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Controverses / hydroélectricité
Les barrages: une menace cachée pour le climat
ADIT,
octobre 2010

11 octobre 2010 EAWAG: Swiss Federal Institute of Aquatic Science and Technology

     Les lacs de barrage produisent des quantités considérables de méthane, un puissant gaz à effet de serre, et notamment en été, les retenues fluviales suisses n'ont rien à envier aux grands barrages des régions tropicales. C'est ce que vient de démontrer une équipe de chercheurs de l'Eawag au lac de Wohlen près de Berne. L'hydroélectricité perd de ce fait un peu de son aura de source d'énergie climatiquement neutre.
     La chimiste de l'environnement Tonya Del Sontro et son directeur de thèse, le professeur Bernhard Wehrli, ont tout d'abord douté de leurs résultats. Mais toutes les mesures ultérieures sont venues confirmer la valeur inattendue des émissions du lac de Wohlen: en moyenne, plus de 150 milligrammes de méthane (CH4) s'échappent de chaque mètre carré de sa surface vers l'atmosphère. C'est le taux d'émission le plus élevé jamais mesuré dans un lac de latitude moyenne. A une température de l'eau de 17°C, ce taux atteint le double de cette valeur, un niveau équivalent à celui des barrages tropicaux.

Autant que 25 millions de kilomètres en voiture
     Si on extrapole les mesures à l'ensemble du lac, la retenue de l'Aar produit donc 150 tonnes de méthane par an. Cela correspond aux émissions annuelles de 2.000 bovins ou, en termes d'impact climatique, au CO2 généré par 25 millions de kilomètres de circulation automobile. En effet, le méthane est un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le gaz carbonique. «L'énergie hydroélectrique n'est donc pas aussi neutre en carbone qu'on ne le pensait jusqu'à présent», commente Tonya Del Sontro. Mais elle ne souhaite pas non plus dramatiser: même en attribuant la totalité des émissions de méthane de la retenue au fonctionnement de l'usine hydroélectrique de l'Aar, elles restent, exprimées en équivalents CO2, encore 40 fois moins importantes que la quantité de dioxyde de carbone libérée par une centrale thermique au charbon de puissance équivalente.

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Les émissions du lac de Wohlen montrent toutefois que les retenues fluviales peuvent être des sources importantes de méthane, même en zone tempérée. «Jusqu'à présent, cet élément n'était pas pris en compte dans les bilans carbone», déclare Bernhard Wehrli.

Ça fermente au fond du lac
     Le méthane du lac de Wohlen se forme à partir de la matière organique apportée par l'Aar, notamment en provenance du lac de Thoune. Bloquée par le barrage, cette matière se dépose rapidement au fond de la retenue où elle est dégradée par fermentation bactérienne. «En été, le lac de Wohlen fait parfois penser à une coupe de champagne», commente Tonya Del Sontro, «une multitude de bulles de gaz remontent vers la surface.» Pour étudier la nature de ces bulles, les chercheurs de l'Eawag ont construit des pièges ressemblant à des entonnoirs renversés. L'analyse du gaz ainsi capté a révélé qu'il était principalement composé de méthane.
     En hiver, les émissions de méthane sont très faibles en raison des températures. C'est, d'après Bernhard Wehrli, ce qui explique pourquoi les recherches sur les impacts climatiques se sont jusqu'à présent surtout concentrées sur les immenses barrages des régions tropicales: il y fait toujours chaud et les forêts immergées fournissent des quantités colossales de matières à fermenter. La faiblesse des températures et des apports de matière organique expliquent ainsi que, contrairement aux retenues fluviales du Plateau, les grands barrages alpins ne posent pas de problème notable du point de vue des émissions de méthane. Dans une prochaine étape, les chercheurs souhaitent étudier d'autres retenues fluviales du Plateau suisse pour estimer si le lac de Wohlen constitue une exception ou si une correction du bilan de méthane de la Suisse s'impose.
    * Informations bibliographiques complètes     Del Sontro et al. (2010): Extreme Methane Emissions from a Swiss Hydropower Reservoir: Contribution from Bubbling Sediments. Environmental Science & Technology 2010, 44(7): 2419–2425.