CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE DES CONTROVERSES...

2009
avril
Avec Barack Obama, le choix du nucléaire n'est pas nécessairement renouvelable
suivi de "Et en Europe?"
ADIT, http://www.lemonde.fr/

Robert Bell est professeur au Brooklyn College.
LE MONDE | 21.04

     L'élection de Barack Obama est un coup dur pour le développement de l'énergie nucléaire aux Etats-Unis. Un accord gouvernemental en faveur de nouvelles installations requiert l'approbation d'un site de stockage des déchets radioactifs. Le seul site envisagé, et déjà en construction, est Yucca Mountain, dans le Nevada. Mais son ouverture semble bien compromise.
     Lors de sa campagne présidentielle, le candidat Obama a gagné au Nevada en partie grâce à sa promesse de s'opposer à l'ouverture de ce site, situé à moins de 150 km de Las Vegas, la ville la plus peuplée de cet Etat. S'il revient sur sa promesse, le président Obama pourra dire adieu aux quatre grands électeurs du Nevada, s'il vise une réélection en 2012.
     Au sein de la majorité démocrate au Congrès, il existe une opposition marquée au site de stockage. Le puissant président de la commission de l'énergie et du commerce à la Chambre des représentants, Henry Waxman (député de Beverly Hills en Californie), a mis sur son site Web une seule information sur la question de Yucca Mountain: le communiqué de presse du 25 avril 2002 qui met en doute les preuves scientifiques avancées en faveur du site. Quant au Sénat, l'opposition au site de stockage y est virtuellement acquise. Le leader de la majorité démocrate du Nevada, Harry Reid - qui se représentera aux élections sénatoriales dans moins de deux ans -, a déclaré, le 3 décembre 2008, que le site de Yucca Mountain est "enterré", et qu'il ne laisserait pas le Sénat entériner la nomination d'un ministre de l'Energie qui serait favorable à l'ouverture de ce site.
     A cet égard, le choix par Obama du Prix Nobel de physique Steven Chu est un signe fort: le docteur Chu était un partisan convaincu des énergies renouvelables à la tête du laboratoire national californien Lawrence-Berkeley. Deux mois après sa nomination au DOE, le sénateur John McCain lui demanda, devant une commission du Sénat, si lui et le président Obama allaient vraiment exclure tout stockage de déchets nucléaires sur le site de Yucca Mountain. La réponse: "C'est vrai."
     Obama a par ailleurs créé un poste de "superministre de l'énergie", basé à la Maison Blanche et confié à Carol Browner, qui a dirigé l'Agence de la protection de l'environnement (APA) sous la présidence Clinton. Elle était, et est toujours, la protégée d'Al Gore, l'ancien vice-président de Bill Clinton et Prix Nobel de la paix 2007. Celui-ci appelle les Etats-Unis à se fixer pour but de sortir de la production d'énergies fossiles dans les dix ans à venir, au prix d'un accroissement massif des énergies renouvelables, couplées à un nouveau réseau énergétique national informatisé. Les réacteurs nucléaires déjà en fonction continueraient à être utilisés en attendant de les fermer au fur et à mesure. Alors que le candidat McCain avait promis de faire construire 45 nouveaux réacteurs nucléaires, Obama s'est, lui, engagé à relancer l'économie américaine avec une croissance massive de l'infrastructure en énergies renouvelables.
     De fait, sans même parler de sécurité et de risque terroriste, l'énergie nucléaire n'apparaît plus désormais comme une option politiquement viable pour les Etats-Unis. Aujourd'hui les crises climatique et économique obligent à choisir des technologies renouvelables et un retour sur investissement rapide. Non seulement la construction d'une centrale nucléaire est trop coûteuse (par gigawatt elle approche le double de l'éolien) mais en plus le retour sur investissement est trop long: les investisseurs ne peuvent espérer toucher le moindre centime avant cinq ou dix ans dans le nucléaire (entre le permis de construire et la production du premier watt). Dans une récession qui s'accélère, c'est tout simplement trop long. Ce n'est pas un hasard si EDF envisage de prolonger de vingt ans la vie de ses réacteurs en fonction...
     En revanche, une éolienne ou une installation photovoltaïque se construisent en quelques mois, et produisent l'électricité qui permet un retour sur investissement rapide. Reste le prix de revient de l'électricité produite. Le coût des énergies nucléaire et fossile semble moins élevé, mais on ne tient pas compte de tous les facteurs. Une "taxe carbone" obligera à mettre la vérité des coûts sur la table.
     La politique énergétique est moins conduite par les marchés que par la volonté des gouvernements, comme a pu le montrer la politique du "tout-nucléaire" de la France des années 1970.

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Et en Europe?

