La G@zette Nucléaire sur le Net !
G@zette N°270, septembre 2013
Que de déchets et que faire?
Un petit historique pour mieux se situer en 2013
Monique Sené

 
     Les débuts du nucléaire français
     En septembre 1945, le général de Gaulle demande au directeur du CNRS Frédéric Joliot-Curie et à Raoul Dautry, alors ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, de mettre en place un organisme de recherche consacré à l'énergie atomique. Le CEA est créé le 18 octobre 1945 avec à sa tête Frédéric Joliot-Curie (haut-commissaire à l’énergie atomique) et Raoul Dautry (administrateur général). Cet organisme est destiné à poursuivre des recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale. Il en résulte l’installation au fort de Chatillon de la première pile atomique française Zoé (Zéro énergie), et au Bouchet d’une usine pour les opérations de purification de l’uranium utilisé dans Zoé (divergence en 1948). Les premiers milligrammes de plutonium sont extraits au Bouchet en 1948.
     En 1950, Frédéric Joliot lance l’appel de Stockholm contre la bombe atomique. Il est alors limogé et remplacé par Francis Perrin. Après son départ, le CEA intensifie ses travaux sur les applications militaires et civiles de l’énergie atomique. Même si le gouvernement n’a pas encore pris officiellement la décision de construire une bombe atomique (cette décision ne sera prise qu’en 1958), tout est mis en œuvre pour se doter des moyens de la construire. De fait, l’énergie nucléaire se développe en empruntant d’abord la voie militaire: Gerboise bleue, la première  bombe atomique française, explose le 13 février 1960 à Reggane, dans le Sahara. La filière choisie à l’époque est celle des réacteurs Uranium naturel graphite gaz (UNGG) dont les premiers exemplaires (GI, G2, G3) furent construits à Marcoule.  Parallèlement, une commission (Production d’électricité d’origine nucléaire – PEON) conseille le lancement d’un programme civil. À Chinon, le CEA et EDF collaborent à la construction des réacteurs EDF 1 (1962, 68 MW), EDF 2 (1965, 200 MW) et EDF 3 (1967, 500 MW) de type UNGG.
     Mais une guerre des filières de réacteurs oppose le CEA et EDF : le premier est partisan de la filière française UNGG, tandis que le second défend la filière des réacteurs à eau pressurisée (Pressurised Water Reactor – PWR ou REP) du constructeur américain Westinghouse. En conséquence EDF en collaboration avec la Belgique lance une construction à Chooz (REP de 350 MWé sous la houlette EDF-SENA). Et, en novembre 1969, le gouvernement tranche en faveur d’EDF et décide la construction d’une centrale à eau pressurisée à Fessenheim.
     En 1973, le premier choc pétrolier conduit le gouvernement, sous la pression de la commission PEON, (voir sa composition en page 57 de notre archive ci-dessous) à lancer un programme ambitieux de construction de réacteurs (il prévoit 170 réacteurs pour l’an 2000, REP pour l’essentiel, mais plusieurs du type Superphénix de surcroît). Le CEA avait d’ailleurs lancé un prototype de réacteurs refroidis au sodium dès la fin des années 1950 (Rapsodie divergence en 67 et Phénix 1973). C’est donc un lot de consolation pour le CEA.
     Peu de scientifiques se sont mobilisés contre cette course au nucléaire – la plus forte mobilisation visant le nucléaire militaire. Cependant, compte tenu des problèmes alors connus des ingénieurs, des scientifiques du CEA Saclay ont commencé à parler: mise en évidence de pollution à côté du site de Saclay (déposante de Saint-Aubin) et sur le site du Bouchet  (fermé sans remise en état des lieux). Il y eut également le mauvais démarrage du premier réacteur REP de Chooz (arrêt de deux à trois ans pour réparation et rejets importants en Meuse). Ces ingénieurs ont rédigé un livre sur l’électronucléaire en France (d’abord pour information interne, puis publié au Seuil en 1975). Son l’actualité ne s’est pas démentie.
     Des chercheurs du CNRS sont ensuite intervenus. Lors du lancement du programme «Messmer», EDF avait dû se lancer dans une prospection de site pour construire le vaste programme décidé sans aucune consultation de l’Assemblée nationale et du Sénat. La population s’est donc trouvée confrontée à cette demande et a cherché où obtenir de l’information. EDF a bien entendu multiplié l’envoi de plaquettes, de diapositives, et le tout nouveau ministère de l’Ecologie a adressé aux 36.000 maires un document vantant les mérites du nucléaire. Mais cela n’a pas suffi à convaincre. Estimant n’avoir pas reçu de réponses satisfaisantes de la part du CEA, d’EDF et du gouvernement, les citoyens se sont tournés vers le CNRS et l’Université.
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     Le rapport de prospective et la réaction du CNRS
     Il se trouve qu’un rapport de prospective sur la physique corpusculaire (physique nucléaire et physique des particules) venait de paraître en 1974. Ce rapport, portant sur la décennie 1970-1980, avait été rédigé  par un groupe de travail CEA-CNRS. Dans la partie 5 («La physique nucléaire dans la société») se trouvait un chapitre 5-A qui avait mis en émoi certains chercheurs de la Commission 06 (physique nucléaire et corpusculaire). Il y était écrit:
     «La France est un des pays industriels les plus dépourvus en ressources énergétiques fossiles. Son développement économique depuis deux décennies a reposé – dans une mesure sans cesse croissante – sur des importations de pétrole extrait loin de son territoire. L’année 1974 marque à cet égard un tournant historique avec la décision gouvernementale d’accélérer le développement de l’énergie nucléaire. Il est désormais certain qu’à moyen terme une part essentielle de l’énergie produite dans ce pays proviendra de la fission nucléaire».
     Cette prise de position enthousiaste n’avait pas été discutée et soulevait de nombreuses interrogations au sein des disciplines concernées. En effet, même s’il était expliqué que:
     «les physiciens nucléaires ne peuvent qu’approuver un débat profond et sérieux sur les risques, les modalités et les fins de l’utilisation sociale»,
     Cette conclusion paraissait un peu courte. Il convenait donc de reprendre le questionnement.
     En janvier 1976, le Courrier du CNRS (n°19) indiquait qu’«au cours de l’hiver 1974-1975, la direction du CNRS a suscité un certain nombre de groupes de réflexion. Dans ce cadre, une discussion s’est engagée au sein de la commission 06 (physique nucléaire et corpusculaire) à l’automne 1974 et au printemps 1975 avec la participation de M. Chabbal, directeur scientifique. A la suite d’un premier échange de vues en novembre 1974, la commission a désigné un groupe de travail composé de cinq de ses membres…».
     Ce groupe de travail, présidé par Marcel Froissart, titulaire au Collège de France de la chaire de physique corpusculaire et directeur du laboratoire (LPC), a présenté son rapport à la session de printemps 1975.
     Dans ce rapport, adopté par la commission en session plénière et publié dans le Courrier du CNRS, il était précisé dans l’introduction (p. 23):
     «Le rapport préparé par ce groupe a été longuement discuté au cours de la session de printemps 1975. Après quelques modifications, il a été adopté à l’unanimité. Afin d’éviter toute utilisation tendancieuse de ce texte, il a paru souhaitable qu’il puisse être publié intégralement».
     A l’époque, la presse a rendu compte de ce texte sous ce titre «Un rapport explosif du CNRS, le plan nucléaire français contesté» (Le Figaro, 24 mars 1976). Le rapport concluait en effet:
     «Un développement massif du programme créerait tout au long de la chaîne industrielle des points d’engorgement (prospection des ressources, enrichissement, retraitement). L’effort important nécessaire pour supprimer ces points noirs ne devrait en aucun cas faire passer au second plan les questions relatives à la protection des personnes et de l’environnement (pollution thermique, effluents radioactifs, contrôles de fabrication, problèmes posés par les déchets). Devant toutes ces difficultés, qui peuvent entraîner une modification substantielle et mal maîtrisable de notre société, il paraît souhaitable de diversifier les efforts en vue d’un meilleur approvisionnement énergétique. Des crédits équivalents d’une fraction, même faible, de ceux consacrés au développement du programme nucléaire devraient être affectés aux recherches pour le développement d’énergies nouvelles. Le potentiel scientifique du CNRS pourrait utilement contribuer à ce type de recherches».
     Cette conclusion, certes nuancée, n’en révélait pas moins qu’après avoir analysé le dossier des physiciens recommandaient un «meilleur approvisionnement énergétique»
p.17

