DIGERER LE DROIT D'INGERENCE...
Il est des formules promises à un bel avenir, surtout si elles ne veulent rien dire! L'abus de cette expression est irritant; vous aurez deviné qu'il s'agit en particulier du cas de la Yougoslavie, mais en fait depuis 1989 on a tout entendu et tout écrit en la matière. Je ne suis pas un spécialiste de droit mais un simple observateur attentif n'arrivant plus à... digérer la "soupe" médiatique et télévisuelle en particulier.

Mais avant tout "l'ingérence n'est pas une question de droit mais de pouvoir" (Mr Cornellio Sommagura, président du CICR), ce que j'aime traduire plus "humoristiquement" par: "soit il y a ingérence parce qu'il ne peut y avoir de droit, soit à l'inverse il y a droit, mais dans ce cas il n'y a plus lieu d' avoir ingérence"!

Ensuite qu'on ne prétende pas qu'il s'agisse là d'une nouveauté: l'ingérence par les forts vis à vis des faibles remonte à l'âge des cavernes et non pas, pour rappeler cette trouvaille de Théodore Monod "à l'âge des casernes"! Les exemples sont donc innombrables et ont toujours été développés de la même manière, c'est à dire en prétendant défendre un droit "sacré", par exemple en affirmant être appelé par les populations elle-mêmes à venir écraser ceux qui les menaçaient. Celui le plus connu de tous: les Croisades, le droit s'affublant ici d'un manteau d'Eglise... finalement pas bien différent du manteau des organisations internationales depuis qu'elles existent.

L'amalgame est nourri d'images chocs dont j'ai parlé récemment: après les livres d'histoire puis le ton inoubliable des fameuses "actualités" du cinéma, il y a eu les corps des enfants kurdes jalonnant les routes glacées des montagnes d'Irak, puis les innombrables cadavres somaliens et maintenant, les milliers de victimes de l'ex-Yougoslavie; le tout sur fond d'émotion collective. Ce qui est plus développé aujourd'hui, c'est le droit d'ingérence humanitaire, pouvant comporter l'utilisation de la force dans le cas où les secours ne peuvent pas parvenir aux victimes (voir aussi le tout récent et tragique exemple de Mogadiscio). Il faut avoir conscience enfin et là plus qu'ailleurs, que l'hyper influence des médias est déterminante: elle est bonne dans la mesure où elle nous incite à intervenir là où il y a urgence, mais il y a des réserves à émettre sur l'effet à long terme de telles actions; que les médias se portent ailleurs et cette ingérence risque de cesser très vite.

Ce qui pourrait être encore plus grave, se serait accepter que le Conseil de sécurité, composé des principales puissance militaires de la planète ne l'oublions pas, dicte le droit international, ce qui aboutirait à légitimer les situations d'inégalité et de domination de... certains Etats (je me permets de ne pas mettre de noms, la plupart des pays occidentaux étant largement visés...) sur d'autres; situation d'autant plus dangereuse qu'aucune instance juridique ne contrôle le bien-fondé et la mise en oeuvre des décisions du Conseil à part l'ébauche de la Cour Européenne des Droits de l'homme, la mise à l'écart de la Cour Internationale de justice étant révélatrice du malaise. Une évidence, au moins: ce qui est bon pour un Etat ne l'est pas forcément pour la communauté des Etats...

Il serait maintenant peut-être nécessaire de rappeler que des alternatives existent: le boycott d'abord, s'il était totalement respecté (l'exemple de l'Afrique du Sud est là pour nous le rappeler), mais surtout la solution, pas nouvelle mais totalement ignorée par les médias, de l'interposition non-violente: on a déjà très peu parlé des actions menées pendant la guerre du Golfe sur la frontière irako-koweitienne, mais on occulte littéralement celles des "Brigades de Paix Internationales" agissant depuis des années, en particulier en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Pour résumer, il s'agit d'un accompagnement 24h sur 24h par des volontaires spécialement formés - évidemment sans armes -, de personnes étant en danger de mort (souvent des paysans sans terre, des syndicalistes, des juristes...) luttant pour tous ceux qui sont spoliés de leurs droits les plus fondamentaux; menaces venant d'exploiteurs individuels, de sociétés, aussi bien que d'Etats.

Il est donc faux de croire et laisser croire que la communauté internationale est démunie pour faire respecter les droits fondamentaux de la personne humaine: ce qui est faux, c'est PAR N'IMPORTE QUEL MOYEN (le plus généralement violent...). Les Etats préfèrent donc créer du "neuf" et donner l'illusion que le droit international avance; il s'agit d'une absence manifeste de volonté politique et pour pallier ce déficit, ils continuent à instaurer des commissions et de grandes conférences... Pour finir sur une boutade, à défaut d'ingérence, essayons de digérer ceci (ce n'est pas de moi mais je ne sais plus qui l'a trouvé...): quand on ne sait pas quoi faire on organise des conférences et quand on ne veut rien faire on fait des résolutions!

(bonne digestion... ou ingestion?)

Yves Renaud