04/02/22 • Ouest-France

Nucléaire - Dix questions pour comprendre le projet de piscine EDF à Orano La Hague
Ouest France, le 04/02/2022

Depuis le 22 novembre 2021, une concertation publique était organisée dans la pointe du Cotentin. EDF a choisi le site d’Orano La Hague (Manche) pour implanter sa piscine de d’entreposage de combustibles usés, d’ici 2034. Depuis le début, la concertation se déroulait sous haute tension, avec l’émergence d’un collectif "Piscine nucléaire stop". Elle est reportée à l’été 2022. On fait le point.

EDF a annoncé depuis juillet 2020 avoir choisi le site d’Orano La Hague (Manche), à une trentaine de kilomètres de Cherbourg-en-Cotentin, pour implanter sa piscine d’entreposage de combustibles usés. Si le projet est validé à chaque étape, il pourrait voir le jour en 2034. Depuis le 22 novembre 2021 et jusqu’au 18 février 2022, une concertation publique est organisée dans la pointe du Cotentin.

Le projet fait plus que débat dans un territoire déjà marqué par l’usine de retraitement Orano La Hague, par la centrale nucléaire de Flamanville et son EPR, et par Cherbourg et son arsenal de sous-marins nucléaires. Un territoire aujourd’hui fortement tourné vers le tourisme, où ce nouveau projet ne passe pas si facilement. Explications.

1. Quel est ce projet de piscine EDF dans le site d’Orano La Hague ?

Il s’agit d’une surface de 15 ha qu’EDF achèterait à Orano, à l’ouest du terrain actuel de l’usine. Il y est envisagé des bâtiments d’une emprise de 200 m sur 100 m et d’une hauteur de 25 m, qui comprendraient un lieu de réception, un espace de déchargement, un bassin de 70 m sur 30 m capable d’accueillir jusqu’à 6 500 t de combustibles usés des centrales nucléaires françaises (du MOX et de l’uranium de retraitement enrichi, URE), soit 13 000 assemblages. Une seconde piscine pourrait être envisagée, d’une capacité de 6 500 t.

Cela impliquerait le « nettoyage » d’une partie de la terre de ce terrain, radioactive depuis l’incendie d’un silo, en 1981. Un exercice compliqué. Et d’aménager routes, ronds-points et accès. Par exemple, le rond-point des Chèvres serait élargi d’environ 7 m.

Coût total estimé du projet : 1,25 milliard d’euros.

Selon David Boilley (ACRO) qui a pu obtenir des données en écrivant à la Direction de La Hague, il y a environ 20 000 m3 de terre à retirer dont 3 000 m3 à plus de 3,7 Bq/g. Ce sont des déchets nucléaires qui devront être entreposés à La Hague dans l'attente d'un site d'accueil. Les contaminations dominantes sont celles du 90Sr et du 137Cs.

2. Pourquoi EDF en a besoin ?

Le problème auquel est confrontée la filière de l’énergie nucléaire fran-çaise est double : les capacités maximales de stockage du combustible usé (une fois retiré des réacteurs) vont être atteintes à l’horizon de 2030 et, pour l’instant, la technologie pour retraiter le MOX usé et l’uranium de retraitement (URT) n’existe pas. La France compte 18 centrales nucléaires. Aujourd’hui, une vingtaine de réacteurs [22] sur les 54 [56] en France fonctionnent au MOX.

La France a donc besoin d’augmenter ses capacités de stockage, en espérant trouver, d’ici le milieu du siècle, la technique pour valoriser ce MOX usé et cet URT. Le choix a été fait d’un stockage en piscine, ce que critiquent des opposants au projet. Ce projet est dans les cartons depuis 2015, l’Agence de la sûreté nucléaire a donné un avis favorable en 2019 [le 23 juillet].

Commentaire GSIEN : la confusion entre stockage et entreposage est fréquente. Définitions :

« Le stockage [soi-disant] définitif est le stade ultime de la gestion des déchets radioactifs. Il consiste à garantir la sûreté des déchets en les mettant dans des installations spécialement conçues pour assurer des niveaux appropriés de confinement et d’isolement » (source AIEA).

« L'entreposage de déchets ou de combustible irradié correspond à des solutions provisoires de gestion (...) avant la mise en œuvre d'une solution d'élimination [d’occultation] définitive » (source ASN).

3. Pourquoi avoir choisi la Hague ?

Au départ, EDF avait lancé une étude de faisabilité dans le site de Belleville-sur-Loire, dans le Cher, ce que conteste EDF. Ce projet a été abandonné en juin 2020. Depuis, EDF s’est tourné vers le site d’Orano La Hague et l’usine de retraitement. À noter qu’à Belleville-sur-Loire, des habitants et des élus, y compris de la région, se sont opposés au projet. Ils sont d’ailleurs venus apporter leur soutien au collectif d’opposants qui s’est créé dans le Cotentin.

