CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE INTERNATIONALE
2008

septembre
Se souvenir des déchets nucléaires
ADIT, Le Monde

Patrick Charton, adjoint au directeur sûreté, qualité et environnement à l'Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra)
LE MONDE | 06.09.08


Le centre de stockage de déchets radioactifs de l'Aube (CSA) à Soulaines en novembre 2005. 

     L'humanité produit chaque année des centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs, issus des centrales nucléaires, de l'industrie militaire ou de la recherche. Que deviennent-ils, et combien de temps resteront-ils dangereux?
     Les déchets sont stockés dans divers sites en fonction de leur durée de vie et de leur dangerosité. Les déchets de faible et de moyenne activité resteront radioactifs de quelques dizaines à quelques centaines d'années. En France, ils sont stockés dans des centres de surface, dans l'Aube et dans la Manche. Les déchets hautement radioactifs et à vie longue continueront d'émettre des radionucléides pendant des centaines de milliers d'années, voire un million d'années. Ils sont pour l'instant entreposés près des sites de production, en attendant la création d'un site de stockage à 500 mètres sous terre, dans la Meuse.
     L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), où vous êtes responsable du développement durable, cherche les moyens de transmettre aux générations futures des informations sur la localisation et le contenu des sites. Pour quoi faire, si ces derniers sont parfaitement sûrs?
     Les centres de stockage, qu'ils soient en surface, semi-enterrés ou situés dans des couches géologiques profondes, ont été conçus pour être sûrs. Mais si, ayant perdu la mémoire de leur existence, vous faites intrusion sans savoir où vous mettez les pieds, en effectuant un forage, par exemple, vous risquez de prendre des doses de radioactivité. Le fait de les mettre en sous-sol limite ce risque. Mais la transmission de la mémoire fait aussi partie des mesures de sûreté.
Vous travaillez sur des échelles de temps extrêmement longues. Comment vous projetez-vous dans le futur?
     C'est extrêmement difficile. Serons-nous plus ou moins intelligents, disposerons-nous de technologies totalement novatrices? On n'en sait rien. De plus, certains événements accélèrent le temps, comme les révolutions et les guerres. Il y a trois siècles, à la cour du roi Louis XIV, pensez-vous que l'on pouvait imaginer la France d'aujourd'hui? Au lieu de chercher à imaginer l'avenir, j'ai préféré me tourner vers le passé, afin d'étudier comment les choses sont parvenues jusqu'à nous.
Quels enseignements en avez-vous tirés?
     Les spécialistes des manuscrits médiévaux m'ont expliqué que le document technique que nous projetions de réaliser, baptisé "Mémoire de synthèse à l'attention des générations futures", avait toutes les chances de finir rapidement à la poubelle. Quand les gens trient des documents, ils gardent en priorité ceux qui contiennent des images, ce qui explique que les manuscrits illustrés aient été davantage conservés. Toutes les pages de notre document ont donc été illustrées. Ce document sera téléchargeable sur notre site Internet. Les décideurs, les associations, les riverains, à qui il sera destiné, pourront le stocker sur leur ordinateur ou l'imprimer.

