23/12/2021 • Ouest France

Nucléaire : après l’arrêt de deux centrales,
« la question de stopper d’autres réacteurs se pose »
Ouest France, le 23/12/2021
(Interview de Karine Herviou de l’IRSN)

Après l’arrêt de quatre réacteurs nucléaires, consécutif à la détection de fissures à la centrale de Civaux, Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’IRSN fait le point.

EDF a arrêté les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Chooz (Ardennes) par mesure de précaution ​et prolongé l’arrêt des deux réacteurs de la centrale de Civaux (Vienne), après la détection de défauts sur son système de refroidissement. Karine Herviou, directrice générale adjointe chargée du pôle sûreté des installations et systèmes nucléaires à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, fait le point sur la situation.

Est-ce que les fissures détectées sur un réacteur de la centrale nucléaire de Civaux peuvent avoir des conséquences en cas d’incident nucléaire ?

Si les défauts détectés sur les soudures évoluent, ils peuvent provoquer une brèche sur le circuit principal de refroidissement du réacteur. Le risque est donc de générer une situation d’accident nucléaire. En cas de brèche sur le circuit primaire, il va y avoir une perte de l’eau qui refroidit en permanence le combustible. Un certain nombre de systèmes doivent se mettre en service. D’abord, il y a l’arrêt automatique du réacteur pour stopper la réaction en chaîne avec les barres de commande. Ensuite, si la brèche a un débit trop important, deux circuits du système d’injection de sécurité se déclenchent. C’est justement sur les piquages de ces circuits qu’ont été détectées les fissures. En cas de défaillance d’un des deux circuits, l’autre doit permettre de compenser la perte d’eau à la brèche.

La corrosion observée est-elle normale sur un réacteur de cet âge ?

C’est un défaut qui n’était pas attendu compte tenu des dispositions prises à la conception et en exploitation. Pour la corrosion sous contrainte qui est observée, il peut se passer plusieurs décennies sans que l’on ne détecte rien. Ensuite, le défaut peut évoluer en une dizaine d’années environ.

Ce système est-il présent dans d’autres centrales, notamment celles avec des réacteurs plus anciens ?

Il existe un système d’injection de sécurité dans l’ensemble des réacteurs français. Ce n’est pas le même modèle en fonction de la puissance des réacteurs.

EDF envisage-t-il d’inspecter les autres réacteurs ?

La question se pose. EDF est en train d’investiguer les défauts sur les réacteurs de 1 450 MW. Il faut comprendre l’origine du phénomène, qui n’était pas attendu. Dans le nucléaire, un principe fondamental de sûreté est la défense en profondeur. La défense en profondeur consiste à mettre en place des niveaux de défense successifs permettant de faire face à la défaillance du niveau précédent. On suppose que malgré les dispositions prises à la conception, il peut y avoir des défaillances : les contrôles permettent de détecter les défauts éventuels et d’intervenir avant qu’un incident ou un accident se produise. Aujourd’hui les contrôles qui ont permis de détecter les défauts ont lieu tous les 10 ans, mais vraisemblablement, EDF sera amené à les faire plus souvent. En fonction de l’origine des fissures, il n’est pas exclu qu’il y ait des contrôles également sur les autres réacteurs.

Ces contrôles pourraient concerner les réacteurs de 1 300 MW comme ceux des centrales de Saint-Alban ou de Flamanville ?

Tout à fait. Pour commencer ils pourraient concerner les réacteurs de 1 300 MW.

Combien de temps les inspections peuvent-elles durer ?

Elles ne sont pas forcément très longues à réaliser. Ce qui est long c’est ce qui se passe sur le réacteur N1 de Civaux, quand il faut couper la tuyauterie pour la remplacer. Il faut un approvisionnement de la pièce et faire les soudures, ce qui est de l’ordre de quelques mois environ.

Les contrôles impliqueront ils forcément d’arrêter de nouveaux réacteurs ?

Il est trop tôt pour le dire. Une inspection nécessite d’arrêter le réacteur pour que la température et la pression des tuyauteries à contrôler diminuent. Il suffira peut-être d’examiner les enregistrements et mesures effectuées lors de contrôles précédents pour voir s’il est nécessaire d’arrêter le réacteur.

Lors des décisions de mise à l’arrêt est-ce que le risque de manque de production électrique pour la France est pris en compte ?

C’est la sûreté qui prime. EDF a jugé que la problématique était suffisamment sérieuse pour arrêter ses quatre réacteurs.

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