Le site serait implanté à proximité d’Orano, qui maîtrise la technique de l’entreposage en piscine (pour une durée d’environ cinq ans pour les déchets stockés [entre 1994 et 2008, l'âge moyen de refroidissement des combustibles entreposés avant retraitement a varié entre 6,34 et 11,8 ans]) et qui pourrait, ultérieurement, développer la technique du retraitement des déchets stockés par EDF.

4. Avec qui et comment fonctionne la concertation ?

La concertation est ouverte à tous les habitants. Elle est organisée par la Commission nationale du débat public en charge de ce dossier, qui en a validé la méthode et le périmètre en accord avec le porteur de projet. Cette commission est présidée par Chantal Jouanno. EDF s’est « engagée à donner une information la plus claire possible, à répondre aux questions et à étudier les attentes ». La concertation prend la forme à la fois de réunions, de sollicitations des jeunes, d’un site Internet (https://projet-piscine.edf.fr/).

5. Pourquoi les ateliers et rencontres ont tourné court ?

Les participants ont contesté la présentation, au futur et non au conditionnel, estimant qu’EDF se comportait comme si le projet était déjà validé et accepté. Et, plus largement, si l’industrie du nucléaire est très implantée dans le territoire, les participants ont estimé qu’« il y en a assez, la poubelle est pleine ! » « On n’a pas envie d’être la population sacrifiée », ajoutent-ils.

Un collectif Piscine nucléaire stop s’est constitué. Il rassemble des opposants au projet, qui par ailleurs sont anti ou pronucléaire. Au fil du temps, ce collectif s’est étoffé et a perturbé plusieurs réunions, imposant de porter le débat non pas sur le comment serait réalisé ce projet et ses conséquences mais sur oui ou non à une implantation dans le site de La Hague.

6. Comment réagissent les habitants ?

Croisés au gré des reportages, il y a ceux qui estiment que le site est déjà sécurisé et équipé. Et ça serait toujours ça de pris en matière d’emploi (environ 300 à 500 emplois sur le chantier puis une centaine pour la gestion du site et 150 emplois induits).

Dans ceux qui sont opposés au projet, des riverains, des salariés du nucléaire, des anti-nucléaire de longue date. Le site, pollué, fait réagir. Et globalement, ils estiment avoir déjà largement donné pour le nucléaire et disent stop. La perspective d’emplois ne les enchante pas, dans un contexte de désertification médicale et de prix de l’immobilier déjà élevé.

7. Et les jeunes, qu’en pensent-ils ?

Pour tenter d’atteindre les 15-30 ans qui, compte tenu de la durée envisagée du stockage (une centaine d’années) sont les premiers concernés, un robot conversationnel, Jam, a été utilisé pour les solliciter par des notifications attractives. Une cinquantaine a ainsi été visiter le site Internet de la concertation.

Mathilde, Victor, Romain ou Simon, que nous avons interrogés, ont eux appris l’existence de cette concertation par le bouche-à-oreille. Tous, qu’ils soient pour, contre ou en questionnement, ont le sentiment que cette concertation n’en est pas vraiment une.

8. Comment se positionnent les élus ?

Fait peu commun dans le Cotentin, où les élus ont historiquement soutenu la filière nucléaire, ce projet fait l’unanimité contre lui. À la fois en raison de la méthode et du périmètre de la concertation. Et d’une nouvelle donne depuis les années 1970 : le territoire a misé sur le tourisme ces dernières années et ne cesse de chercher à gommer cette image de « Terre du nucléaire ». Pour exemple, La Hague avec son projet de Géoparc – Grand site, veut mettre en avant ses paysages et sa richesse géologique.

9. À deux semaines de la fin de la concertation, où en est-on ?

Le collectif citoyen opposé au projet de piscine avait interpellé Chantal Jouanno et les élus. Il signalait que si le Plan national de gestion des déchets et matières radioactives demande à EDF de résoudre le problème du stockage [de l’entreposage], il « n’ordonne pas que ce soit à La Hague, où il y a déjà la concentration de substances radioactives la plus élevée au monde ». Chantal Jouanno a répondu, par écrit, en soulignant que « la concertation doit permettre de débattre des critères de choix d’un site ou des autres options d’implantation envisageables ». Et le dernier atelier en date, prévu le 2 février 2022, a été reporté. Le collectif lui, a organisé un rassemblement à la place, pour maintenir la pression.

10. La concertation renvoyée à après les législatives de juin 2022

Jeudi 3 février 2022, la Commission nationale du débat public a repoussé à l’après législatives la consultation publique au sujet de son projet de piscine d’entreposage de combustibles nucléaires usés sur le site d’Orano La Hague. Le procédé qu’avait mis en place l’électricien n’était pas conforme aux normes préconisées. Élus du Département et collectif d’opposants s’en félicitent.

Les élections législatives sont programmées les dimanches 12 et 19 juin 2022. La concertation devrait reprendre du 20 juin au 8 juillet 2022.

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