CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
ACTUALITE d'importance internationale
Dossier: Le "sud" en tant que réserve d'énergie solaire pour le "nord"?
Pomper l'électricité solaire africaine vers l'Europe alors que plus de 594 millions d'africains n'ont pas accès à l'électricité? NON MERCI!
juillet 2009
Objectif Terre

     Il y a beaucoup de bruit dans la presse ces jours-ci à propos d'un projet à 400 milliards € visant à alimenter l'Allemagne (voir une partie de l'Europe) avec de l'électricité solaire nord-africaine: DESERTEC.
     Les articles sur le sujet ne sont pas vraiment clairs sur ce point: à ce stade, pas un seul centime n'a été récolté pour ce projet et aucune entreprise n'investira sans tarif de rachat garanti. En Espagne, le tarif de rachat du solaire thermodynamique est à 27 centimes € le kWh, ce qui a attiré les investisseurs.  Rappelons que le coût de production du kWh hydroélectrique est à 3 centimes, celui du nucléaire à 5,5 centimes, celui de l'éolien entre 6 et 7 centimes (y compris offshore peu profond), celui de l'énergie des vagues (technologie type CETO) entre 8 et 10 centimes.
     A  ce stade, une entreprise allemande, Munich RE, a émis le désir d'inviter (d'ailleurs sans l'accord de la fondation DESERTEC  dont les responsables se sont fachés avec Munich RE  à propos de la paternité de l'initiative...) d'autres entreprises allemandes le 13 juillet à Munich pour discuter du projet DESERTEC. A lire la presse, on a l'impression que 20 grands groupes allemands ont décidé d'investir 400 milliards € (!) dans le projet DESERTEC, ce qui est faux.
      En 2007, le concept DESERTEC ("Clean power from deserts") proposé par la TREC (branche allemande du Club de Rome) m'a beaucoup séduit. Savoir qu' 1% de la surface du Sahara en centrale solaire suffit pour répondre à la totalité de la demande électrique mondiale a un coté rassurant en enthousiasmant. Et le solaire à concentration a un coté un peu magique, la concentration des rayons solaires, c'est vraiment très beau. C'est même aveuglant. J'ai alors rejoint la branche anglaise du réseau, TREC-UK, branche très active (http://www.trec-uk.org.uk/ ). J'ai aussi contacté mi-2007 plusieurs députés et sénateurs français pour leur faire part du concept DESERTEC. Puis, via mon blog Objectif Terre, plusieurs personnes m'ont contacté et m'indiquaient regretter l'absence d'antenne TREC/DESERTEC en France. Depuis le Mexique où je réside, j'ai donc décidé début 2008, après en avoir discuté avec M. Knies (le père du concept DESERTEC), de fonder  une antenne en France, baptisée TREC-France. J'ai lancé un appel depuis ObjectifTerre. Une soixantaine de personnes ont rejoint le réseau TREC-France: ingénieurs, chercheurs (CNRS, CEA, BRGM etc.), chefs d'entreprise, responsables stratégiques pour de grands groupes industriels, spécialistes du milieu bancaire, journalistes, enseignants, etc.
     Juillet 2008, ayant approfondi personnellement la réflexion à propos du projet DESERTEC, un certain nombres de points me posaient problèmes. Je contacte alors M. Knies pour lui faire part de ces points.  J'indique notamment à M. Knies que 594 millions d'africains n'ont pas accès à l'électricité, dont 47 millions en Afrique du nord et je propose que soit mise en place une clause visant à ce que l'électricité produite par les centrales solaires nord-africaines alimente en priorité les africains, au lieu de partir vers l'Europe. J'indique à M. Knies (et également aux coordinateurs des branches TREC-UK et TREC-Pays-Bas) qu'il faut prendre garde à ce que le projet DESERTEC ne soit pas perçu comme un projet néo-colonialiste par les populations africaines.  M. Knies me répond "Il faut laisser faire le marché". Je lui répond: "Si on laisse faire le marché, il est évident que toute l'électricité solaire partira vers l'Europe car les africains n'ont pas les moyens d'acheter le kWh à plus de 20 centimes €."  Je lui indique qu'à mon avis, un problème d'ordre éthique se pose. M. Knies ne tient pas compte de mes propositions et je décide donc, en toute logique et en bons termes avec M. Knies, de quitter le réseau TREC-France que j'avais fondé (ceci tout en poursuivant les échanges réguliers d'informations et de réflexions avec les membres du réseau international TREC, notamment avec ceux des antennes hollandaise, anglaise, allemande et indienne) laissant le soin à ceux qui voulaient continuer l'aventure TREC-France de prendre la relève (personne n'a pris la relève depuis). M. Knies m'a dit regretter ce changement de position de ma part, mais il était hors de question pour moi de soutenir un projet qui vise à alimenter avec de l'électricité africaine les européens ceci alors que les 3/4 des africains n'ont pas accès à l'électricité. Un système d'aide directe (aides de l'UE, des USA etc.) et bénéficiant en premier lieu aux plus pauvres me semble de loin préfèrable (du type de l'initiative Energizing Africa proposée par Jean-Louis Borloo, voir plus bas).
     J'ai alors  créé un autre réseau de réflexion indépendant, Repower-Europe (inspiré de l'initiative Repower America et de Clean Energy 2030, et basé sur une base géopolitique claire: l'union européenne); plus de la moitié des membres de l'ex-réseau TREC-France (les membres les plus actifs) ont rejoint ce nouveau réseau. Nous avons notamment entammé, au sein de ce réseau, une réflexion sur l'énergie à l'échelle de l'Union africaine  en mettant l'accent sur les projets décentralisés (micro-éolien, micro-solaire à concentration, géothermie, micro-hydraulique au fil de l'eau etc.) pouvant bénéficier aux populations les plus vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique (notamment en Afrique sub-sahérienne).
     Je continue, depuis juillet 2008 et à ma petite échelle, à faire pression pour que le projet DESERTEC englobe toute l'Union africaine et fixe comme priorité l'alimentation en électricité des populations les plus pauvres.
     Il vaut mieux acheter les fruits produits localement, pas ceux produits à des milliers de kilomètres. Idem pour l'électricité.

