CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE DES CONTROVERSES...

2009
avril
Un terrorisme nucléaire est-il vraisemblable?
ADIT, http://www.leconomiste.com/

Par le colonel Jean-Louis Dufour

     Notre consultant militaire est officier de carrière dans l'Armée française, ex-attaché militaire au Liban, chef de corps du 1er Régiment d'infanterie de marine. Il a aussi poursuivi des activités de recherche: études de crises internationales, rédacteur en chef de la revue Défense… et auteur de livres de référence sur le sujet, dont «La guerre au XXe siècle» (Hachette 2003), «Les crises internationales, de Pékin à Bagdad» (Editions Complexe, 2004)

     Le 5 avril, à Prague, devant 30.000 personnes, le président des Etats-Unis a plaidé pour un monde sans armes nucléaires. Barack Obama a évoqué les différents aspects de la menace, y compris l'emploi d'une arme par des individus mal intentionnés: «Des terroristes sont prêts à tout pour en acheter, en construire, en voler». Pour le président Obama, le risque est universel: «Tout le monde est concerné. Une arme nucléaire qui exploserait dans une grande ville, qu'il s'agisse de New York, d'Islamabad, de Bombay, de Tokyo, de Tel Aviv, de Paris ou de Prague, pourrait causer la mort de centaines de milliers de gens». Ce faisant, le président américain a repris ses propos de campagne quand il avait répondu, le 21 octobre 2008, aux questions d'«Arms Control Today», laquelle interroge les candidats à la Maison-Blanche depuis trente ans. «Aujourd'hui, avait déclaré le candidat Obama, nous sommes confrontés à la possibilité que des terroristes acharnés à notre destruction possèdent une arme atomique ou les matériaux pour en fabriquer une».
     Le président Obama soulève là un vieux problème. Cela fait des décennies que l'on s'interroge pour savoir si la mise en œuvre d'une arme atomique par des individus est possible ou non. La réponse n'est pas évidente.
     Passons sur certaines formes de terrorisme nucléaire hors sujet ici. Le propos ne concerne ni l'attaque d'une centrale nucléaire par voie terrestre ou aérienne, ni sa prise de contrôle par des terroristes désireux de provoquer une réaction en chaîne; il ne s'agit pas non plus d'un trafic de matières fissiles et de leur dissémination dans un lieu public(1). Passons sur toutes les tentatives infructueuses, du type «J'ai une bombe, je la fais exploser si vous ne me payez pas telle somme». Oublions les invectives d'un chef de guerre tchéchène qui menaçait, dans les années 1990, d'enfouir des déchets hautement radioactifs dans un parc de Moscou si ses revendications n'étaient pas satisfaites. Contentons-nous d'analyser le problème d'une organisation terroriste, détentrice d'une arme qu'elle aurait achetée, volée ou construite, et désireuse de frapper un coup immense, un peu semblable, toutes choses égales, aux attentats du 11 septembre.

