2021 • IRSN

AVIS IRSN N° 2021-00075 - Réacteurs de 1300 MWe du palier P’4 et de 1450 MWe
Comportement du dôme des enceintes de confinement en situation d’accident grave

Extraits de l’avis :

« 1.1 CONTEXTE

Pour les réacteurs des paliers 1300 MWe (trains P4 et P’4) et 1450 MWe (N4), la fonction de confinement est notamment assurée par une enceinte à double paroi, constituée de :

- l’enceinte interne, en béton précontraint, qui assure l’étanchéité statique et la résistance mécanique, notamment en cas de pressurisation lors d’un accident ;

- l’enceinte externe, en béton armé, dont l’intrados délimite, avec l’extrados de l’enceinte interne, un volume appelé « espace entre enceintes », au sein duquel les fuites de l’enceinte interne sont collectées puis filtrées par un système de ventilation (EDE) qui maintient cet espace en dépression. Le système EDE complète ainsi le confinement statique assuré par l’étanchéité de l’enceinte interne.

Le dôme des enceintes des réacteurs du train P’4 du palier 1300 MWe et du palier N4 présente la particularité de reposer sur des poutres en béton partant de la partie verticale de l’ouvrage (fût) et reliées entre elles en sous-face du sommet du dôme par une poutre circulaire (clavage central). Lors de la réalisation des enceintes, ces poutres ont servi de coffrage pour le béton du dôme coulé en place.

En situation d’accident avec fusion du cœur (appelée aussi situation d’accident grave (AG)), situation non prise en compte dans la conception initiale de ces réacteurs, la pression et la température dans l’enceinte interne s’élèvent du fait de l’énergie dégagée sous forme de vapeur pendant la dégradation du cœur en cuve ou du fait de la production de gaz incondensables due à la décomposition du béton par le cœur fondu après la rupture de la cuve. En cas d’élévation rapide de la température dans l’enceinte interne, des comportements thermomécaniques différentiels du dôme et des poutres qui le supportent peuvent conduire à l’ouverture de fissures sur le dôme. En effet, les poutres, qui montent alors en température plus rapidement que le dôme, se dilatent et exercent des efforts sur ce dernier. L’extrados du dôme présente alors des zones qui ne sont plus comprimées par le dispositif de précontraint et au sein desquelles des fissures peuvent s’ouvrir. Des études menées par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ont montré que, pour un scénario d’accident grave conduisant à une augmentation rapide de la température dans l’enceinte interne, une fissuration partielle de l’extrados du dôme pourrait apparaître au bout de quelques heures sur une part importante de l’épaisseur de la paroi.

(...)

1.2. ENJEUX DE SURETE

(...) Une augmentation importante du débit de fuite par le dôme pourrait mettre en défaut le fonctionnement du confinement assuré par la double enceinte et l’EDE. Ce mode de défaillance du confinement interviendrait à court terme dans des délais incompatibles avec les délais de mise en œuvre des mesures nécessaires de protection des populations.

(...)

2.2.1. Représentativité de l’enceinte étudiée

En considérant les principaux aspects de la conception et de la réalisation des enceintes, l’IRSN estime que l’étude présentée par EDF du comportement mécanique d’un dôme en accident grave est représentative d’une enceinte des réacteurs du train P’4 du palier 1300 MWe et des réacteurs du palier N4, à l’exclusion des enceintes des réacteurs n° 1 et n° 2 de la centrale nucléaire de Belleville, et du réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Civaux. Ces trois enceintes, considérées comme sensibles du fait de débits de fuite plus importants, sont le siège de déformations différées et de diminutions de la précontrainte de la paroi particulièrement élevées.

(…)

2.3. IMPACT SUR LES PERFORMANCES FONCTIONNELLES DE L’ENCEINTE INTERNE EN TERMES DE TAUX DE FUITES

En situation d’accident grave, la présence de fissures à l’extrados de la paroi de l’enceinte interne crée des zones de passage préférentiel induisant une forte augmentation de la perméabilité du béton. La fonction d’étanchéité du dôme repose alors essentiellement sur la couche de béton comprimé, située à l’intrados de la paroi. La méthode d’estimation du débit de fuite retenue par EDF consiste à extrapoler le débit de fuite constaté lors des épreuves des enceintes en considérant que, en situation d’accident grave, le débit de fuite augmente, par rapport au débit en épreuve, proportionnellement à la diminution de l’épaisseur de béton comprimé de la paroi. EDF estime que l’augmentation du débit de fuite par le dôme en AG serait au maximum comprise entre 15 % et 30 % du taux de fuite maximal admissible prescrit dans les décrets d’autorisation de création (DAC) des réacteurs du train P’4 du palier 1300 MWe et des réacteurs du palier N4. Pour sa part, en considérant les incertitudes sur l’épaisseur et sur la perméabilité du béton restant comprimé en AG, l’IRSN estime que l’ordre de grandeur de l’accroissement du débit de fuite par le dôme en accident grave pourrait se situer entre 30 % et 80 % du taux de fuite maximal admissible prescrit dans les DAC dès 10 heures après le début du scénario.

