CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
Energies renouvelables, environnement-écologie, développement...
DEVELOPPEMENT
Le développement au détriment du climat
ADIT, janvier 2009



L'usine de production d'aluminium de Deschambault au Canada. | ALCOA
LE MONDE | 05.01
NUUK (GROENLAND) ENVOYÉ SPÉCIAL

     C'est encore difficile à imaginer lorsque l'on survole la côte du Groenland, immaculée, immense, déchirée, pleine de fjords et d'icebergs, où parfois, contre toute attente, on découvre sur un îlot quelques dizaines de maisons reliées à nulle part. Pourtant, c'est sur cette côte ouest, à Maniisoq, face au Canada, que pourrait bientôt être construite une usine qui produirait 360.000 tonnes d'aluminium par an - d'ici à 2015, si Alcoa voit ses projets se réaliser.
     Une réalisation titanesque d'environ 3 milliards € d'investissement, qui nécessitera le travail de 5?000 ouvriers, sans doute polonais et chinois, pour le chantier, sur une île qui ne compte que 56.000 habitants. Mais un autre défi est bien plus pressant, et délicat : avec cette usine, le Groenland, aujourd'hui dans le camp des victimes du réchauffement climatique (fonte de la calotte et des glaciers, bouleversement de la culture traditionnelle inuit), rejoindra celui des pollueurs. "Nous allons devenir une partie du problème. Je préférerais que l'on soit une partie de la solution", lance Aqqaluk Lynge, président groenlandais du Conseil circumpolaire inuit.

REVES D'INDEPENDANCE
     Le Danemark, qui accueillera dans un an la conférence de l'après-Kyoto, COP 15, est embarrassé. Lors de la signature du protocole de Kyoto, le Danemark, qui devait baisser ses rejets de 21%, avait négocié un accord spécial pour le Groenland, de 8% seulement. "Nous leur reconnaissons le droit de se développer. Pour la suite, ce n'est pas à nous de leur dire ce qu'ils doivent faire", souligne Tore Keller, porte-parole du ministère danois du climat. Les Danois attendent maintenant le plan climat que doit présenter le Groenland dans les semaines à venir.
     Ancienne députée, Ellen Christoffersen, aujourd'hui porte-parole de Greenland Development, agence du gouvernement autonome groenlandais qui coordonne les négociations avec Alcoa, admet que la question est difficile: "Je suis contente de ne plus être députée et de ne pas avoir à voter là-dessus." La production d'aluminium est très polluante et la discussion a, jusqu'à présent, surtout montré les lacunes du Groenland. Alors que le pays vient de voter, le 25 novembre 2008, en faveur d'une autonomie élargie vis-à-vis du Danemark, il ne dispose toujours d'aucune stratégie climatique. Dès aujourd'hui, "le Groenland n'arrive pas à respecter la baisse de 8% de ses rejets de gaz à effet de serre", note le journal Sermitsiaq. La tâche se compliquera encore si les rêves groenlandais se concrétisent. "L'usine d'aluminium, à elle seule, augmenterait de 75% les rejets groenlandais de gaz à effet de serre", ajoute le journal.

     "C'est vrai, concède Per Berthelsen, ministre groenlandais des finances et des affaires étrangères. Mais l'industrie de la pêche, qui représente 90% de nos exportations, est vulnérable à cause du changement climatique. Il faut que l'on trouve des sources de revenus à terre. C'est pour cela que l'on attend beaucoup d'Alcoa. Si cela marche, les revenus fiscaux s'élèveront à 200 millions de couronnes (27 millions d'euros) par an dès 2011." Une manne importante pour financer les rêves d'indépendance du Groenland. "Il faut voir cette production d'aluminium d'un point de vue global, note Kaj Kleist, directeur de cabinet du premier ministre groenlandais. Ailleurs dans le monde, ils choisissent du charbon ou du gaz naturel pour produire de l'aluminium, ici au moins, on utilisera une énergie verte avec deux usines hydroélectriques pour produire cet aluminium." Ce qui, selon lui, produirait huit à neuf fois moins de gaz à effet de serre que les usines alimentées au charbon, comme en Chine, ou au gaz naturel comme au Moyen-Orient. "Même si l'on augmente le niveau de rejets de gaz carbonique localement, poursuit M. Kleist, on aide le monde avec cet aluminium qui est demandé."
     Kim Kielsen, ministre groenlandais des ressources, est tout aussi décidé: "Nous devons pouvoir nous développer." Selon lui, les contraintes climatiques ne doivent pas être un frein pour le Groenland.
Olivier Truc
Un territoire grand comme quatre fois la France
     Territoire autonome rattaché au Danemark depuis 1921, l'immense île du Groenland (sa superficie est équivalente à quatre fois la France) est recouverte par les glaces à 85%.
     Ses 56.000 habitants sont regroupés sur les côtes rocheuses situées à l'ouest de l'île. Nuuk, la capitale, est une petite ville de 15.000 habitants.
     Bien que situé au plan géographique en Amérique du Nord, le Groenland s'intègre plutôt à l'Europe au plan économique en raison de son appartenance au Royaume du Danemark. Mais plus de 75% des Groenlandais se sont prononcés, en novembre 2008, en faveur d'un statut d'autonomie élargie ouvrant la voie à l'indépendance du territoire.
     La moitié du budget de l'Etat groenlandais provenant de l'Etat danois, le territoire est extrêmement dépendant du Danemark, qui tend cependant à faire en sorte que le Groenland assume lui-même des services, comme la police par exemple, jusque-là assurés par Copenhague.
     L'économie du Groenland repose essentiellement sur l'extraction de ressources naturelles et sur la pêche. L'île posséderait également, dans ses eaux territoriales, d'importantes réserves d'hydrocarbures.