 
     La réaction des chercheurs
     Parallèlement à ce rapport de la commission 06, un groupe du LPC commençait l’analyse des dossiers EDF et la rédaction d’une pétition destinée au milieu scientifique (pétition pour l’arrêt du programme tant que les citoyens n’auraient pas été consultés), tandis qu’au sein du Laboratoire de l’accélérateur linéaire (LAL), un autre groupe se penchait sur l’analyse de la plaquette d’Ornano pour réaliser une contre-plaquette: «Risques et dangers du programme électronucléaire français».
     - L’appel des scientifiques, dont 200 physiciens nucléaires, fut publié sous le titre «A propos du programme nucléaire français» dans Le Monde du 11 février 1975. Il se concluait sur les phrases suivantes:
     «Nous pensons que la politique actuellement menée ne tient compte ni des vrais intérêts de la population ni de ceux des générations futures, et qu'elle qualifie de scientifique un choix politique. Il faut qu'un vrai débat s'instaure et non ce semblant de consultation fait dans la précipitation. Nous appelons la population à refuser l'installation de ces centrales tant qu'elle n'aura pas une claire conscience des risques et des conséquences. Nous appelons les scientifiques (chercheurs, ingénieurs, médecins, professeurs, techniciens) à soutenir cet appel et à contribuer, par tous les moyens, à éclairer l'opinion»
     - Cet appel (dit «Appel des 400») fut présenté au cours d’une conférence de presse présidée par Marcel Froissart, en même temps qu’un dossier «Pour un arrêt immédiat du développement massif de l’électronucléaire» où étaient détaillés les principaux points posant problèmes (l’approvisionnement en uranium, la sûreté des réacteurs, les problèmes de matériaux, la radioprotection, les déchets et le démantèlement). Tout cela eut un retentissement important dans la presse: des physiciens – et plus généralement des scientifiques – appelaient à ne pas accepter le programme nucléaire sans la prise en charge des problèmes et surtout sans une «véritable consultation des populations». L’appel, en outre, était soutenu par un professeur au Collège de France. La pétition fut finalement signée par 4000 scientifiques. En mars 1975, une plaquette intitulée «Risques et dangers», une critique de la plaquette gouvernementale, fut adressée aux 36.000 maires de France. Elle fut reprise ultérieurement dans un volume publié aux éditions du Seuil: Electronucléaire, danger (1977). Voir "notre" archive de 1977!

     Le GSIEN entre en scène
     Dans la foulée de l’«Appel des 400», un Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN) fut créé le 15 décembre 1975, afin de permettre à des physiciens de s’exprimer hors de la contrainte du CNRS. Cette association de type 1901 (Journal officiel du 30 janvier 1976) s’est doté d’un journal La Gazette nucléaire, qui paraît toujours aujourd’hui (ce n°270 vient de paraître en novembre 2013). Les arguments avancés dès cette date sont toujours pertinents. On peut en reprendre quelques uns.

     Sûreté des réacteurs
    «Les accidents sont peu probables, mais ils peuvent être effroyables», écrivions-nous.
     Depuis lors, Three Mile Island a ouvert la voie à Tchernobyl et prouvé que nos craintes étaient plus que fondées. Et Fukushima n’a fait que conforter notre propos, bien au-delà de tout ce que nous pouvions envisager: quatre réacteurs « en folie », avec l’impossibilité de les refroidir (perte de la source froide ET de l’alimentation électrique), et ce sur six réacteurs, dont trois mis à l’arrêt (un avec une piscine pleine et deux sauvés par leur diesel situé en altitude, contrairement aux autres mis en sous-sol et noyés par le raz de marée ou tsunami).
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     Nous avons évidemment suivi l’évolution des REP (réacteurs à eau pressurisée) qui forment le parc français. Nous avons participé à l’analyse des visites décennales de Fessenheim (1989, puis 1999-2001 et 2009-2010) et nous avons pu constater la difficulté d’une telle expertise. Les problèmes techniques sont un risque constant du nucléaire et leur prise en charge par EDF, AREVA et les autres acteurs du nucléaire n’est pas correcte. C’est pour cela qu’il faut intervenir sans relâche pour la mise en place d’une sûreté de haut niveau qui, seule, permet une sécurité toujours accrue des populations.