     En Allemagne, le nucléaire est déjà l'un des thèmes des législatives de septembre. Si elle parvient à former une majorité avec le parti libéral FDP, la chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel voudrait revenir sur l'accord de sortie signé en 2000 sous le gouvernement SPD-Verts, qui prévoit la fermeture des dix-sept réacteurs encore en activité d'ici à 2020.
     Les Verts ont annoncé des manifestations de grande ampleur si l'on revenait sur l'accord. Face à eux, les partisans de l'atome font valoir que le nucléaire offre une énergie à la fois sûre et relativement bon marché, sans laquelle les objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 que s'est fixés Berlin (- 40% d'ici à 2020) pourront difficilement être tenus.
     L'Italie nage en plein paradoxe : Rome et Paris ont bien signé un accord-cadre pour la construction d'un minimum de huit centrales d'ici à 2030 dans la Péninsule, mais la production d'énergie nucléaire y est encore interdite, depuis le référendum abrogatif de 1987, que les Italiens avaient largement approuvé après Tchernobyl.
     Le gouvernement a préparé les esprits au retour au nucléaire en expliquant que l'Italie dépend à 80% des importations et que l'électricité, par exemple, y coûte deux fois plus cher qu'en France. Mais, aujourd'hui, il semble moins pressé, et attend les élections européennes et surtout locales, qui se dérouleront en juin. A ce jour, toutes les régions ont dit non à une implantation d'une centrale sur leur territoire. Pour passer outre ce refus, le gouvernement entend déclarer les sites choisis d'"intérêt stratégique national" comme cela a été fait pour les décharges d'ordures de la région de Naples après la grève du ramassage des poubelles.
     Le Royaume-Uni, en janvier 2008, a donné le feu vert à la construction de nouvelles centrales nucléaires, dans une logique d'indépendance énergétique et de protection de l'environnement. Le 15 avril 2009, onze sites de construction ont été présélectionnés dans le cadre du plan de relance du nucléaire. Le prix élevé de l'électricité, la fin prochaine du pétrole de la mer du Nord sont autant d'arguments dans ce pays qui dispose du plus vieux parc nucléaire d'Europe occidentale (ses quatorze centrales en activité fournissent 20% de l'électricité).
     Reste que, vu le déficit des finances publiques, les industriels chargés de construire les nouvelles centrales ne recevront aucune aide de l'Etat. Celui-ci s'engage juste à faciliter la délivrance de permis de construire, pénalisée par de longues enquêtes publiques.
     Quant au coût du démantèlement des centrales et de l'élimination des déchets, il devra aussi être entièrement assuré par le secteur privé.
     La Suède fut à l'avant-garde du démantèlement de son parc nucléaire en fermant l'une de ses quatre centrales en 2005. Une décision politique dans la logique d'un accord conclu il y a près de trente ans, qui prévoyait un démantèlement complet des centrales suédoises d'ici à 2010. La tendance s'est brusquement inversée cet hiver. Le gouvernement de centre droit, en place depuis 2006, a annoncé en février son intention de construire de nouvelles centrales, mais uniquement pour remplacer les anciennes. L'opposition gauche verte, menée par les sociaux-démocrates, a déclaré fin mars que le nucléaire aura droit de cité en Suède jusqu'à ce qu'il puisse être remplacé par de l'électricité provenant de sources renouvelables.
     Ce sursis n'est pas un chèque en blanc: si le plan de développement des énergies renouvelables est respecté, le nucléaire pourrait être supprimé vers 2020. Les Suédois se préparent cependant pour une hypothèse longue. La recherche d'uranium a été relancée ces dernières années dans le nord du pays, soulevant les protestations de populations locales.
     En Espagne, la fermeture de la centrale de Garona, dont le permis d'exploitation expire en juillet 2009, est au centre du débat sur le nucléaire. Si, dans les prochaines semaines, le Conseil de sécurité nucléaire (CSN) donne son feu vert technique à la poursuite de l'activité de ce réacteur, inauguré en 1971, les Espagnols attendront avec intérêt la décision politique du gouvernement socialiste, qui promet l'abandon progressif de cette énergie au fur et à mesure que les huit réacteurs du pays atteindront la fin de "leur vie utile", en 2028 pour le dernier. Officiellement, la fin du nucléaire serait "un thème qui ne fait pas débat", estime la ministre de l'environnement, Elena Espinosa. Mais, à l'automne 2008, l'ancien chef du gouvernement Felipe Gonzales s'est prononcé pour le réexamen du moratoire sur la construction de nouvelles centrales, adopté lorsqu'il était au pouvoir (1982-1996): "Puisqu'il faut que quelqu'un fasse le premier pas, je me dévoue. On doit se pencher à nouveau sur ce sujet."
     La Belgique a décidé, en 2003, de fermer, entre 2015 et 2025, ses sept réacteurs nucléaires, qui fournissent actuellement près de 60% de l'électricité produite dans le pays. Cette décision ne convainc plus guère que les écologistes et une partie des socialistes. GDF Suez, premier producteur d'électricité du pays, via sa filiale Electrabel, milite pour un report de la décision de fermeture, et propose, en échange, d'investir dans les énergies alternatives et les économies d'énergie. Le gouvernement fédéral, paralysé par ses divisions, hésite. Il ne tranche pas non plus la question de l'éventuelle construction de nouvelles centrales dites TGV (turbine gaz vapeur).
     Les consommateurs belges, eux, sont partagés. Ils notent que le prix de leur électricité est de 30% supérieur aux tarifs pratiqués en France.