La G@zette Nucléaire sur le Net !
G@zette N°271, février 2014

ATTENTION DANGER: la finance ne doit pas peser sur la sûreté
A PROPOS DES GAINES DE COMBUSTIBLE ET DE LEUR TENUE
Analyse GSIEN à partir du dossier envoyé à MEDIAPART en janvier 2014
et autres sources IRSN, ASN et EDF



I - ANNEXE T1 - GESTIONS DU COMBUSTIBLE
Extrait du RAPPORT IRSN N° 2013-00001
Extraits type de combustible (tome 2)
UNE (Uranium Naturel Enrichi), URE (Uranium de retraitement réenrichi,  URT Uranium de Retraitement

     La notion de «gestion du combustible» renvoie à la manière d’utiliser le combustible le plus économiquement possible, tout en respectant les impératifs liés à la sûreté d’exploitation. Une gestion de combustible se caractérise notamment par les deux paramètres suivants:
     - le taux d’enrichissement en 235U pour le combustible UO2 et/ou la teneur maximale moyenne en Pu total  pour le combustible MOX,
     - la fraction du cœur à renouveler à chaque rechargement.
     Ces paramètres permettent ensuite de définir la longueur de cycle d’irradiation et le taux de combustion (ou de décharge) atteint par les assemblages après leur séjour en réacteur, exprimé en MWj/t. Ce dernier paramètre constitue une des données d’entrée importante des études relatives aux modèles de relâchement des combustibles usés.
     En préalable à une présentation synthétique des gestions mises en œuvre sur les trois paliers du parc nucléaire français, il est important de rappeler la stratégie actuelle d’EDF concernant ces gestions. Cette stratégie, qui a beaucoup évolué ces dix dernières années, répond aux principaux objectifs suivants:
     - l’accroissement de la production nucléaire avec la mise en œuvre, entre 2003 et 2009, des nouvelles gestions Parité MOX (palier 900 MWe), ALCADE (palier N4) et GALICE (un seul réacteur du palier 1.300 MWe). Pour ce faire, EDF a dû qualifier des assemblages combustibles plus performants (irradiation maximale et temps de séjour augmentés). Il est important de noter que, si l’objectif majeur de la gestion GALICE était d’augmenter le taux de combustion moyen de décharge, l’orientation stratégique d’EDF n’est plus, aujourd’hui, l’accroissement des taux de combustion. La nouvelle stratégie d’EDF pour la gestion du combustible en cœur privilégie l’ajustement réactif des longueurs des campagnes (ex: souplesse dans l’exploitation au-delà de 2015) et l’accroissement du productible (ex: projet Augmentation de Puissance 1300 au-delà de 2017);
     - la sécurité des approvisionnements du combustible, en diversifiant les fournisseurs. Des assemblages combustibles de conception Westinghouse sont introduits de manière générique dans certains réacteurs des paliers 900 MWe et 1.300 MWe ;
(suite)
suite:
     - la cohérence du cycle du combustible, en maîtrisant la boucle de recyclage et la cohérence du cycle du combustible en adaptant le flux MOX et URE aux besoins (volumes annuels de combustible traité de Plutonium, d’URT, de MOX et d’URE pouvant être chargés en réacteurs...). En particulier, l’augmentation de l’irradiation moyenne des combustibles traités à La Hague conduit à dégrader la qualité isotopique du Pu et de l’URT obtenus à l’issue du retraitement. Ainsi, il sera nécessaire de compenser cette dégradation par une augmentation de la teneur en U235 des assemblages URE en gestion GARANCE URE, afin de maintenir leur équivalence énergétique avec de l’UNE 3,7% ainsi que par une augmentation de la teneur moyenne en Pu des assemblages MOX en gestion Parité MOX en ciblant là aussi l’équivalence énergétique avec de l’UNE 3,7%. À noter que ces évolutions ont fait l’objet d’une information à l’ASN dès 2009 mais que leur mise en œuvre n’interviendra pas avant 2015.
     Il s’agit maintenant de présenter les gestions mises en œuvre sur les différents paliers. Il sera précisé, le cas échéant, les évolutions d’ores et déjà programmées par EDF. Cette synthèse donne une image de l’exploitation actuelle des cœurs, tout en sachant que peu d’évolutions sont prévues à court et moyen terme.
     Pour chaque gestion, à l’exception des gestions récentes ALCADE et GALICE, les taux de combustion moyen et maximal au déchargement qui figurent dans les tableaux sont issus du retour d’expérience et correspondent à la valeur maximale sur la période 2003-2009 (cf. tableaux en annexe). Pour mémoire, le taux de combustion maximal autorisé (en valeur moyenne assemblage) est de 52 GWj/t quelle que soit la gestion considérée, sauf en gestion GALICE pour laquelle ce taux de combustion s’élève à 62 GWj/tU.