     Pollution thermique, radioactive et chimique
     Les réacteurs ont besoin d’eau et sont donc situés à côté de la mer, des fleuves, des rivières. Ils ont des autorisations de rejets de produits radioactifs de formes physico-chimique variées, ainsi que d’autres produits (produits chlorés, hydrazine, lithine, morpholine…). Un suivi minutieux de l’environnement est indispensable de façon à garantir la santé des populations. Notons que si ce suivi est effectué, il est trop léger et surtout il n’existe pas de registres autour de tous les sites de réacteurs. Ces registres sont le moyen approprié pour effectuer des études de santé, mais il est exact qu’ils exigent une équipe de spécialistes de haut niveau pour que le recueil des données soit correctement exécuté. C’est à partir de ces données que l’on pourra mettre en place des analyses de santé s’appuyant sur des mesures environnementales.

     Transports
     On utilise des transports par route, train et voie fluviale: combustibles neufs ou usés, plutonium, déchets de type variés.
     Ces transports doivent être surveillés. Ce poste est assuré par l’ASN qui relève les défaillances et les sanctionne.

     Déchets
     «Le problème des déchets est traité avec légèreté», écrivions-nous. Qu’en est-il en 2013? Les déchets sont aujourd’hui entreposés sur site en attente d’exutoire (huiles usés, métaux, câbles, etc.) et les combustibles sont envoyés à la Hague pour traitement.
     Et pourtant, il a été ouvert le premier site (au Nord Cotentin –le site Manche) en 1969. Ce site a été soumis à des autorisations en ce qui concernait le contenu en alpha de plus en plus faible (un facteur mille entre 1969 et 1982).
     C’est la Commission Castaing qui a fait ce travail en 2 rapports: un sur l’usine de retraitement et un sur les déchets, en particulier à propos de leur contenu en alpha pour les sites de surface.
     Puis il y eut la loi de 1991 qui avait été précédéz par une recherche de site de surface (abouti en 1984 à Soulaines), suivi d’un autre rapport sur les sites miniers (rapport Desgraupes).
     Tout ce remue ménage a abouti au site de Bure d’abord choisi comme laboratoire et accepté comme tel. Mais en 2006 la donne a changé et le parlement l’a choisi comme site de stockage profond.
     Cependant, il n’existe pour le moment que deux sites pour les faible et moyenne activité à vie courte (FA et MA-VC). Pour les autres (haute et moyenne activité à vie longue – HA et MA-VL), c’est en cours d’étude. De plus, il faut souligner que ces sites s’adressent aux déchets du futur.
     Pour le moment, on se débat avec les erreurs du passé: silos de la Hague dont on ne connaît pas le contenu (on doit le caractériser pour pouvoir intervenir), fosses pleine terre de Cadarache que l’on reprend en tenue ventilée et étanche (pour éviter la contamination, mais pas l’irradiation). Cette reprise se termine par un tri à la main, et sur site un entrepôt de colis.
p.18

 
     Information, concertation, prise de décision
     Dès 1975, nous écrivions:
     «Il est inquiétant de voir l’EDF éluder toute question, méconnaître toute compétence autre que celle des techniciens officiellement habilités. Il est inquiétant que ceux qui poussent ces projets, soient en même temps juge et partie […] Les enquêtes d’utilité publique fragmentent les problèmes, escamotent des points importants (transport, déchets, démantèlement des centrales usagées) indissolublement liés à l’ensemble. On minimise systématiquement les risques, on cache les conséquences possibles, on rassure. Pourtant les divergences entre les études, les incertitudes des rapports officiels montrent bien que les risques existent. Même quand il y a des solutions, l’absence d’une législation claire, d’un contrôle indépendant, l’intervention de critères de rentabilité financières permettent toutes les négligences. D’autre part, en dépit des affirmations officielles, une telle politique n’assurera pas notre indépendance, car il n’y a pas tellement d’uranium en France; et l’usine d’enrichissement qui ne produira qu’à partir de 1982 sera extrêmement vulnérable».

     Politique alternative
    «Par ailleurs, quoi qu'on en dise, peu de recherches sérieuses sont entreprises pour trouver de nouvelles sources d'énergie, pour diversifier celles existantes et pour diminuer le gaspillage».
     Où en est-on aujourd’hui? Trente-neuf ans plus tard, le nucléaire s'est installé et si l’on continue, il va d’une part être tenté de prolonger les réacteurs au-delà de leurs 40 ans à partir de 2017 (date du premier arrêt s’appliquant aux réacteurs têtes de série Fessenheim 1 et 2) et d’autre part être essayé de construire un nouveau Superphénix appelé ASTRID.

     Notre conclusion: «Il faut qu’un vrai débat s’instaure et non ce semblant de consultation fait dans la précipitation» est toujours d’actualité.
     Mais quand aura lieu un véritable débat sur la politique énergétique de la France ? Tous les rapports se rapportant à une politique énergétique, de Schloesing (1977 – voir quelques extraits en annexe 2) à Souviron (1994) et même à celui de 2003 (comité des Sages), en passant par Hugon (1981) et Rouvillois (1990), ont dénoncé l’ingérence des industriels et des grands corps d’Etat. A chaque fois, il a été préconisé une diversification de notre politique énergétique. Mais cela n’a rien changé à la marche du nucléaire.
     Or, le nucléaire ne peut pas, avec son cortège de problèmes sans solution (déchets, rejets, transport, santé, etc.), être la voie la meilleure et surtout la seule pour la nation. Il nous faut diversifier nos sources d’énergie, économiser et surtout entamer un dialogue avec les populations.

