septembre 2017 •

Avis relatif aux conséquences de l’anomalie de
concentration en carbone des calottes de la cuve du
réacteur EPR de Flamanville sur leur aptitude au service
GROUPE PERMANENT D’EXPERTS POUR LES EQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLEAIRES
Réunion tenue à Montrouge les 26 et 27 juin 2017

Conformément à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), formulée par sa lettre CODEP- DEP-2017-015644 du 12 juin 2017, le Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires s’est réuni les 26 et 27 juin 2017, avec la participation de membres du groupe permanent d’experts pour les réacteurs et en présence des observateurs invités par l’ASN, pour analyser les conséquences de l’anomalie de concentration en carbone affectant les calottes du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville sur leur aptitude au service.

Cette séance fait suite à celles du 30 septembre 2015 et du 24 juin 2016 au cours desquelles le Groupe permanent avait analysé la démarche de justification d’Areva NP.

II

Le Groupe permanent a pris connaissance des conclusions de l’examen, par le rapporteur, des dossiers transmis par Areva NP et EDF. Le Groupe permanent a notamment examiné la démarche et les conclusions d’Areva NP et d’EDF portant sur :

  • Les contrôles réalisés sur le fond et le couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ;
  • Les propriétés mécaniques du matériau retenues à la suite du programme d’essais ;
  • L’identification et la caractérisation des chargements thermomécaniques s’appliquant sur les deux composants ;
  • L’analyse du risque de rupture brutale menée par Areva NP, en particulier la cohérence de ses hypothèses avec les résultats des contrôles, les propriétés mécaniques du matériau et les chargements thermomécaniques ;
  • Les dispositions de suivi en service envisagées par Areva NP et EDF.

III
Démarche de justification

Afin de justifier le caractère suffisant des propriétés mécaniques du matériau du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville, Areva NP a mené une analyse du risque de rupture brutale de ces composants. Cette démarche, qui est classique dans ses principes, vise à montrer que le matériau, en zone ségrégée, est suffisamment tenace pour prévenir le risque d’amorçage des défauts postulés dans chacune des calottes sous l’effet des chargements thermomécaniques qu’elles pourraient subir durant leur fonctionnement normal, incidentel ou accidentel.

Le Groupe permanent note que la démarche suivie par Areva NP est cohérente avec celle qu’il a analysée lors de ses séances du 30 septembre 2015 et du 24 juin 2016 et tient compte des recommandations et observations qu’il a formulées à cette occasion.

Contrôles de compacité réalisés sur le fond et le couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville

Le Groupe permanent note que, au stade de l’approvisionnement des calottes, Areva NP a contrôlé les deux pièces par essais non-destructifs volumiques et surfaciques. Les résultats de ces contrôles n’ont pas mis en évidence de défaut de compacité de dimensions dépassant les critères des spécifications techniques. Les contrôles complémentaires réalisés en 2016 et 2017, notamment dans la zone ségrégée, ont également permis de confirmer l’absence de défaut en surface et sous le revêtement.

Propriétés mécaniques du matériau retenues à la suite du programme d’essais

Afin de caractériser le matériau ségrégé, Areva NP a mené un programme d’essais destructifs portant sur des calottes sacrificielles, dont le Groupe permanent a analysé la représentativité. Le Groupe permanent souligne l’ampleur de ce programme. Les différences dans l’élaboration des calottes conduisant à des variations des propriétés mécaniques de l’acier qui restent limitées mais qu’il est difficile d’évaluer avec précision, le Groupe permanent considère que l’appréciation des propriétés du matériau doit se faire selon une démarche conservative.

Le Groupe permanent constate que la présence d’une ségrégation résiduelle du carbone est bien à l’origine d’une modification des propriétés mécaniques de l’acier. Le comportement observé reste toutefois celui qui est attendu pour cette nuance d’acier. La modification de la ténacité se traduit principalement par une augmentation de la température de transition entre le comportement fragile du matériau et son comportement ductile, de l’ordre d’une dizaine à quelques dizaines de degrés, selon la méthode d’appréciation employée.

Le Groupe permanent considère que le fait qu’Areva NP a retenu, pour la suite de sa démonstration, une augmentation de la température de transition entre le mode de rupture fragile et le mode ductile calculée à partir d’un décalage pénalisant de la température de référence à ductilité nulle (RTNDT) entre la zone ségrégée et la zone de recette des calottes testées contribue au conservatisme de la démarche.

Enfin, le Groupe permanent considère que l’hypothèse prise en compte pour le vieillissement thermique du matériau est raisonnable mais doit être conforté par des essais. Le programme d’essais proposé par EDF, qui comporte plusieurs niveaux de température, est approprié. Les éléments correspondants devront venir compléter les dossiers réglementaires (notice d’instruction, dossier matériau, dossier de suivi en service du vieillissement).

Identification et caractérisation des chargements thermomécaniques

Le Groupe permanent a pris connaissance des conclusions du rapporteur sur l’analyse des chargements thermomécaniques pouvant s’appliquer aux deux calottes.

Le Groupe permanent considère satisfaisante la démarche adoptée par Areva NP pour identifier les situations à l’origine des sollicitations les plus sévères pour les calottes de la cuve et estime que le caractère conservatif des chargements qui ont pu en être déduits est assuré. Le Groupe permanent note que la situation d’éjection de grappe a été analysée en tant que transitoire thermohydraulique et estime qu’il convient en complément qu’Areva NP confirme que l’ordre de grandeur des chargements mécaniques induits sur le couvercle ne remet pas en cause cette analyse.