L’IRSN considère ainsi que les estimations de débit de fuite par le dôme en accident grave proposées par EDF sont insuffisamment prudentes et qu’elles doivent être accompagnées de provisions pour incertitudes adaptées.

2.4. HYPOTHESES SUR LES PERFORMANCES DU SYSTEME DE VENTILATION DE L’ESPACE ENTRE ENCEINTES

Sur la base des résultats des études et des essais dont ils font actuellement l’objet, EDF considère que ces revêtements pourraient rester intègres pendant une durée de quatre jours. Pour l’IRSN, il est nécessaire d’utiliser ces résultats avec prudence et de poursuivre l’analyse sur ce sujet.

(...)

En l’absence de disposition pour limiter le débit de fuite en accident grave avec fissuration du dôme, le risque de rejet direct d’activité dans l’environnement ne peut par conséquent pas être écarté avec un haut niveau de confiance.

2.5. IMPACT SUR LE RISQUE DE COMBUSTION D’HYDROGENE DANS L’ESPACE ENTRE ENCEINTES

Lors de la phase tardive d’un accident grave, l’interaction entre le cœur fondu et le béton peut conduire à la production de grandes quantités de vapeur d’eau, de dioxyde de carbone et de gaz combustibles (hydrogène et monoxyde de carbone). Les fuites à travers la paroi de l’enceinte interne entraînent le transfert des gaz combustibles vers l’espace entre enceintes, lequel est favorisé par la montée en pression dans l’enceinte interne. Des études réalisées par EDF et par l’IRSN montrent que le risque de combustion d’hydrogène dans l’espace entre enceintes n’est pas exclu et que le débit de fuite de l’enceinte interne a un impact significatif sur le délai d’atteinte des conditions d’inflammabilité dans l’espace entre enceintes. Une évaluation réalisée par l’IRSN montre de plus que la dégradation du dôme conduit à un dépassement des conditions d’inflammabilité dans l’espace entre enceintes pour des scénarios pour lesquels l’atmosphère reste non inflammable sans fissuration du dôme, le dépassement des conditions d’inflammabilité pouvant, de manière générale, intervenir précocement.


L’IRSN considère donc que, en l’absence de disposition pour limiter le débit de fuite en accident grave, la fissuration du dôme peut accentuer de manière significative le risque de formation d’une atmosphère explosive dans l’espace entre enceintes pour les réacteurs du train P’4 du palier 1300 MWe et les réacteurs du palier N4.

(...)

2.7. NECESSITE DE DISPOSITIONS DE LIMITATION DE LA FUITE

La fissuration du dôme de l’enceinte interne en cas d’accident grave conduisant à un chargement thermique important, obtenu dans plus de 40 % des situations de fusion du cœur à l’état VD3 1300, constitue une dégradation de l’étanchéité statique de l’enceinte interne, composante essentielle de la fonction de confinement.

(...)

Dans ce même dossier, EDF indique que la pose d’un revêtement d’étanchéité sur l’extrados du dôme permet d’en limiter la fuite, mais représente des travaux de grande ampleur. Un tel revêtement a déjà été posé sur l’extrados complet du dôme du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire de Belleville et EDF prévoit une opération similaire sur les dômes du réacteur n° 1 des centrales nucléaires de Belleville, de Golfech et de Civaux, ainsi que du réacteur n° 3 de la centrale nucléaire de Cattenom.

Néanmoins, à la fin de l’expertise, EDF s’est engagé à poser un revêtement d’étanchéité sur la partie centrale des dômes des onze autres enceintes des réacteurs du train P’4 du palier 1300 MWe et des réacteurs du palier N4, sur une surface minimale de 500 m². Cet engagement figure en annexe.

(...)

3. CONCLUSION

(...)

L’IRSN estime que l’engagement d’EDF de poser un revêtement d’étanchéité à l’extrados du dôme de ces enceintes est satisfaisant du point de vue de la sûreté.

(...)

ANNEXE - Engagement principal de l’exploitant

Ces travaux seront soldés au plus tard d’ici fin 2030 compte tenu des contraintes industrielles de mise en œuvre » [IRSN, 7/05/21].