HISTOIRE, histoires
LA PREMIÈRE VOITURE ÉLECTRIQUE

CONSTRUITE EN SÉRIE
Pierre Faure: Voiture de s»rie deux places, conduite int»rieure (1940)
    Il importe, lorsqu'on tente de réaliser une chose pratiquement utile aux hommes, de comprendre d'abord les origines de l'énergie pour essayer ensuite de l'utiliser aux moindres frais.
    Chacun sait que l'énergie dont il nous est possible de disposer a pour origine le soleil.
    Le soleil dispense la chaleur qui a fait naître la vie sur notre petit globe terrestre, et la vie n'est qu'une manifestation d'énergie transformée.
    Que cette énergie soit, voilà le mystère; mais l'homme doit se contenter de constater que, pour lui, les choses sont ce qu'elles sont et que ce qui se présente à ses yeux et à son esprit doit mériter attention et examen.
    Du point de vue métaphysique il est possible de discuter sans trêve sur l'essence même de l'énergie, sur ses origines et sur ses fins, mais du point de vue pratique le problème consiste seulement à considérer l'homme en regard de la nature, de ses lois, des nécessités qu'elle impose, de ses manifestations générales et des possibilités qu'elle offre à l'homme, tendu chaque jour vers l'amélioration de son sort terrestre.
    A la réflexion, il saute aux yeux de ceux qui veulent bien observer qu'une fraction importante de l'énergie humaine est dépensée pour le transport des objets d'un point à un autre.
    Pour transporter chaque travailleur de son domicile à son travail quotidien, une énergie considérable est nécessaire.
    Pour permettre à chacun de déjeuner il a fallu mettre en oeuvre des moyens de transport véritablement gigantesques, car le beurre, les oeufs, la viande, le lait, le pain doivent être acheminés vers les centres de consommation.
    Il résulte de ces simples constatations que le problème des transports impose aux hommes une loi dure et que celui qui veut tendre à améliorer leurs conditions de vie doit, en particulier, travailler à améliorer les transports, à diminuer leur prix.
    Le problème, du point de vue pratique et économique, se résume donc à trouver le moyen d'utiliser l'énergie solaire dans les meilleures conditions pour assurer les transports.
    Si les chutes d'eau, bien canalisées, bien employées, peuvent dispenser l'énergie pratiquement, les pêches et les poires seront moins chères, car il aura fallu pour les livrer à la consommation employer une énergie d'un faible prix.
    En partant de ces vérités d'évidence on est amené à conclure que la logique impose l'accumulation de l'énergie naturelle durant les heures où les hommes chôment et ne l'utilisent point.
    La pluie se répand sur le monde, crée des lacs, des sources et des chutes d'eau qui, en ce qui concerne notre pays, suffiraient à nous fournir l'énergie nécessaire à tous nos transports, qui absorbent aujourd'hui près de 90 % du travail des hommes.
    Malheureusement l'homme n'a point encore trouvé le moyen d'émettre de l'énergie électrique dans l'atmosphère et de la capter sans fil conducteur.
    Force nous est donc de l'employer sur un conducteur ou de l'emmagasiner d'une façon quelconque pour la restituer ensuite.
    Jusqu'à ce jour l'accumulateur, que le courant électrique charge en l'obligeant à subir une action chimique, inverse durant la décharge, a permis de «mettre en bouteille» l'extraordinaire fluide électrique.
    Mais l'accumulateur est lourd. J'ai cependant pensé que, malgré son poids, l'accumulateur était relevable d'une utilisation pratique et j'ai entrepris de mesurer son rendement exact aux différents régimes de décharge, sa durée véritable et les moyens d'augmenter celle-ci. Techniquement, il est difficile de réaliser des accumulateurs à base de plomb subissant des décharges assez intenses en leur conservant un rendement acceptable et la durée nécessaire, et mes premières études sur ce sujet, en 1936, me prouvèrent que le travail exigé des accumulateurs employés pour la traction demande que ceux-ci soient d'une fabrication particulière. Des batteries spéciales ont ainsi pu être mises au point et, après une longue expérimentation, je suis en mesure de garantir dix-huit mois les batteries qui équiperont mes voitures.
    Après ce temps, si leur rendement diminue, il suffira de faire changer les plaques positives pour leur donner une nouvelle vie de dix-huit mois - et ce chiffre est un minimum.
    C'est la seule dépense d'entretien de la voiture électrique que je présente au public.
    Je crois donc avoir fait progresser la question des accumulateurs puisque, jusqu'à ce jour, une batterie «traction» au cadmium-nickel pesant 25 % de plus que celle que j'utilise coûtait deux fois plus cher.
    Dans la conception et la construction de la voiture électrique qui va dans quelques semaines sortir en série j'ai tenté de faire simple et de donner à chacun des problèmes de réalisation sa solution la plus économique.
    C'est ainsi qu'au point de vue de la conduite de la voiture une pédale disposée comme celle de l'accélérateur des voitures ordinaires permet de démarrer et d'accélérer. Cette seule pédale permet donc l'arrêt le démarrage et la marche.
    Il ne semble pas possible de faire plus simple. En ce qui concerne la charge des accumulateurs, qui jusqu'à ce jour s'effectuait grâce à des transformateurs-redresseurs d'un grand prix et d'un poids considérable, j'ai fait en sorte que le dispositif de redressement du courant alternatif soit très allégé et puisse être placé dans la voiture même. C'est là, je crois, un progrès important, tant du point de vue pratique - puisqu'une simple prise de courant suffit pour charger les accus, que du point de vue économique Ņ le transformateur-redresseur ayant été réduit à l'extrême en prix et en poids.
    Au point de vue social, j'estime qu'il était indispensable de construire une voiture d'un prix aussi bas que possible. Je n'ai pu atteindre ce que j'espérais il y a un an, car les matières premières ont sensiblement augmenté. Néanmoins, lorsque la vente à crédit aura pu être organisée dans de bonnes conditions, chacun pourra disposer d'une voiture pour 500 ou 600 francs par mois de dépense totale.
    Je crois que la sortie en série d'une voiture électrique comme celle que j'ai mise au point rendra service à mon pays et je crois le jour proche où nous aurons donné à nos concitoyens la possibilité de se rendre à leur travail à très bon compte.
    J'ajouterai que le silence dont on pourra jouir dans les villes, ainsi que l'absence de gaz brûlés rejetés par les automobiles à essence ou au gasoil constitueront un progrès immense car la vie de chacun sera rendue plus saine et moins fatigante.
P.F.

Autres photos de ce No de l'Illustration
La jamais contente: plus de 100km/h en 1899 (mus»e de CompiĄgne - F)coup» Krieger, 1,6t: 700km en 1905 sans recharge avec batterie Tem de 700kgcamionnette Jourdain-Monneret (1940?)camion Vetra (1940?), St-Ouen (F-93), 13 tonnes, batterie Tem blind»e de 1,4t
    Au sujet de la première photo: c'est le 1er mai 1899, près d'Achères, qu'une voiture construite en France franchissait, pour la première fois dans l'histoire, le cap fatidique des 100 km/h. Particularité, cette voiture, conçue par le Belge Camille Jenatzy, était électrique. Et sa principale concurrente, pilotée par le comte Chasseloup-Laubat (record : 94 km/h quelques mois auparavant) l'était également.