juillet 2021 • Joël Guerry (GSIEN)

L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE EST UNE ÉNERGIE INTERMITTENTE
Joël Guerry (GSIEN), juillet 2021

Le jeudi 17 juin 2021 à 11h, le réacteur Bugey 2 s'est arrêté fortuitement. En quelques minutes, 866 MW disparaissent du réseau électrique. Ceci correspondait à 1,6 % de la production électrique totale et équivaut à l'arrêt simultané de 433 éoliennes de 2 MW fonctionnant à pleine puissance, cette dernière situation étant quasi impossible.


Source : www.services-rte.com

Une telle perte de puissance sur le réseau électrique est très problématique pour le maintien de la qualité de l'électricité distribuée (creux de tension, variation de fréquence, ...) et peut conduire à des coupures, surtout en période de forte consommation.

Ce type d'intermittence de la production nucléaire est totalement imprévisible contrairement à une bonne part des intermittences des parcs éoliens ou photovoltaïques qui se prévoient en relation avec les prévisions météorologiques.

Ces indisponibilités fortuites totales ou partielles sont assez fréquentes. Depuis janvier 2021, le réacteur Bugey 2 qui a redémarré le 15 février 2021 après 13 mois d'arrêt, a connu quatre autres arrêts fortuits :

- le 17 février 2021 : arrêt total lors de la phase de redémarrage du réacteur avec perte de 104 MW pendant 12 heures ;

- le 19 avril 2021 : arrêt partiel avec perte de 631 MW pendant 10 heures ;

- le 29 mai 2021 : arrêt total avec perte de 897 MW pendant 2 jours ;

- le 22 juillet 2021 : arrêt partiel avec perte de 720 MW pendant 3 heures.

Les graphiques de ces pertes de production se trouvent sur le site Internet de RTE.

Ces arrêts fortuits concernent aussi les autres réacteurs du site nucléaire du Bugey.

Pour le réacteur Bugey 3 :

- le 4 février 2020 : arrêt partiel avec perte de 342 MW pendant 5 heures ;

- le 20 février 2020 : arrêt partiel avec perte de 611 MW pendant 2 jours ;

- le 5 mai 2020 : arrêt total avec perte de 894 MW pendant 7,5 jours ;

- le 16 mai 2021 : arrêt partiel avec perte de 540 MW pendant 3 heures ;

- le 28 mai 2021 : arrêt total avec perte de 90 MW pendant 15 heures ;

- le 18 juillet 2021 : arrêt partiel avec perte de 697 MW pendant 12 heures.

Pour le réacteur Bugey 4 :

- le 12 avril 2020 : arrêt partiel avec perte de 536 MW pendant 6 heures ;

- le 13 avril 2020 : arrêt partiel avec perte de 504 MW pendant 27 heures ;

- le 20 octobre 2020 : arrêt total avec perte de 838 MW pendant 2,5 jours ;

- le 27 octobre 2020 : arrêt total avec perte de 820 MW pendant 5 jours ;

- le 31 juillet 2021 : arrêt partiel avec perte de 536 MW pendant 4 heures.

Pour le réacteur Bugey 5 :

- le 26 janvier 2020 : arrêt total avec perte de 848 MW pendant 7 jours ;

- le 8 août 2020 : arrêt total avec perte de 866 MW pendant 4 jours ;

- le 19 février 2021 : arrêt partiel avec perte de 745 MW pendant 18 heures ;

- le 31 mai 2021 : arrêt total avec perte de 878 MW pendant 11 heures.

Ces arrêts fortuits de réacteurs ne concernent pas que ceux du site nucléaire du Bugey. Chaque année, l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) indique le nombre de ces arrêts dans ces rapports annuels sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Ils sont assez nombreux chaque année :

- 2020 : 18 / - 2019 : 45 / - 2018 : 36 / - 2017 : 36

- 2016 : 39 / - 2015 : 51 / - 2014 : 49

Le faible nombre d'arrêts en 2020 est à relativiser, compte tenu du grand nombre de réacteurs arrêtés pendant de longues périodes pour bonne part à cause du contexte sanitaire.

Globalement avec plus de 3 arrêts de réacteurs par mois, il est difficile de qualifier l'énergie nucléaire comme une énergie disponible en permanence, d'autant qu'il faut ajouter à ces arrêts fortuits les arrêts planifiés pour rechargement du combustible, maintenance et visites décennales.

Lorsqu'EDF écrit "Le nucléaire permet de fournir de l’électricité à tout moment de la journée et de l’année." (1), c'est un peu optimiste et ça ne se vérifie que parce qu'il y a plus de réacteurs nucléaires en fonctionnement que nécessaires à la production électrique de la France. Cependant, lors des arrêts fortuits de réacteurs, si la consommation électrique est importante, RTE est souvent obligé de faire appel à l'effacement d'industriels ou à la mise en service de centrales thermiques au gaz.

Ces arrêts fortuits sont en fait des arrêts d'urgence en automatique suite à un dysfonctionnement important. EDF précise de temps en temps la cause de ces arrêts, mais souvent ils ne sont pas signalés. Pour les arrêts des réacteurs du Bugey, EDF Bugey n'a communiqué que sur quelques arrêts :

- pour celui de Bugey 2 du 17 juin 2021, il avait été déclenché par la perte d'un tableau électrique lors d'un essai sur un diesel ;

- pour celui de Bugey 2 du 29 mai 2021, il a été provoqué lors d'un essai d'ilotage qui consiste à isoler le réacteur du réseau électrique externe tout en le maintenant en puissance ;

- pour celui de Bugey 2 du 17 février 2021, il résultait de l'arrêt de la turbine du réacteur ;

- pour celui de Bugey 4 du 27 octobre 2020, il résultait de l’indisponibilité d’une pompe de relevage ;

- pour celui de Bugey 4 du 20 octobre 2020, il était intervenu suite à une intervention de maintenance.

EDF Bugey n'a pas communiqué sur les autres arrêts fortuits.

Par ailleurs, comme tout arrêt de réacteurs, ces arrêts fortuits accroissent les rejets d'effluents chimiques et radioactifs. L'intermittence des réacteurs nucléaires est bien moins propre que celle des éoliennes ou des champs de panneaux photovoltaïques.

En conclusion, l'énergie nucléaire est bien aussi une énergie intermittente et les arrêts fortuits d'un réacteur de 900, 1 300 ou 1 450 MW sont assez fréquents et ont un fort impact sur la stabilité du réseau électrique géré par RTE.

(1) plaquette EDF 2021 "Le nucléaire d'EDF, en France, c'est quoi ?".

Ajout de la rédaction de la Gazette : pour compléter le sujet de l’intermittence, voir aussi un article de Révolution énergétique qui débute avec la définition du mot « Intermittent » : « Qui s’arrête et reprend par intervalle ».