Avril 2022 • Jean Claude Autret et Monique Sené

Fissures génériques des aciers inoxydables
Défaut de conception des cuves EPR

EDITORIAL

Que se passe-t-il dans le champ de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avec les annonces récentes du Président de la République de renaissance du nucléaire français et de construction de six EPR2 (plus 8 en option...) ? La demande de débat public sur une éventuelle relance du nucléaire recommandée par la Présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) sera-t-elle entendue ? Mais de fait, la loi « Énergie-Climat » du 8 novembre 2019 exclut expli-citement du champ du débat public la PPE.

Dernièrement, le GSIEN et Global Chance ont réagi à la décision prise par EDF, avant tout débat, d’im-planter une nouvelle piscine de combustible irradié à la Hague et décidé de soutenir la Présidente de la CNDP, garante du débat démo-cratique, avec l’envoi d’une lettre d'alerte et de soutien.

La grande majorité des postulants à l'élection présidentielle française semble prendre le parti d'un nouveau développement de l'industrie nuclé-aire.

La question se pose de savoir qui informe nos candidats ?

Comment et à partir de quels « éléments de langage » bâtissent-ils leurs convictions et croyances si ce ne sont des argumentaires sérieux ? Dans la Gazette n°295 nous avions alerté au sujet d’une lettre de synthèse du Haut-Commissaire au Plan, F. Bayrou, adressée au premier ministre qui suggérait ni plus ni moins que la construction 40 réacteurs en 20 ans (« lancement de deux nouveaux chantiers par an chaque année sur une période de 20 années ») ! Il semble que l'idée a depuis fait son chemin.

Les « scénarios provisoires du RTE » sur lesquels s’appuie la synthèse Bayrou, « envisagent la mise en service de nouveau nucléaire » à hauteur de « 8 à 34 EPR à construire en 30 ans ». La synthèse dresse un long réquisitoire contre un scénario à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050 en estimant ses conditions de réalisation « haute-ment improbable » ... Par contre, si elle n’accorde que peu de place aux difficultés rencontrés par la « filière de la construction », le paragraphe est instructif quant aux doutes qu’elle suscite : « Il est toutefois nécessaire de tirer les enseigne-ments des défaillances profondes et documentées de la filière ces dernières années (...). Elle doit démontrer sa capacité à conduire un projet industriel à un coût économique acceptable et dans le respect des exigences de sûreté avant tout lancement d’un éventuel programme de construction de nouveaux réacteurs » [source, Le devoir de lucidité].

Avec le retour d’expérience de la filière EPR, nul besoin d’être bien perspicace pour comprendre que la capacité à conduire un projet industriel de plusieurs réacteurs est loin d’être acquise dans notre pays, laissant apparaître de nombreux doutes quant à cette hypothèse de renaissance du nucléaire français.

Les doutes se seraient-ils dilués au fil des traductions intermédiaires à l’attention des décideurs comme ce fut le cas en 1982 lors de l'envoi de la lettre de la commission Castaing au ministre de l’époque ? Les travaux de la Commission Castaing furent traduits un mois après sous la forme de Lettre d'information du ministère de l'industrie et énergie françaises qui avait effacé tous les inconvénients du retraitement au profit de ses avantages prometteurs (Cf. Gazette n° 48/49 : « La face cachée de l'information »). Y aurait-il à la manœuvre des spécialistes dans la mise au point des éléments de langage qui passeraient le bruit de fond médiatico-politique, éléments de langage savamment entretenus pas les industriels du secteur ?

L'erreur est un art écrivions-nous en 1982. Elle se présentait à l'époque (faut-il employer le passé ?) sous trois modalités : - l'erreur par omission, - l'erreur par commission, - l'erreur par procuration. Nous vous laissons retourner aux archives pour les développements...

Certes, sans être totalement négatifs, « on » leur dit les choses, du moins ceux qui les approchent et qui pensent eux-mêmes savoir ce que leurs subordonnés lointains ont réalisé. Cela étant, les éléments de langage sont tellement léchés qu'ils n'ont plus de goût véritable. Il arrive qu'une « indication » soit si peu probable qu'elle se retrouve qualifiée de « parasite » ! Il peut s'agir d'une fissure, une cavité, en bref un défaut indiqué par un instrument de contrôle du métal !

Qu'en est-il des contingences ?

- En matière d'accident majeur, nous sommes avant tout dépendant des lois de la nature : Fukushima en 2011, la vallée de la Roya ravagée par la tempête Alex en 2020, sans évoquer « l'incident majeur » de l’inondation de la centrale du Blayais en 1999 à la suite de laquelle, l'ASN avait repris sévèrement la communication d'EDF qui donnait à penser qu’il ne s'était rien passé de grave.

- En matière de corrosion des aciers inoxydable découverte de manière fortuite en 2021, on se heurte aux lois (encore si mal connues) de cohésion les plus intimes entre les grains du métal que « l'on » prétend apprivoiser. L’incident fortuit serait-il devenu générique ?

Ce dernier point sera largement développé dans ce numéro à travers les multiples déboires de l'EPR et des fissures repérées sur les circuits d'injection de sécurité qui touchent une bonne partie du parc de réacteurs français...

Pour revenir aux éléments de langage, nous pouvons proposer, issus d'une liste à la Prévert, quelques-uns de ces euphémismes et leur traduction lapidaire :

- « écart de conception » versus malfaçon ;

- « décarbonée » versus gaz à effet de serre ou chauffage de la serre ;

- « Valorisation » versus exportation de matières et réimportation des déchets, en éludant de plus au passage les rejets liés aux procédés ;

- « Rejets radioactifs » versus dispersion de déchets radioactifs dans l’environnement ;

- « Démantèlement » versus « déchets banalisable/non banali-sable » ;

- « Acceptabilité » : calculée par les uns dans leurs bureaux, vécue par les autres les deux pieds dedans, et pas que ;

- les « non objections de l'ASN » confondues dans les discours avec des autorisations ;

- les « inétanchéités » versus fuites, contenues par des « sleakbox et sleakbag » [i], soit respectivement des boites et des sacs à fuites, anglicismes savants qui, une fois traduits dans la langue de Molière sont séance tenante qualifiées de notions « insultantes » par ceux qui les conçoivent…

Nous avons choisi de développer sous forme d'encart en fin de cet éditorial un élément de langage particulièrement cher aux exploitants : « l'exclusion de rup-ture ».

[i] Sleakbox : système de confinement sur équipement fuyard permettant le colmatage de la fuite (sorte de manchon)

Sleakbag : technique de captation du gaz fuyard dans un ballon là où les techniques de colmatage ne sont pas adaptées (Source)

Jean Claude Autret et
Monique Sené