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G@zette N°265, septembre 2012

Et la série continue: après Fukushima, incendie à Penly, défauts cuve à Doel 3 - Belgique...
ACN France / ANCCLI
CONVENTION D’AARHUS ET NUCLEAIRE: SYNTHESE
Juillet 2012
PARTIE 2: Synthèse des recommandations pour améliorer l’information et la participation du public aux processus décisionnels en articulant les niveaux territoriaux et le niveau national



    La Convention d’Aarhus, la Charte de l’environnement et la loi TSN prévoient l’information des citoyens et leur participation au processus de décisions pour les activités impactant l’environnement dont les activités nucléaires.
    Or la participation effective des acteurs de la société à l’instruction des dossiers en amont des décisions nécessite que des conditions essentielles soient remplies:
    - Les acteurs de la société doivent avoir accès à l’expertise, avoir une connaissance des expertises existantes et disposer des moyens de construire une instruction citoyenne des dossiers techniques,
    - Toute concertation ne peut se faire que dans la durée, le temps n'est pas un ennemi: utilisé de manière optimale il augmente les chances de succès,  car il permet aux différents  acteurs d'apprendre à dialoguer, de s'informer, de monter en compétence...
    - La concertation doit pouvoir influencer les décisions : la manière dont elle est prise en compte tout au long du processus de décision et dans les décisions finales doit être explicitée.

Recommandations relatives aux processus de concertation en amont des décisions
    C’est seulement dans la durée que les acteurs de la société et en premier lieu les CLI (institutionnel et Gazette) et l’ANCCLI pourront construire une connaissance générale des enjeux techniques liés à une installation ainsi que leur compréhension des enjeux de sûreté, de radioprotection et d’environnement qui y sont attachés. Il apparaît, donc, que sur tous les sujets: concertation, participation et leurs corollaires: accès à l’expertise, montée en compétence et avis sur les dossiers, le temps est une variable incontournable pour que les divers acteurs puissent participer au processus d’information/participation.
    C’est cette «instruction continue» qui peut permettre le moment venu aux acteurs de la société de donner un avis motivé sur un dossier particulier. Il est donc essentiel que la participation des acteurs de la société au moment des procédures s’insère dans une démarche de concertation continue non seulement pendant celles-ci mais aussi en amont et en aval. Il est également important d’articuler les différents niveaux de décision entre les décisions stratégiques qui relèvent du niveau national et les décisions qui relèvent des territoires.

    I: Continuité et cohérence de la participation à toutes les étapes du processus décisionnel  et amélioration des procédures
    Pour que la participation du public au processus décisionnel soit effective, plusieurs conditions doivent être réunies.
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    Tout d’abord il faut que cette participation puisse avoir une influence réelle sur la décision. L’influence réelle suppose deux conditions: en premier lieu que la participation intervienne quand tout est encore possible, donc dès la réflexion menée sur le cadre stratégique (ex.: quelle stratégie de démantèlement en France) et jusqu’à la fin de vie d’un projet (ex.: l’enquête publique sur le démantèlement de la centrale nucléaire de Brennilis). En second lieu que les résultats de la participation soient pris en compte par le décideur.
    Un des éléments importants est aussi celui de l’animateur de la concertation, gage d’impartialité de la procédure de participation.
    Dans le cas des enquêtes publiques, il faut également donner plus de temps aux CLI pour s’emparer des dossiers d’enquêtes publiques et s’assurer que les contraintes réglementaires des procédures existantes n’y font pas obstacle.

     Recommandation n°1: développer la participation au processus décisionnel sur les grandes orientations stratégiques, les plans et programmes, quand toutes les options sont encore ouvertes:
    - En élargissant le cadre des discussions menées sur les orientations stratégiques en amont de la prise de décision. Exemple: ouvrir le comité de réflexion sur la Programmation Pluriannuelle des Investissements (PPI) (pdf) afin de faire plus de place aux représentants de la société civile et aux représentants des sciences humaines et sociales.
    - En généralisant le recours au débat public dans le processus décisionnel sur les orientations stratégiques, plans et programmes en l’adaptant à un cadre national notamment en ce qui concerne les règles de publicité, le débat public ayant été pensé à l’origine pour intervenir sur un projet.