suite:
Quels autres vecteurs faudra-t-il employer pour assurer cette transmission?
     Il faudra d'abord entretenir la mémoire dans les têtes. L'Andra devra maintenir sa communication sur l'existence des sites de stockage, même s'ils ne sont plus surveillés. Les commissions locales d'information (CLI), organismes indépendants devant lesquels l'Andra vient s'expliquer, permettront également de préserver la mémoire. Cela peut fonctionner sur un ou deux siècles.
Et au-delà ?
     Des archives détaillées sont conservées sur les sites de stockage et aux Archives nationales. Le papier moderne contenant des composés chimiques chlorés qui attaquent l'encre, nous avons recours au papier "permanent", qui n'en contient pas, en espérant qu'il durera de six cents à mille ans. Nous inscrirons également des servitudes au cadastre pour éviter que les sites soient réutilisés.
Imagine-t-on de laisser des signes sur les lieux de stockage?
     Les Américains envisagent d'installer, au-dessus des sites, des objets servant à marquer le terrain. Des "information rooms", taillées dans le marbre, seront érigées sur des monticules de 30 mètres de haut. Ces salles contiendront des inscriptions en anglais et dans d'autres langues, ainsi que des symboles de dangerosité. Celui de la radioactivité bien sûr, mais aussi des visages exprimant la douleur. Ils pensent qu'elles auront une pérennité de l'ordre de 25.000 à 50.000 ans.
     Les Japonais, eux, se fondent sur une coutume ancestrale, qui veut que certains temples soient détruits tous les vingt-cinq ans et reconstruits à l'identique. Ils ont prévu de construire un temple contenant des plaques microgravées faites de matériaux très résistants, comme le tungstène ou le titane, où les sites de stockage seront décrits.
La France ne s'oriente pas dans cette voie ?
     Cela pose en tout cas plusieurs types de problèmes. On peut trouver des supports qui résisteront très longtemps, comme le granite, mais la pierre finira par s'éroder. Des matériaux plus nobles pourraient être utilisés, tels des disques en saphir massif et en titane qui pourraient résister 2 millions d'années. Mais sans gardiennage, ils risquent d'être vandalisés. Il y a aussi l'obstacle de nos langues actuelles, qui peut-être seront mortes demain... Le principal problème, c'est la transmission du sens : il faut que les générations futures comprennent ce que nous avons voulu dire.
N'existe-t-il pas des symboles susceptibles de traverser le temps ?
     Les mégalithes de Carnac, qui remontent à 6.700 ans, nous sont mystérieux. Pourquoi ces alignements, pourquoi à cet endroit? Même chose avec les fresques de la grotte de Lascaux, exécutées il y a 18.000 ans. Etait-ce un exercice esthétique, ou ces hommes ont-ils essayé de nous transmettre un message? Une tête de mort, un visage qui pleure évoqueront-ils un danger? Rien ne dit que, dans des dizaines de milliers d'années, les symboles que nous laissons ne passeront pas pour un exercice esthétique. Il faut arriver à coupler le signe matériel et le sens, et personne n'a de réponse unique sur les moyens d'y parvenir sur des durées aussi longues.
De nos ancêtres, nous avons reçu des objets d'art, des réalisations architecturales... Cela ne pose-t-il pas un problème moral de transmettre à nos descendants des déchets dangereux ?
     La mission de l'Andra, c'est de gérer les déchets. Ils existent. Même si, demain, on arrêtait le parc électronucléaire, il faudra en faire quelque chose. Aurait-il fallu ne pas les produire? C'est un débat éthique qui dépasse la question du nucléaire. Si vous ne produisez pas votre électricité avec l'énergie nucléaire, vous utilisez du pétrole ou du charbon, qui émettent du CO2. Il faut mettre en parallèle notre mode de vie, qui génère toutes sortes de pollutions, et ce que nous voulons léguer à nos enfants. Notre mission est de faire en sorte que les générations futures puissent faire leurs choix en toute connaissance des nôtres.
Propos recueillis par Gaëlle Dupont 
RADIOACTIVITÉS
     Les déchets de haute activité (ha) et de moyenne activité et à vie longue (ma-vl) représentent l'essentiel de la radioactivité, mais moins de 9% du volume total des déchets.
     Les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (fma-vc), pour l'essentiel des objets contaminés pendant leur emploi en centrale, représentent 0,055% de la radioactivité et 76,8% du volume total. Leur nocivité dure trois cents ans.
     Les déchets de faible activité à vie longue (fa-vl) proviennent de terres contaminées et du démantèlement de la première génération de centrales nucléaires. Ils représentent 0,013% de la radioactivité et 4,6  du volume de déchets.
     Voir "Classification des déchets"