     I. Palier 900 MWe
     1. Palier 900 CP0 - Gestion CYCLADES:
Gestion CYCLADES

     La gestion CYCLADES UNE 4,2%, généralisée depuis 2000, est mise en œuvre sur les 6 réacteurs du palier CP0 (centrales de BUGEY et FESSENHEIM).
p.24


     2. Palier 900 CPY - Gestions GARANCE
     Les deux gestions suivantes sont encore en vigueur en 2012:
     - la gestion UNE 3,7%, généralisée à partir de 1994 et qui ne concerne actuellement plus que les réacteurs 3 et 4 de la centrale du BLAYAIS, la gestion URE équivalent à UNE 3,7% qui concerne les 4 réacteurs de la centrale de CRUAS. Une évolution est à prévoir à l’horizon 2017 avec une gestion dite «URE NT» (augmentation de la teneur en U5 de 4,10% à 4,25% maximum pour compenser la dégradation du vecteur isotopique).

gestion GARANCE UNE ou URE

     3. Palier 900 CPY - Gestion Parité MOX
     À ce jour, 22 réacteurs sur les 28 du palier CPY ont intégré la gestion Parité MOX. EDF envisage à court terme la poursuite de ce déploiement sur les réacteurs 3 et 4 de la centrale du BLAYAIS, ce qui permet, selon EDF, d’assurer de façon robuste l’équilibre des flux de plutonium entre le traitement du combustible usé et le chargement de combustible MOX. À terme, seuls les 4 réacteurs de CRUAS devraient rester en gestion GARANCE URE, les 24 autres réacteurs étant exploités en gestion Parité MOX. Les principales caractéristiques de la gestion Parité MOX sont les suivantes:

gestion Parité MOX
* Valeurs issues du retour d’expérience des années 2011 et 2012
en raison de la mise en œuvre récente de cette gestion

     Afin de maintenir l’équivalence énergétique avec le combustible UO2 3,7% de la gestion Parité MOX, il est prévu, au plus tôt à partir de 2015, une évolution progressive de la teneur moyenne en Pu du combustible MOX. Ce nouveau produit, appelé MOX NT 2012, sera caractérisé à terme par une teneur moyenne maximale de 9,54%.

     II. Palier 1300 MWe
     1. Gestion GEMMES
     La gestion GEMMES UNE 4% est généralisée depuis 1996 sur le palier 1.300 MWe. Elle est déployée sur tous les réacteurs de ce palier à l’exception du réacteur 2 de la centrale de Nogent, soit au total sur 19 réacteurs.

gestion GEMMES
(suite)
suite:
     2. Gestion GALICE
     Cette gestion autorise un taux d’épuisement maximal du combustible de 62 GWj/t, soit une augmentation d’environ 10 GWj/t par rapport à la gestion GEMMES. Le déploiement de la gestion GALICE, qui date de 2010, est et restera limité à un seul réacteur, le réacteur 2 de NOGENT. Les principales caractéristiques de cette gestion sont les suivantes:

gestion GALICE
**: Valeurs prévisionnelles car la gestion GALICE n’a pas encore atteint l’équilibre en raison de sa mise en œuvre récente (à partir de 2008)

     III. Palier N4
     La gestion ALCADE a pour objectif l’amélioration de la disponibilité des tranches N4 en allongeant les campagnes combustibles à 17 mois par rapport à la première gestion mise en place au démarrage et la réduction des flux annuels de combustible à retraiter. Cette gestion est déployée sur les 4 réacteurs du palier N4. Ses principales caractéristiques sont données dans le tableau ci-dessous:

gestion ALCADE
*** Valeurs prévisionnelles car la gestion ALCADE n’a pas encore atteint l’équilibre en raison de sa mise en œuvre récente (à partir de 2008)

II Caractéristiques des aiguilles de combustibles et des assemblages

     Un cœur de réacteur est composé d’assemblages combustibles. Un assemblage est composé de 264 crayons (ou aiguilles) de combustible, de 24 tubes pouvant contenir une grappe de commande et d’un tube qui est destiné aux instruments, le tout disposé en un réseau carré de 17x17 identique pour tous les paliers (900, 1.300, 1.450 MWé). Les crayons de combustibles sont constitués d’un tube (gaine) en alliage de zirconium (en France on utilise le zircaloy). Cet alliage absorbe peu les neutrons et résiste à la corrosion.
     Les gaines ont une épaisseur de 0,6 mm (0,57 exactement) pour 9,5 mm de diamètre. Dans ce tube sont placées des pastilles de dioxyde d’uranium (UO2) ou un mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium (U, Pu)O2 ou MOX. Les gaines sont maintenues par des grilles en zircaloy.

