2022 • IRSN

AVIS IRSN N° 2022-00154
Flamanville 3 – Démonstration de sûreté et suffisance du programme d’essais physiques
Retour d’expérience des premiers EPR mis en service

Extraits de l’avis :

« 3. REX DES FLUCTUATIONS DE FLUX NEUTRONIQUE (FFN)

Le REX des premiers EPR mis en service a mis en évidence des fluctuations importantes des signaux mesurés par les chaînes neutroniques de niveau puissance (1) et les collectrons (2), représentatives de fluctuations de flux neutronique (FFN), observées tout au long des cycles. Les caractéristiques de ces fluctuations s’écartent de celles observées sur les réacteurs du parc en exploitation, tant du point de vue de leur amplitude que de leur évolution en cours de cycle. Ce phénomène est connu à l’international sur les réacteurs de type KONVOI (3) dont la conception du fond de cuve est similaire à celle des réacteurs de type EPR (absence de plaques entretoises et de colonnes de maintien pour l’instrumentation du cœur).


Réacteur EPR - Plenum inférieur de la cuve
Dispositif de répartition du débit (FDD)

Source, IRSN, 21/07/22

Les premières analyses d’EDF ont montré que les FFN ont pour origine les fluctuations de débit en entrée du cœur. En effet, ces fluctuations conduisent à :

des oscillations latérales des assemblages de combustible et à des variations des jeux entre ces assemblages (lames d’eau) ;

des fluctuations de température de l’eau.

Dans un réacteur à eau, l’eau joue également le rôle de « modérateur », c’est-à-dire qu’elle ralentit les neutrons produits par les fissions d’atomes d’uranium, jusqu’à un niveau d’énergie où ils sont les plus susceptibles de provoquer de nouvelles fissions d’uranium. Par cet effet neutronique, les fluctuations de débit en entrée du cœur induisent in fine des FFN.

Ces fluctuations de débit avaient été observées lors des essais de qualification du fond de cuve réalisés sur une installation expérimentale. Toutefois, les conséquences de ces fluctuations sur les assemblages de combustible et le flux neutronique n’avaient pas été anticipées [souligné par le GSIEN].

Afin de consolider ces premières analyses, EDF a récemment développé une « chaîne de calcul FFN » permettant de simuler, pour le réacteur EPR FA3, les différents phénomènes thermohydrauliques, mécaniques et neutroniques à l’origine des FFN. Les analyses menées par EDF montrent que les fluctuations de débit en entrée du cœur sont liées aux caractéristiques des écoulements hydrauliques dans le plenum inférieur de la cuve, en particulier dans la zone de recirculation (voir figure ci-après) qui se crée entre la paroi du fond de cuve et le dispositif de répartition du débit en entrée du cœur (Flow Distribution Device ou FDD).

À l’issue de l’expertise qu’il a menée, l’IRSN estime pertinente l’analyse des causes des FFN apportée par EDF et considère que « la chaîne de calcul FFN » permet de reproduire qualitativement les phénomènes physiques mis en jeu.

Ces analyses montrent que la liste des exigences fonctionnelles relatives à la conception thermohydraulique du cœur de l’EPR FA3 n’est pas exhaustive dans la mesure où celles-ci ne tiennent pas compte des fluctuations de débit. À cet égard, l’IRSN estime que la conception thermohydraulique du cœur d’un réacteur devrait également spécifier des requis sur les fluctuations de débit en entrée du cœur. En tout état de cause, l’IRSN estime que la présence indésirable et non anticipée de FFN est la conséquence d’une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs de type EPR.

(...)

L’IRSN rappelle également que, selon le REX du premier EPR mis en service, les oscillations latérales des assemblages sont aussi à l’origine de dégradations des grilles de maintien de certains assemblages de combustible situés en périphérie du cœur (au contact du réflecteur lourd). EDF n’est donc pas aujourd’hui en mesure de garantir la possibilité d’irradier pendant plus d’un cycle ces assemblages, ce qui conduirait in fine à augmenter la quantité de déchets résultant de l’exploitation du réacteur. L’existence d’un lien de cause à effet entre les FFN et le taux élevé de défaillances de collectrons observé sur les premiers EPR mis en service n’est pas exclu non plus (ce taux élevé n’étant actuellement pas expliqué).

Ainsi au-delà des compléments de démonstration apportés et des mesures compensatoires prévues, l’IRSN estime qu’EDF doit définir et mettre en œuvre, aussi rapidement que le permet son processus de qualification, une modification matérielle pérenne permettant d’optimiser l’hydraulique dans le plenum inférieur de la cuve, de limiter l’ampleur des fluctuations de débit en entrée du cœur et ainsi de résorber l’anomalie de conception du plenum inférieur et ses conséquences.