     Après Fukushima
     Le monde nucléaire s’est plié, avec plus ou moins de bonne volonté, à l’exercice d’Evaluations Complémentaires de Sûreté (ECS). L’ASN a donné un avis mitigé: certes elle n’a pas recommandé de fermeture, mais a soumis chaque installation à des demandes d’améliorations nombreuses et variées. Pour Fessenheim (deux réacteurs démarrés en 1977), par exemple, il a été rappelé que le grand canal d’Alsace (source froide des réacteurs) domine le site de quelque 9 mètres et que les radiers (assise de béton de l’enceinte de confinement) sont les moins épais des 58 réacteurs du parc. En conséquence et du fait qu’un accident est toujours possible, il faut l’épaissir. Or, cette opération maintes fois évoquée n’est à notre avis pas réalisable correctement en raison d’une nappe phréatique affleurante. C’est pourquoi EDF propose de réduire la hauteur du puits de cuve, ce qui rendra les maintenances si ce n’est impossibles, à tout le moins difficiles.
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     En ce qui concerne une éventuelle prolongation de fonctionnement, l’ASN vient (26 juillet 2013, confirmation en novembre 2013) de formuler un ensemble de prescriptions devant être réalisées avant la quatrième visite décennale
Fukushima a durement rappelé qu’un accident est toujours possible: «l’improbable est possible», comme l’a écrit M. Jamet, du Collège de l’ASN. La catastrophe de Fukushima montre la faiblesse de nos divers systèmes de protection. Bien sûr, des estimations sont faites en se confortant grâce à des calculs de probabilités. De graves accidents, il y en a déjà eu, mais ils ont été vite oubliés. Cette fois, il faut tirer toutes les conséquences des manquements japonais.
     La sûreté et donc la protection des travailleurs, des populations et de l’environnement, est l’affaire de tous les citoyens qui doivent pouvoir participer aux évaluations. Il n’est plus possible de répondre à leurs questionnements: «Dormez en paix, nous veillons sur vous» ni de s’appuyer sur une formule EDF de 1970: «On ne consulte pas les grenouilles, avant de vider une mare»! La co-construction d’une sûreté et d’une radioprotection de qualité doit se faire par la concertation et la participation de tous. La France s’est dotée de lois, mais à quoi servent-elles si on ne les applique pas?
     La lecture attentive des lettres de suite d’inspection permet de se rendre compte que les inspecteurs sont vigilants et détectent les dysfonctionnements, mais le fait de confier à des entreprises extérieures des opérations ponctuelles conduit à des problèmes: vannes montées à l’envers, remise en route d’un réacteur avec une enceinte fuyarde parce que des vannes sont restées ouvertes sur les traversées amenant câbles et instrumentations, capteurs de niveau d’eau non opérationnels, etc.
     Notons les demandes formulées par l’ASN le 28 juin 2013: «En ce qui concerne la maîtrise du vieillissement, l’ASN considère que l’identification des phénomènes de vieillissement des éléments importants pour la sûreté et la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1 du Code de l’environnement doit être complétée à la lumière du retour d’expérience national et international et grâce à des programmes de recherche et développement appropriés. En outre, une justification robuste de la tenue mécanique des cuves au-delà de leur quatrième visite décennale doit être apportée. Par ailleurs, EDF devra identifier les vulnérabilités possibles des processus industriels de remplacement de composants, y compris en cas d’aléa d’exploitation survenant sur les réacteurs et proposer les actions permettant d’améliorer la robustesse de ces processus. Enfin, EDF devra présenter des propositions notablement renforcées en matière de vérification de conformité et, si nécessaire, de remise en conformité».
     Il semble donc, comme en 1974, qu’il reste toujours des problèmes en suspens – le plus important étant la tenue des aciers sous forte irradiation.
     En ce qui concerne les réacteurs, ce qui était initialement prévu était leur arrêt après environ 40 ans de fonctionnement pour ne pas dépasser la fluence (nombre de neutrons atteignant la cuve) maximale de conception. Comme les aciers vieillissent sous irradiation, il avait été estimé une fluence maximale correspondant à une durée. Cette valeur de fluence maximale a été calculée pour une durée de vie «réglementaire» de 32 ans JEPP (Jours équivalents pleine puissance) – soit les fameux 40 ans – et ce indépendamment de toute démarche basée sur des données physiques. Mais les connaissances sur l’évolution des aciers sont restées empiriques, même si les calculs ont été affinés: on a surtout mis au point des modèles, et les incertitudes restent élevées (de 30 à 50%).
     Le GSIEN estime donc qu’il n’est pas envisageable «raisonnablement» de prolonger la vie des réacteurs au-delà  des 40 ans prévus à leur conception.
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     Voici encore une demande ASN de juillet 2013: «L’ASN a examiné, sur ces bases, votre programme générique associé à la poursuite du fonctionnement des réacteurs du parc au-delà de 40 ans et considère que la méthodologie proposée est globalement satisfaisante. En revanche, et au-delà des actions complémentaires qu’EDF s’est engagée à mener [...], des modifications et compléments sont nécessaires pour ce qui concerne les objectifs de sûreté poursuivis et les thèmes à traiter».
     L’ASN a ajouté une prescription pour l’entreposage en piscine des combustibles où certains passages sont soulignés par le GSIEN:
     «En dépit de ces modifications, l’ASN souligne que la conception initiale et l’état actuel des piscines de désactivation sont en écart notable avec les principes de sûreté qui seraient appliqués à une nouvelle installation. On peut par exemple noter les écarts suivants avec les directives techniques applicables aux réacteurs de troisième génération:
     1) Il n’existe pas de séparation physique des voies de refroidissement de la piscine de désactivation. En particulier, les pompes de refroidissement sont situées dans le même local. En conséquence, une agression interne, telle qu’un incendie, est susceptible de conduire à une perte totale et prolongée du refroidissement;
     2) Les deux voies de refroidissement sont refroidies par une source froide unique; le mode commun qui en découle génère une probabilité de perte totale de refroidissement, et donc d’ébullition de la piscine, non négligeable (de l’ordre de 10-4/a.r);
     3) La tenue au séisme de dimensionnement des moyens d’appoint de secours à la piscine de désactivation, nécessaires pour compenser l’évaporation de l’eau de la piscine et redémarrer un train de refroidissement à la suite d’une ébullition, n’est pas démontrée;
     4) Les événements initiateurs de vidange accidentelle des piscines (erreurs de lignage ou brèches) n’ont pas été pris en compte à la conception. Les dispositions complémentaires de prévention et de maîtrise de ces événements initiateurs qui peuvent être envisagées sur les installations existantes ne sauraient respecter l’ensemble des exigences des directives techniques applicables aux réacteurs de troisième génération;
     5) Le toit du bâtiment combustible est en bardage métallique et ne résisterait donc pas à certaines agressions externes. De plus, la mise en œuvre de moyens efficaces de limitation des conséquences d’un dénoyage prolongé d’assemblages de combustible irradié n’est pas envisageable sur les piscines de désactivation du parc électronucléaire d’EDF en exploitation […] Compte tenu de ce qui précède, l’ASN vous demande d’examiner dès à présent d’autres solutions techniques pour l’entreposage sur site du combustible usé que les piscines de désactivation actuelles. Cet examen devra se faire vis-à-vis des objectifs de sûreté définis dans les directives techniques applicables aux réacteurs de troisième génération
».
     Cette demande de l’ASN doit être réalisée avant la VD4 des réacteurs. Notons tout de suite que, compte-tenu des délais, il paraît impossible de réaliser de telles modifications pour Fessenheim (1 et 2), Bugey (2 à 5), Triscatin (1 à 4), Gravelines (1 à 4) et Dampierre (1 à 4).
     Les dates prévisibles de mise à l’arrêt des réacteurs, en fonction de leur date de divergence ou de mise en service industrielle, s’échelonnent, pour les 900 MWé, entre 2017 et 2028. Quant aux 1.300 leurs arrêts ne sont pas très lointains: entre 2025 et 2034.
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     Mais une autre demande a été formulée par EDF, qui concerne l’augmentation de puissance des réacteurs. L’ASN écrit à ce propos:
     «Dans l’hypothèse où EDF serait amenée à présenter un dossier d’augmentation de puissance des réacteurs du palier 1.300 MWe, l’ASN estime que ce dossier devrait intégrer l’impact de la prolongation de la durée de fonctionnement de ces réacteurs au-delà de 40 ans. Ce dossier devra notamment comprendre une revue de conception de la chaudière et des systèmes impliqués dans cette évolution en tenant compte des effets du vieillissement et du retour d’expérience de l’accident de Fukushima, notamment en termes de prévention et de mitigation d’un accident grave».
     Or, quand on suit l’évolution de l’accident de Fukushima, force est de constater que plus de deux ans et demi après sa survenue, la catastrophe n’est toujours pas terminée… C’est pourquoi le GSIEN juge qu’il faut arrêter les réacteurs à la durée de vie prévue à leur conception, soit 40 ans. Nous n’avons pas assez progressé en physique des matériaux sous irradiation et en condition de température et de pression existante dans les REP pour acepter un risque d’accident. Nous devons, de même, fermer les réacteurs les plus vieux parce que nul ne peut prédire l’évolution des aciers sous forte irradiation. Quant aux déchets, nous ne savons pas vraiment quoi en faire: il est donc urgent de savoir s’arrêter.
     En ce qui concerne la politique énergétique, la question est de savoir comment négocier une panoplie élargie (un mix énergétique). Le parc nucléaire français s’est construit en un temps remarquablement court, mais actuellement le savoir-faire (déjà relatif) s’est perdu d’ou les déboires du chantier EPR de Flamanville et finlandais.
     On tergiverse depuis les années 1970 pour une panoplie plus large que le seul nucléaire. De nombreuses commissions ont été mises en place, de nombreux rapports ont été publiés, mais aucune décision n’a été prise: la relève du nucléaire ou son arrêt sont restés en plan. Il est pourtant de plus en plus évident qu’il est impossible de rester dépendant de l’électricité à hauteur d’environ 75% en nucléaire, de même qu’il est ridicule de toujours s’appuyer sur le pétrole. Il faut impérativement économiser par une meilleure gestion des ressources.
    La commission qui vient de renaître sous la dénomination de Comité stratégique de la filière nucléaire (CSNF) ne s’oriente évidemment pas dans cette direction, c’est le moins qu’on puisse dire. Ses objectifs sont très clairs: faciliter l’emploi et la formation, coordonner à l’international une offre française de formation adaptée aux projets industriels de la filière, promouvoir l’offre française à l’international. Et tout cela dans le nucléaire et uniquement dans le nucléaire, puisque les promoteurs du projet sont le CEA, EDF et AREVA.

