TAXER LES VENTES D'ARMES ?
    La semaine dernière, j'avais presque applaudi une habile provocation de Mr Boutros-Ghali mais terminé ma chronique en disant que la militarisation de l'aide humanitaire était une des conséquences de la militarisation de l'humanité.
    Et bien voici la nouvelle apprise cette semaine "le secrétaire général de l'ONU a eu une bonne idée: pour renflouer les finances de l'organisation, il propose de taxer les ventes d'armes"!
    Outre les interrogations éthiques que cela entraine ("peut-on croire faire pousser la justice en... cultivant l'injustice", "la fin peut-elle justifier tous les moyens"?, etc...) et malgré le peu de place, il semble nécessaire:
1) de dénoncer le tabou que le commerce des armes serait un moteur de l'économie et donc de l'emploi
2) de crier plus que jamais que les ventes d'armes entrainent le mal-développement.
    Avant tout, quelques chiffres, en vrac, ignorés voire cachés par les médias:
- l'arsenal des grandes puissances équivaut à 1 million de fois "Hiroshima" (de quoi désintégrer environ 6000 fois chaque personne!)
- dépenses militaires mondiales: 900 milliards de $ (l'ensemble des revenus annuels de 100 millions de smicards par exemple...)
- les dépenses militaires annuelles de l'OTAN et de l'ex-Pacte de Varsovie représentent l'équivalent des PNB des 65 pays les plus pauvres du monde et 10% permettraient de lutter contre la sous-nutrition
- un destroyer coûte l'équivalent de l'électrification de 9 millions d'habitants
- le coût d'un bombardier est le traitement annuel de 250 000 instituteurs
- un supersonique, c'est 40 000 pharmacies de village
- un char est l'équivalent de l' équipement de 520 classes primaires
- et en ce qui concerne la France, elle est le 1er pays exportateur d'armes par habitant...
    Pour le point 1) et sans entrer dans les détails, voici tout d'abord le nombre d'emplois créés par 1milliard de $: - production militaire: 76 000 - production de machines: 86 000 - transports: 92 000 - construction: 100 000 - secteur santé: 139 000 - enseignement et éducation: 187 000... (sans commentaires!). Ensuite, il existe une relation inverse frappante entre la part de PIB consacrée à la recherche-développement et la compétitivité de l'industrie des nations occidentales; les explications en sont connues: développement d'un tissu industriel polarisé sur des réalisations de pointe dans des domaines peu influants sur la valeur des exportations, détournement par le secteur militaro-industriel de certaines ressources rares des activités civiles, et les "transferts de technologie" (expression à la mode!) du militaire vers le civil sont bien moins importants qu'on le croit; enfin, pour confirmer le tout, on vient de connaître le nombre de licenciements chez les grands marchands d'armes: Thomson 5000, Dassault 2600, SNPE 1500, Aérospaciale 1100, RVI 1000, Matra 300...
    Rapidement pour le point 2) il faut au minimum savoir que 20% de la dette sont liés aux dépenses militaires (pays sud-américains: 25%) mais aussi que les... 167 petites et grandes guerres survenues depuis 1945 se sont presque toutes déroulées au Tiers Monde, avec, dans la plupart des cas, un soutien étranger à l'un des belligérents; pour ces pays la possession d'une industrie militaire et d'importantes forces armées ne fait qu'entretenir les mécanismes du sous-développement, ne serait-ce que par l'augmentation de leur dépendance à notre égard: de plus, ils ne copient pas seulement nos modèles de défense - basés sur des techniques de pointe - mais aussi notre développement à l'occidentale qui est pourtant source d'un autre mal-développement (quart monde, chômage, drogue, délinquance,...). Le commerce des armes a ainsi très souvent pour objectif non avoué de préserver un système économique fondé sur l'injustice sociale et a donc pour signification, ou comme prétexte (Guerre du Golfe...), le maintien d'une certain "ordre international".
    Il faut donc sans cesse rappeler que le développement d'un peuple dépend en priorité de sa capacité à être indépendant, c'est à dire à pouvoir faire des choix, d'acquérir les sécurités alimentaire, énergétique, culturelle, d'approvisionnement, de santé (donc d'ordre économique et politique), qui seules, répondent au véritable besoin de sécurité; rappeler également que le sous-développement du Sud et le "sur-développement" du Nord, ne constituent que les deux facettes de ce même mal-développement mondial.
    En résumé, il ne peut y avoir sur notre planète, de sécurité pour les uns et d'exploitation effrénée pour les autres: la sécurité, prise dans son sens global, ne peut être que collective. Sinon, continuons, Français en particulier, à dormir "tranquilles" (?), silencieux et frileux sous notre parapluie nucléaire, en souhaitant que personne ne pensera un jour à envoyer une bombe très ordinaire, démodée en quelque sorte, sur nos centrales, continuons à laisser toutes les lumières allumées pour brûler cette énergie électrique que nous n'arrivons pas à consommer, fermons les yeux sur les ventes d'armes, oublions que notre brillante technologie est souvent utilisée pour aider la répression de tyrans... (Ca, c'est pour "l'en crier"...).
    Pour terminer, je ne me cache pas qu'il existe une multitudes d'opinions sur ces sujets mais c'est justement cette diversité qui m'a paru favorable pour tenter d'écrire ces quelques lignes qui, je l'espère susciteront une réflexion voire une interpellation et même inciteront certains à une formation personnelle voire à l'action.
CHANGER DE REGARD EST UNE FACON DE FAIRE LE PREMIER PAS. (Ca, c'est pour l'espoir...).
Yves Renaud