CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
Energies renouvelables, environnement-écologie, développement...
FLASHES 2011
"Tous les prétextes ont été bons pour limiter le développement des énergies renouvelables"

(Bernard Laponche, dans Le Monde)
ADIT, 5 avril
     Dans un chat sur LeMonde.fr, Bernard Laponche, physicien nucléaire, expert en politique énergétique, ancien directeur de l'Ademe, estime que la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité, jusqu'à sa disparition d'ici une vingtaine d'années, est un chemin crédible.

Jean: Au regard du facteur de charge des énergies renouvelables: 20-25% pour l'éolien et 10-15% pour le solaire, contre 60-90% pour le nucléaire et les énergies fossiles, n'est-il pas illusoire de penser pouvoir répondre à la demande mondiale uniquement par ces énergies dites "vertes"?
Bernard Laponche: Un certain nombre d'énergies renouvelables sont effectivement intermittentes ou variables. Par exemple, le photovoltaïque ne marche que le jour, l'éolien a besoin de vent. En revanche, l'hydraulique au fil de l'eau marche en permanence, donc a un facteur de charge du même ordre que celui du nucléaire ou des fossiles. Et quant à l'hydraulique de barrage, elle est faite exprès pour fonctionner en périodes de pointe, pour suivre la courbe de charge de la consommation, ce que ne peut pas faire le nucléaire, par exemple.
     Ensuite, c'est vrai qu'une éolienne ou un parc d'éoliennes dans un lieu donné a une production variable avec le vent, mais si l'on prend un territoire géographique assez étendu, on sait qu'il y a des compensations, et cette variabilité est beaucoup moindre.
     Deuxièmement, il ne faut pas raisonner sur une seule énergie renouvelable. Ce qui est important, c'est la combinaison des énergies renouvelables. Et si l'on combine hydraulique, éolien, photovoltaïque et biomasse, celle-ci pouvant suivre n'importe quelle courbe de charge, on voit qu'on peut répondre à la demande aussi bien qu'avec des centrales à combustible fossile.
     Si la demande mondiale continue à augmenter au rythme actuel, ni les fossiles, ni le nucléaire, ni les énergies renouvelables ne pourraient y répondre. Il faudrait les ressources de quatre planètes. Donc le premier effort doit porter sur les économies d'énergie, la réduction très forte de consommation des pays riches.
     A cette condition, et à l'horizon d'un demi-siècle, je pense qu'on peut arriver à ce que l'ensemble de la consommation mondiale d'énergie soit couvert par les énergies renouvelables.

Denis: Ne pensez-vous pas qu'il faille privilégier la sortie du pétrole plutôt que celle du nucléaire?
     Là encore, la situation de la France est très particulière par rapport aux autres pays. Si vous vous placez au niveau mondial, le pétrole représente 33% de la consommation d'énergie mondiale, l'uranium, 6%. Donc au niveau mondial, la question du pétrole est prépondérante, et la question du nucléaire est tout à fait secondaire.
     En d'autres termes, si on considérait globalement qu'il faut arrêter le nucléaire, cela ne changerait pas grand-chose, alors qu'en France c'est un problème majeur car les trois quarts de notre consommation d'électricité sont assurés par le nucléaire.
     Donc la France a un double problème: une dépendance au pétrole, à peu près la même que celle des autres pays, et doit donc faire des politiques de réduction de la consommation de pétrole, c'est-à-dire agir essentiellement sur les transports; et elle a aussi une dépendance au nucléaire, et doit donc faire des économies d'électricité.
     Par rapport à ces deux dépendances, elle doit développer des énergies renouvelables à la fois pour la production d'électricité et pour la production de chaleur.

Elise: Le nucléaire monopolise environ 90% du budget recherche sur l'énergie en France? Ne faudrait-il pas commencer par réorienter cet argent pour offrir à d'autres énergies moins dangereuses et si possible renouvelables la possibilité d'évoluer véritablement?
     Il y a une disproportion évidente et historique entre les budgets de recherche sur le nucléaire – il faut voir par exemple l'argent consacré à ITER – et ceux consacrés aux énergies renouvelables. Il y a deux raisons à cela: d'une part, l'Etat a toujours considéré que le nucléaire devait être prioritaire ; et d'autre part, le nucléaire est tellement complexe que les recherches nécessaires sont sans fin. Et d'une façon générale, s'il n'y avait pas un soutien permanent et très fort de l'Etat sur le nucléaire, il est certain qu'il y a longtemps qu'on l'aurait abandonné.

Annie Laroquebrou: Parmi les pays ayant à peu près le même niveau de vie que la France, que sait-on des consommations d'énergie électrique par habitant?
     Je peux vous donner l'exemple pour deux pays voisins, la France et l'Allemagne: les consommations d'électricité par habitant en 2008 sont pour l'Allemagne 6.000 kWh par an, et pour la France, 7.000 kWh, donc nettement plus. D'autre part, l'industrie allemande est plus importante que l'industrie française, et donc une part importante de l'électricité en Allemagne va vers son industrie.
     La consommation d'électricité dans le secteur résidentiel en France comprend une part importante pour le chauffage électrique, ce qui est une aberration. Mais même si on compare les consommations dans ce secteur entre l'Allemagne et la France, sans compter les utilisations thermiques – le chauffage, l'eau chaude et la cuisson –, la consommation en Allemagne par habitant est inférieure de 20% à 30% par rapport à celle de la France.
     Autre exemple: la Californie, l'un des Etats parmi les plus riches et les plus développés de la planète, probablement. La consommation d'électricité par habitant est de 6 000 kWh par an, donc nettement inférieure à celle de la France. Cela montre qu'il y a un potentiel très important d'économies d'électricité en France, par exemple dans l'industrie, où on introduit partout des moteurs très performants, sachant que 70% de la consommation d'électricité dans l'industrie est justement celle des moteurs. Dans le secteur des bâtiments – logements ou activités tertiaires –, il y a des dépenses de chauffage et d'eau chaude qui peuvent être assurées par autre chose que par l'électricité, et en particulier par le chauffe-eau solaire, qui est une technique très simple, très répandue dans certains pays.
     Il est quand même assez étonnant de constater qu'il y a dix fois plus de chauffe-eau solaires en Allemagne qu'en France, alors que notre potentiel solaire est beaucoup plus important que celui de l'Allemagne.

Super5: L'Allemagne, qui veut sortir du nucléaire, fonde son modèle énergétique sur le charbon, le pétrole... et l'importation d'électricité nucléaire française! Peut-on parler d'hypocrisie?
     La question a beaucoup de points faux. Il y a deux légendes: l'Allemagne se repose essentiellement sur le pétrole, et celle de l'importation d'électricité. La France importe plus d'électricité d'Allemagne que celle-ci n'en importe de France. Donc l'hypocrisie est plutôt du côté de la France, qui importe une électricité dont la production génère des émissions de CO2, qui ne sont pas comptées en France.
     Deuxièmement, sur le pétrole par habitant, la France consomme un peu plus de pétrole que l'Allemagne. En ce qui concerne le charbon, il est surtout utilisé en Allemagne pour la production d'électricité, dont il représente 40%. A comparer aux 80% de nucléaire en France.
     D'autre part, si on regarde la production d'origine renouvelable, en 1991, l'année de la réunification de l'Allemagne, la part des renouvelables dans la production d'électricité en Allemagne était de 4%. Aujourd'hui, elle est de 18%, et l'objectif pour 2020 est de 35%. C'est-à-dire supérieur à la part du nucléaire pour la production d'électricité en Allemagne, qui est de 30%.
     A l'inverse, la France avait une proportion de production d'électricité d'origine renouvelable de 11% en 1991, surtout basée sur la composante historique hydraulique, les grands barrages des années 1950, et cette proportion n'est que de 14% aujourd'hui. Donc on voit bien que l'Allemagne s'est placée sur une trajectoire plus importante du côté efficacité énergétique, d'une part, et beaucoup plus importante du côté du développement des énergies renouvelables.

Patrick: Au delà de l'incitation simple à l'économie d'énergie, comment changer les comportements? En augmentant les prix?
     Effectivement, il y a de bons esprits qui expliquent que c'est très simple, il suffit d'augmenter considérablement les prix, les gens seront coincés, et on baissera les consommations d'énergie. C'est très discutable à deux points de vue.
     Le premier, c'est que dans certains cas, vous êtes obligé d'utiliser votre voiture parce qu'il n'y a pas de transports en commun, donc l'augmentation des prix réduira vos ressources financières, mais pas forcément la consommation d'énergie. A ce moment-là, l'effet des prix entraînera chez les gens les plus pauvres ou même la classe moyenne une réduction du niveau de vie, du confort. Ce ne sera donc pas une méthode qui conservera le type de vie qu'ils avaient, mais qui représentera des restrictions.
     C'est encore plus vrai pour les pays pauvres au niveau de la planète, qui importent des produits pétroliers très chers. De la même façon qu'on peut ruiner les moins riches dans les pays riches, on peut certainement ruiner les pays pauvres. C'est donc une réponse facile, mais qui peut être inefficace, et qui est extrêmement injuste.
     La deuxième attitude, c'est qu'il y ait à la fois des prises de conscience qui font qu'on a un comportement différent par rapport à l'énergie. Par exemple la température de confort, même du point de vue de la santé, on dit que c'est plutôt 19°C que 23°C. C'est donc mieux du point de vue énergétique, mais aussi de celui de la qualité de vie.C'est vrai pour beaucoup de choses. Par exemple quelqu'un, que ce soit chez lui ou au bureau, ne laissera pas un robinet ouvert. En revanche, il laissera la lumière allumée.

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     Donc on peut jouer sur les comportements d'usage et les comportements d'achat, par exemple, acheter des appareils plus efficaces. Personnellement, j'ai travaillé dans beaucoup de pays sur cette question d'économies d'énergie, et je pense que les réglementations, les informations, le développement de bâtiments qui consomment peu, la commercialisation d'appareils efficaces, c'est-à-dire des politiques et des mesures, sont beaucoup plus efficaces et intelligentes que l'effet prix.

Orel: Quelle crédibilité accordez-vous aux propositions de sortie du nucléaire en France à l'horizon 2050 avancées notamment par le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts?
     Sur les politiques proposées actuellement, je pense qu'il faut qu'elles soient exprimées clairement, c'est-à-dire que la priorité doit être donnée aux économies d'énergie et d'électricité. Dans ces conditions, il est crédible de modifier profondément le système énergétique et de réduire progressivement la part du nucléaire dans la production d'électricité, jusqu'à arriver à son extinction sur une vingtaine d'années, et d'assurer une part très majoritaire de la production d'électricité par des énergies renouvelables. Mais la crédibilité repose sur la mise en place de programmes effectifs de rénovation énergétique des bâtiments, de transports collectifs, de trains et de diffusion d'équipements et d'appareils performants.

Nicolas: A l'échelle de la France, compte tenu de sa géographie (vent, fleuves, rivières, ensoleillement...), peut-on sortir d'un modèle 80-85% thermique ou nucléaire sans recouvrir le territoire de panneaux solaires ou d'éoliennes?
Ogier: J'ai entendu dire que, en France, pour passer du nucléaire à des énergies renouvelables telles que les éoliennes, il faudrait des parcs à éoliennes d'une superficie plus grande que celle de la France elle-même. Est-ce correct?
Barbara: Le potentiel énergétique de la France toutes énergies renouvelables confondues permet-il de supprimer totalement le nucléaire?
     Il faut voir que le premier avantage des énergies renouvelables est leur caractère local. Je reviens sur l'exemple des chauffe-eau solaires. Il doit y en avoir quelques unités sur la ville de Marseille, alors que l'ensoleillement y est colossal. Donc on pourrait, en équipant les toitures d'une ville comme Marseille, avoir une production pour le chauffage et l'eau chaude considérable, sans gâcher quoi que ce soit et occuper des terrains. C'est un peu pareil pour le photovoltaïque. Il est évident qu'il ne faut pas mettre de grandes installations photovoltaïques sur des terres agricoles. En revanche, on peut équiper des terrains stériles, mais surtout, là encore, équiper les toitures.
     De la même façon, nous avons en France un potentiel considérable de biomasse, et on sait qu'une forêt bien entretenue fournit un potentiel annuel très important pour la production de chaleur et même d'électricité, avec des unités de taille petite adaptées aux besoins locaux. Par exemple les petits réseaux de chaleur. Et encore une fois, l'entretien de la forêt est plutôt favorable au respect du patrimoine que l'inverse. Donc on peut très bien développer beaucoup plus les énergies renouvelables sans gaspiller des terrains ou détruire des forêts. C'est moins destructeur que de faire des trous pour le gaz de schiste.

Melajara: Quelle est la véritable raison pour laquelle l'Etat a tué l'économie florissante qui commençait à s'établir à propos des équipements solaires? Pression du lobby électronucléaire?
     D'une part, la seule préoccupation sur ces questions énergétiques, à part des efforts assez importants sur les économies d'énergie et même sur les énergies renouvelables, entre le premier choc pétrolier de 1975 et le contre-choc pétrolier de 1986, a été le soutien inconditionnel au programme nucléaire. Dans ces conditions, le développement des énergies renouvelables, malgré les déclarations fanfaronnes, a été considéré comme contradictoire à cette domination nucléaire. Et par conséquent, de la même façon qu'il a été pratiquement impossible de faire des économies d'électricité, tous les prétextes ont été bons pour limiter le développement des renouvelables. Et il est clair que le lobby électronucléaire a été et reste extrêmement actif dans ce domaine. Le drame est qu'il est totalement soutenu par l'appareil d'Etat.

Tania: Les énergies renouvelables sont-elles plus chères pour le consommateur?
Gwendal: Quel budget pour passer au "tout renouvelable"?
     Sur la question des coûts, premier point: ce qui compte, ce n'est pas seulement le coût de l'énergie, c'est à combien vous revient un service rendu, le confort dans votre maison. Donc la comparaison n'est pas seulement entre différentes façons de produire de l'énergie ou de l'électricité, mais aussi la question de la consommation. Et on comprend bien que si j'ai une maison très bien isolée et qui utilise au mieux les apports solaires, ma facture énergétique, quel que soit le produit énergétique que j'utilise, sera très inférieure. Donc du point de vue économique, ce sont à nouveau les économies d'énergie qui sont prioritaires.
     Si maintenant on compare les coûts de production de l'électricité, ce que l'on constate d'abord, c'est que depuis le début de la construction des centrales nucléaires, le coût du kWh nucléaire n'a cessé d'augmenter. Le dernier exemple étant le coût estimé aujourd'hui du kWh produit par la nouvelle centrale EPR, qui est très supérieur au coût des centrales précédentes.
     Il faut également tenir compte du fait que certains coûts ne sont pas correctement pris en compte, comme le coût du démantèlement des centrales, et celui des déchets radioactifs, dont on sait que c'est une dépense qui durera très longtemps.
     A l'inverse, le coût du kWh produit par les énergies renouvelables est nettement inférieur pour l'hydraulique, proche de la compétitivité pour l'éolien et la biomasse, encore nettement supérieur pour le photovoltaïque, mais le coût de celui-ci diminue actuellement d'environ 5% par an. Donc on peut dire que très probablement aux environs de 2020, du fait de l'augmentation plus que probable des coûts des combustibles fossiles et du nucléaire, la compétitivité sera atteinte pour pratiquement toutes les énergies renouvelables.

Jp Guébourg: Merci de nous parler des grands espoirs que représente la biomasse.
Tao: Les énergies alternatives ne concernent pas uniquement les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, pourquoi n'est-il pas fait mention des centrales solaires thermodynamiques et de géothermie à haute température?
Marc: Quand on parle d'énergies renouvelables, on cite toujours l'éolien et le solaire. On ne parle jamais des hydroliennes. Or l'hydrolien présente une efficacité plus élevée car les courants marins sont toujours là, contrairement au vent ou au soleil absent la nuit. Croyez-vous que l'hydrolien constitue une alternative crédible? Où en est le développement dans ce domaine?
     Le mot énergie renouvelable recouvre des techniques très différentes. Celles qui sont aujourd'hui sur le marché et qui se développent le plus, c'est l'hydraulique, la biomasse, et plus récemment, l'éolien et le photovoltaïque. Mais il y en a bien d'autres.
     Commençons par la biomasse. J'en ai parlé pour la production de chaleur ou d'électricité. Il y a aussi la possibilité de produire des carburants. Mais il faut faire très attention car il ne faut pas que cette production prenne le pas, d'une part sur la production agricole, et, d'autre part amène, comme c'est déjà le cas dans certains pays, à la destruction des forêts primaires. Je crois qu'il faut résister à cette tentation de trouver un nouvel "eldorado vert".
     Les autres sources: d'abord la géothermie, qui utilise l'eau chaude à température moyenne pour le chauffage, comme en Ile-de-France. Cela pose parfois des problèmes de corrosion, mais c'est une énergie intéressante. On peut aussi utiliser la chaleur de la terre ou des nappes d'eau pour des pompes à chaleur.
     Il existe quelques projets de géothermie à haute température en zones volcaniques, comme à Bouillante, en Guadeloupe, et des expérimentations sur la chaleur des roches profondes. L'autre grande catégorie, ce sont les énergies marines, comme la marémotrice, les hydrauliennes, et l'énergie des vagues.
     Enfin, effectivement, le solaire, qui est utilisé pour la production de chaleur ou d'électricité, comprend également les centrales thermodynamiques par concentration du rayonnement solaire par des miroirs.

Patrick:  Et l'Europe dans tout ça? Que pensez-vous de la dynamique européenne en matière d'énergies renouvelables?
     Pour le moment, la France est tirée par l'Europe. Il y a un certain nombre de pays en pointe, et petit à petit, l'Europe progresse en suivant les meilleurs. C'est ainsi que les directives sur les équipements efficaces, l'étiquette sur les performances des appareils sont venues d'Europe. De même, les directives sur la part d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergies en 2020. Et auparavant, les obligations sur la part dans la production d'électricité. Et aussi les directives sur la qualité énergétique des bâtiments, et même la directive très précise sur l'efficacité énergétique. Donc, quelquefois, on peut se plaindre de l'Europe, mais sur le plan de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables, elle est plutôt moteur, surtout le Parlement européen. Car sur ces questions, chaque Etat, à part quelques-uns, a tendance à freiner, et le Parlement européen est en avant par rapport aux Etats.