     Conclusions

     La France, en 2013, se trouve à nouveau à un tournant en ce qui concerne son avenir énergétique. Il n'est malheureusement pas évident que nos hommes politiques soient sur la voie de la sagesse. On peut même être certain du contraire. En théorie, trois débats publics sont prévus pour dialoguer avec les citoyens: sur les déchets (création du stockage Cigéo, qui serait réservé aux déchets de moyenne et haute activité à vie longue), sur la transition énergétique et, plus tard, sur la réversibilité de ce fameux Cigéo - Centre industriel de stockage géologique). Or, il n'est pas possible de traiter de ces trois sujets sans commencer par poser le décor. Il faut d’abord poser le problème de la politique énergétique de la France. Il faut ensuite s’interroger sur les besoins réels des citoyens (pas ceux dont les firmes aimeraient faire croire l’existence). Il faut aussi recenser les sources d’énergie potentielle, et se pencher sur les économies réalisables dans l'industrie, l'agriculture, le secteur tertiaire (isolation, meilleures chaudières, etc). Il faut enfin que le pouvoir politique se saisisse de la question avec énergie (c'est le cas de le dire), afin que notre politique énergétique ne soit pas celle qui arrange des instances tellesqu’EDF, le CEA et AREVA .
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     «Le nucléaire a-t-il un avenir ou doit-on en sortir?»
     N'en déplaise aux partisans comme aux adversaires de l’énergie nucléaire, un débat axé uniquement sur ce questionnement est par définition sans issue. La question: «Le nucléaire peut-il entrer dans un programme énergétique?» serait déjà plus appropriée. Elle implique de savoir quels sont les besoins réels de la nation, comment y répondre, quels sont les avantages et les inconvénients des diverses approches, compte tenu des rejets et des déchets, ainsi que de la radioprotection et de la sûreté.
     Le credo usuel est que «le pays ne peut qu'augmenter sa consommation énergétique et principalement la composante électricité». Mais on joue avec les mots, car choisir le nucléaire n'élargit en rien notre panoplie énergétique et nous rend toujours plus dépendants notamment du pétrole. Si le nucléaire fournit environ 75 à 80% de l'électricité, il ne représente lui-même qu'environ 20 à 25% de la panoplie énergétique globale et ne peut pas nous aider pour les transports, qui sont majoritairement routiers. Enfin, il faut se résoudre à envisager la fin du nucléaire. Même en prolongeant le fonctionnement des réacteurs, il faudra bien les stopper un jour pour obsolescence. Sans préparation, la transition sera insupportable pour notre pays: ce n’est pas l’EPR (8,5 milliards à ce jour et 12 ans minimum de temps de construction) qui nous aidera.
     Quel besoin a-t-on alors de nouveaux réacteurs à fission (on casse des noyaux) EPR ou à fusion (on colle des noyaux) ITER? La réponse est sans ambiguïté: aucun.

