décembre 2020 • GSIEN

Note GSIEN sur
les déchets dits « TFA »

Constat : De promesses en promesses, nous voilà dans l'embarras au moment où sont envisagés, voire partiellement engagés, les démantèlements des installations nucléaires françaises (voir annexe 1). Ces opérations vont générer des quantités considérables de déchets dits TFA : « très faiblement radioactifs ». Le phénomène d'occlusion, jadis évoqué par Mme Girard, à la fois infirmière et présidente du groupe permanent « déchets » de l'ANCCLI, devant le Groupe de Travail du Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs (PNGMDR), nécessite une prise de décision quant à l'avenir de ces déchets qui ne va plus d'elle-même, selon les modèles utilisés autrefois, au vu des déboires rencontrés à chaque nouvelle recherche d'exutoire localisé pour éviter leur dispersion. Au-delà des aspects techniques et organisationnels incontournables liés à cette affaire, la question doit être abordée selon d'autres angles et points de vue. Nous louons ici la demande de la commission du débat public en ce sens. Reste à formuler la question qui sera mise au débat public à ce sujet...

Annoncé dans les années 1990 comme une opération vitrine, le « retour à l’herbe » de Brennilis ne cesse d’être entravé au point d'être remis aux calendes grecques. Cette installation, baptisée EL4, a été mise à l’arrêt en juillet 1985 après un peu moins de 20 ans d'exploitation. La déconstruction et l'assainissement du site étaient jadis prévus dans un délai estimé au maximum à 10 ans !

Citons encore, côté EDF, le démantèlement des réacteurs de la filière Uranium naturel-graphite gaz pour lesquels un changement de « stratégie » nécessite un nouveau report des échéances.

Il en va de même avec les démantèlements des installations de recherche et d'usines ainsi que la reprise de certains déchets « anciens » qui font l'objet d'injonctions répétitives de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN)...

Trente ans après, se pose la question des exutoires pour accueillir ces déchets. Le Centre Industriel de Regroupement, d'Entreposage et de Stockage (CIRES) de Morvilliers dans l'Aube arrivera à saturation dans moins d'une décennie y compris avec la création d'une extension de ses capacités demandée en « urgence » à l'Andra par l'ASN.

La recherche d'un nouveau site d'accueil [Cf. : l'échec récent de la recherche d'un site de stockage pour les déchets de faible activité à vie longue (FAVL) qui montre que ce type de projet ne va plus de soi sur le territoire français] pour cette catégorie de déchets est freinée par la crainte de devoir affronter une vive opposition de la population riveraine, et ce, quelles que soient les « mesures compensatoires » promises par les opérateurs aux autorités locales dans des secteurs affectés par l'exode rural. Les déboires rencontrés avec le temps sur les sites existants ne favorisent pas la mise en œuvre d'un tel chantier.

La récente directive européenne fixant le seuil (1Bq/g ou 1000Bq/kg) à partir duquel un produit radioactif peut être « libéré » dans le domaine public n'est pas appliqué en France car interdit par le code de la santé. La Commission Internationale de Radio Protection (CIPR) recommande de ne pas ajouter intentionnellement de radioactivité et souligne qu'il n'existe pas de seuil d'innocuité.

Citons le commentaire GSIEN paru dans la gazette nucléaire en 2016 : «  Il est évident que le démantèlement des divers réacteurs est inéluctable. À ce moment-là, les générations futures devront s’en occuper. Y penser dès maintenant n’est pas idiot : on pourrait réduire le nombre de réacteurs à ce que nous sommes capables de traiter et éviter de grossir les tas. Ce que propose l’IRSN : une révision des modes de gestion... La valorisation est certes tentante, mais difficile à mettre en œuvre. La caractérisation des déchets au plan chimique est indispensable et on ne doit pas seulement considérer la radioactivité. De toute façon il n’y a pas en France de seuil de libération et c’est mieux. Bien sûr cela augmente le nombre de conteneurs de déchets, mais évite la tricherie. Qui sera capable de surveiller tous les producteurs et leurs déchets ? C’est parce que ce fut totalement bafoué qu’il n’y a pas, en France, de seuil de libération. Peut-on avoir plus confiance en 2016 ? »

Depuis quelques années, les exploitants évoquent la décontamination des métaux de manière à les « libérer » et permettre leur utilisation dans le domaine public avec la promesse de cantonner cette future utilisation pour la construction de pipe lines ou encore de rails de chemin de fer sans pour autant offrir une garanti de traçabilité au fil du temps !

