Avril 2022 •

Dossier GSIEN : Point sur les EPR
Études - Construction - Fonctionnement

Taishan 1 – Qualité des études EDF sur l’EPR

Rédigé en 2008, le Recueil d’expérience d’un ingénieur (domaine mécanique et métallurgie) en dit long sur la méthode de gestion des projets chez EDF et notamment au SEPTEN [Service études et projets thermiques et nucléaires]. Ce service est une unité de la Division ingénierie nucléaire (DIN) en charge de l’expertise de conception, des études de sûreté et de l’Avant-projet sommaire (APS) de nouveaux modèles de réacteur.

Travaillant au groupe Thermomécanique (TM) du département Réacteur nucléaire & Échangeur (RE) du SEPTEN, cet ingénieur explique comment est géré le « Dossier cuve » du parc, par exemple : « tous les 10 ans environ nous devons mettre à jour un dossier portant sur le comportement de la cuve. Le délai est donc théoriquement de 10 ans mais concrètement l’opé-rationnel à court terme prime sur le long terme si bien que le dossier est ouvert trop tard.

Nous avons du mal à tenir les échéances des études demandées car la planification est tardive, l’urgence du quotidien omniprésente. De plus, les baisses d’effectif et les départs en retraite font que par domaine de compétence, nous sommes moins nombreux pour un volume de charge identique.

Les enjeux financiers et les plannings pilotent les projets. Tous les intervenants acquiescent sur l’échéance en sachant que ce ne sera pas réalisable car tout le monde est à pleine charge, à moins qu’il y ait un arbitrage sur les tâches en cours. Notre direction ne s’engage pas formellement et contraint l’ingénieur de base à gérer les délais, ce qui n’est pas normal ».

Au sujet du « Recours à la sous-traitance pour les études », l’ingénieur fait le constat que « l’essentiel de l’activité du groupe est sous-traitée. Mais il me semble que réduire l’activité de nos ingénieurs à une gestion de contrat de sous-traitance n’est pas bonne : on ne peut pas bien surveiller une étude, bien la définir et bien l’interpréter si on n’en a pas mené une soi-même ».

Sur les « Affaires parc et le Suivi des études » : « La compétence augmente avec l’âge, les sollicitations en soutien se font plus nombreuses. Je suis ainsi souvent appelé en réunion pour épauler mes collègues du CNEN [Centre national d’équipements nucléaires], du CEIDRE (Centre d’expertise et d’inspection dans les domaines de la réalisation et de l’exploitation] ; ... au détriment de mon propre travail. C’est normalement une unité qui est porteuse d’une compétence, pas une personne. Aujourd’hui je suis le seul expert en mécanique dans mon groupe et il n’y a pas de remplaçant visible à court terme. A moyen terme, il pourrait y avoir un jeune ingénieur qui souhaiterait rester au SEPTEN : mais à EDF, il faut changer de poste pour faire une vraie carrière. Je ne suis donc pas optimiste sur le maintien de l’expertise en mécanique au SEPTEN.

Nous travaillons à flux tendu et nous avons de plus en plus de difficultés à relire sérieusement des notes d’études au dernier moment (notes relatives à l’EPR émanant du CNEN par exemple...). Le contrôle est par conséquent superficiel. Au mieux, nous vérifions la cohérence des résultats en nous basant sur nos propres connaissances et expériences. Un jeune ingénieur quant à lui sera démuni car il n’a pas de références ni d’ordre de grandeur. N’ayant aucun moyen de juger techniquement, il pourra se retourner vers ses collègues ou son chef, plus expérimentés, en espérant qu’ils aient de la disponibilité pour l’aider. Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps ni les moyens humains de faire de contre études pour vérifier les résultats d’une étude. Il est plus facile de suivre et de contrôler en continu une étude longue confiée à un sous-traitant » [33].

Ce constat, réalisé en 2008, fait en quelque sorte un bilan de ce qui ne fonctionnait pas en matière de facteurs sociologique organisationnel et humain au SEPTEN à la période des études et du début de construction des EPR. On comprend mieux les multiples loupés de ce projet. Ne peut-on pas alors avoir quelques doutes sur la qualité des analyses et des essais réalisés pour qualifier la cuve EPR après les déboires de Taishan 1 ? Selon le directeur général adjoint de l'ASN, « il y a manifestement un écart entre ce qui a été modélisé et la réalité » (Actu-environnement, 19/01/22) ? D’après le « Retour d’expérience de l’aléas technique du réacteur n°1 de la centrale de Taishan » (au 12/01/22), EDF n’en a aucun : « ce phénomène ne remet pas en cause le modèle EPR » [9].