(...)

5. CONCLUSIONS

(...)

Concernant les fluctuations importantes des signaux mesurés par les chaînes neutroniques de niveau puissance et les collectrons, l’IRSN estime qu’elles résultent d’une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs de type EPR qui, in fine, réduit les performances du système de surveillance et de protection du cœur, peut conduire à des usures des grilles de maintien du combustible en périphérie du cœur, pourrait avoir un impact négatif sur la fiabilité des collectrons... Pour la résorber, EDF doit définir et mettre en œuvre, aussi rapidement que le permet son processus de qualification, une modification matérielle pérenne permettant d’optimiser l’hydraulique dans le plenum inférieur et de limiter l’ampleur des fluctuations de débit en entrée du cœur. Dans l’attente, l’IRSN estime acceptables les modifications du contrôle-commande pour limiter le risque de signaux intempestifs. De plus, la démarche pour évaluer l’impact de ces fluctuations sur la démonstration de sûreté, qui a conduit à des modifications significatives des seuils de surveillance et de protection limitant le domaine d’exploitation du réacteur, n’est acceptable selon l’IRSN que dans le cadre d’une analyse de sûreté intermédiaire et sous réserve de la vérification expérimentale des caractéristiques des fluctuations ».

Réf. (1) Les chaînes neutroniques de niveau puissance constituent une instrumentation positionnée en périphérie de la cuve. Ils permettent de suivre le flux neutronique intervenant dans la surveillance et la protection du réacteur.

(2) Les collectrons constituent une instrumentation interne fixe répartie dans le cœur de manière homogène. Ils permettent également de suivre le flux neutronique intervenant dans la surveillance et la protection du réacteur.

(3) Pour rappel, la conception des réacteurs de type EPR s’inspire à la fois de la conception des réacteurs allemands de type KONVOI et de la conception des réacteurs français du palier N4 (de puissance 1450 MWe) [IRSN, 21/07/22].

Commentaire GSIEN : les fluctuations de débit mesurées lors des essais maquette n’avaient pas été anticipées. Elles avaient pourtant été identifiées par EDF qui n’avait pas jugé bon de modifier le dispositif de répartition du débit (FDD). La Gazette titrait dans son n° 296 (avril 2022) : Défaut de conception des cuves EPR.

Rappel :

« Il apparaît que les débits évoluent autour d’une valeur moyenne mais ne sont pas stables. Les assemblages situés dans le sillage du FDD ont un comportement en phase (battement) caractérisés par des fluctuations de l’ordre de 4%rms. A l’extérieur du FDD, les fluctuations de débits sont relativement indépendantes (faibles niveaux de cohérence) et les fluctuations sont de l’ordre de 8%rms, avec un maximum mesuré de 11%rms. Les écarts de débits entre assemblages voisins peuvent donc atteindre des niveaux élevés, en particulier en périphérie du cœur. Les fluctuations de débits en entrée cœur doivent être prises en compte dans les analyses justifiant la bonne tenue des assemblages combustible.

(...)

L’opportunité d’optimiser le FDD qui avait été soulevée dans la note (28) pour réduire le risque de fretting n’est donc plus à envisager. En effet, bien que la conception du FDD repose sur des calculs CFD non qualifiés (cf. 26), la reprise de la conception du fond de cuve n’est aujourd’hui plus justifiée car la conception actuelle est acceptable vis-à-vis du risque de fretting et des sollicitations sur le combustible en général » [Gazette n° 296].

Quand l’IRSN évoque « une modification matérielle pérenne permettant d’optimiser l’hydraulique dans le plenum inférieur de la cuve », consistant à modifier ou remplacer le dispositif de répartition du débit.

Comme il s’agit d’une modification de conception, il va falloir valider le FDD new-look par de nouveaux essais sur une installation expérimentale : « La qualification de cette modification nécessite des essais sur maquette à échelle réduite. La modification sera mise en œuvre à l’issue des premiers cycles de fonctionnement du réacteur EPR de Flamanville » [IRSN, 2022]. Il se pourrait qu’il soit nécessaire de démonter et d’entreposer des matériels irradiants des éléments internes inférieurs tels le réflecteur lourd et le fond support de cœur afin de pouvoir accéder au FDD. Il serait plus sage d’entreprendre de tel travaux dans le plenum inférieur de la cuve avant le démarrage du réacteur et l’irradiation de la cuve.

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