux, soyons plus "utiles" (ou même osons dire "aussi" utiles!) que… Saddam Hussein par exemple, car pour la majorité des peuples du monde, nous devenons de plus en plus nuisibles. Et que serait-ce si la nature pouvait aussi parler ou plutôt crier!

    Pour revenir (quand même) à ces journées, il a même été question de marketing, de… vecteurs porteurs, de machine à laver (!«nous serions comme le S.A.V. d'une IDEE»…) et même de cible (en parlant des destinataires): au delà du mot lui-même, cette idée de "sélection" (ah, l'autre problème étudié d'éthique médico-scientifique!) porte en elle celle de division ("blindée" contre les changements?) que j'associe aussi à celle de Parti dont le mot résonne d'une certaine… absence (hum): ce dernier trait pour montrer que la discussion a été très animées lors de l'atelier "les Verts et la commission Paix et Désarmement".

    Mais rassurez-vous, il a quand même été question du plaisir d'objecter (ouf!) et cela est vrai: que serait le… service (attention, ne nous trompons pas!) sans la ferveur? Et comment ne pas se rappeler le poème si court mais si beau de Rabbindranah Tagore:

«Je dormais et je rêvais que la vie n'était que joie
Je m'éveillais et je vis que la vie n'était que service
Je servis et je vis que le service était la joie»

    Bien sûr, ces journées parurent trop courtes à beaucoup, mais il est apparu à quelques-uns que nos désirs devaient être moins importants que nos espoirs, eux-mêmes moins que Ce qui les dépasse, sentiment qui pourrait être traduit par:

«le bonheur n'est pas ce qui répond à nos attentes mais ce qui les transcende».

    Pouvons-nous aussi garder à l'esprit que le mot "Assises" ne signifie bien sûr pas que nous n'avions qu'à recevoir sans bouger, mais que nous étions venus créer des fondations, non seulement en nous mais pour le monde et comme l'a dit une sessionnaire à un récent stage "spiritualité et N-V au quotidien":

«Ainsi, si le sol s'effronde, il y a le sous-sol!»

    Je ne crois pas que tout cela non plus ne soit que de la philosophie comme ça me l'a été dit: la violence n'est pas une philosophie, comment la Non-Violence le serait-elle? Je pense aussi que les quelques personnes citées plus haut (auxquelles on pourrait ajouter Soeurs Emmanuelle et Theresa, l'équipe des Brigades de Paix Internationales et tant d'autres…) n'ont jamais eu, avant d'agir, à justifier la justice avec de belles phrases, mais qu'elles ont toutes créé la condition pour qu'elle soit donnée "par surcroît", comme l'a dit aussi ce "certain bonhomme"…

    Utopique? Mais l'utopie n'est-elle pas plutôt ce qui n'a pas encore été réalisé? Bien sûr, on ne va pas (pas encore?) demander à tout un chacun de vivre ainsi, ancré dans la pauvreté pour lutter contre elle, mais si dans nos projets il y avait la dimension "simplement" humaine (donc sacrée!)? Ne tient-il pas qu'à nous d'accueillir (un) "dieu" en nous? Il est vrai que nous avons fortement quitté l'humain quand, dans le groupe "objection et communication" il a été questions de moyens techniques voire scientifiques tels informatique, Minitel,… outils d'ailleurs pas accessibles à tous et pouvant créer d'autres formes de privilégiés et/ou esclaves. Mais c'est vrai que la tentation est grande de rester sous l'image de la science guérisseuse de tous les maux: moi-même, en écrivant ces… mots, j'ai eu la pensée qu'un traitement de texte aurait été plus simple! Et comme écho immédiat, il vient juste d'être annoncé à la radio que le matériel électronique et informatique a été cette année la plus forte hausse d'achat des Français…

    Comment s'empêcher de penser à la phrase d'un responsable de l'ACAT: «qui gagne quand on tue un terrorisme? C'est le terrorisme!»; ce qui me fait dire que c'est aussi le fabricant d'ordinateurs qui s'enrichira, même si ce que nous allons en faire peut nous… enrichir intellectuellement voire spirituellement! Et là je me souviens de notre enthousiasme à tous (n'est-ce pas J-Baptiste Libouban/l'Arche...) en évoquant les voitures électriques qui ne sont, comme toutes les autres, qu'un moyen de déplacement qui ne fait que… déplacer le problème: en France, ne sont-elle pas en plus rechargées par le… nucléaire?!! En vérité, l'affolante mobilité, l'incessant chassé-croisé des hommes traduit plus leur déséquilibre que leur efficacité ou surtout leur… "richesse". Oui, un réseau informatique pourrait être utile, mais attention qu'il ne devienne indispensable: aider n'est-il pas se rendre inutile?

    Créons donc d'abord EN NOUS cet "esprit réseaux", rendant la cohérence entre les dimensions essentielles de notre ETRE: vie intérieure, relation à l'autre et engagement social et politique (René Macaire), la politique n'étant pas comment on vote mais comment on vit.

    Voilà,… nous sommes donc venus au CUN partager notre enthousiasme, maintenant il nous reste à le partager au quotidien, enthousiasme qui ne devra pas seulement être la façon dont on exprime nos valeurs mais ce qui est leur reflet en nous: notre regard sur la vie n'est-il pas aussi important que la vie elle-même?

    En résumé, il me semble, pour ne pas être taxé de rêveur philosophe, voire d'illuminé, que COHERENCE soit un des mots-clefs de notre vie, cohérence qui permettrait de concilier éthique, mystique et… politique (R.Macaire).

    Méfions-nous aussi de ces petites "urgences quotidiennes" occultant l'essentiel, tels cafés, cigarettes et autres steaks devant lesquelles nous ajoutons "petits" pour nous sentir moins coupables, mais aussi des sous devant lesquels nous mettons "gros" pour nous sentir moins responsables, méfions-nous aussi de ne pas seulement "consommer bio", car c'est nous qui devons être bio sous peine de rester seulement ce que nous sommes tous au départ: biodégradables. Et au risque de vous couper l'appétit et puisque j'ai parlé de (gros?) sous, je me permets de terminer avec un petit clin d'oeil vers l'appel en fin d'Assises: il a été indiqué un "trou" de 800F, or nous avons été plus de 200: faites le calcul et dépluchons, euh, dépêchons-nous de faire un… "petit" geste!

    Enfin, n'oublions pas que l'humour est une des… armes de la Non-Violence:

    Et ce n'est pas de l'humour (quoique…), mais cela répond à la "dimension manquante":
OSONS CROIRE EN L'INESPERE! (Héraclite d'Ephèse).