Analyse du risque de rupture brutale

L’évaluation du risque de rupture brutale qu’a menée Areva NP est cohérente avec la démarche prescrite par le code RCC-M, tant pour le choix des défauts postulés et analysés que pour la définition de la ténacité minimale et l’évaluation des facteurs d’intensité de contraintes. Le Groupe permanent considère que la taille des défauts postulés apporte un conservatisme déterminant. Au vu de cette analyse, le Groupe permanent estime que les propriétés mécaniques du matériau en zone ségrégée sont suffisantes pour prévenir le risque de rupture brutale.

Impact des irrégularités détectées au sein de l’usine Creusot Forge d’Areva NP

Le Groupe permanent a pris connaissance de l’analyse du rapporteur concernant l’impact des irrégularités détectées au sein de Creusot Forge en 2016 sur le traitement de l’anomalie des calottes de la cuve du réacteur EPR de Flamanville. Le Groupe permanent note en particulier que, à la demande de l’ASN, Areva NP a réalisé à nouveau les essais de traction et les essais Pellini en zone de recette réalisés initialement par Creusot Forge sur les différentes calottes ainsi que les contrôles volumiques par essais non-destructifs sur le fond de cuve. Ces nouveaux essais et contrôles, dont les résultats sont satisfaisants et cohérents avec ceux des essais d’origine, apportent des garanties complémentaires sur la qualité des pièces concernées et sur l’absence d’écart pouvant mettre en cause la représentativité des calottes entre elles. Par ailleurs, les valeurs de propriétés mécaniques déterminées lors de ces essais ne remettent pas en cause les conclusions de l’analyse du risque de rupture brutale.

Conclusion sur la démarche de justification

Au vu de l’ensemble des éléments apportés en appui de la démarche de justification présentée par Areva NP, le Groupe permanent constate que les conséquences de l’anomalie en concentration de carbone des calottes de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont été caractérisées. Le Groupe permanent note que le dossier présenté par Areva NP, qui s’appuie sur la propriété physique déterminante qu’est la ténacité, conclut à la prévention du risque de rupture brutale, bien que la valeur de résilience citée par la réglementation ne soit pas atteinte en zone ségrégée. Le Groupe permanent considère que la démarche suivie intègre des conservatismes significatifs concernant les propriétés mécaniques du matériau déduites des essais sur les calottes sacrificielles et intégrant une hypothèse de vieillissement, les chargements pris en compte et les caractéristiques des défauts postulés ; cette démarche permet donc de conclure que le matériau présente des propriétés mécaniques d’un niveau suffisant pour prévenir les risques redoutés et assurer l’aptitude au service des calottes.

Toutefois le Groupe permanent considère que les défaillances constatées concernant la qualification technique, l’utilisation d’un procédé de fabrication ne permettant pas de s’affranchir des risques liés à la ségrégation résiduelle de carbone et la réduction des marges pour le risque de rupture brutale affectent la robustesse du premier niveau de défense en profondeur.

Dispositions de suivi en service prévues

Le Groupe permanent rappelle qu’il avait considéré, dans son avis émis lors de sa séance du 30 septembre 2015, que le dossier d’Areva NP devait s’accompagner de propositions de mesures d’exploitation ou de suivi en service adaptées à la situation rencontrée afin de renforcer le deuxième niveau de défense en profondeur.

Fond de la cuve
Le Groupe permanent note qu’EDF a prévu des contrôles du fond de la cuve adaptés à la détection de défauts présentant une orientation circonférentielle ou radiale. Il considère que, aucun mode de dégradation n’étant spécifiquement attendu, les contrôles en service ne doivent pas être définis en fonction d’une orientation de défaut privilégiée a priori. Il note qu’EDF s’est engagée au cours de la séance à adapter ses contrôles de manière à pouvoir détecter l’ensemble des défauts perpendiculaires aux peaux quelle que soit leur orientation. Le Groupe permanent estime que ces contrôles, anticipés par rapport à la première visite décennale et auxquels ces adaptations seraient apportées, sont de nature à renforcer significativement le deuxième niveau de défense en profondeur.

Couvercle de la cuve
De la même façon que pour le fond de la cuve, le Groupe permanent considère que des contrôles du couvercle de la cuve sont nécessaires du fait de la réduction des marges pour le risque de rupture brutale qui affecte la robustesse du premier niveau de défense en profondeur et que ces contrôles ne doivent pas être définis en fonction d’une orientation de défaut privilégiée a priori. Ces contrôles sont d’autant plus nécessaires que le couvercle présente des singularités géométriques liées aux adaptateurs et des conditions d’exploitation différentes de celles du fond (températures, manipulations du couvercle, etc.).

Le Groupe permanent note que le dossier technique transmis par Areva NP et EDF sur les contrôles de suivi en service est prospectif, succinct et qu’il n’apporte pas d’élément technique sur la faisabilité des contrôles, leur performance et les conditions d’intervention en termes de radioprotection. Le Groupe permanent constate qu’EDF n’est actuellement pas en mesure de mettre en œuvre des contrôles par essais non-destructifs du couvercle de même portée et aux mêmes échéances que pour le fond de la cuve.

Le Groupe permanent considère qu’EDF doit apporter sous deux ans les éléments de démonstration de la faisabilité des contrôles.

Le Groupe permanent note également que le couvercle est remplaçable.

IV

Faute d’avoir obtenu un consensus sur la conclusion sur la démarche de justification et les dispositions de suivi en service, le Groupe permanent a enregistré l’avis minoritaire de deux de ses membres. Il est annexé au présent avis.

Annexe
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret

Les éléments produits par Areva NP pour justifier de l'aptitude au service de la cuve, bien qu'ils soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la caractérisation du matériau, à l'exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone ségrégée vis-à-vis de la prévention du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.

Le non-respect de l'exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le caractère tardif de la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.

La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.

Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées, et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.

Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l'éventuelle mise en service de la cuve. À cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible.