LE POIDS DES... MAUX, LE CHOC DES INFOS
    L'Ethiopie c'est fini, l'Angola c'est fini, le Libéria aussi... "On" en a parlé, maintenant c'est fini. Je n'irai pas jusqu'à dire que l'Occident se fiche de leurs victimes mais peu à peu "on" s'est habitué à ne pas donner la même valeur aux leurs qu'aux nôtres; à tel point qu'une catastrophe en Inde par exemple ne mérite pas ce nom s'il n'y a pas au moins cent morts. La Somalie, grâce à la "provocation" de Boutros Ghali, dont j'avais fait récemment écho, a été..."couverte" par les médias; et maintenant déjà, il faut chercher les entrefilets pour suivre l'évolution des événements. Sauf quand une "figure" suffisamment "charismatique" (c'est le terme maintenant usuel et pourtant usurpé) se déplace. Avec la Yougoslavie on se donne le grand frisson, c'est proche et ça nous ressemble, mais ça n'empêche pas que fleurissent partout les "reality shows", avec l'Audimat comme arbitre, nouveau grand gérant de notre société; parce que dans cette logique du "thriller", il n'y a qu'une solution: la surenchère. Avec le danger évident de banalisation. C'est un peu comme une drogue: lorsque la dose ne suffit plus il faut l'augmenter

Et la question la plus (ou la moins?!) généralement posée est plus celle de la survie des médias que celle des affamés. Dans ce contexte, il est d'abord question de rentabilité: pas question de parler du Libéria tant qu'il y a à dire et à voir sur Sarajevo; on pare donc au plus pressé au risque de tomber dans la "fast-info" (et entre parenthèses, la disparition d'un ancien premier ministre a remis en évidence le peu de confiance que le public accorde aux journalistes...). Autre chose: on joue aussi trop avec les mots, on en abuse, sans même parfois savoir ce qu'ils veulent dire; il en est ainsi actuellement du "partage du travail": pourquoi ne parle-t'on pas de partage du chômage ou mieux, du partage des richesses? Il y a manipulation des mots et des concepts; l'information est faussée dès le début. Avec la notion du tiers monde, c'est la même chose: il suffit de classer un pays dans cette catégorie pour que tout le monde pense à famine, ventres gonflés sécheresse, catastrophe...

Pourtant il y existe aussi (au Brésil et en Inde en particulier) des fortunes "incroyables": incroyables si l'on ne veut pas croire que nous y avons "trempé" et même que nous les avons permises. Et pourtant il existe tant d'expériences et réussites exemplaires sur lesquelles réfléchir, tant d'exemples que l'on cache, probablement parce que paradoxalement on se complaît dans l'inéluctable. Voilà où nous mène et particulièrement nos enfants, de n'avoir plus à la maison, comme seul journal, que le "journal" télévisé. L'impact de la TV, notamment sur eux, est indéniable et nous pourrions véritablement en faire un outil d'éducation et de formation; et le premier pas ne serait-il pas que parents et enfants sachent "commettre" le geste parfois si salvateur: éteindre le poste?! De plus, distinguer information, fiction, communication, propagande, divertissement et publicité (oh, le "joli" sujet de réflexion!) n'est pas toujours si facile et encore une fois surtout pour nos enfants: ainsi, les "reality show" sont-ils de l'info, du divertissement, de la fiction?

Quant à la "sponsorisation"(!), nous avons, par exemple, Danone qui parraine une série de courtes émissions de "morale" destinée aux enfants, et Rhône Poulenc un magazine de l'aventure et des grands espaces, se donnant ainsi une image "écolo" et de respect de l'environnement loin de la réalité, notamment en ce qui concerne ses usines établies dans les pays du tiers monde (encore lui...). Descartes n'a peut-être pas écrit de "journal", mais comment ne pas être tenté de paraphraser son "je pense donc je suis" par: "je pense donc je doute"!

La dernière création médiatique, c'est "humanitaire"; j'ai déjà rappelé ""qu'il y avait tant d'humanitaires que parce qu'il n'y avait plus d'humanités"". Bernard Kouchner a toujours affirmé que l'humanitaire devait savoir être tapageur pour se faire une place (au soleil du tiers monde?...). C'est sans doute vrai mais aussi très pervers: cela signifie que SANS CAMERA, L'HUMANITE N'EXISTE PLUS. Et on devine le désarroi, voire la colère de tous ceux qui travaillent dans leur coin de brousse lorsque seuls les "pros du faire savoir" tirent les marrons du feu médiatique. Dans ce domaine il existait tout simplement "humain" ou "humaniste". On a donc préféré humanitaire...

Pour terminer sur le tiers monde, si l'on reste indifférent à la situation de la jeunesse algérienne ou cambodgienne par exemple, on se prépare des lendemains particulièrement chauds et je ne répéterai jamais assez qu'il est dans notre intérêt à tous (je ne parle pas de charité et encore moins de culpabilité, mais de responsabilité) de regarder ce qui se passe au "Sud", ne serait-ce que d'un point de vue "égoïste", si l'on ne veut pas d'une explosion des migrations dans les années à venir; et les changements dans les "codes de nationalité" n'y feront pas grand-chose... Ce sera déjà un grand pas d'effectué, pour le plus grand bénéfice des uns et des autres et en particulier de ceux qui meurent en silence - de faim ou de violence - aux quatre coins du monde.

Yves Renaud