Septembre 2022 • Raymond Sené

Petits rappels historiques

En 1939, trois brevets ont été déposés par Frédéric Joliot Curie, Hans Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin (les trois premiers travaillaient dans le labo de Chimie Nucléaire du Collège de France). Deux de ces brevets concernaient les questions de réaction en chaîne et de criticité (pour produire de l’énergie), le troisième concernait la possibilité de faire une bombe :

  • Dispositif de production d’énergie (Brevet d’invention n° 976.541) ;

  • Procédé de stabilisation d’un dispositif de production d’énergie (Brevet d’invention n° 976.542) ;

  • Perfectionnements aux charges explosives (Brevet d’invention n° 971.324).

En 1940, deux autres brevets sont déposés :

  • Perfectionnement aux dispositifs producteurs d'énergie (Brevet d’invention n° 971.384)

  • Perfectionnements apportés aux dispositifs de production d'énergie (Brevet d’invention n° 971.386)

Après la guerre, en « récompense » :

-  Joliot Curie eut des terrains à Orsay (terrains confisqués par l’État à son propriétaire, directeur du Petit Parisien pendant la guerre, pour faits de collaboration avec les allemands) où furent installés la fac d’Orsay et l'Institut de Physique Nucléaire. Il fut nommé Haut-Commissaire du CEA lors de la création de ce dernier ;

- Hans Halban eut droit à une autre portion de ces terrains où fut installé l’Accélérateur linéaire ;

- Lev Kowarski se retrouva au fort de Châtillon où il construisit ZOE, notre première pile à eau lourde … Il avait participé à l’élaboration de cette filière au Canada (CANDU)… Les américains n’en avaient pas voulu pour travailler sur leur programme nucléaire, son origine polonaise l’avait rendu « suspect » ;

- Francis Perrin alla pantoufler comme professeur au Collège de France (il y fut mon premier patron !)

N’oublions pas que pour alimenter ZOE, il avait fallu extraire l’uranium du minerai pour fabriquer des lingots de combustible. Cette opération s’est déroulée au Bouchet (près de St Vrain, dans l’Essonne - Cf. note), dans des locaux "empruntés" à la Société nationale des poudres et explosifs (lieux restitués en 1979). Puis c’est encore au Bouchet que furent extraits nos premiers milligrammes de plutonium.

Il y a quelques années une tempête écolo est tombée sur ce site. Les autorités locales envisageaient une reconversion d’une partie des terrains… en général plus c’est crade plus on a de chances d’avoir des HLM, un centre aéré, des écoles. Monique avait beaucoup participé à cette bagarre. En effet, les résidus de traitement du minerai d’uranium (monazite de Madagascar, très riche en thorium et en uranium, Cf. Histoire du Bouchet) avaient été mis dans des futs enterrés sur place, et parfois directement en tranchées. Le CEA avait présenté à une réunion du CSSIN un joli dossier expliquant que tous les futs avaient été retirés... Une analyse pointue du dossier faisait apparaître une discordance entre le nombre initial de futs enterrés et le total de ce qui avait été ventilé dans divers sites du CEA. On avait obtenu que des fouilles soient exercées et des carcasses dévorées par la rouille étaient apparues lors d’un coup de pelleteuse (Monique, sur le terrain, avait demandé et obtenu que la pelleteuse sorte du parcours défini par le CEA, et oh miracle, un magma rougeâtre, crachant sévèrement, avait été mis à l’air. Le gus de la radioprotection du CEA-Saclay qui suivait l’opération dans la tranchée s’était carapaté à toute vitesse).

Comme il était quasi impossible de retirer toute cette m … ils ont décidé de recouvrir, en faisant une jolie butte de terre, de clore avec un tout beau grillage et de planter un poteau avec un écriteau portant la mention "Défense de pénétrer". La Gazette avait évoqué le sujet dans son n° 161/162.

La suite de l’histoire est cocasse. Lors d’une visite de contrôle par des agents de l’IPSN (pas encore IRSN, à l’époque service du CEA), oh horreur, ils attrapèrent un lapin dans l’enclos. Ce couillon de lapin ne devait pas savoir lire !

Ils passèrent le fautif à la moulinette et mesurèrent son contenu radioactif … il était gavé de radium.

Une responsable de l’IPSN nous avait dit « mais sont-ils couillons. Il fallait le désosser et mesurer la viande et pas les os. C’est dans le os que se rassemble le plus le radium … et quand on mange du lapin, on ne mange pas les os !!! ».

C’est en raison de ces premiers brevets que pendant de nombreuses années les Etats-Unis ont versé à la France des redevances. Mais il a fallu une longue bataille juridique avec les USA pour obtenir une reconnaissance de leur part. Nous trouvons trace d’une « première redevance de trente-cinq mille dollars (...) versée au C.E.A. en 1961 » (source, dissident-media). Puis, « En 1968, l’antériorité française des découvertes fondamentales dans les technologies nucléaires est reconnue officiellement lors d’une cérémonie à Washington, et assortie d’un "dédommagement" de 35 000 $ » (source, EGE]. A priori, cette redevance de 35 000 $ (environ 300 000 €2022) a été annualisée sans que nous puissions le certifier.

