Halte dans l'été
Cet été, je me suis délecté d'un livre ( "Une petite robe de fête" de Christian Bobin, venant de paraitre en "Poche" tout récemment.) plein de l'urgence d'attendre, un livre pour arrêter de Faire, un livre pour (enfin) Etre, un livre que l'on pourrait presque qualifier d'inutile dans le sens d'un sentier dans la lande, apparemment inutile, mais nécessaire, comme un chemin sur le causse, un chemin que l'on parcourt comme un livre qu'on choisit parce qu'on ne le connait pas. Lire, c'est pourtant aussi comme arrêter de marcher, on tourne la page comme la fatigue qui appelle le repos, on arrête de marcher comme une page qu'on tourne... Je vous souhaite d'avoir vous aussi lu pendant vos vacances, un tel livre "inutile" et où fleurissent les questions...

L'été se termine donc lentement mais sûrement; cependant il est bon de se rappeler, mais plus difficile d'accepter parfois, que quand quelque chose se termine, autre chose (re)commence (René de Obaldia). Ainsi, même si nous sommes plus sûrement trahis par nos certitudes que par nos doutes et nos interrogations, cette fin, cette mort d'un certain aspect de la vie nous rappelle que la mort est la chose dont nous soyons la plus sûre sur cette terre: cette période de "vacance"(s) pour beaucoup, n'a pas empêché que, pas si loin - puisque beaucoup moins loin que la destination de plus en plus nombreux de nous! -, la mort a continué de frapper. Attention pourtant de ne pas oublier qu'elle a frappé le plus souvent par nos "propres" (?!) mains, aussi bien par nos abus d'insouciance que par les abus de ceux qui, se sentant investis de l'autorité, ont cru en faire un instrument de pouvoir.

"Combien de ruines sous nos santés!" a écrit l'auteur de ce petit livre; il est de plus en plus évident qu'il y a également de plus en plus de morts sous nos silences ou nos fortunes (les secondes étant souvent le fruit des premiers...), que cela soit en parlant du tiers ou du quart monde... En 68, un mur déclarait "sous les pavés, la plage"; j'ai bien peur que ce soit maintenant plutôt le contraire... "Et pourtant elle tourne!": oui, mais ne faisons-nous pas tout ce qu'il faut, non pas pour l'arrêter de tourner (quoique...), mais pour la "retourner"?

En est-ce une conséquence, mais je trouve que la tête nous... tourne devant les prodiges de notre époque, que nous sommes de plus en plus ébahis par son imagination; il me semble au contraire qu'elle en est tragiquement en manque, engluée qu'elle est dans l'événement. A cause de l'invasion de la TV, des médias et de la publicité sous toutes ses formes, les hommes ont le nez collé sur le sensationnel (mais pas au sens propre, qui est "ce qui donne du sens") comme des mouches sur un morceau de sucre. L'événement d'aujourd'hui occulte ainsi de plus en plus vite celui d'hier et ce mouvement... glissant (dans tous les sens du mot!) produit finalement inéluctablement un effet de non-réalité: à force d'être dans l'action du moment on oublie quelque chose de plus important, une dimension qui dépasse cette fraction de temps qui nous est donnée et que nous savons de moins en moins faire fructifier ou simplement partager...

Question: sommes-nous utiles?
Yves Renaud