Les gravats issus des démolitions des bâtiments et du génie civil subiraient quant à eux des frottis et autres traitements de surface visant eux aussi une réduction de leur niveau de contamination avant d'être ré-utilisés...

Un groupe de travail avait été constitué au sein du PNGMDR pour aborder cette question. Une entreprise suédoise, rachetée depuis par EDF, était venue nous présenter le dispositif de « fusion décontaminante » qu'elle avait mis en œuvre dans quelques pays voisins. Nos questions relatives aux rejets des installations ou encore la radioprotection des intervenants et riverains sont restées sans réponse satisfaisante ! Selon les allemands qui avaient tenté l'opération, le devenir des produits obtenus n'était pas garanti sur le marché.

Par ailleurs, sur ce registre de la décontamination par fusion, quelques archives montrent que le Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA) avait tenté des expériences afin de diluer la radioactivité surtout située en surface dans la masse des lingots obtenus pour en abaisser le niveau. Les exploitants mettent aujourd'hui en avant une concentration de la radioactivité dans le laitier qui, en surface du lingot au moment de la fusion peut être évacué et conditionné en déchet. Procédés différents ? Résultats opposés ? Qu'en est-il réellement ?

Des questions du même ordre existent au sujet du traitement envisagé avec les gravats. L'idée de les utiliser au sein de la filière nucléaire à des fins d'encaissement pour combler les vides entre colis dans les centres d'enfouissement de déchets ne semblait pas motiver l'Agence Nationale des Déchets Radio-Actifs (ANDRA) sur le plan économique.

L'aspect comptable est aussi à examiner dans la comparaison fréquemment faite entre la France et les pays voisins qui ont adopté la directive européenne. La question des masses et du cumul avec les « rejets autorisés » qu'ils soient militaires (spécificité partagée avec la Grande Bretagne) ou civils. La déclinaison de l'impact que pourrait avoir une libération des déchets TFA sous l'angle géographique serait à ce titre intéressante. Faut-il mettre en évidence une unité de mesure du type Bq/Km² pour mieux le jauger avant d'interroger le public sur le sujet ? Il semble que le Bq/m² ou cm² soit déjà utilisée pour qualifier certaines « opérations dosantes » au sein des installations.

Il apparait aujourd'hui dans les réflexions liées au virus du moment que la bonne santé du milieu, notamment notre environnement, semble être la meilleure profilaxie contre les proliférations épidémiques. Se situe-t-on dans ce cas de figure au niveau du nucléaire ?

Au vu des recherches menées dans les territoires contaminés suite à l'avarie qui s'est produite sur le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl, on peut le craindre tant sur le plan de l'atteinte au milieu, avérée, que sur celui des proliférations épidémiques (d'ordre génétique) avérées également pour les petits rongeurs, oiseaux et autres organismes vivants moins visibles à l'œil nu qui ont fait l'objet d'études spécifiques. Sont concernées ici les études conduites sur les faibles doses et la chronicité de l'exposition qui restent balbutiantes à minima en matière de diffusion grand public.

L'abaissement du niveau général de radioactivité a permis le développement de la « vie » sur notre planète. Si, à certains endroits elle reste naturellement assez élevée, notamment sur certains massifs montagneux, il est à noter l'indication statistique qui indique le surnombre de pathologies repérées comme induites par l'exposition à la radioactivité.

Est-il lucide, à partir de ces constats d'envisager d'en ajouter au milieu, en plus :

- des résidus des essais atomiques des premières années de cette brève histoire du nucléaire,

- des rejets autorisés (dont la gestion échappe à toute consultation du public) des installations civiles et militaires,

- des résidus miniers qui « crachent » et pour longtemps à la surface du globe où ils ont été ramenés et affectent le milieu aquatique,

- de la contamination issue d’accidents nucléaires...

Nous ne pouvons que louer l'intention affichée par la commission du débat public de mettre cette question des TFA et de seuils de libération sur la place publique. Reste celle qui concerne l'échelle où elle doit être posée : locale, nationale, internationale.

Est-il lucide, vues les connaissances et la méconnaissance sur ce sujet, de décider de déverser ces déchets dits TFA (comprendre avec un niveau de radioactivité inférieur à 1000Bq/kg) comme « on » le fit jadis en larguant en mer les déchets nucléaires au moment où les masses étaient très inférieures à celles qu'il convient de considérer aujourd'hui ?