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Base de données FAIBLES DOSES
URANIUM, ACTIF MEME A FAIBLE DOSE
Maâmar Souidi, Philippe Lestaevel et Yann Guéguen
chercheurs à l'IPSN, avec la collaboration de Pascale Houpert et Patrick Gourmelon.
(LA RECHERCHE, novembre 2006, N°402)

CONTEXTE:
     Les effets de fortes doses d'uranium sur l'organisme sont connus, mais ceux des très faibles doses n'ont été explorés que récemment. Leur impact a longtemps été minimisé par le lobby du nucléaire. La première guerre du Golfe, en 1991, a changé la donne, avec le retour au pays de soldats souffrant d'un étrange «syndrome». Pouvait-il être lié à l'utilisation par l'armée américaine de munitions à uranium appauvri? Cette interrogation a été le point de départ d'études sur l'uranium ingéré en petites quqntités, aux Etats-Unis, en Espagne, en France et en Finlande.

     Chaque jour, nous avalons une dose d'uranium, sit 1 à 3 microgrammes en moyenne pour un homme de 70 kilogrammes. Il faut dire que ce métal est partout, dans les aliments, l'eau potable, le sol, l'air. Une omniprésence naturelle: l'uranium existe dans l'environnement depuis la naissance de la Terre.
     Toutefois, les sources d'exposition ont considérablement augmenté au XXe siècle avec le développement des essais nucléaires,des mines d'uranium et des émissions des industries de retraitement. De façon moins attendue, le charbon contient aussi des quantités non négligeables de ce radionucléide*. Quant à certains phosphates employés dans l'agriculture, ils en présentent des teneurs élevées.
     Cette exposition chronique a-t-elle un impact sur notre organisme? Il était jusqu'à présent difficile de le dire. La question des effets des très faibles doses d'uranium sur la santé n'a émergé que dans les années 1990, après la première guerre du Golfe et consécutivement à l'utilisation d'armes à uranium appauvri. Quelques enquêtes épidémiologiques réalisées auprès de populations particulièrement exposées ont, depuis, été lancées. Elles sont toujours en cours. En revanche, les expériences sur le rat livrent aujourd'hui leurs premiers résultats... inattendus: même avalé en très petite quantité, l'uranium a des effets biologiques sur le cerveau et sur la façon dont l'organisme transforme et assimi1e les substances étrangères, telles que les médicaments.
Ingestion quotidienne
     Pour parvenir à ces-conclusions, nous avons procéd,é depuis 2002, avec plusieurs équipes de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IPSN), à la contamination de dizaines de rats, dans notre laboratoire de radiotoxicologie expérimentale. Les rongeurs ont bu, pendant des semaines, une eau minérale supplémentée par de faibles quantités d'uranium (un milligramme par jour et par rat, soit 14 becquerels par jour). Cette concentration représente le double de la plus forte teneur en uranium jamais retrouvée au monde, dans certaines eaux souterraines du sud de la Finlande.
L'ingestion a été choisie car elle constitue, chez l'homme, la principale voie d'entrée de cet élément radioactif dans l'organisme. On sait qu'après passage dans la circulation sanguine l'uranium diffuse dans l'ensemble du corps humain. Au niveau du sangg, il se fixe préférentiellement aux protéines comme la transferrine, l'albumine ou les lipoprotéines. L'uranium passe ensuite du compartiment sanguin aux tissus dans lesquels il s'accumule, notamment le rein et l'os. Un organisme humain adulte, en situation normale, contient ainsi en moyenne 40 à 90 microgrammes d'uranium: 66% dans le squelette, 8% dans les reins et le reste dans les autres tissus mous.
Accumulation cérébrale
     Les rats contaminés présentent une distribution similaire de ce radionucléide. Nos expériences nous ont toutefois permis de faire une découverte surprenante: l'uranium se retrouve dans le cerveau du rongeur après une contamination de plusieurssemaines. La voie d'entrée de cet élément dans le système nerveux central est totalement inconnue. Comment franchit-il la barrière hémato-encéphalique, cette frontière entre le cerveau et le reste de l'organisme? Des études expérimentales devraient être développées à l'avenir sur ce secret. Reste que cette présence d'uranium dans le système nerveux central pourrait expliquer, au moins en partie, les effets cognitifs que nous avons observés pour la première fois.
 
