Des fissures dans les coudes
Le Canard enchaîné, mercredi 19 janvier 2022
Petit rappel. Les réacteurs nucléaires français sont tous construits sur le même modèle (pas du tout franco-français) : un PWR (réacteur à eau pressurisée) mis au point par l’américain Westinghouse. EDF a commencé par en produire en série dans les années 70 : pas moins de 34 réacteurs d’une puissance de 900 MW. Puis la folie des grandeurs l’a pris. Dans les années 80, il en a construit 20 de 1 300 MW, suivis de 4 encore plus gros, d’une puissance de 1 450 MW. Avant de grimper encore avec son fameux prototype EPR de Flamanville, 1 650 MW dont on connaît les déboires à répétition. Remarque du physicien nucléaire Bernard Laponche : « Plus on fait de gros réacteur, plus on prend de risques ».
Justement, ce sont les quatre plus gros qui sont à l’arrêt depuis décembre. Deux à Civaux, deux à Chooz. Et, comme si ça ne suffisait pas, voilà que, jeudi 13 janvier, un autre vient de fermer à son tour, celui de Penly 1 (en comptant ceux qui sont à l’arrêt pour maintenance, pas moins de 10 réacteurs sont hors circuit !). Pour EDF, une vraie catastrophe financière : pour passer l’hiver, sans coupures de courant, délestage et tohu-bohu, voilà notre géant tricolore obligé d’acheter son électricité chez nos voisins. Et voilà Barbara Pompili préparant un décret permettant à nos deux dernières centrales à charbon climaticides d’augmenter leur production. On a bonne mine.
Mais ce n’est pas tout. L’arrêt des quatre plus gros réacteurs fait suite, on l’a vu (« Le Canard », 22/12/21), à une visite décennale de l’Agence de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme du nucléaire, en octobre à Civaux. Laquelle a constaté des « fissures dans les coudes » du circuit de secours. L’affaire n’a rien d’anodin : en cas d’accident et d’emballement du cœur nucléaire, ce circuit n’aurait guère de chances de jouer son rôle et d’empêcher un nouveau Fukushima.
Grande question qui sème l’effroi chez EDF : à quoi sont dues ces fissures ? S’il s’agit d’un défaut de conception, faudra-t-il procéder à des réparations (forcément) longues et coûteuses, et lesquelles ? Et en faire de même à l’EPR de Flamanville, lequel a été conçu à partir de ce même modèle ?
L’arrêt du réacteur Penly 1 rajoute une sérieuse couche d’inquiétude. Là encore, il s’agit de « fissures dans les coudes » du circuit de secours constatées par le gendarme du nucléaire. Or ce réacteur nucléaire de 1 300 MW mis en service voilà plus de trente ans appartient à une série de douze réacteurs tous construits sur le même modèle, baptisée du joli nom de P’4. « Et s’ils souffraient tous du même défaut ? s’interroge Bernard Laponche. Il faudrait mettre les 12 à l’arrêt... »
Mais comment la France, seul pays au monde à avoir mis toutes ses billes électriques dans l’atome, pourrait-elle se passer d’autant de réacteurs ? Jamais l’ASN n’osera ainsi paralyser le pays. Laponche : « Ne reste plus qu’à mettre un cierge pour qu’aucun d’entre eux n’ait besoin de circuit de secours. » Miracle : on a à la fois le nucléaire et le retour à la bougie !