Considérations sur la conférence de François Ramade (conseiller à la CNUCED)
Cern le 4 mai 1994
     Peu de Cernois ont assisté à cette conférence au thème passionnant et éminemment urgent qu'est celui de « Démographie et Développement»...

 Et pourtant quand on sait (ou qu'on apprend) qu'un Européen consomme autant d'énergie que 30 Indiens, 90 Tanzaniens ou... 450 Népalais (et multipliez par 2 pour un Américain), que le WORLD TRADE CENTER consomme autant que le NIGER (source WWI) et qu'un habitant de l'Hémisphère Sud met UN AN pour pouvoir s'acheter ce qui nous prend seulement DEUX JOURS, on peut malheureusement être autorisé à penser que le contexte du CERN n'était pas favorable à une écoute attentive dans ce "temple de l'hyper technologie" et dans cette société de consommation qui a moins des problèmes de faim que d'appétit et qui est plus attirée par les défis technologiques qu'humains.

 N'y pouvons nous vraiment rien? Croirions nous vraiment que le progrès vient quand tout le monde pense et agit dans le même sens - et en particulier dans le nôtre -, alors qu'il est venu de ceux qui ont osé changer de direction (ou même aller contre les lois quand elles étaient injustes) et que les progrès de la science résoudront tous les problèmes ou nous apporteront le bonheur? Non, nous ne sommes pas plus importants, nous les quelques millions de riches, partie visible des médias, que les milliards de pauvres sous-alimentés dont on ne parle pas... ou "trop"!

 Il est bien sûr normal que chacun ait fait sa propre "lecture" des paroles et des très nombreux tableaux du conférencier, mais dans le peu de temps qui est resté pour converser avec l'assistance, qu'il me soit permis d'avoir été déçu par les questions de celle-ci (portant trop sur les techniques) mais aussi par les réponses de celui-là et du regard trop exclusivement "occidental" et nanti que nous opposons généralement à ces défis majeurs que sont les trois "bombes" démographie, énergie et connaissance.

 Malgré tout, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent, d'économistes et de sociologues en particulier, dont R.H.Strahm qui est un autre conseiller à la CNUCED, mais aussi celle du Prix Nobel G.Myrdal, père justement de la notion d'aide au développement.

 Actuellement, la première des carences de l'humanité est plutôt devenue celle de la tolérance qui nous empêche d'admettre les diversités de coutumes et de références entre personnes et surtout que nous puissions avoir un rôle autre que celui que nous tenons. Et cela va bien au-delà d'une exigence de changement... chez les autres, ceux "qui font trop d'enfants", pendant que nous leur vendons chaque année 6000 miliards de dollars d'armes, alors que 1000 milliards suffiraient pour répondre à leurs besoins primordiaux, nourriture, hygiène, médicaments, etc (données UNESCO), ces autres "qui n'envoient pas leurs filles à l'école" mais dont nous soutenons leurs dictateurs qui n'ont pas intérêt à cela, pendant aussi que le budget publicitaire mondial (autant dire occidental...) a dépassé 1500 milliards de francs, soit une somme supérieure aux dépenses que tous les pays ensemble consacrent à l'éducation et à la santé, justement.

 Non, il ne suffit plus de répéter "ILS Z'ONT QU'A" faire moins d'enfants, de dire qu'il faut faire changer les mentalités "primitives" (sic) en regardant de leur côté, de dire qu'ils sont responsables de la déforestation alors que ce sont NOS bulldozers qui entrainent un élevage d'UN boeuf par hectare pour NOS hamburgers, de dire que les Indiens produisent autant de DDT que les USA avant son interdiction car pour qui est-il fabriqué?, de dire seulement qu'il est primordial d'assurer un apport de protéines animales pendant qu'UNE protéine de NOS animaux est produite avec SEPT protéines de LEURS végétaux, tandis que ce sont leurs cultures vivrières qui disparaissent ainsi, sans oublier que 3/4 des poissons pêchés dans le monde servent à la nourriture de nos "amis les animaux": beaucoup de ces phrases sont ainsi tout simplement... "assassines".

 Pourquoi également le "Tiers Monde" suivrait un autre processus que celui qui a été suivi par les pays dits civilisés et plus précisément, comment oserions-nous exiger (des Africains en particulier) qu'ils fassent en quelques années ce que nous avons fait en plusieurs siècles (et environ 150 ans pour la France)?