Quelques réflexions additionnelles:
     - Le solaire thermodynamique nécessite beaucoup d'eau douce (pour nettoyer les miroirs, pour purger les circuits et aussi pour le système de refroidissement). Pour répondre à 15% de la demande électrique de l'union européenne avec du solaire thermodynamique nord-africain comme proposé par la branche allemande TREC/DESERTEC, il faudrait fournir chaque année 10 fois ce que consomme la région parisienne en eau douce annuellement. Or l'eau douce est une denrée précieuse en zone aride. La centrale actuellement en construction en Algérie produira une électricité 5% solaire et 95% gaz fossile. L'eau douce est puisée dans les aquifères sahariens... Des technologies prometteuses permettent d'envisager une baisse de la consommation en eau douce (le laboratoire PROMES/CNRS travaille sur le sujet). Ceci dit, la technologie du refroissement sec (à l'air) disponible aujourd'hui conduit à un kWh au coût plus élevé (les ventilateurs utilisés pour le système de refroidissement consomment une partie de la production électrique de la centrale), ceci alors que le coût du kWh thermosolaire standard (refroidissement humide) est déjà 3 fois plus élevé que celui de l'éolien.
     - Les systèmes de  stockage thermique utilisés dans les centrales thermosolaires actuelles nécessitent d'énormes volumes de nitrates issus de la chimie lourde. En France, ces installations sont clasées SEVESO. La centrale ANDASOL (50 MW) possède par exemple deux énormes cuves de 14 mètres de haut pour 6 heures d'autonomie. 
     - Couper l'union africaine en deux (d'un coté l'Afrique arabe, de l'autre l'Afrique noire) est politiquement risqué - Plus de détails ici. L'avenir énergétique de l'Afrique doit être pensée pour les africains, pas à travers le prisme des intérêts de telle ou telle industrie de tel ou tel pays européen!

- La France a proposé une initiative à mon sens très pertinente pour l'Afrique:
Energizing Africa:
http://www.developpement-durable.gouv.fr/ (page 9 et 10)

suite:
     "Faisons enfin le geste le plus évident, organisons l'autonomie en énergie renouvelable de l'Afrique. Moins d'un quart des Africains ont accès à l'énergie, cela a des conséquences catastrophiques en matière de déforestation (...)"  a souligné Jean-Louis Borloo, ajoutant qu'une décision concrète pourrait intervenir au cours du sommet mondial sur le climat de Copenhague en décembre. Selon le ministre français, un tel plan devrait coûter entre 300 et 400 milliards de dollars sur 20 ans (...)" - AFP

     Cette initiative française sera présenté au sommet de Copenhage (COP15) en décembre. Elle mérite à mon sens d'être largement soutenue.

- L'Europe n'a pas besoin d'importer de l'électricité d'Afrique du nord: par exemple, pour avoir un ordre d'idée du potentiel, un parc éolien équivalent au tiers de la surface de la mer Baltique est suffisant pour répondre à la totalité de la demande électrique européenne (sans parler de la mer du Nord, de la Manche, de la façade Atlantique et de la Méditerannée); et sans parler de la géothermie, des énergies de la mer, du photovoltaïque et du solaire thermodynamique sud-européen). Le problème de l'intermittence de la ressource éolienne est complètement résolu avec le pompage/turbinage maritime (île-énergie; voir ce document de F. Lempérière, polytechnicien expert des énergies renouvelables et en particulier de l'hydroélectricité et des énergies marines : http://www.hydrocoop.org/cinq_fois.doc). Cette solution éolien offshore + stockage par pompage turbinage est  meilleur marché que l'importation d'électricité solaire nord-africaine. Le projet SpiritOfIreland s'inscrit dans cette perspective: http://www.spiritofireland.org/

Coût du kWh des différentes énergies:

Les coûts indiqués (levelized cost of electricity generation) sont indiqués en dollars américains. 