Annexe 1
DATE PREVISIBLE DE MISE A L’ARRET DES REACTEURS (fonction de leurs date de divergence ou de Mise en Service Industrielle)

     Pour les 900 MWé
     Fessenheim 1 et 2 divergence en 1977 et MSI en 1979 => arrêt 2017 ou 2019
     Bugey 2 3 4 5  divergence en 78 et MSI en 1980 => arrêt en 2018 ou 2020
     Tricastin 1 (1980/2-1980/12), 2 (1980/3- 1980/12), 3 (1980-1981), 4 (1981/6-1981/12)  => arrêt 2020 ou 2021
     Gravelines 1 et 2 (1980), 3 et 4 (1981), 5 et 6 (1985) => arrêt 1 et 2 en 2020, puis 3 et 4 en 2021,  puis 5 et 6 en 2025
     Dampierre 1 et 2 (1980-1981), 3 et 4 (1981) => arrêt des 4 en 2021
     Saint Laurent B1 et B2 (1981-1983) => arrêt des 2 en 2023
     Blayais 1 (1982) et Blayais 2 3 4 (1983) =>arrêt du 1 en 2022 puis 2 3 4 en 2023
     Chinon B1 (1982), B2 (1983), B3 (1987) et B4 (1988)=>  arrêt de B1 en 2022, B2 en 2023, B3 en 2027 et B4 en 2028
     Cruas 1 (1983-1984), 2 (1984-1985), 3 (1984), 4 (1984-1985) => Arrêt 1 en 2024, 2 en 2025, 3 en 2024, 4 en 2025
     Voici donc les dates pour les 900 si on arrête à 40 ans (sachant que ceci entraîne l'arrêt du retraitement puisque plus aucun réacteur ne peut être chargé en MOX, à part Flamanville 3 (s'il a réussi à démarrer)
     Comme ce n'est pas anticipé, je pense que ce sera fort difficile d'où les demandes de prolongation sans toutefois se rendre compte que, ajouter 20 ans nous mène à l'impasse à partir des années 2040-2048 (avec une sortie massive avant 2045)
     En plus, les 1.300 ne sont pas loin
     Belleville 1 (1986) et 2 (1987) => arrêt en 2026 ou 2027
     Cattenom 1(1986-87), 2 (1987-88), 3 (1990), 4 (1991-1992) => arrêt 1 en 2027, 2 en 2028, 3 en 2030, 4 en 2032
     Flamanville 1 (1985-1986), 2 (1986-1987) => arrêt 1 en 2026, 2 en 2027
     Golfech 1 (1990-91), 2 (1993-94)=>arrêt 1 en 2031, 2 en 2034
     Nogent 1 (1988), 2 (1989) => arrêt 1 en 2028, 2 en 2029
     Paluel 1 (1984-85), 2 (1984-85), 3 (1985), 4 (1986) => arrêt 1 en 2025, 2 en 2025, 3 en 2025, 4 en 2026
     Penly 1 (1990), 2(1992) => arrêt 1 en 2030, 2 en 2032
     St Alban 1 (1985-85), 2 (1986-86) => arrêt 1 en 2025, 2 en 2026
     Les 1.450 ne sont pas loin non plus
     Chooz B1 et B2 (2000) => arrêt les 2 en 2040
     Civaux 1 et 2 (2002) => arrêt les 2 en 2042.
(suite)
suite:
Annexe 2
Une petite rétrospective du GSIEN parisien

