CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE DES CONTROVERSES...

2009
février
La France a-t-elle besoin d'un 2e EPR?
ADIT, http://www.usinenouvelle.com/
     Une semaine après avoir donné son feu vert à la construction d'un deuxième EPR à Penly, le chef de l'Etat a défendu son choix, en visite sur le chantier de Flamanville. A-t-il eu raison?

La France a-t-elle besoin d'un 2e EPR?
     Le 30 janvier 2009, le président de la République annonçait la construction d'un deuxième EPR à Penly en Normandie, confiée à EDF, associé à GDF Suez. A Flamanville ce 6 février, chantier du premier EPR français, Nicolas Sarkozy a justifié la construction d'un deuxième exemplaire dès 2012, voire d'un troisième.
     Si les industriels y ont un intérêt certain, qu'en est-il de la France dans son ensemble? Besoins énergétiques, déchets, marché du travail... Examen des arguments justifiant (ou pas) ce nouveau chantier.

1) Du point de vue des besoins de la France en électricité, il n'y avait pas urgence.
     En 2008,la France a exporté 10% de la production soit environ la puissance de 5 des 58 réacteurs en fonction dans l'Hexagone. Ce surplus se réduit d'année en année mais dans ses prévisions, EDF tablait jusque là sur 2020 pour le lancement d'un deuxième EPR... En effet, les 58 réacteurs français, d'une moyenne d'âge de 22 ans, n'ont pas besoin d'être remplacés à court terme, EDF envisageant de prolonger leur durée de vie de 40 à 60 ans. «A partir de 2019, chaque année, plusieurs centrales existantes atteindront leur quarantième anniversaire. Sur le fondement des recommandations que l'autorité de sûreté nucléaire formulera, à ce moment-là, en toute indépendance, il faudra décider de leur arrêt ou de leur prolongation et des investissements associés» a indiqué Nicolas Sarkozy le 6 février. En lançant dès 2012 le chantier de Penly avec un objectif de raccordement au réseau pour 2017, l'Elysée semble avoir mis un sacré coup d'accélérateur au projet.
     Pas tant que ça, répond Colette Lewiner, directrice internationale du secteur Energie chez Capgemini. «On table sur une mise en service en 2017-2018, mais c'est un peu optimiste, disons autours de 2020», tempère-t-elle. Et les besoins en France sont selon elle réels. «La consommation domestique résidentielle a augmenté de 3% en 2008 et pourrait continuer sur ce rythme, avec un fléchissement de la demande durant les années de crise, soit un ou 2 ans. Durant cette crise, la consommation industrielle devrait diminuer et pourrait ne pas revenir, une fois le coup dur passé, à son niveau de 2007/2008. En effet les types de produits consommés, leur mode et lieu de production pourraient être profondément affectée par la crise.  Mais le tertiaire et les particuliers vont voir leurs besoins croître» prévoit Colette Lewiner.
     La voiture électrique en vue. Autre intérêt des EPR fréquemment évoqué, du point de vue des infrastructures en France: il s'agira d'une source d'électricité supplémentaire, en cas de développement de la voiture électrique. Car il faudra bien recharger tous ces nouveaux véhicules. «Les économies d'énergie dans le transport, par exemple, peuvent se traduire par une substitution de l'électricité vecteur plus propre, souple et moderne au pétrole» indique à ce sujet Colette Lewiner.
     De l'électricité pour exporter. Dernier intérêt de l'EPR: exporter vers nos voisins européens. En 2008, les exportations françaises d'électricité sont tombées au plus bas depuis 1990. «Avant on exportait 70 TWh d'électricité chaque année. En 2008, on est tombé à 47 TWh. Et plus la consommation intérieure augmente, moins on va exporter», pointe Colette Lewiner.

Or, «exporter vers nos voisins européens fait sens, quand on voit l'Allemagne désireuse de stopper ses centrales nucléaires pour rouvrir de nouvelles centrales électriques au charbon  très polluantes en termes d'émissions de CO2» argumente-t-elle. «Un EPR c'est environ 12 milliards de kilowattheures produits par an, au prix du marché européen, c'est 600 millions € d'exportations, j'attends de voir celui qui me dira que nous n'en avons pas besoin» indique pour sa part Nicolas Sarkozy.

2) La décision était précipitée, et tue le Grenelle
     «Reste à se demander si le projet est rentable et surtout si les cinq milliards (minimum, si l'on songe aux dérapages financiers actuels, en France et en Finlande) que devrait coûter ce projet, ne seraient pas mieux utilisés pour développer les économies d'énergies, des installations éoliennes, des panneaux solaires ou des centrales locales ou régionales utilisant la biomasse» dit  le journaliste Claude Marie Vadrot sur son blog. C'est aussi l'opinion de Corinne Lepage, qui s'est exprimée dans les colonnes de la Tribune le 28 janvier. «La réalisation de trois EPR rend totalement virtuel l'objectif de 23% d'énergies renouvelables en 2020 et de 20% d'efficacité énergétique à cette date», pointe-t-elle.
     Trop d'offre tue l'efficacité énergétique. «Construire trois réacteurs EPR aboutit à augmenter considérablement l'offre d'électricité et à répéter le scénario précédent?: pas de politique de maîtrise de l'énergie, des coûts astronomiques pour les logements chauffés à l'électricité, pas d'industrie du renouvelable.» expose Corinne Lepage. «Autre interrogation: est-il  vraiment nécessaire de chauffer de plus en plus de gens (comme les fameuses «maisons Boutin à 15 €) à l'électricité au risque de leur imposer de dépenser des fortunes dans des logements mal isolés?» interroge à son tour Claude Marie Vadrot. «En effet, pour vendre son courant, qui ne se stocke pas, et amortir le coût faramineux de réalisation des EPR (...), les exploitants, aidés bien entendu par des pouvoirs publics devenus schizophrènes, vont devoir favoriser la consommation électrique, c'est-à-dire continuer à promouvoir le chauffage électrique et lutter contre l'efficacité énergétique» démontre Corinne Lepage. «Ils ont d'ailleurs commencé très activement à le faire avec l'amendement Ollier, pour éviter que les objectifs d'efficacité énergétique dans les bâtiments soient applicables aux bâtiments chauffés à l'énergie électrique d'origine nucléaire. (...) C'est le secteur du BTP, celui des matériaux intelligents qui est menacé. » conclut-elle.
     L'éolien et le solaire tués dans l'œuf. «Et pour que l'énergie nucléaire soit vendue, il faut évidemment qu'elle n'ait pas de concurrents. (...) D'où la bronca orchestrée contre l'énergie éolienne et la baisse de tarif de rachat de l'électricité solaire dans le tertiaire pour tuer la rentabilité des projets qui étaient en cours. » analyse Corinne Lepage. «L'étape suivante sera la contestation du prix du rachat de l'électricité verte par EDF qui invoquera l'inutilité de cette électricité compte tenu de l'abondance d'électricité nucléaire. Ainsi, les projets seront de moins en moins rentables, aléatoires et les investisseurs les réaliseront partout, sauf en FranceD'ores et déjà, l'Hexagone est en retard sur ces industries, les champions du photovoltaïque étant plutôt les Allemands, les Américains et les Japonais, les éoliennes étant fabriquées en Allemagne, au Danemark et plus récemment en Espagne. Une réalité que Nicolas Sarkozy a soulignée le 6 février. «Nous partons de très loin. Les industriels de l'éolien sont danois, les industriels du photovoltaïque allemands et californiens».