Réactions:

- Energie solaire en Afrique... pour l’Europe - Le projet Desertec de grandes centrales solaires dans le Sahara va être annoncé le 13 juillet. Mais ce projet vise à alimenter l’Europe en énergie, alors que l’Afrique manque cruellement d’électricité (...)  Nous estimons qu’il ne serait pas moralement acceptable s’il n’impliquait pas la fourniture simultanée d’une part notable de l’électricité produite aux populations subsahariennes (...)
Par l'ONG Global Electrification, 29 juin 2009
http://www.reporterre.net/

- Point de vue de SolarWorld (http://www.solarworld.de/): "Baut man die Solarkraftwerke in politisch instabilen Ländern, bringt man sich in die gleiche Abhängigkeit wie beim Öl"
«Construire des centrales solaires dans des pays instables conduit à une dépendance similaire à celle qui existe déjà vis à vis du pétrole. S'il est logique de produire le courant solaire là ou il est le moins cher, il n'existe pas pour le moment de réseau pour le distribuer.» (Source)

- Point de vue d'EuroSolar: "Pourquoi aller chercher loin quand on a ce qu'il faut à la maison? - DESERTEC: Warum in die Ferne schweifen, wenn das Gute liegt so nah (...) Mit den neuen Stromspeichertechniken, die für die Informationstechnologie und für die Elektroantriebe entwickelt und produziert werden, wird sich das Speicherproblem von Solar- und Windstrom effizient und kostengünstig von selbst klären. Mit anderen Worten: Bis zu dem Zeitpunkt, zu dem Solarstrom aus Nordafrika zu den von DESERTEC versprochenen Preisen geliefert werden kann (also frühestens 2020), wird die Solar- und Windstromerzeugung hierzulande deutlich preisgünstiger sein (...)
http://www.eurosolar.de/
Traduction ici

- Témoignage d'un ami journaliste belge: "J'avais réalisé une interview de Pierre Papon qui a démonté le projet DESERTEC en disant notamment que, honnêtement, si on construisait ce genre de truc en afrique, ce serait d'abord pour les africains" [ Pierre Papon a été directeur général du CNRS de 1982 à 1986 et président directeur général dede l'IFREMER de 1989 à 1995, il est président de l'Observatoire des sciences et des techniques depuis 1990 et préside depuis 2007 le Forum Engelberg qui réunit des conférences sur les questions de science, de technologie, d'économie et d'éthique.]

- Un étudiant en Master Sciences Po Paris qui réalise un mémoire sur ces questions et qui a interrogé un haut fonctionnaire du Ministère du développement durable m'a dit que ce dernier lui a déclaré: "DESERTEC, dans sa forme actuelle, est un projet néo-colonialiste"

- Un responsable stratégique d'un grand groupe industriel français m'a indiqué: "Il ne faut pas aller semer des graines en Afrique avec à l'esprit de récolter les fruits pour les européens".

- Mail que j'ai reçu le 20 juin 2009 de la part d'un citoyen de nationalité malienne, résidant en France et responsable d'une association africaine: "Bonjour, Arte infos a dévoilé la sémaine dernière le projet DESERTEC,qui m'a scandalisé en tant qu'Africain. Ce projet ne sert que l'Europe au mépris des besoins énergétiques des Africains. Merci pour votre action solidaire qui me va droit au coeur. Nous allons organiser une mobilisation  autour de cette question."

- Message d'un internaute (Mercinico): "Ça y est, on y arrive, l'appropriation par les multinationales du symbole de autonomie, voire de l'autogestion. L'anti-thèse de ce que devrait representer la consommation d'énergie responsable avec une production locale avec le moins d'impact sur l'environnement"
Source: LeFigaro.fr

- Quel Plan Solaire Méditerranéen pour les pauvres?
Par Eerick Wissenz, association "Projet du feu solaire":
(...) Mais ceux qui n’apparaissent pas dans ce Plan sont les foyers mal équipés en électricité - ce qui représente une partie importante des populations d’Afrique du Nord ! Déjà fragilisées par les catastrophes écologique, alimentaire et financière actuelles, si ces populations se trouvent exclues d’un projet dont le centre est le soleil, - source d’énergie universelle et gratuite s’il en est -, et n’en retirent aucun bénéfice direct, les responsables de ce Plan s’exposent à de fortes instabilités, à des crispations identitaires et des refus qui risquent de mettre son efficacité en péril (...)
http://www.solarfire.org/

Populations sans accès à l'électricité:

Eau douce: