CONTROVERSES NUCLEAIRES !
La FUSION?!
2009
juillet
Le projet de recherche Iter toujours plus cher
ADIT, http://www.lesechos.fr/

     Le prochain conseil des responsables du programme de recherche sur la fusion nucléaire s'annonce houleux : son président devra défendre un budget qui a doublé par rapport aux objectifs initiaux. En cause, les coûts d'ingénierie et l'explosion des besoins en matériaux.
     C'est un rendez-vous tendu demain pour les responsables du programme international Iter de recherche sur la fusion nucléaire. Les représentants des sept puissances signataires du traité International Thermonuclear Reactor se réunissent en conseil au Japonavec un ordre du jour épineux: valider la nouvelle conception du démonstrateur. Et une mauvaise nouvelle: au lieu des 5 milliards € annoncés initialement, la facture atteindra sans doute plus du double. A laquelle il faudra ajouter 5 milliards pour l'exploitation du site.
     Le coup est rude pour ce programme lancé dans la douleur en 2006, après des années de négociations internationales. La France avait notamment bataillé pour accueillir en Provence, à Cadarache, le premier démonstrateur de ce projet de recherche prestigieux, le plus grand jamais réalisé au niveau mondial. Quant aux physiciens, les promesses qu'ils ont «vendues» sont attendues au tournant: une nouvelle énergie illimitée et non polluante pour la seconde moitié du siècle. Contrairement aux centrales nucléaires à fission, la fusion fait appel à une source de carburant théoriquement inépuisable: deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritium. Ce procédé possède un rendement très élevé et produit peu de déchets radioactifs.
     A condition de baigner le carburant dans une température de plus de 100 millions de degrés dans une enceinte sous vide où s'entrechoquent les atomes (plasma). La machine Iter compte sur ses bobines supraconductrices pour confiner le plasma dans un champ électromagnétique circulaire. Mais, à jouer les démiurges, les chercheurs sont pris de vertige.

Dérapage contrôlé
     «C'est un réajustement plus qu'un dérapage», assure Didier Gambier, directeur de l'agence européenne Fusion for Energy (FFE), la principale des sept agences chargées de la fourniture des composants au programme. La précédente évaluation avait été réalisée en 2001 à partir des connaissances partagées entre les trois partenaires historiques (Euratom qui implique 28 nations, la Russie et le Japon). Depuis vingt-cinq ans, quelques premières machines expérimentales (tokamaks) tentent de dompter la fusion. En Europe, le prototype Torre Supra, détenteur du record de durée de la réaction (378 secondes) et l'équipement britannique Jet, quatre fois plus grand, ont fourni la plupart des réponses scientifiques. Mais, depuis, quatre puissances ont rejoint le traité signé fin 2006 (Chine, Inde, Corée, Etats-Unis) et modifié la donne en contestant certains choix. «Sept partenaires, c'est plus de connaissances à partager, plus d'ingénierie, moins d'amortissement», résume Didier Gambier.
     Depuis le début des expérimentations sur la fusion dans les années 1970, les scientifiques butent sur le même écueil: le contrôle du plasma. Il suffit qu'il vienne lécher la paroi de la machine pour s'éteindre. Les chercheurs avancent sur ce sujet de façon empirique, car la modélisation du phénomène dépasse la puissance des ordinateurs actuels.
     Une équipe internationale de chercheurs conduite par Todd Evans à San Diego a proposé un nouveau concept : «créer un système «ABS» pour rattraper les dérapages du plasma», résume Norbert Holtkamp, directeur général adjoint d'Iter Organization. Selon ses travaux, il suffirait de rendre légèrement chaotique le champ de confinement magnétique avec une série de soupapes disséminées autour de la chambre à vide, pour que le plasma retrouve sa stabilité.
     Des expériences sont en cours sur un petit tokamak à San Diego et, d'ici peu, toutes les machines des partenaires d'Iter testeront la solution. «On saura d'ici à deux ans, si les choix technologiques qui ont été pris sont les bons, explique Norbert Holtkamp. Le design global de la machine n'est pas affecté, assure-t-il, mais des adaptations seront nécessaires

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Source: Consorzio RFX

Encore plus de plasma
     Le changement d'échelle pose un autre défi coûteux aux ingénieurs. Les expériences menées dans les tokamaks actuels montrent qu'il faut augmenter le volume du plasma pour obtenir une réaction de fusion qui dégage plus d'énergie qu'elle n'en consomme. C'est pourquoi les chercheurs ont le regard vissé sur deux objectifs: obtenir 500 mégawatts pendant au moins 400 secondes pour 50 mégawatts injectés. «Cela signifie que les particules alpha (le noyau d'hélium issu de la fusion deutérium-tritium) devront participer à hauteur de 66% au chauffage du plasma, contre actuellement 10% dans le tokamak européen Jet», explique Michel Chatelier, responsable de l'Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique au CEA. Les responsables du programme s'attendent donc à voir les coûts du démonstrateur exploser, notamment à cause du renchérissement de ses matériaux (cuivre, titane, alliages spéciaux). «Le programme Iter est cher car il est sophistiqué», tranche Kaname Ikeda, son directeur général. La fabrication des structures mécaniques est un bon exemple de cette complexité. La production de ces pièces nécessitera 10.000 tonnes d'aciers refroidis à moins 269 degrés et environ 130 tonnes de niobium-étain par an sur trois ans, alors que la production mondiale de cet alliage n'est encore que d'une tonne par an. S'il est plus performant que l'alliage niobium-titane déjà utilisé sur d'autres tokamaks, il est aussi quatre fois plus cher.

Calendrier serré
     S'ils veulent tenir le calendrier prévu pour la réalisation d'un premier plasma en 2018, les 34 partenaires du programme sont malgré tout condamnés à s'entendre, financièrement comme scientifiquement. «Iter n'est pas seulement une machine énergétique. C'est une machine diplomatique complexe et un défi culturel autant que technique», résume Bernard Bigot, administrateur général du CEA et haut représentant de la France pour Iter. Après le conseil du 17 juin, les échanges ne devront pas durer plus de six mois avant que le nouveau budget soit approuvé au cours d'un conseil prévu en novembre à Cadarache (Bouches-du-Rhône). Les appels d'offres seront rédigés et lancés dans la foulée, au tout début 2011. «Le planning est serré», admet Didier Gambier, dont l'agence FFE est chargée de coordonner les travaux de chaque partenaire.

Mettre tout le monde d'accord
     Les rouages bien huilés de l'organisation suffiront-ils à mettre tout le monde d'accord sur les nouveaux montants? Les règles du traité prévoient le partage équitable de 90% des coûts d'Iter à travers des apports en nature de composants. Une centaine d'accords doivent être signée pour ces fournitures. Le Japon et l'Europe auront ainsi l'essentiel du coeur de la machine, dont les aimants seront produits essentiellement en Asie. Les Etats-Unis interviendront sur toutes les parties du programme. L'Inde travaillera principalement sur les auxiliaires internes... «Pas sûr que la répartition initiale tienne le choc de la hausse des matières premières ou des coûts d'ingénierie», estime le représentant d'un des partenaires d'Iter qui veut garder l'anonymat. Certains pourraient profiter du prochain conseil pour demander à réviser les règles. Dans le contexte actuel de la crise financière, la diplomatie devra montrer toute sa puissance.