Chantage
     La seule éventualité d'une bombe susceptible d'exploser dans une zone peuplée est impressionnante. Un membre allemand, de la Fraction armée rouge, affirmait dans les années 1970 qu'il «serait aisé, sous la simple menace d'emploi d'une arme atomique, d'obtenir de tout chancelier allemand qu'il danse nu sur son bureau, devant les caméras du monde entier»(2). Ainsi serait-il théoriquement possible pour un groupe terroriste de forcer les Américains à libérer leurs condamnés à mort, les Britanniques à abandonner l'Irlande du Nord, les Israéliens à évacuer Jérusalem…
     Le manque de sérieux avec lequel les Russes étaient réputés garder leurs têtes nucléaires a longtemps constitué une obsession pour les spécialistes. Le 3 mai 1995, après bien d'autres, Graham Allison, directeur du Center for Science and International Affairs d'Harvard, au vu du désordre russe, écrivait dans le Washington Post qu' «il y (avait) toutes les raisons de prévoir des actions de terrorisme nucléaire à l'encontre d'objectifs américains avant que le siècle ait achevé son cours».
     Or aucune bombe n'est apparue et rien ne prouve qu'il y en ait eu de volées ou d'achetées. Un groupe terroriste y parviendrait-il qu'il lui faudrait encore connaître le système de sécurité(3), à clés multiples, qui permet de déclencher l'explosion.
     Les menaces plus ou moins fantaisistes dont bien des polices du monde ont eu à traiter depuis trente ans ont amené certains Etats à prendre en compte cette menace. Dès 1977, les Etats-Unis créaient le NEST(4), équipe de recherche nucléaire d'urgence, doté à l'origine d'un budget de cinquante millions de dollars.
     La vraisemblance de la menace est essentielle car la crédibilité est à la base de tout chantage réussi. Or il est très difficile, faute de capteurs appropriés, de repérer un engin atomique, bombe ou obus. On ne sait pas retrouver rapidement une arme nucléaire, ni même un dépôt de matières radioactives quand ils sont soigneusement enfouis, protégés, isolés…
     Le cas, d'ailleurs, ne s'est jamais présenté, excepté dans quelques romans (voir encadré). La réalité est d'une autre nature. Dans les années 1960, les Américains ont eu beaucoup de mal à récupérer une bombe A, accidentellement larguée par un B52 au-dessus des eaux territoriales espagnoles.
     De même, ont-ils peiné à retrouver dans le désert du Nouveau Mexique en 1974 un missile équipé de sa tête atomique qui avait manqué sa cible. En 1994, le FBI avait rencontré mille difficultés pour trouver 75 kg d'uranium faiblement enrichi, volés dans une usine de General Electric à Wilmington (Caroline du Nord) par un employé mécontent d'avoir été licencié. L'homme réclamait un million de dollars en échange de son butin. On l'arrêta avant que les équipes de recherche ne fussent parvenues à découvrir l'uranium radioactif enterré dans un champ(5). Il y eut au total bien des alertes; rien qui fut vraiment sérieux.
     La retenue des terroristes s'explique. Depuis des lustres, les spécialistes s'opposent sur la possibilité pour trois ou quatre techniciens de construire un engin nucléaire dans un hangar. Sans prendre parti, on peut observer deux choses.