    Recommandation n°2: assurer la cohérence, l’harmonisation et la continuité de la participation:
    La mise en oeuvre concrète de cette recommandation fait l’objet de plusieurs propositions:
    - Améliorer l’usage des outils actuels que sont l’enquête publique et le débat public en agissant notamment sur la traçabilité des questions/avis/réponses
    - De façon additionnelle, faire suivre par une instance pluraliste l’ensemble du processus de participation, qu’il s’agisse d’une instance spécifique au nucléaire comme le HCTISN ou d’une instance généraliste comme la CNPD. Cette proposition pourrait être expérimentée pour un projet soumis à la fois à débat public et enquête publique.
    - Motiver systématiquement la décision administrative au regard des résultats de la participation (ex. modèle CHSCT). La décision administrative doit prendre en compte les résultats de la participation et expliquer précisément ce qui a été écarté et ce qui a été conservé et sur quelles motivations. Ce processus permet de construire la participation à la décision car à chaque étape est construit le socle officiel et connu de l’étape suivante.

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    Recommandation n°3: Renforcer le rôle des tiers garants  pendant les procédures en leur donnant notamment un rôle de facilitateur dans l’accès à l’information.
    Les deux procédures de l’enquête publique et du débat public font intervenir un tiers extérieur neutre qui encadre la procédure: la commission du débat public pour le premier et le commissaire enquêteur pour le second. Gage d’impartialité de la procédure de participation, leur rôle est aujourd’hui limité et leur désignation parfois controversée. Il convient de:
    - Donner au tiers garant (la Commission particulière du débat public ou les commissaires enquêteurs pour les enquêtes publiques) un rôle de facilitateur dans l’accès à l’information.
    - Donner au tiers garant les moyens techniques et financiers de faciliter les débats (notamment pour les commissaires enquêteurs) en participant notamment à la compréhension du projet et des opinions diverses:
    - Permettre l’expression des opinions diverses (pratique des cahiers d’acteurs développée lors de plusieurs débats publics) et ainsi mettre en débat des arguments pour et contre.
    - Prévoir l’organisation de réunions publiques pour la procédure de l’enquête publique, moyen aujourd’hui peu utilisée par les commissaires enquêteurs. La réforme de l’enquête publique fait un peu évoluer la situation. Il convient d’inciter au développement de la pratique des réunions publiques organisées par le commissaire enquêteur.
    - Recourir à la contre-expertise, notamment à l’initiative du tiers garant (ex. analyse contradictoire demandée par la CPDP à des experts non institutionnels en amont du débat public sur les déchets radioactifs) ou encore de la CLI lors des procédures d’enquête publique. Cette recommandation ne fait pas l’unanimité du groupe de travail. Il est fait  remarquer qu’il y a déjà deux expertises: celle du porteur de projet et celle de l’autorité de contrôle non encore disponible pour le public lors de l’enquête publique. Une réflexion mériterait d’être engagée pour donner de la visibilité au public sur l’expertise de l’autorité de contrôle pendant les procédures.
    - Généraliser la constitution d’un document de vulgarisation de 4 pages qui présenterait l’ensemble des points de vue et qui n’émanerait pas uniquement du porteur de projet (ex. un peu sur le modèle de ce qu’EDF avait fait sur Brennilis mais que la commission d’enquête a décidé de ne pas diffuser). Ce document pourrait être rédigé par le porteur de projet et visé par l’autorité environnementale. Le tiers garant (commissaire enquêteur ou commission du débat public) pourrait aussi être associé à la rédaction.

    Recommandation n°4: donner plus de temps aux CLI pour s’emparer des dossiers d’enquête publique
    En tant que corps intermédiaire, la CLI peut avoir un rôle d’interface entre le grand public et le porteur de projet pour faciliter la compréhension. Les membres du groupe recommandent qu’un premier avis de la CLI soit joint au dossier d’enquête publique afin que le public puisse avoir connaissance de cette position avant de s’exprimer et que la possibilité soit ouverte à la CLI de formuler, si elle le souhaite, un deuxième avis, après la clôture de l’enquête publique.
    Pour cela, la CLI a besoin d’être en situation de rendre un avis éclairé sur le projet avant le démarrage du temps officiel de la participation (l’enquête publique), ce pour quoi elle manque aujourd’hui de temps et d’accès à l’expertise.
    Deux enjeux sous-tendent cette problématique: comment ne pas allonger les délais pour l’exploitant tout en donnant plus de temps à la CLI; comment ne pas créer de risque juridique pour l’exploitant tout en donnant des informations à la CLI?:
    - Le dossier d’enquête publique peut déjà être transmis à CLI le plus en amont possible, au moins en même temps qu’à l’autorité environnementale. Cette recommandation est partagée par l’ensemble des membres du groupe et il semble qu’il n’y ait pas de risque juridique à des échanges sur le dossier entre la CLI et l’exploitant en amont du lancement officiel du temps de participation.
    - En revanche, le principe de l’intangibilité du dossier d’enquête publique suscite des interrogations quant à la possibilité juridique, pour les exploitants, de répondre aux questions de la CLI au cours du temps de la participation. Afin de clarifier la situation le groupe recommande une étude de jurisprudence qui permette d’assurer aux exploitants une absence de risques juridiques s’ils répondaient aux questions des CLI sur le dossier d’enquête publique pendant que la procédure est en cours.
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    - Enfin, pour pouvoir donner un avis éclairé, il faut que la CLI puisse accéder à une expertise autre que celle de l’exploitant, il peut s’agir de celle de l’IRSN et/ou d’un expert extérieur. En ce qui concerne l’accès des membres de la CLI à l’expertise de l’IRSN, le groupe recommande d’améliorer la flexibilité de l’instruction afin de pouvoir apporter certaines réponses aux CLI sur les aspects techniques du dossier. Attention, il ne s’agit pas de faire en parallèle une contre-expertise technique pour la CLI.
    - De plus, pour que les CLI puissent s’emparer efficacement d’un dossier donné, il faut aussi les informer de toutes les procédures administratives concernant l'installation, et des avis rendus même si l’avis de la CLI n'est pas requis.