 Nous ne devrions plus affirmer que le maintien d'un forte natalité est le simple reflet de l'imprévoyance, du fatalisme, de la primauté des instincts sexuels ou de la marque de l'indifférence à l'égard de la promotion sociale, car elle procède de comportements (par lesquels "nous" sommes passés) hérités d'un très ancien passé, de valeurs spirituelles estimables et SURTOUT de l'intérêt de familles placées dans des conditions économiques et sociales expliquant un grand nombre d'enfants.

 L'augmentation de la population est excessive dans les pays pauvres (et encore, certains sont sous-peuplés!), à cause d'une croissance économique insuffisante: elle est ainsi au moins autant un effet qu'une cause. Il faudra admettre (et c'est le 3ème rapport mondial du PNUD sur le développement qui l'affirme) que si la croissance était au rendez-vous, ces années 80, elle n'a pas été partagée car s'il ne fallait retenir qu'un chiffre - passé sous silence lors de cette conférence...- ce serait celui-ci: les entraves au libre fonctionnement des marchés (via le feu GATT) coûtent aux pays en développement au moins 500 milliards de dollars par an soit 10 fois le montant de l'aide extérieure qu'ils reçoivent. Pourquoi? C'est relativement simple mais peu connu: les taux d'intérêts réels sont 4 fois plus élevés pour les pays pauvres que pour les pays riches. Ceci est encore amplifié par le fait, qui crée une spirale infernale, que les pays riches commercent de plus en plus entre eux et que, curieux "hasard", le marché mondial n'opère plus dès que les PVD pourraient avoir l'avantage...

 Il faudra donc admettre que les problèmes démographiques et ceux qui touchent l'environnement resteront sans solution tant que des intérêts immédiats l'emporteront sur des objectifs à long terme car ce n'est pas tant le développement du tiers monde qui nous intéresse que la conservation du nôtre: finalement, c'est plus l'intérêt que les considérations éthiques qui nous poussera à agir; mais oserions nous croire, voire espérer, que les exclus du tiers mais aussi du quart monde resteront sagement derrière leurs frontières ou devant leur néant? Quand donc un dialogue réel s'instaurera-t-il entre le Nord et le Sud pour permettre le développement d'un monde menacé de mort par les exclusions qu'il permet et par celles qu'il fabrique, puisque, qu'on le veuille ou non, nous avons une destinée commune. Une note d'espoir malgré tout: quand on voit ce "qu'ils" peuvent faire dans des situations de dénuement, il ne serait pas étonnant qu'ils obtiennent des résultats spectaculaires avec des ressources plus importantes.

 La conclusion sera nécessairement courte, mais en si peu de place, il ne m'est pas possible de parler des différents modèles d'aide au développement autrement qu'en résumant la dernière manière de voir de ces "voix" indiquées plus haut:

1) l'aide au développement ne se justifie plus aujourd'hui qu'en cas de catastophe,
2) l'intégration des pays pauvres dans l'économie libérale ne servira que les couches jouissant d'un grand pouvoir d'achat,
3) le "Nouvel Ordre Economique International" ne remettra pas en cause leurs structures sociales car ces couches préconisent le statu-quo politique et aidées en cela par nos pays,
4) au contraire, il faut encourager les pays appelés (hypocritement) "en voie de développement" à compter sur leurs propres forces, ce qui présuppose un désengagement sélectif (delinking) du marché mondial, non pas comme but mais comme moyen d'atteindre un meilleur développement autonome.
Finalement, l'aide bien menée ne vise-t'elle pas à se rendre inutile?! Ce qui donnerait sa pleine justification à la devise "donner moins c'est aider plus"!

 Comment mieux appliquer tout cela, chacun de nous et quotidiennement (car c'est bien de cela qu'il s'agit) autrement qu'en tâchant de nous passer de tout ce qui est produit dans l'injustice et la souffrance (des humains mais aussi de la nature), ce que Gandhi a si bien voulu dire et vécu dans son fameux «apprenons à vivre simplement pour que d'autres puissent simplement vivre», car comment vouloir changer le monde si l'on ne change pas soi-même? Et je serais tenté d'ajouter mon "grain de sel" en demandant: entre le militant et le savant, de quel homme a besoin l'humanité souffrante, contre l'indifférence et l'intolérance, car il s'agit plus de supprimer les injustices que les inégalités de connaissance, il s'agit plus de savoir pourquoi que de savoir comment....

 Merci d'avoir eu la patience et le courage de me lire jusqu'au bout!

Yves Renaud
Je signale que je suis ouvert aux suggestions se tou(te)s collègues intéressé(e)s à une réflexion sur ces sujets (développement, environnement, énergies, c'est-à-dire l'écologie dans son acception la plus large).

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