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N°281, septembre 2016

SE SOUVENIR DES DÉBUTS DU NUCLÉAIRE:
HIROSHIMA ET NAGASAKI

CODEP-DCN-2016-024748
Prescription [ECS-27] relative aux dispositifs techniques visant à s’opposer au transfert de contamination dans le sol en cas d’accident grave
(dites Prescriptions Fukushima)
ASN-29 juin 2016


 
Objet: Réacteurs électronucléaires - EDF
Réf.: [1] Décision ASN n°2011-DC-0213 du 5 mai 2011
        [2] Décisions du 26 juin 2012
        [3] Note EDF EDTGG120872 du 20 décembre 2012 - Étude de faisabilité de dispositifs  techniques visant à s’opposer au transfert de contamination dans le sol en cas d’accident grave avec percement de la cuve par le corium
        [4] Avis IRSN N° 2014-00286 du 21 juillet 2014 sur la faisabilité de dispositifs techniques visant à s’opposer au transfert de contamination dans le sol en cas d’accident grave
        [5] Décisions du 21 janvier 2014
        [6] Fiche de synthèse EDF–D305914021327 du 17 déc 2014

    Monsieur le Directeur,
    Après l’accident de Fukushima, l’ASN vous a prescrit, par la décision citée en référence [1], de réaliser des évaluations complémentaires de sûreté afin d’étudier le comportement des installations nucléaires pour des situations allant au-delà de celles retenues jusqu’alors dans la démonstration de protection des intérêts.
    À l’issue de ces évaluations complémentaires de sûreté, l’ASN vous a demandé, par un ensemble de décisions en date du 26 juin 2012 [2], de lui proposer la mise en place de dispositions matérielles et organisationnelles («noyau dur») visant, pour les situations extrêmes étudiées, à:
    a) prévenir un accident avec fusion du combustible ou en limiter la progression,
    b) limiter les rejets radioactifs massifs,
    c) permettre à l’exploitant d’assurer les missions qui lui incombent dans la gestion d’une crise.
    L’ASN vous prescrivait, dans le même temps, d’étudier la possibilité de mettre en place des dispositifs de confinement visant à s’opposer au transfert de contamination radioactive vers les eaux souterraines et superficielles en cas d’accident grave ayant conduit à la percée de la cuve par le corium:
    [ECS-27]
    I. Avant le 31 décembre 2012, l'exploitant transmettra à l’ASN une étude de faisabilité en vue de la mise en place, ou de la rénovation, de dispositifs techniques, de type enceinte géotechnique ou d'effet équivalent, visant à s’opposer au transfert de contamination radioactive vers les eaux souterraines et superficielles en cas d’accident grave ayant conduit à la percée de la cuve par le corium.
    II. Avant le 30 juin 2013, l'exploitant remettra à l'ASN une mise à jour de la fiche hydrogéologique du site, regroupant les données géologiques et hydrogéologiques actuelles.
    Vous avez répondu [3] en présentant une étude de faisabilité de tels dispositifs techniques. Cette étude conclut que «le risque de percement du radier se situe déjà à ce jour à un niveau très faible», en rappelant que ces dispositifs techniques n’auraient vocation à intervenir qu’en cas d’échec des dispositions que vous prévoyez de mettre en place pour éviter le percement du radier. En effet, l’ASN vous a également prescrit [5]:
    [ECS-ND16]
    Avant le 31 décembre 2014, l’exploitant transmet à l’Autorité de sûreté nucléaire l’étude de faisabilité des dispositions visant à éviter le percement du radier en cas de fusion partielle ou totale du cœur en situations noyau dur, ainsi qu’une évaluation des échéances industrielles de mise en œuvre le cas échéant.
(suite)
suite:
    Vous envisagez à cet égard la mise en place de nouveaux dispositifs permettant l’étalement à sec du corium dans le fond du puits de cuve, voire également dans le local adjacent, puis son refroidissement par l’eau des puisards via le circuit «EASu» [6]. Ces moyens de prévention du percement du radier seront examinés par le Groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires en juillet 2016.
    Enfin, vous considérez [3] que «les dispositions évaluées au titre de la prescription ECS-27-I n’offrent en situation accidentelles extrêmes aucune garantie de faisabilité ni d’efficacité et que, même si elles étaient faisables, elles n’apporteraient que des gains minimes pour la sûreté, tout en entraînant des coûts d’investissement disproportionnés».
    En premier lieu, l’ASN souligne que les démonstrations associées à la prévention de la percée du radier en situation d’accident grave nécessitent de modéliser des phénomènes complexes, parfois mal connus, conduisant à des incertitudes importantes. Ces études nécessitent des compléments pour permettre une conclusion définitive quant à l’efficacité des dispositifs envisagés;  ces compléments feront l’objet d’un avis du Groupe permanent d’experts au plus tôt en 2018 (date envisagée à ce jour).
    En l’absence de dispositif de prévention du percement du radier efficace, les études que vous avez effectuées, ainsi que celles réalisées par l’IRSN, montrent que, en cas de fusion du cœur et de percement de la cuve par le corium, le percement du radier surviendrait au bout de quelques jours. Le transfert de la radioactivité en limite de site se produirait alors dans un délai compris entre quelques jours et 7 mois (pour le cas le plus favorable). En tout état de cause, ce délai ne permettrait pas de déployer, après l’accident, des mesures permettant de limiter la pollution des eaux souterraines hors du site.
    Par ailleurs, la nature des risques en cas de pollution des sous-sols est susceptible de varier très notablement en fonction des configurations des différents sites (proximité d’un fleuve ou de la mer, utilisation par la population des sources d’eau, configurations géologiques et hydrologiques...). Je vous demande donc d’adresser sous un an à l’ASN, en distinguant chaque site, une première évaluation, sommaire, des conséquences du percement du radier à la suite d’un accident grave, en l’absence de dispositif spécifique visant à limiter la contamination. Cette étude identifiera, pour chaque site, les aquifères, populations, zones géographiques, cultures agricoles, industries... qui seraient alors affectées et fournira une première évaluation des conséquences d’une telle pollution.
    Les solutions que vous avez envisagées pour limiter le transfert de la contamination vers les eaux souterraines et superficielles s’appuient sur des «enceintes géotechniques». Cependant, la simple mise en place d’enceintes géotechniques autour de l’îlot nucléaire ne retarderait le transfert de la contamination que pendant un délai limité, en tout état de cause inférieur à 30 jours. Afin de bloquer ce transfert sur une longue période, un confinement dynamique est nécessaire.
    Vous avez ainsi étudié la mise en place d’un dispositif de confinement des eaux souterraines combiné à des moyens de pompage et de décontamination de l’eau. De telles solutions permettraient de limiter le transfert non contrôlé de la radioactivité vers l’environnement. Elles imposent toutefois de stocker les eaux contaminées, les traiter, puis de rejeter les eaux décontaminées dans le milieu naturel et de gérer les déchets produits.
p.19