Le trajet de l'uranium
     L'ingestion est une des principales voies d'entrée de l'uranium dans l'organisme. A très faibles doses, il passe dans le sang puis gagne les organes, en particulier les reins.
     Répartition de l'uranium que contient l'organisme en situation normale:
Squelette: 66%, tissus mous (poumons, rate, foie...): 26%, reins: 8%.
 p.1
* Un radionucléide est la forme radioactive d'un élément chimique
     L'ingestion chronique d'uranium perturbe la mémoire à court terme, qui reçoit les informations et les maintient pendant un laps de temps très bref, de 20 à 30 secondes. Ce type de mémoire peut être étudié en plaçant un rat dans un labyrinthe en Y, composé de trois branches. Dans cet environnement nouveau, le rongeur présente spontanément un comportement d'exploration qui se caractérise par des visites en «alternance» des trois branches du labyrinthe. Ce comportement traduit la capacité de l'animal à se rappeler les branches précédemment visitées, et donc à stimuler sa mémoire à court terme. (lorsque l'animal a visité les deux premières branches, il doit en principe s'en souvenir et visiter la troisième).

Rongeurs stressés
     La qualité de la mémoire à court terme se mesure au nombre de fois où l'animal a visité successivement les trois axes du labyrinthe, ce que l'on appelle le «pourcentage d'alternance spontanée». Or, lorsque les rongeurs contaminés à l'uranium pendant plusieurs semaines sont placés dans un tel labyrinthe, on observe une diminution significative du pourcentage d'alternance spontanée, de 12%, par rapport aux animaux non contaminés[1]. Ce résultat reflète une altération modérée de la mémoire à court terme. La mémoire à long terme, quant à elle, n'est pas modifiée par l'uranium.
     Un autre paramètre comportemental semble transformé chez les rats contaminés: l'anxiété. Cette dernière s'analyse, chez le rongeur, en le plaçant dans un labyrinthe dit en «croix surélevée», composé de deux branches ouvertes (sans parois sur les côtés) et de deux branches fermées (avec parois), toutes situées à 70 centimètres du sol.
     En situation normale, 1'animal montre une préférence pour les branches fermées, moins stressantes que les branches ouvertes et en surplomb. Une augmentation de l'anxiété se traduit par des séjours plus longs ou plus fréquents dans les branches fermées. C'est bien le cas pour les rongeurs ayant avalé de l'uranium pendant plusieurs semaines: ils passent 62% plus de temps dans les branches fermées que les animaux non contaminés. Leur niveau d'anxiété est donc clairement augmenté.
     L'uranium perturbe enfin le sommeil, en augmentant la durée du rêve. Les états de sommeil et d'éveil sont identifiables par l'activité électrique cérébrale. L'amplitude et la fréquence des ondes cérébrales, en variant au cours de la joumée, permettent de distinguer plusieurs stades: un stade d'éveil, un stade de sommeil lent et un stade de sommeil paradoxal, correspondant au rêve. Ces trois stades peuvent être quantifiés chez le rongeur.
     Après contamination à l'uranium, le sommeil lent n'est pas modifié. En revanche, la quantité de sommeil paradoxal augmente de 38% par rapport au spmmeil des animaux non contaminés[2]. Une telle augmentation s'observe habituellement lors de stress chroniques ou d'épisodes dépressifs, L'uranium à petite dose va-t-il jusqu'à induire une dépression? La question demeure ouverte.