suite:
Une hypothèse plausible
     Premièrement: l'arme atomique est aujourd'hui plus simple à construire qu'il y a des dizaines d'années. La théorie est connue, les ordinateurs nécessaires sont en vente libre, la métallurgie indispensable, très particulière et très fine, utilise de nos jours des machines-outils à commande numérique qui n'existaient pas au début de l'ère nucléaire. Deuxièmement: si l'arme nucléaire est facile à construire, bien des pays en seraient détenteurs. C'est qu'il n'est pas question d'engins «rudimentaires». Ou bien il y a fission nucléaire et réaction en chaîne avec un rendement plus ou moins bon, ou bien il s'agit seulement de disperser par explosion classique des matières fissiles, une opération qui s'apparente à un acte terroriste classique.
     Cela n'empêche pas le terrorisme nucléaire d'être estimé vraisemblable à la mesure de l'évolution du monde. Les armes stockées, 20 à 40.000, restent dangereuses. Certaines, miniaturisées, sont aisément transportables. Aucun système de garde, aucune mesure de sécurité, aucun code d'accès, n'est définitivement inviolable. Leur vol est toujours possible. Neutraliser ces armes est évidemment le meilleur moyen d'en éviter le trafic. Barack Obama a raison de vouloir leur disparition.
     Très inquiétant aussi est l'accroissement considérable des quantités de plutonium retraité existant sur la terre. Chaque année, deux centaines de tonnes s'ajoutent aux deux mille tonnes existantes. Le vol et le trafic de plutonium risquent de s'en trouver facilités, tout comme sa transformation en explosif nucléaire. Toutefois, le retraitement du plutonium demeure extrêmement difficile, tout comme la manipulation de plutonium de qualité militaire.
     La raréfaction des conflits armés internationaux, si elle ne signifie pas la fin des querelles interétatiques, tend à démontrer l'irrationalité de la guerre. Certains gouvernements pourraient être tentés, comme cela s'est déjà produit, par ce substitut à la guerre qu'est le terrorisme d'Etat, d'autant plus efficace qu'il emploierait des armes nucléaires.
     Enfin, des nihilistes, groupés en organisations paramilitaires, risquent de ne pas éprouver les scrupules semblables à ceux de leurs homologues politisés. Pour ces derniers, le véritable objectif n'est pas en principe de causer des pertes importantes mais de créer la peur. Avec des armes nucléaires, de nouveaux terroristes obtiendraient sans conteste l'un et l'autre.
     Aujourd'hui, le terrorisme nucléaire hante certainement les rêves d'un certain nombre de desperados. Le premier individu capable de frapper un pays au moyen d'une arme nucléaire entrera dans l'histoire. La perspective obsède sans nul doute plus d'un militant. Les armes existent. Elles peuvent être dérobées, acquises puis conditionnées pour accomplir leur œuvre de mort. Tel est d'ailleurs le sentiment du président des Etats-Unis. Ou bien ce dernier a réfléchi au problème, ou bien ses Services lui ont donné d'inquiétantes informations à cet égard. Certes, l'entreprise demeure incertaine. L'horreur n'est pas garantie, elle est néanmoins possible et doit être prévue.
(1) Cf. «Les bombes sales, des armes de désordres massifs», L'Economiste, 10 septembre 2008
(2) Brian Michael Jenkins, The likelihood of nuclear terrorism, The Rand Corporation, 1985.
(3) Ou PAL, Permissive Action Links, systèmes conçus pour prévenir et empêcher toute explosion accidentelle ou non autorisée des engins. Les PAL sont décrits dans Thomas B. Cochran, Nuclear Weapons Databook, Ballinger, Cambridge, Mass, 1984.
(4) NEST: Nuclear Emergency Search Team.
(5) Christopher Dowson, The terrorists, their weapons, leaders and tactics, Fact and File, NY, 1982.
Terrorisme nucléaire et fiction romanesque

Deux romans ont traité de ce thème avec un grand succès:
     - Le Cinquième cavalier, de Dominique Lapierre et Larry Collins, Paris, Laffont, 1980. Les auteurs imaginent un chantage du colonel Kaddafi qui consisterait à faire exploser une bombe thermonucléaire à New York au cas où Israël n'accepterait pas de rendre leur terre aux Palestiniens.
     - Le Quatrième protocole, de Frédérick Forsyte, publié à Londres en 1984 et la même année à Paris, aux éditions Albin Michel. Le roman décrit une opération soviétique, visant à mettre en œuvre en Grande-Bretagne, à proximité immédiate d'une base aérienne américaine dotée d'armes nucléaires, une arme à fission, d'une puissance limitée à une kilotonne, introduite clandestinement en pièces détachées, et remontée sur place. Le but était d'obtenir, à la faveur de l'explosion, un puissant mouvement politique interne, favorable à des travaillistes anglais purs et durs, pacifistes acharnés, supposés hostiles à l'Alliance atlantique et à toute politique de défense fondée sur la dissuasion nucléaire.
A fait l'objet d'un film en Grande-Bretagne.

Bibliographie spécialisée
Quelques ouvrages:
- La prolifération nucléaire en 50 questions, Marie-Hélène Labbé, Jacques Bertoin, 1992
- The likelihood of nuclear terrorism, The Rand Corporation, juillet 1985
- The threat of nuclear terrorism: a re-examination, The Rand Corporation, janvier 1988
- Guerre et contre guerre, survivre à l'aube du XXIe siècle, Alvin et Heidi Toffler, Fayard, 1994
- The Terrorists, their weapons, leaders and tactics, ed. Fact and Files, New York, 1982
- Preventing nuclear terrorism, Leventhal et Alexander, Lexington Books, Lexington, Mass. 

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