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ARCHITECTURE
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Hypergreen, une tour écolo en bas résille
http://www.lesechos.fr/journal20060110/lec1_competences/4366479.htm


Fruit des études d'un architecte et d'un industriel, l'immeuble mise sur le développement durable. Une ville-satellite de Shanghai a mis une option sur le projet.
 
    Son nom annonce la couleur: la tour Hypergreen se veut verte et durable, essentiellement écologique. Abouti au terme d'une gestation de six mois, le projet est né de la rencontre entre le groupe Lafarge, leader mondial des matériaux de construction, et Jacques Ferrier, architecte installé à Paris, appuyé par l'ingénieur Jean-Marc Weil et le bureau d'études Tribu. Réunie au sein d'un laboratoire de recherche mis en place par l'industriel, l'équipe pluridisciplinaire a réfléchi autour d'un même mot d'ordre: «Explorer de façon réaliste l'avenir de l'architecture dans une option affirmée de développement durable».
    Dénombrant cinquante-cinq étages pour une hauteur d'environ 250 mètres y compris «l'usine à vent» plantée au sommet, la tour se distingue moins par ses mensurations que par son ambition énergétique. «Il ne s'agit pas d'un exercice de style, mais d'une version possible de l'avenir des villes qui parie fortement sur l'écologie», insiste Jacques Ferrier. Les choix de conception se veulent ici validés par des critères objectifs, forcément structurels, mais aussi thermiques et fonctionnels. L'objectif affiché est d'apporter une réponse à l'équation pressante entre urbanisation et pollution dans le contexte des nouvelles mégalopoles, notamment celles du continent asiatique ou sud-américain.
    A conception claire, résolution simple. Loin des géométries complexes et des dessins alambiqués, la tour fuse d'un seul tenant sous la forme d'un corps elliptique ceint d'une résille constituée d'une trame en losanges de dimensions variables, déclinés de 7 mètres jusqu'à 1 mètre de côté selon les orientations. Aussi élémentaire qu'un protège-bouteille en polystyrène et aussi fascinante qu'un mandala en fil de fer, cette résille-enveloppe réalise à la fois le contreventement et la gaine de protection solaire de l'ensemble dans une intime sujétion de la forme au programme. L'originalité réside dans la structure ainsi pensée en deux volets, d'une part la résistance aux efforts horizontaux (prise au vent et parasismique) gérée par la résille, d'autre part la descente des charges assurée par une trame de poteaux intérieurs. Débarrassée du classique noyau central, la structure autorise ainsi une grande souplesse d'occupation. La seconde avancée, toute de bon sens, est de renouer avec le principe fondamental de l'orientation, jusqu'à présent largement nié par les constructions de grande hauteur identiques sur toutes les faces.

Un béton nouvelle génération
    Ni high-tech ni massive, la tour Hypergreen doit son secret à l'un des matériaux les plus innovants d'aujourd'hui: le béton fibré à ultra-haute performance, ou BFUP, sorte de pâte ductile extrêmement résistante et totalement imperméable, notamment développée par Lafarge sous le nom de Ductal.
    Déjà mis en oeuvre avec succès par l'architecte Rudy Ricciotti pour la passerelle de la Paix, à Séoul, en Corée, ou plus modestement par Finn Geipel et Giulia Andi pour l'aménagement du pavillon de l'Arsenal, lieu d'exposition de la Ville de Paris, ce béton nouvelle génération délivre à la résille toute la finesse souhaitée. Prime à la légèreté: le poids de la structure de 250 mètres de haut équivaudrait à celui d'un immeuble traditionnel de huit étages de même emprise. Poteaux et planchers, tous les éléments sont conçus pour être préfabriqués, induisant un assemblage propre et mécanique, et un éventuel démontage tout aussi performant, sans nuisance afférente. La résille monte en premier et avec elle la grue centrale et les étages.

    Outre l'effet de claustra sensible de la structure, la réflexion climatique combine une série de dispositifs tels que des puits canadiens pour la maîtrise thermique, des panneaux photovoltaïques et des collecteurs d'eaux pluviales intégrés à la résille pour l'apport énergétique et la performance écologique.
    Le couronnement composé d'éoliennes à axe vertical constitue également un signe d'identité. Selon le bureau d'études Tribu, la tour serait autosuffisante à 70%. Les volumes intérieurs épousent cette logique environnementale avec une belle ambiance lumineuse et des serres sur les faces exposées pour espaces tampons et lieux d'agrément.

Fixer la vie jour et nuit
    Le souhait des concepteurs est d'obtenir une occupation mixte de la superficie de 94.000 m2, entre bureaux, logements et équipements collectifs, pour optimiser l'ouvrage et fixer la vie de jour comme de nuit. La conception des parkings creusés en pied et formant une douve naturellement éclairée facilitera le fonctionnement. L'investissement ne devrait pas être supérieur de 10 ou 15% d'une construction conventionnelle de même type, voire moindre en coût global sur un cycle de vingt ou trente ans.
    «Rien dans cette tour n'est inventé. L'innovation repose sur la combinaison de technologies existantes, rassemblées de manière efficace pour créer un dispositif inédit dans son domaine d'application», fait valoir Jacques Ferrier, pour qui «l'architecture donne du sens à la technique».
    A ce jour, la Chine est la première à se déclarer intéressée par le projet. «Premier producteur au monde de panneaux photovoltaïques et propagateur des mobylettes électriques, obligatoires depuis le 1er janvier, le pays le plus peuplé du monde est peut-être plus préoccupé de développement durable qu'on ne le suppose généralement...», observe l'architecte. Une présentation à l'université de Tonji, à Shanghai, sorte de super-Polytechnique chinois, a suffi à motiver une ville nouvelle des environs. La réalité semble rattraper ce qui n'était au départ qu'une étude, confirmant l'urgence de solutions au développement urbain pour le long terme.
 

Le parcours de Jacques Ferrier
    Paru aux Editions Ante Prima-Birkhäuser en 2004, «Useful utiles, la poésie des choses utiles», de Jacques Ferrier, éclaire le parcours de cet architecte né en 1959 à Limoux (Aude) et formé chez Norman Foster, en Angleterre, qui crée son agence en 1990, à Paris. Préface analytique et entretien sur la pratique en version bilingue anglais-français accompagnent la présentation de ses projets et réalisations, parmi lesquels des équipements publics, culturels et des bureaux, notamment pour la RATP. Parallèlement à cette production, Jacques Ferrier développe une activité de recherche architecturale en partenariat avec les industriels, dont la tour Hypergreen est l'une des illustrations.