 
    L’ASN note que les enceintes géotechniques placées «au large» du bâtiment réacteur permettraient, en outre, de gérer d’autres situations que les «cas d’accident grave ayant conduit à la percée de la cuve par le corium»: il s’agirait, par exemple, de maîtriser les situations provoquées par des écoulements de fluide radioactifs par des chemins de fuite non envisagés dans les études. À titre d’exemple, un tel dispositif pourrait être utilisé dans l’hypothèse où surviendraient des fuites de fluides très radioactifs sur les portions du circuit EASu2 [6] situées en dehors du bâtiment «réacteur», en cas d’accident grave.

    L’ASN a sollicité l’avis de l’IRSN sur les éléments que vous avez transmis [3] concernant la faisabilité de dispositifs techniques, de type enceinte géotechnique, visant à s’opposer au transfert de contamination radioactive vers les eaux souterraines et superficielles en cas d’accident grave, ainsi que sur la faisabilité technique d’un traitement des eaux contaminées qui seraient contenues dans l’enceinte géotechnique ou son équivalent. Cette analyse [4] conclut que «en tenant compte des échanges techniques avec EDF, [...] la faisabilité est acquise pour l’ensemble des sites nucléaires d’EDF sauf pour celui de Fessenheim [...]. De surcroît, les études hydrogéologiques permettent de conclure à l’efficacité vraisemblable de tels dispositifs pour la plupart des sites, ceux de Belleville et Cruas nécessitant toutefois des études spécifiques». Concernant la faisabilité d’une unité de traitement des eaux pompées, l’IRSN estime «accessible la conception d’une telle unité», bien que des développements soient encore nécessaires.
     Il ressort de l’analyse effectuée que plusieurs de vos choix d’hypothèses tendent à démontrer le faible intérêt d’un confinement dynamique (majoration des débits devant être pompés en considérant une perméabilité relativement élevée de l’enceinte géotechnique, absence de prise en compte de la rétention de certains radionucléides dans les sols, coûts très élevés des travaux...).
(suite)
suite:
    De même, vous annoncez, pour l’efficacité de ces dispositifs, une réduction d’un facteur 2 (valeur non étayée) de la contamination des nappes, alors que l’IRSN indique, en s’appuyant sur le retour d’expérience de dispositifs similaires, que, pour «un rabattement de la nappe en dessous du niveau de la piézométrie externe, les écoulements souterrains se font vers l’intérieur de l’enceinte et la pollution s’y retrouve confinée. Le risque de pollution de la nappe à l’extérieur de l’enceinte se trouve alors limité aux périodes transitoires pouvant présenter une inversion du sens d’écoulement dans la paroi (arrêt des pompages, forte infiltration d’eau de pluie, décrue ou fort étiage du fleuve voisin...)».
    Par conséquent, je vous demande de poursuivre les réflexions engagées sur les dispositifs de confinement dynamique des eaux contaminées en transmettant à l’ASN des études de faisabilité plus détaillées que celle déjà transmise, tenant compte des spécificités de chaque site et proposant un calendrier de déploiement des modifications étudiées. Elles fourniront, pour chaque site, des éléments sur les travaux qui devraient être réalisés et sur les gains escomptés en termes de réduction de pollution des nappes.
    Je vous demande de transmettre ces études à l’ASN:
    - Avant fin décembre 2016 pour les sites disposant d’une enceinte géotechnique existante.
    L’étude précisera notamment la nature et l’ampleur des réparations nécessaires sur ces enceintes;
    - Avant fin juin 2017 pour l’ensemble des autres sites.
 
    Enfin, je vous demande également, lors de la définition des emplacements des puits d’appoint ultime, prévus pour le noyau dur, de porter une attention particulière aux incompatibilités qui pourraient apparaître s’il était décidé, ultérieurement, de mettre en place des dispositifs de confinement dynamique des eaux souterraines sur vos sites. En effet, si EDF prévoit de positionner les puits correspondant à l’appoint d’eau ultime à l’intérieur du périmètre de l’enceinte, il conviendra de s’assurer que, d’une part les débits attendus pour les puits d’appoint ultime pourront bien être atteints compte tenu de l’étanchéité qui sera requise pour les enceintes, d’autre part la contamination de l’eau pompée sera compatible avec l’utilisation prévue.
Le directeur général adjoint:
Julien COLLET
p.20

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