     Premiers travaux du GSIEN
     Toujours en 1977, le GSIEN a participé aux journées parlementaires (25, 26, 27 octobre) où il fut organisé une conférence «le malentendu nucléaire?». Nous avions préparé un dossier (appel des 400, appel des scientifiques du CERN, quelques propositions pour un débat). Rien n’en est malheureusement sorti.
     Cette même année, dans le cadre de la session ordinaire (séance du 5 octobre 1977) de l’Assemblée Nationale est sorti un rapport: le rapport Schloesing (au nom de la Commission des Finances de l’économie générale et du plan) dont voici les recommandations:
     «Première Recommandation: le programme nucléaire
     La Commission des Finances constate à nouveau que le prix de l’électricité d’origine nucléaire continue de croître dans des proportions de nature à remettre en cause les fondements économiques du programme. Elle s’inquiète à nouveau du montant des ressources financières qui vont devoir être consacrées à ce programme et demande qu’il soit mieux ajusté aux perspectives économiques des prochaines années. La commission des finances insiste pour que la chaleur produite par les centrales nucléaires – qui représente environ les deux tiers de l’énergie produite- soit utilisée au lieu d’être purement et simplement gaspillée.
     Deuxième Recommandation: la diversification de nos approvisionnements en énergie
     La Commission des Finances demande au Gouvernement de mettre en œuvre une diversification plus effective de nos approvisionnements en énergie afin d’accroître notre sécurité en ce domaine essentiel. Elle souhaite en particulier:
     - une politique d’exploration pétrolière plus active;
     - la francisation complète d’ici 1982 de la filière nucléaire à eau pressurisée et à uranium enrichi;
     - une meilleure utilisation de nos propres ressources notamment, grâce:
     * à l’équipement de tous les sites hydro-électriques disponibles (c’est-à-dire ceux qu’il est possible d’équiper en limitant au maximum les atteintes à l’environnement) dans la limite d’un coût global de production, de distribution et de transport sensiblement supérieur au prix de revient moyen du kilowattheure distribué à partir des centrales thermiques d’EDF, transport et distribution compris;
     * au développement de la géothermie, de l’énergie solaire et de la pompe à chaleur, les Pouvoirs publics y apportant une contribution suffisante pour tenter de parvenir au stade industriel dans un délai de cinq ans
     Troisième Recommandation: économies d’énergie
     La Commission des Finances recommande un effort accru pour économiser l’énergie. Elle souhaite que l’Agence soit dotée à cette fin de moyens puissants. Elle invite, encore une fois, les Pouvoirs publics à ne pas subventionner la consommation d’énergie
      Pour être équitable, il faut rappeler qu’au Sénat, toujours dans le cadre de la loi de finances, avait été adopté le rapport Pintat beaucoup moins critique que celui de l’Assemblée Nationale: nous avions d’ailleurs publié (avec analyse et comparaison) les 2 rapports (Gazette 15/16 -1978, voir ci-dessus) et diffusé une copie du rapport dans son format Journal Officiel, copie effectuée sur l’offset du LPC. Le JO nous en avait donné l’autorisation, étant incapable de nous fournir les quelque 1.000 exemplaires que nous lui avions commandés!
     C’est aussi en 1977 que le GSIEN a co-écrit le numéro spécial de Que Choisir «le face à face nucléaire» tirée à 350.000 exemplaires. 4 associations: la Confédération Française Démocratique du Travail, le Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire, la Fédération Française de Sociétés de Protection de la Nature et les Amis de la Terre se sont confrontés à EDF en 60 pages.
     Pour résumer:
     EDF titrait «le débat doit se poursuivre», le GSIEN «Tous les risques n’ont pas été correctement évalués», la CFDT «Une pause de trois ans et un grand débat national», les Amis de la Terre «Opposition catégorique à l’énergie nucléaire» et la FFSPN (devenue FNE) «Il faut adopter une nouvelle stratégie énergétique».
     Force est de constater avec le recul que la Commission des Finances (rapport Schloesing) avait pointé ce qu’il convenait de faire. Quant au dossier Que Choisir, il ne s’est pas défraîchi 36 ans plus tard!!
     En 2013, il faut bien admettre que, même si on a progressé, ce fut fort lentement. Le nucléaire a pesé lourdement, comme le prédisait l’appel des 400, sur la politique énergétique. Même si il est plus ou moins admis qu’il faut diversifier les sources d’énergie, cette diversification n’est toujours pas réalisée 30 ans après les premiers rapports...
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     La participation aux instances officielles
     Le GSIEN a également été entendu par le Conseil de l’information sur l’énergie électronucléaire présidée par Madame Simone Veil. Ce Conseil était composé de:
     - 4 représentants des communes concernées par l’implantation de centrales nucléaires: Gravelines, Cruas, Chinon, Flamanville,
     - 6 représentants d’associations ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement: Nature et Progrès, Jeunes et Nature, Union Régionale du Sud-Est pour la Sauvegarde de la Vie, de la Nature et de l’Environnement, Fédération française des Sociétés de Protection de la Nature,
     - 4 membres des académies scientifiques et
     - 4 personnalités qualifiées dans le domaine de l’énergie, de l’économie et des techniques de communication: Antenne2, TF1, Commission énergie du VII plan, Club de Rome.
     Il avait été créé suite à la manifestation contre Superphénix (1977). Le GSIEN a participé à deux réunions (sur 4 ou 5):
     * une sur la sûreté des réacteurs suite à l’accident américain (Three Mile Island)
     * et l’autre sur les déchets et la levée du secret des chercheurs du CNEXO, à propos de la centrale de Plogoff (Rapport d’activité 1979 et 1980 – Documentation  Française).
     En 1979 (accident de TMI) puis en 1986 (Tchernobyl), le GSIEN a accueilli au LPC de nombreux journalistes et la salle de conférence a abondamment été utilisée.
     En 1981, l’équipe GSIEN du LPC s’est égayée dans divers ministères (industrie, écologie…) et agences telle l’AFME (Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie), mais un noyau est resté au Collège.
     Un membre a été nommé au Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire (1981), devenu en 1986 Conseil Supérieur de la Sûreté et de l’Information Nucléaires, puis Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire en 2006 (nomination en 2008).
     1981 a vu la naissance (reconnue par une circulaire du Premier Ministre) des Commissions Locales d’Information (CLI) auprès des sites nucléaires. Elles ont été créées à l’image de la Commission Locale de Surveillance de Fessenheim (1977), sauf qu’elles n’avaient que la fonction information.
     Le GSIEN a participé aux diverses commissions pluralistes (Castaing- cycle du combustible puis Superphénix, Turpin- centre de stockage de la Manche) des années 1980-90. Il a été entendu par le tout neuf Office Parlementaire des Choix Scientifiques et Technologiques avec une audition au moment de Tchernobyl, puis sur les déchets, la radioprotection, la sûreté des réacteurs.
     Le GSIEN a commencé à répondre aux questions des CLI et à réaliser des expertises de réacteurs nucléaires (première visite décennale de Fessenheim 1 en 1989, deuxième visite décennale de Fessenheim 1 et 2 en 1999 et 2001). Les réunions de travail en 1989, première visite décennale, avaient eu lieu au LPC et il n’y eut aucune réunion avec EDF: c’est la Direction de la Sûreté et de l’Information Nucléaire qui soutenait cette initiative de la CLI contre l’avis d’EDF.
     Par contre en 1999 avant la remise officielle à la CLI du rapport d’expertise de la visite décennale n°2 de Fessenheim 1, une réunion s’est tenue au LPC avec EDF. L’exploitant, cette fois, avait accepté le principe de cette expertise, signé une convention d’accès aux documents, le tout sous l’égide de l’Autorité de Sûreté. Il y avait un très net progrès.
     En 1998, la ministre de l’Ecologie Dominique Voynet a attribué la légion d’Honneur au GSIEN et la remise en fut faite à la présidente Monique Sené au LPC en présence de Marcel Froissard et de tout le personnel. Tous méritaient d’être associés à cette distinction accordée au GSIEN pour leur soutien pendant tant d’années (23 ans).
     Et pour finir, le GSIEN est une association loi 1901 ce qui nous a permis de transmettre des informations sans révéler nos sources: des articles de la Gazette ne sont pas signés pour garantir l’anonymat de leur rédacteur.
     Le GSIEN a longtemps travaillé avec des groupes locaux (Bordeaux, Caen, Grenoble, Lyon, Marseille, Strasbourg), ce qui lui permettait de s’investir localement.

