CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ESSAIS NUCLEAIRES ET SANTE

Algérie
Essais Nucléaires - "Nous avons été des cobayes"
février 2009
ADIT

     Entre 1960 et 1996, 210 essais nucléaires ont été tirés en Polynésie et dans le Sahara algérien. La France coloniale effectue son premier essai nucléaire, baptisée Gerboise bleue, dans le désert algérien, à Reggane. Un essai quatre fois supérieur à Hiroshima. Le dernier se déroule en 1996 dans les profondeurs de l'atoll de Fangataufa, en Polynésie. L'objectif: étudier le phénomène nucléaire en grandeur réelle. Les vétérans, présents à l'époque, ignoraient tout de leur mission. Aujourd'hui, nombre d'entre eux, amers «d'avoir servis de cobaye» exigent réparation. Des vétérans atteints de maladie radio-induites (cancer, leucémie, problèmes dermatologiques, ophtalmiques ou encore cardio-vasculaire...), des civils, des autochtones.
Viriginie Belle, le mardi 3 février 2009


Lucien Parfait était appelé du contingent à In Ecker, en 1962.
Photo Djamel Ouahab

     «J'étais appelé du contingent. Profession artisan-maçon. Le 1er mai 1960, jour de mon départ, j'avais 20 ans, raconte Lucien, à l'aube de ses 69 ans. Grenoble près de deux ans, puis Marseille, Nord Atlas algérien avant le camp d'In Ecker, dans le Sahara. "Maçons, paysans sortez des rangs". Nous avons été envoyés à la galerie destinée à transporter la bombe au cœur de la montagne d'In Ecker. Besoin de main-d'œuvre. Devant nous, les Ch'tis ouvraient le tunnel, nous étions chargés des finitions.» Pas de masque, cachets de sel obligatoires, 12 à 15 litres d'eau chaque jour. Eviter la déshydratation.
     «La galerie finie, on a tiré un glacis, avec l'ingénieur. On a transporté les deux éléments de la bombe en wagonnets.» Avant son départ, Lucien ignorait tout des motifs de sa venue ici.
     1er mai 1962. Jour J pour le tir baptisé Béryl. «Nous, les simples soldats, portions une tenue en coton blanc. Un masque à gaz rescapé de la dernière guerre. Il faisait si chaud. Pas de consigne de sécurité particulière. A 11 heures, à 500 mètres du point zéro, Lucien est dehors. Explosion. La montagne tremble. De gros rochers « pareils à des voitures» se décrochent. La montagne s'ouvre, se fissure, laissant échapper un épais nuage. Coups de sirène. Deux. Avant le vent de panique «indescriptible». Chacun cherche à fuir le monstre radioactif. «Nous étions les plus près et les derniers à partir en camion. Tout le monde a été évacué dans les secondes suivant l'accident. » Le vent n'a pas rattrapé le convoi. De retour au camp de base, à quelques dizaines de kilomètres de là, « on nous a mis dans un hangar en tôle».
     5 mai. Seulement «cinq jours après, on m'a envoyé avec un gars, à 8 heures du matin, chercher un compresseur Spiros». En tracteur, Lucien et son collègue s'élancent à nouveau en direction de l'entrée de la galerie. L'objet, de la taille d'un fourgon, est enseveli sous les gravats. Il leur faudra quatre heures de travail avant de l'atteler à l'engin agricole. Quatre heures d'exposition à une radioactivité très intense. Auxquels s'ajoutent quatre heures de trajet aller-retour. Objectif de la manœuvre: effectuer un relevé dosimétrique sur l'objet. «Pendant cette mission, nous étions obsédés par le danger et dans l'impossibilité de désobéir aux ordres. On s'en est pris un maximum.» A notre arrivée au camp, «les gars de la décontamination ont récupéré le compresseur et nous ont renvoyés dans notre hangar. Aucune mesure de décontamination ne nous a été proposée...» Lucien se repasse le film, un brin amer.
     14 mai. Réintégration du camp d'In Ecker «comme si rien ne s'était passé». Le travail reprend pour débuter l'expérience 3. «On a dépoussiéré les tentes, nos lits, nos placards, nos valises»... Et repris les outils.

     23 juin. Lucien est libérable, retour en Ardèche. Les symptômes commencent à apparaître. Premier diagnostic: polyglobulie, leucocytose, lymphocytose. Rapidement, des neavus, – ou tumeurs – apparaissent sur le cou, les joues, autour des yeux. Un an plus tard se déclarent cancer de la peau et de la mâchoire. Lucien consulte un professeur à Lyon et ne rentrera qu'une vingtaine de jours plus tard, séjournant en stomato, ophtalmo, pneumo... «Ils m'ont enlevé les deux coins des yeux et une partie du nez.» Suivront 30 anesthésies générales et une centaine d'anesthésies locales. Il accepte le combat «pour voir grandir ses deux filles».
     Le certificat de ce ponte lyonnais atteste que l'exposition radioactive subie par Lucien Parfait est considérée comme le facteur déclenchant de ses multiples pathologies. Fort de cette preuve, il entame sa première demande d'indemnisation pour défiguration de l'œil droit en 1969. Débouté. 1975, seconde procédure pour ses cancers. Débouté. 1977. Débouté. 2005. Débouté. 11 septembre 2008. Débouté en appel. Lucien se dit «écœuré». «On me demande des preuves que je ne peux apporter
     A ce jour, Lucien n'a pas perçu le moindre centime d'indemnisation. Aujourd'hui, «je demande seulement que l'Etat reconnaisse sa responsabilité. Ce n'est pas pour l'argent – je ne le refuserai pas, ça arrangerait bien les fins de mois –  mais pour notre honneur à tous. On a été sacrifié. On a été des cobayes, laissés pour compte, sans aucun suivi médical à notre retour». Aucun, tient à répéter Lucien. Aucun.
     A bientôt 69 ans, Lucien Parfait se soigne, entouré de sa famille, dans sa maison du Pouzin, en Ardèche. Exposé sur le site d'In Ecker, après le tir du Béryl, en 1962, il souffre aujourd'hui de multiples pathologies. Il livre un témoignage poignant dans le documentaire Gerboise bleue:

Gerboise Bleue
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gerboise_Bleue

     Gerboise Bleue... «pourrait être le nom d’une fleur sauvage ou d’une pierre précieuse... Mais il n’en est rien. C’est le nom du premier essai atomique français effectué à Reggane, en Algérie, le 13 février 1960», explique le réalisateur Djamel Ouahab. Son film, qui sortira le 11 février sur les écrans, raconte l’histoire des vétérans français et des Touaregs algériens victimes des premiers essais atomiques dans le Sahara de 1960 à 1966. Pour la première fois, Gaston, Gérard, Lucien, Ali et Mohamed, «les derniers survivants, témoignent de leurs combats pour la reconnaissance de leurs maladies, et révèlent dans quelles conditions les essais se sont vraiment déroulés».

Edition France Soir
mardi 3 février 2009 page 6
Date de sortie: 11 Février 2009
Réalisé par Djamel Ouahab
Film français. 
Genre: Documentaire
Durée: 1h 30min. 
Année de production: 2008
Distribué par Shellac
http://www.allocine.fr/video/
     Voir documents collectés ce mois de février sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires français (Algérie et Polynésie)