suite:
Métabolisme modifié
     L'impact de l'uranium sur le cerveau constitue une grande surprise. Mais ses effets physiologiques ne sont pas non plus à négliger. Nous avons cherché à savoir si, au même titre que le plomb ou le cadmium, l'uranium altère l'expression des gènes et de l'activité enzymatique de protéines. Nous nous sommes focalisés sur des protéines au rôle primordial dans la protection de l'organisme: les cytochromes P450. Ces dernières sont présentes dans de nombreux tissus mais se concentrent dans le foie qui détoxifie les substances ingérées. Les cytochromes P450 interviennent dans le métabolisrne des polluants, des pesticides et des médicaments.
     L'action métabolique se décompose en trois étapes qui aboutissent à l'élimination des médicaments dans la bile et dans l'urine. Très schématiquement, les enzymes de la première étape (phase I), des cytochromes P450, catalysent les réactions d'oxydation. La deuxième et la troisième étape (phases II et III) font intervenir des protéines nécessaires à l'élimination cellulaire et tissulaire des substances oxydées.
     L'administration chronique de faibles quantités d'uranium pendant plusieurs mois chez le rat n'induit pas d'effet toxique visible au niveau du foie et des reins. En revanche, elle provoque, dans différents organes, des modifications de l'expression de gènes codant des cytochromes P450. Ainsi, l'expression du gène d'un cytochrome P450 impliqué dans le métabolisme de plus de 50% des médicaments, le CYP3A, est augmentée dans le foie, les reins, les poumons et le cortex cérébral des rats contaminés[3]. L'expression des gènes codant des protéines de phases II et III ne varie pas de façon significative après contamination chronique par l'uranium pendant plusieurs mois[4]. L'effet de l'uranium sur les cytochromes P450 étant établi, nous administrons actuellement un médicament de type analgésique a des rats contaminés afin de savoir s'il perd son efficacité ou est moins bien éliminé
     Les résultats obtenus après esposition chronique de faible quantité d'uranium sont inattendus en termes d'organes atteints et d'effets biologiques. Reste à savoir si ces données peuvent être être extrapolées à l'homme. Les conclusions des enquêtes épidemiologiques seront, en cela, déterminantes.
M.S., P.L et Y.G.
 
L'uranium à forte dose
     La toxicité de l'uranium, à fotre dose, est liée à ses propriétés chimiques et à sa capacité à émettre des rayonnements ionisants. Principal siège de ses effets délétères, les reins (altérations fonctionnelles et structurales[*]. Mais ses effets se manifestent aussi, chez le rat, par une perte de poids, des hémorragies et une atteinte du système nerveux central pouvant conduite à la mort de l'animal. Le tissu osseux étant un site majeur d'accumulation de l'uranium à long terme, on constate souvent une altération de la formation osseuse, ainsi que des cancers des os. Enfin, le système reproducteur peut être touché, avec une diminution de la fertilité.
[*] E. Craft et al., J. Toxical Environ. Health B. Crit Rev., 7, 297, 2004.
p.2 et 3
[1] P. Houpert et al., Neurotoxicology, 26, 1015, 2005.
[2] P. Lestaevel et al, Neurotoxical, Teratol, 27, 835, 2005.
[3] M. Souidi et al, Toxicology, 214, 113, 2005.
[4] Y. Gueguen et al, Proceedings of the 14th Intl. Conf. on Cytochromes P450, 61, 2005.

CESIUM 137: Les retombées de Tchernobyl
     En 1986, l'explosion du réacteur de la centrale nucléaire deTchernobyl a rejeté dans l'atmosphère un nuage radioactif. De l'iode-131 et du cesium-134 ont été disséminés sur la plupart des pays d'Europe, ainsi que du cesium-137, qui a une durée de vie de trente ans dans
l'environnement. Depuis, des études menées dans les pays de l'Est ont rapporté une augmentation de la fréquence de pathologies non cancéreuses telles que les maladies cardiovascutaires, immunitaires et digestives, dans les territoires contaminés (en Biélorussie notamment). Faut-il y voir un lien de cause à effet?
Pour le savoir, nous avons contaminé des lots de rats par du cesium-137 pendant plusieurs mois. Ce qui nous a permis de montrer qu'une quantité de cesium-137 analogue à celle rencontrée dans les territoires contaminés (150 becquerels/rat/jour), administrée en continu pendant trois mois, induit des modifications du taux sanguin de la vitamine D, une hormone essentielle à la croissance osseuse et au métabolisme du calcium. L'expression des gènes impliqués dans le métabolisme de la vitamine D est également modifiée au niveau du foie et du système nerveux central[*].
[*] E. Tissandie et al., Toxicology, 225, 75, 2006.
p.4
POUR EN SAVOIR PLUS
 · H. Métivier, L'Uranium, de l'environnement à l'homme, EDP Sciences, 2001
 · M.-C. de La Souchère, «L'uranium», La Recherche, avril 2006, p. 75
 · www.irsn.org