Hommes inanimés avons-nous donc une âme?!
Année anniversaire de la libération des camps de concentration où l'humain était dépouillé de tout, réduit à moins que rien; camps où pourtant le moindre petit rien pouvait signifier la vie, ne serait-ce parfois que pour quelques instants. N'y a-t-il d'ailleurs pas, toutes proportions gardées, un parallèle à faire avec ceux que nous appelons "SDF"?

Ces petits riens qui peuvent donner la vie, petits riens qui pourtant, souvent, peuvent l'encombrer, voire la gâcher. A partir d'eux justement, quelque chose me travaille: je trie, transporte, range, donne, je "déchette" et pourtant j'ai souvent le sentiment d'être envahi. Je pense que, parfois même, ranger n'est qu'un prétexte pour acheter encore. Il s'agit bien sûr d'un phénomène de société mais nous sommes bien responsables de cela. Quoiqu'il y ait aussi à dire à ce sujet, je ne parlerai pas ici des achats destinés à aider des personnes en difficulté localement ou dans le monde, via de nombreuses associations ou à titre privé.

Nous disons très souvent "ça pourra toujours me servir"; pourquoi ne pas plutôt dire "je pourrais toujours bien m'en passer"! Nous accumulons même et surtout dans les greniers et alors, le moment venu où enfin, cela "pourrait servir", nous avons oublié que nous l'avons mis de côté, ou bien nous ne saurons même plus où et nous l'achèterons à nouveau. Qui ne se souvient de ces objets qu'on a laissé trainer des années et qu'on a quand même fini par donner ou par jeter. Que d'énergie perdue entre-temps, alors que dans ce même temps, quelque temps en aurait eu besoin quelque part.

Combien de fois aussi, n'imposons-nous pas un objet de notre choix (de nôtre goût) à quelqu'un sous prétexte de cadeau, y avons-nous déjà pensé? Le fait aussi, d'utiliser si facilement le mot "gadget" plutôt que celui de "truc", nous fait oublier sa signification d'objet sans grande utilité mais séduisant par son aspect nouveau et original: "c'est nouveau, ça vient de sortir" ou pire, "vu à la TV", expression magique de notre société! Enfin, fixer un instant en photo ou en film et même, à la limite aussi, couper des fleurs pour en faire des bouquets (bien que ce point puisse prêter à discussion, si je pense ne serait-ce qu'aux malades), me semblent procéder du même phénomène, car les fleurs avaient peut-être du plaisir à vivre reliées à la terre. Mais nous sommes passés par là et elles sont en train d'agoniser dans un vase, sans autre justification que notre bon plaisir. Et je ne parle même pas des animaux domestiques, en cage ou dans les cirques...

Au lieu d'être avide, d'accumuler pour soi-disant épargner notre peine, ne pourrions-nous pas aussi bien être avides de ne pas accumuler afin d'épargner notre temps... et notre harmonie? D'ailleurs, dans le fond, pourquoi s'accrocher ainsi aux objets si ce n'est par crainte. Je suis persuadé que si nous ne gardions pas d'objets inutiles, nous serions surpris de voir que tout nous viendrait à point sans que nous ayons à nous en préoccuper. Et même si ça ne venait pas, ce ne serait plus un grand problème puisque nous aurions appris à être libres par rapport au manque!

Nous pensons probablement que c'est pour nous soulager que nous nous acquérons ces choses, mais en fait elles n'entrainent trop souvent que plus de tracas (rangement, encombrement, entretien) et en les ayant ce sont plutôt elles qui nous "ont". Nous ne pensons pas non plus assez souvent que le prix que nous l'avons payé ne représente pas seulement notre temps et notre peine, mais aussi ceux de quelqu'un d'autre. Et ce temps ou cette peine, n'est-ce pas contre du vent que nous l'avons échangé, ou contre pire encore que du vent, contre des riens qui nous prennent notre âme? Pour toutes ces raisons, on ne m'ôtera donc pas de l'idée que tout cela a un rapport avec l'exploitation des êtres humains, ceux qui sont morts en crématoires comme ceux qui meurent de froid. Voilà, c'est tout, ce n'est qu'un petit... rien très désabusé, sinon désespéré, mais c'est probablement une chose à méditer, en cette année anniversaire...



Quelques formulations ont été reprises des «Nouvelles de l'Arche» journal d'un mouvement qui, s'inspirant des idées de Gandhi, n'est hélas pas très connu en France mais particulièrement actif actuellement vis à vis de l'arrêt des essais nucléaires français; essais disséminant d'ailleurs sur toute la planète pleins de petits... riens invisibles, mais qui polluent autant la nature que... les esprits.

Yves Renaud