     34 ans d'expertise "pluraliste" se déclinent ainsi:
     - 1989: Expertise de la VD1 de FES1 à la demande de la CLS avec l’équipe:  Pr Gillon - laboratoire de Mol -Belgique, l’Oko Institute (Allemagne), Pr J. Benecke (Munich-Allemagne), P. Petitjean (GSIEN), R. Sené (GSIEN)
     - 1991: Expertise avec l’Equipe Cousteau de la sûreté de la centrale de Kosloduy (équipe: Pollard –USA et R. Sené-GSIEN) après le constat par l’équipe Cousteau d’une pollution radioactive du Danube.
     - 1992: Analyse, à la demande de la CLS des réponses d’EDF aux questions des experts de la CLS lors de l’analyse de la VD1 de FES1 (R. Sené- GSIEN)
(suite)
suite:
     -1994: Audition au Conseil Fédéral Helvétique à Berne sur le problème des déchets mis en dépôt intermédiaire (dit entreposage en 2008), à la demande de la Commission énergie du Grand Conseil genevois (M. Sené)
     -1999: Expertise de la VD2 de FES1 à la demande de la CLS (équipe GSIEN: J.M  Brom, G. Gary, M. Sené, R. Sené)
     - 2000: Expertise de la VD2 de FES2 à la demande de la CLS (équipe GSIEN: J.M  Brom, G. Gary, M. Sené, R. Sené)
     - 2002: Analyse du dossier d’enquête publique de modification d’une installation de recherches: GANIL  -Grand Accélérateur National d’Ions Lourds) à la demande de la mairie de Caen (équipe GSIEN: M. Sené, R. Sené)
     - 2002: Analyse du dossier d’enquête publique de demande d’extension d’une ICPE autorisée –Service hospitalier Frédéric Joliot – Orsay, à la demande de la CLI de Saclay (M. Sené)
     - 2003: Expertise de la VD2 de Blayais1 à la demande de la CLI du Blayais (équipe GSIEN: G. Gary, M. Sené, R. Sené)
     - 2003: Participation à l’élaboration du plan de mesures autour du site minier de Saint Priest la Prugne (site Limouzat-Bois Noirs) (M.Sené)
     - 2004: Analyse du dossier d’enquête publique de CEDRA (Centre d’Entreposage de Déchets Radioactifs – site de Cadarache) à la demande de la CLI de Cadarache (équipe GSIEN: M. Sené, R. Sené)
     - 2005: Expertise de la VD1 de Golfech2 à la demande de la CLI de Golfech (équipe GSIEN: G. Gary, M. Sené, R. Sené)
     - 2005: Expertise du dossier de sûreté de l’EPR sur quelques points précis (sûreté du réacteur, quantité de déchets et exclusion de rupture sur les équipements sensibles) dans le cadre du Débat Public EPR (M. Sené, R. Sené)
     - 2006: Analyse du dossier de demande d’exploiter l’ICPE IPHI (Injecteur de Protons de Haute Intensité) sur le site du CEA-Saclay, à la demande de la CLI. (M. Sené)
     - 2006: Analyse du dossier d’enquête publique pour l’autorisation de l’installation SAPHIR destinée à caractériser les colis de déchets, à la demande de la CLI. (M. Sené)
     - 2006: Analyse du dossier d’enquête publique de création de Flamanville 3 (EPR) à la demande de l’ANCLI et de la CLI (M. Sené)
     - 2006: Analyse du dossier d’enquête publique de l’autorisation de chargement en combustible MOX des réacteurs 5 et 6 de Gravelines à la demande de la CLI et en collaboration avec un groupe de travail de la CLI. (M. Sené)
     - 2006: Aide à l’établissement du cahier des charges d’une étude radioécologique autour du site de Cadarache à la demande de la CLI de Cadarache.
     - 2007: Analyse du dossier d’enquête publique à propos des demandes des rejets liquide et gazeux et des prélèvements d’eau des diverses installations du site de Saclay «dossier Global Centre», à la demande de la CLI de Saclay. (M. Sené)
     - 2008: Analyse de la demande d’exploitation ICPE radioactives dans une INBS fermée et assainie à la demande de la CLI. (M. Sené)
     - 2009: rapport pour la Ville de Bâle sur la VD3 de Fessenheim 1
     - 2009: Expertise de la VD2 de FES1 à la demande de la CLIS (équipe GSIEN: J.M  Brom, G. Gary, M. Sené, R. Sené)
     - 2010: Expertise de la VD2 de FSH1 à la demande de la CLS (équipe GSIEN: J.M  Brom, G. Gary, M. Sené, R. Sené)
     - 2010: expertise de l’enquête publique de création de l’INB GANIL à Caen
     - 2011: Expertise de la VD2 de FSH2 à la demande de la CLS (équipe GSIEN: J.M  Brom, G. Gary, M. Sené, R. Sené)
     - 2011: Rapport sur les Evaluations Complémentaires de Sûreté.
     - 2012: Analyse des Dossiers d’Aptitude à la poursuite de l’Exploitation de FSH1 ET FSH2

     En Conclusion
     Cela fait 34 ans que le GSIEN assume des expertises. Maintenant, son ambition est de permettre à des groupes plus jeunes de s'approprier les connaissances accumulées et d'assurer la relève de cette expertise pluraliste. Il est certain que la recherche est éloignée de l’expérience industrielle. Cependant, il n’est pas demandé des experts pointus, mais des généralistes, capables de lire des dossiers et de les comparer, de les analyser et d’en faire un suivi.
     Le GSIEN a bénéficié de l’aide sans faille de Marcel Froissart: qu’il en soit ici remercié. Il est probable et quasiment certain que l’aventure GSIEN aurait été écourtée s’il ne nous avait pas soutenu.
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