Taishan 1 est à l’arrêt depuis le 30 juillet 2021, et, à la date du bouclage de la Gazette (mars 2022), ce réacteur n’a toujours pas redémarré. EDF ne semble pas trop optimiste quant à sa remise en production : selon Reuters (Boursorama, 18/02/22), le directeur en charge de la Direction Ingénierie et Projets Nouveau Nucléaire d’EDF espère que « le réacteur 1 de la centrale de Taishan pourra redémarrer « dans les mois qui viennent ».

De nombreux mois d’arrêt pour « un problème d’exploitation, (...) extrêmement banal » selon Valérie Faudon de la SFEN (17/06/21) : « ce qui est arrivé à Taishan n’est pas qualifié comme un incident de sûreté ou une anomalie de sûreté. L’échelle internationale des événements nucléaires (INES) va de zéro à sept. Ici, nous ne sommes même pas dans le zéro » [34].

Le risque de fretting identifié après les essais JULIETTE aurait-il été écarté trop tôt ? L'intégrer aurait nécessité la reprise de la conception du fond de cuve. L’opportunité d’optimiser le FDD, le répartiteur de débit, n’a pas été saisie en 2007. Alors que le Décret d’autorisation de création (DAC) s’apprêtait à être signé (le 10 avril 2007), la Revue technique Combustible EPR du 30 mars 2007 qui a validé le FDD pouvait-elle faire autrement ? Quant au réflecteur lourd, Areva n’a jugé utile que le remplacement de ses tirants. Il est vrai qu’une reprise de la conception de l’hydraulique de cuve aurait quelque peu bousculé le planning annoncé et fait monter le devis vendu au pouvoir politique en place. Et accessoirement la facture du réacteur finlandais Olkiluoto 3 bradé par Areva ; rappelons que les essais JULIETTE ont été menés par AREVA.

Et si l’histoire se répétait ? La reprise de l’étude de conception de la cuve EPR retarderait le projet EPR 2 dont on nous explique qu’il va "sauver le climat". Le design de l’EPR 2 est pourtant loin d’être abouti mais le démarrage du prototype est annoncé pour 2035...

Dans un rapport de travail du gouvernement que Contexte a publié (26/11/21), « l’administration estime que "les perspectives de date de mise en service d’un premier EPR2 restent incertaines" et table sur un couplage au réseau qui "aurait lieu vraisemblablement au plus tôt en 2040" dans un scénario de "relative maîtrise industrielle". Les deux autres paires seraient mises en service entre 2043 et 2045, puis entre 2047 et 2049. (...) L’administration revoit également à la hausse le coût du programme, qui irait de 52-56 milliards d’euros à 64 milliards » [35] pour la construction de trois paires d’EPR. Au plus tôt en 2040 en cas de relative maîtrise industrielle... Le climat est sauvé !

Il semble qu’une bonne partie du monde politique ait cédé au mirage de l’atome propre et pas cher. Qu’une croyance se soit établie dans la capacité d’EDF à construire d’énormes réacteurs en série en respectant le devis et les délais (et sans malfaçon ?) alors qu’elle démontre encore son incapacité à terminer son prototype déjà rafistolé de Flamanville 3.

En cette période électorale, le GSIEN vous propose une devinette (voir en encadré) qui démontre, à l’aide d’un exemple, l’aveuglement du monde politique en matière nucléaire. Le nucléaire serait-il une affaire de croyance ? Marc Hatzfeld tente d’y répondre (cf. article page 30).

Devinette

Qui a dit : « Flamanville, c'est une facette de l'excellence française, excellence technologique, excellence industrielle » ?

« J'ai une très grande confiance en l'EPR et j'ai une très grande confiance dans la compétence de nos entreprises. En 2004, j'étais ministre de l'Économie et des Finances et j'ai décidé le lancement du 1er EPR et j'ai fait le choix de Flamanville pour son implantation. Et c'est parce que le chantier de Flamanville avance dans de bonnes conditions et donne toutes les assurances d'aboutir dans les délais, que j'ai pu prendre la décision, avec le Premier ministre et Christine LAGARDE, de lancer le chantier d'un deuxième EPR en France » [Penly 3].

« Quant à Areva, c'est l'exemple même, dans le nucléaire, de la réussite » (sic).

Réponse : Nicolas Sarkozy dans un discours prononcé lors de sa visite du chantier de Flamanville 3 le 6 février 2009.

Source, http://www.vie-publique.fr/