II: Lieux et processus de concertation en amont de la création d’une installation
    Un cas particulier est lié à la création d’une installation (stockage de déchets par exemple) en un endroit où il n’y a aucune installation et donc aucune instance locale ou territoriale.
    Pour guider un tel processus une entité nationale s’avère nécessaire: le HCTISN pourrait être ce référent national, permanent et de composition pluraliste.
    Il conviendrait ensuite que soient mises en place des entités locales des territoires concernés, relais entre les demandes des citoyens et les réponses officielles (exploitants, autorité, experts). Ces entités contribueraient à la concertation et à une prise de décision tenant compte de cette concertation entre les niveaux local, territorial et national.
    Pour mettre en place de telles structures il faudra des moyens financiers et humains.
    Si le projet aboutit il faudrait enclencher un processus de suivi sur le long terme: création de CLI.

    Recommandation 5: en cas de besoin de création d’une installation (exemple un stockage de déchets), mettre en place des entités référentes (nationales, territoriales, locales) permanentes et prévoir les moyens humains et financiers pour que le public puisse s’approprier le dossier dans toutes ses composantes et intervenir dans le processus décisionnel.
    Pour présenter clairement un projet, il faut:
    - Disposer d’un calendrier en précisant les étapes. Ce calendrier sera évolutif notamment pour pouvoir intégrer de nouvelles données techniques, de nouveaux contextes législatifs ou économiques, voire politiques. L’entité référente nationale le tiendra à jour et le rendra toujours accessible.
    - Permettre une information des citoyens très en amont de la réalisation d’un projet, pour qu’ils puissent s’approprier sa composante technique (IRSN et experts associatifs) et intervenir dans la prise de décision en toute connaissance des divers enjeux.
    - Informer sur tous les développements techniques, financiers, environnementaux.
    - Transmettre toutes les analyses des instances officielles pour que les citoyens puissent  construire leur questionnement.
    - Montrer l’avancement du projet et la prise en compte des questionnements, même pour expliquer pourquoi une proposition n’est pas retenue.
    - Accepter de le modifier en utilisant les compétences locales.

    Recommandation 6: donner accès aux dossiers très en amont des phases réglementaires (débat public, enquête publique, consultation, etc.), informer sur la progression du projet, avoir un calendrier précisant les diverses étapes mais révisable selon les résultats des étapes, utiliser le HCTISN comme garant et les CLI comme courroie de transmission, ouvrir le débat à tous.
    Entre la CLI, l’ANCCLI et les instances (exploitants, autorités, ministère) doit s’instaurer des échanges, une mutualisation des connaissances. L’accès à l’information et à l’expertise permet aux acteurs locaux de participer. Mais participer n’est pas encore la concertation. Pour construire une concertation, il faut faire l’effort de motiver les décisions étape après étape. Cette approche généralement pas (peu) pratiquée en France, permet de jalonner le processus décisionnel.
    Il faut:
    - Veiller qu’à chaque étape, les arguments ayant fondé une décision soient communiqués au public.
    - Publier les questions soulevées lors des consultations, ainsi que les réponses apportées.

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    - Veiller à ce que les résultats des procédures de participation du public, soient dûment pris en compte.
    - Motiver les décisions à chaque étape du processus décisionnel, chacune étant le socle officiel et connu de l’étape suivante.

