DE KING A MALCOLM X
Voici 25 ans, le 4 avril 1968, Martin Luther King était assassiné à Memphis. En ce temps d'anniversaire, ce n'est pourtant pas le visage du grand prédicateur, héraut de la lutte pour les droits civiques des années 60, apôtre de la Non Violence (sur le modèle de Gandhi) et Prix Nobel de la Paix en 1964 qui occupe le devant de la "scène" (c'est le cas de le dire) actuellement: loin devant se tient en effet le "king" médiatique d'aujourd'hui Malcolm X, assasiné à Harlem le 21 février 1965. Pourtant, comme le souligne l'historien Michel Fabre "Les Black Muslims représentaient 400000 personnes; c'est beaucoup, mais on est très loin des millions de Noirs que Martin Luther King entraînait dans son sillage". Et pourtant aussi, quelle unanimité dans l'indifférence télévisée qui frappe ML King: hormis un écho un peu tardif sur Arte le 15 Avril (et encore, MLK n'y est apparu qu'en filigrane), silence sur les chaînes.

Mais d'aucuns penseront que si Malcolm est redevenu la figure emblématique de la jeunesse noire des ghettos nord-américains et celle aussi d'une partie des jeunes des banlieues de France, cela est dû malgré tout à la sortie fracassante du film "fleuve" de Spike Lee, qui retrace la vie du militant afro-américain. Pourtant si le film a une telle audience, surtout parmi les jeunes des minorités ethniques des quartiers populaires, c'est d'abord parce qu'il devait y avoir ce besoin de voir Malcolm X restitué vivant.

En effet, les progrès juridiques dont Martin Luther King a fait bénéficié ses compagnons noirs, ne se sont hélas pas prolongés dans une amélioration suffisante de tous leurs statuts, en particulier économique et social; en avril de l'année dernière, les émeutes de Los Angeles (59 morts et 2300 blessés...), Las Vegas, Atlanta, San Francisco,... nous l'ont rappelé. La majorité des Noirs a continué d'être méprisée et marginalisée pour une seule raison: la couleur de la peau; ce qui semble donner raison au discours du leader musulman qui ne croyait pas en la conversion du système américain; n'oublions pas que son père avait été assassiné par le Ku Klux Klan (comme nous ne devons surtout pas oublier que ML King, lui, ne voyait pas ""comment les Noirs, 10% de la population, auraient pu prendre le pouvoir par la violence alors que les Blancs détenaient toute la puissance de répression"": comment d'ailleurs ne pas faire le lien avec le geste du Roi du Danemark que j'ai relaté dans une précédente chronique?!...).

Dans nos banlieues populaires, où la capacité du système français à faire place aux jeunes d'origine maghrébine est de plus en plus contestée par ces derniers, Malcolm X apparaît aussi comme une figure de résistance (d'autant plus qu'il a embrassé l'islam...).

Aux Etats-Unis comme en France, les Blancs ont eu tendance à opposer Malcolm X et Martin Luther King. A l'inverse, les Noirs les ont plutôt vus comme complémentaires. Et ils le sont, car même si certaines paroles très violentes du leader des Musulmans Noirs ne peuvent être cautionnées ou approuvées, tous les deux témoignent de la même exigence de dignité.

Alors, même si les médias entretiennent un engouement compréhensible mais démesuré, même si certaines dimensions fondamentales ne sont pas relevées, allons voir ce film (d'ailleurs proposé par l'association Malaïka dans quelque temps à Ferney), car il permet de mieux comprendre cette période, particulièrement riche dans l'histoire des Droits de l'homme.

PS: il n'est sans doute pas inutile, à cause du silence de la presse traditionnelle totalement attachée aux "priorités" opportunistes, de signaler l'hommage passionnant, très documenté, sur MLKing présenté dans le dernier hors-série de la revue (mensuelle...) Non Violence Actualité: près de 100 pages d'histoire et d'analyses pour mieux comprendre la vie et la pensée du leader non violent (ô combien...) disparu

Yves Renaud