Une partie de ce pactole fut utilisée pour embaucher des ingénieurs au CNRS, dans ce qui était appelé le corps des grands accélérateurs. (L’astuce était de pouvoir attirer de très bons ingénieurs pour mettre au point et faire tourner les premiers accélérateurs de particules en France. Sous ce statut bancal, on pouvait les payer à des salaires attractifs, ce qui n’était pas le cas avec la grille des salaires du CNRS).

Note

LE BOUCHET - Il n’y a pas eu que du nucléaire. Une partie du site était (et est encore) utilisé par des labos travaillant sur les armes chimiques et/ou biologiques. Un copain, chercheur dans un labo de biologie moléculaire parisien, m’avait raconté qu’il y avait été affecté pour y faire son service militaire, en tant que scientifique.

J’ai lu, il y a peu de temps, que sur ce site avaient été regroupées toutes les cochonneries qui se trouvaient dispersées sur diverses bases militaires françaises.

Question à ne pas poser : qu’a-t-on fait de ce qui traine encore à B2 Namous (base française au Sahara où nos militaires ont fait joujou avec ces produits depuis les années 30, jusqu’en 1987 (donc avec l’accord des autorités algériennes, l’indépendance de l’Algérie date de 1962) ?

Pour info pour les curieux, voici quelques extraits de ce qu’on peut trouver sur Wikipédia.

B2-Namous

« Au XXe siècle, le ministère de la Défense installe une base secrète d'essais d'armes chimiques et bactériologiques dans l'oued Namous (« namous » signifie moustique en berbère et en arabe) nommée B2-Namous et située dans un no man's land au sud de Beni Ounif et de la frontière marocaine.


Vue de l’ancien site d’essais chimiques français
B2-Namous dans le désert algérien

(Google Earth)

Source, Le Monde

Plusieurs campagnes d'essais de dispersion de toxiques sont menées par l'armée française en Algérie, à partir de 1930. Les premiers essais en grand furent réalisés dans la région de Chegga, puis à partir de 1931, sur le polygone de tir du centre de recherche et d'essais chimiques gigantesque de Béni-Ounif, alors composé de trois sites dénommés B1, B2 et B3. Par la suite, le centre B2 connu sous le nom de B2-Namous fut exclusivement dévolu aux essais des armes chimiques et bactériologiques. En 1935, le centre fut rebaptisé Centre d'expérimentation semi permanent de Béni-Ounif, ou CESP. De nombreuses campagnes de tir de munitions chimiques, d'essais de bombes chimiques d'aviation, d'épandages de vésicants par avions, de création de vagues gazeuses toxiques par dispersion en chandelle, d'essais d'armes chimiques nouvelles, ont lieu jusqu'en 1940. Les forces armées britanniques utiliseront également ce centre jusqu’à l'armistice de 1940 et utiliseront ensuite la base canadienne de Suffield de 1941 à 1946.

Le polygone d'essai de B2-Namous couvrant une superficie de 100 × 60 km est alors le second plus vaste centre d'expérimentation d'armes chimiques au monde après celui de l'Union soviétique. Il est remis en activité en 1965 à l'initiative du président Charles de Gaulle, à la suite de la tenue d'un Conseil de défense et de sécurité nationale et dans le cadre du renouvellement du contrat de bail préalablement établi par les accords d'Évian de 1962. La délégation algérienne accepte la réouverture de B2-Namous à condition que les autorités d'Alger bénéficient d'une couverture civile pour ne pas avoir à traiter avec l'armée française. Concrètement, le site d'essai doit être officiellement géré par une entreprise civile, et c'est la société industrielle Sodéteg (la « Société d'études techniques et d'entreprise générale », du groupe Thomson) qui obtient ce contrat. La Sodétec postera sur le site des permanents.

La divulgation de ce secret militaire et diplomatique est le fait du journaliste français Vincent Jauvert du magazine Le Nouvel Observateur qui en a fait la une de son n° 1720 d'octobre 1997 « Exclusif : Quand la France testait des armes chimiques en Algérie ». Le 21 octobre 1997, interpellé à ce propos par Hervé Brusini, journaliste de la chaîne télévisée France 2, le ministre de la Défense d'alors (1960-1969), Pierre Messmer, déclare : « Mais B2-Namous c'est au Sahara, et au Sahara, comme on le sait, il n'y a pas beaucoup d'habitants et les expérimentations de la France à B2-Namous ne gênaient pas du tout l'Algérie, au contraire, je dirais au contraire parce que ça apportait autour de B2-Namous une certaine activité qui a disparu complètement quand nous avons fermé le centre. » (Source, Wikipédia B2-Namous)