CONTROVERSES ENER...ETHIQUES
et NUCLEAIRES


ESSAIS NUCLEAIRES ET SANTE

Essais nucléaires: les retombées ont la vie longue
ADIT, http://www.lesechos.fr/, avril 2009

[01/04/09]

La puissance totale envoyée dans l'air par les cinq puissances nucléaires a atteint 440 millions de tonnes de TNT.
Les essais avaient des puissances très variables, allant de moins de 1 tonne jusqu'à l'explosion russe record de 50 millions de tonnes, le 30 octobre 1961, en Nouvelle-Zemble.
 
     Enfants des années 1960, cette information vous a sans doute échappé, mais vous êtes la génération qui a le plus souffert des essais nucléaires aériens. Impossible, répondrez-vous, puisqu'ils ont été remplacés par des tirs souterrains à partir de 1961. Mais c'est oublier la frénésie qui s'est emparée du monde pendant la guerre froide, essentiellement entre 1954 et 1958, et dans les années 1961 et 1962. En 1961, l'ancienne URSS réalisait en Nouvelle-Zemble le tir le plus puissant jamais lâché avec une explosion record d'une puissance de 50 millions de tonnes! Soit 2.500 fois plus forte que celles d'Hiroshima et de Nagasaki, sachant que la puissance d'une arme nucléaire s'exprime en tonnes d'explosif classique de type TNT (trinitrotoluène).
     L'année suivante, l'URSS et les Etats-Unis effectuaient 118 tirs équivalant à 170 millions de tonnes de TNT, soit 40% de la puissance lâchée entre le 16 juillet 1945 et le dernier essai atmosphérique en 1980. Entre le premier test de la bombe américaine en plein désert du Nouveau-Mexique, qui servira trois semaines plus tard aux bombardements des villes japonaises d'Hiroshima et de Nagasaki (6 et 9 août 1945) et le dernier lancer chinois, la puissance totale envoyée dans l'air par les cinq puissances nucléaires mondiales (ex-URSS, Etats-Unis, Royaume-Uni, France et Chine) a atteint 440 millions de tonnes!
     Or ces «petites expériences» ont beau avoir eu lieu sur des sites isolés, qu'ils s'agissent de déserts ou d'îles perdues comme Moruroa, elles n'en ont pas moins libéré des milliards de particules radioactives. Comme le fameux «champignon» a pu s'élever jusqu'à 50 kilomètres d'altitude dans la stratosphère, certaines sont redescendues tranquillement par gravité sur l'ensemble du globe, d'autres voyageant au gré des vents dominants sur des milliers de kilomètres. Lors de la fission d'atomes lourds comme l'uranium 235 ou le plutonium 239, certains des radionucléides disséminés ont une durée de vie qui ne dépasse guère quelques jours, et s'oublient vite, mais d'autres, comme le strontium 90 (29 ans), l'américium 241 (433 ans), ou même le plutonium 239 (24.000 ans!) sont dits à «vie longue».
 
Indemnisation des victimes
     Tandis que le ministère de la Défense en France vient à l'issue d'un très long combat de reconnaître le droit à indemnisation des victimes des 210 essais nucléaires menées par la France au Sahara et en Polynésie, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dévoile les résultats d'une étude sur les retombées des essais nucléaires sur la métropole. Il a fallu attendre 2003, à la suite d'une polémique soulevée par la découverte d'une importante radioactivité au cesium 137 dans les sols de la Montagne Noire dans l'Aude, région en théorie épargnée par les retombées de Tchernobyl, pour que le ministère de l'Environnement demande à l'IRSN de faire la lumière sur ce sujet.
suite:
     En exploitant et modélisant plus de 40.000 résultats de mesures réalisées entre 1961 et 1978, l'IRSN a ainsi pu calculer que la génération la plus exposée aux retombées des essais atmosphériques est celle des enfants nés en 1961. Au cours des dix-sept premières années de leur vie, ils ont absorbé une dose radioactive cumulée de 1,5 millisievert (mSv) en moyenne, et jusqu'à 5 mSv pour les habitants des régions les plus « arrosées ». Un enfant de 1961 a selon toute probabilité reçu une dose à la thyroïde 40 fois supérieure à celle d'un enfant né en 1970. «La dose annuelle due aux essais nucléaires a atteint en 1963 son sommet à 300 microsieverts (0,3 mSv) en moyenne en France, constate l'Institut, soit un même ordre de grandeur que celle de l'année 1986, due aux retombées de l'accident de Tchernobyl
     L'IRSN parvient en partie à ce calcul par l'analyse des pics d'activité constatés sur les végétaux. Après chaque tir, la radioactivité de la feuille de laitue progressait, jusqu'à 100 becquerels au plus fort de 1963! D'autres mesures permettent de constater le même phénomène pour le lait, et l'IRSN note qu'après les premiers essais, «tous les aliments sont atteints de manière continue et durable par le césium 137 et le strontium 90». En convertissant ces données à l'estomac humain, notamment, l'IRSN conclut que les essais atmosphériques ont finalement pesé pour 0,3 mSv.
 
Un millisievert par an
     Enfants des années 1960, rassurez-vous (!?!), ce montant reste bien faible au regard de la dose moyenne reçue par un Français d'aujourd'hui. Elle est estimée à 3,3 mSv par an. Les rayonnements dus aux essais et même aux retombées de Tchernobyl sont devenus quasiment indécelables. Et actuellement, la dose annuelle réglementaire admissible de radioactivité «artificielle» est fixée à un millisievert par an pour le public.
     Si les Français de métropole n'ont finalement pas été exposés à de grands dangers en raison des essais, l'IRSN admet que le césium 137 toujours présent dans le sol du territoire n'existait pas avant 1945 et prouve a posteriori à quel point la poursuite des essais atmosphériques aurait pu s'avérer dangereuse. Interdits dans l'air et l'eau par un premier accord international partiel en 1963, il aura fallu cinquante ans de combats acharnés des pacifistes pour obtenir l'interdiction de tous les essais, y compris souterrains, en vertu du Traité d'interdiction des essais nucléaires de 1996. Bien qu'il soit appliqué, ce traité attend toujours la ratification officielle de la Chine et des Etats-Unis. 
ANNE BAUER, Les Echos
Glossaire
     Activité: nombre de désintégrations spontanées de noyaux atomiques par unité de temps. L'unité d'activité est le becquerel.
     Becquerel (Bq): unité de mesure, légale et internationale, utilisée pour la radioactivité. Le becquerel est égal à une désintégration par seconde.
     Césium (Cs, numéro atomique 55): métal rare et toxique dont les caractéristiques sont comparables à celles du potassium. Les isotopes 134 et 137 sont des produits de fission radioactifs dont la période radioactive est de 2,2 ans pour le premier et de 30,17 ans pour le second.
     Sievert: unité légale d'équivalent de dose (ou dose efficace) qui permet de rendre compte de l'effet biologique produit par une dose absorbée donnée sur un organisme vivant.