    Recommandation 7: motiver les décisions à chaque étape du processus pour que la participation enclenche la concertation, permettant de peser sur le processus décisionnel.
    Il ne faut pas limiter les échanges entre les citoyens, les instances (exploitants, autorités, ministères), les CLI et l’ANCCLI à l’instauration d’un dialogue éphémère (enquête publique, débat public, etc.). En effet, il est nécessaire que s’instaure un suivi des installations. Il est donc essentiel que sur le long terme s’établissent des échanges permettant ce suivi continu des installations.
    Il serait intéressant de prévoir une convention permettant d’avoir accès aux divers dossiers de l’exploitant, aux lettres de suivi d’inspections de l’ASN, aux expertises de l’IRSN. Dans ce cadre s’inscriraient des modalités de financement permettant à la CLI de piloter des expertises techniques, environnementales et de santé. Pour ce pilotage les CLI doivent pouvoir se doter d’un secrétariat scientifique (attaché scientifique, secrétaire).

    Recommandation 8: Assurer le suivi sur le long terme par la signature d’une convention multipartite entre les différents acteurs des niveaux national, régional, départemental et local. Cette convention inclurait des modalités de financement tant pour diverses études que pour un secrétariat. Il faut aussi assurer la mutualisation des connaissances entre les CLI.

III : Accès à l’expertise et montée en compétence
    L’enjeu de l’accès à l’expertise – en termes de participation des acteurs de la société au processus décisionnel – n’est pas la production d’une expertise scientifique de plus mais celui de l’instruction citoyenne de dossiers techniques à deux fins majeures:
    - en appréhendant les enjeux et les nourrir du questionnement de la société,
    - en interpellant efficacement les porteurs des dossiers techniques afin d’influer sur les décisions.
    Une telle instruction citoyenne implique une certaine maîtrise des enjeux techniques par les acteurs de la société civile, c’est-à-dire une «montée en compétence» sur les sujets abordés s’appuyant sur une médiation entre les préoccupations citoyennes et les enjeux techniques. Celle-ci s’opère notamment en interne aux CLI (ou autres instances) et est fortement facilitée par la présence en leur sein de personnalités qualifiées.
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    Recommandation 9: Assurer l’accès des CLI (ou autres instances de concertation) à toutes les connaissances et évaluations disponibles sur un dossier qu’elles doivent instruire: dossiers antérieurs de l’exploitant, avis de l’autorité et des experts, publics ou autres. Dans le cadre des procédures, cela nécessite notamment qu’elles disposent des différents avis émis lors de la procédure au moment où ils sont disponibles.

    Recommandation 10: Engager un dialogue technique dans la durée au-delà des procédures administratives, notamment sur des thématiques génériques:
    - avec les exploitants en amont des dossiers formels;
    - avec l’autorité de contrôle et l’IRSN, par exemple sur les enjeux de sûreté associés à des thématiques génériques.

    Recommandation 11: Favoriser la médiation technique au sein des CLI et autres instances de concertation en:
    - les dotant d’un secrétariat technique préparant l’instruction des dossiers techniques;
     - reconnaissant l’importance du rôle des membres de CLI de manière analogue aux membres des institutions représentatives dans les entreprises (heures de délégation, prise en compte des frais de déplacement);
    - reconnaissant le rôle d’expertise au service des CLI dans la mission des universités et autres organismes scientifiques publics, en particulier par la présence de membres dans les CLI.

IV : Mise en œuvre concrète des recommandations
    L’application des recommandations ci-dessus demande un apprentissage par tous les acteurs concernés qui passe par leur mise en œuvre sur des dossiers concrets.
    Il est donc important de mutualiser les bonnes pratiques au niveau national entre tous les acteurs, non seulement CLI, ANCCLI et associations mais aussi exploitants, autorités, experts et HCTISN.
    Par ailleurs, la plupart des recommandations ne sont pas conditionnées à la mise place de nouvelles dispositions réglementaires, mais il est également nécessaire de garantir la sécurité juridique des porteurs de projet et de vérifier si des dispositions législative ou réglementaires pourraient faire obstacle à leur mise en œuvre. Deux exemples de telles questions sont la possibilité  de développer un dialogue technique incluant des questions et des réponses entre les CLI et les exploitants lors d’une enquête publique ou encore la possibilité pour les exploitants de transmettre des documents non définitifs de manière anticipée par rapport aux dossiers réglementaires.

    Recommandation 12: identifier quelques dossiers ou thématiques concrètes d’intérêt général à travers lesquels pourrait être conduite une expérimentation des recommandations.

    Recommandation 13: mener une analyse juridique pour préciser les contraintes éventuelles imposées par les procédures existantes (enquête publique, débat public) et les obstacles éventuels à la mise en place des recommandations ci-dessus.

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