Caractéristiques des cœurs de réacteurs
caractéristiques des coeurs de réacteurs
p.25

 
III-A  Synthèse du rapport de l’IRSN sur le retour d’expérience relatif au  comportement du combustible de 2003 à 2009
23 juin 2011


     L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a souhaité recueillir l’avis du Groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires (GPR) sur la prise en compte par EDF du retour d'expérience du combustible, y compris les grappes absorbantes, en exploitation sur la période 2003-2009. Plus particulièrement, l’ASN a souhaité que le GPR se prononce sur:
     - le comportement du combustible et des grappes en exploitation sur le parc,
     - la prise en compte par l’exploitant des enseignements du retour d’expérience des événements survenus,
     - l’adéquation et la suffisance des programmes de surveillance, d’expérimentation et de recherche et développement vis-à-vis des problèmes soulevés par le comportement du combustible en exploitation.
     L’évaluation réalisée par l’IRSN au cours de l’instruction technique correspondante a été présentée à la réunion du GPR du 23 juin 2011.
     Les orientations stratégiques retenues par EDF pour la gestion du combustible en réacteur au cours de la période 2003-2009 étaient les suivantes:
    - privilégier l’accroissement de la production nucléaire par rapport à l’obtention de très hauts taux de combustion,
     - améliorer la sûreté et les performances en exploitation, 
     - maintenir dans la durée sa capacité à diversifier les combustibles et les fournisseurs,
     - maîtriser la cohérence du cycle, notamment en adaptant les flux des combustibles MOX et URE aux besoins.
     Ces orientations se sont traduites par diverses évolutions au cours de la période 2003-2009. D’une part des évolutions de gestion ont été mises en œuvre pour l’accroissement de la production nucléaire, d’autre part des évolutions portant sur la structure et le gainage des combustibles ont été mises en place afin d’améliorer leur fiabilité et leur robustesse. La période 2003-2009 a également été marquée par l’introduction accrue du combustible Westinghouse dans les tranches des paliers 1300 MWe et CPY, jusqu’alors chargées majoritairement de combustibles AREVA.
     L’introduction de nouveaux combustibles doit se faire dans le respect du référentiel de sûreté en vigueur (critères de sûreté, modèles et méthodes...). De plus, EDF doit apporter la démonstration de la compatibilité mécanique, neutronique et thermohydraulique des nouveaux combustibles avec les assemblages de référence.
L’IRSN souligne toutefois que la coexistence de différents types d’assemblages dans un cœur conduit, compte-tenu des différences de perte de charge de ces types d’assemblages, à des redistributions de débit entre assemblages qui sont de nature à affecter certaines études de situations accidentelles. L’IRSN a mis en évidence des lacunes dans le traitement de ces redistributions de débit dans la démonstration de sûreté, qu’EDF s’est engagée à combler rapidement dans un dossier complémentaire.
     Pour ce qui concerne les effets de l’oxydation des gaines sur les performances des combustibles chargés dans les réacteurs, l’IRSN note que le Zircaloy-4 utilisé depuis le début de l’exploitation du parc électronucléaire reste très présent, notamment dans les tranches de 900 MWe (en gestion CYCLADES ou GARANCE) et de 1.300 MWe (en gestion GEMMES). Malgré la disponibilité sur le marché de gaines présentant des performances supérieures en termes de corrosion, 31 réacteurs sont encore chargés avec des assemblages à gainage en Zircaloy-4. Dans le passé, l’IRSN avait estimé que les épaisseurs maximales de corrosion pour les gaines en Zircaloy-4 étaient sous-évaluées par le modèle d’EDF qui détermine l’épaisseur maximale des oxydes présents sur les gaines en fonction de l’historique de puissance des crayons concernés. EDF a donc révisé son modèle enveloppe de corrosion des gaines en Zircaloy-4. L’IRSN considère que ce modèle de corrosion révisé est acceptable: il permet de rendre compte de l’accélération du phénomène de corrosion pour les gaines en Zircaloy-4 fortement corrodées.
     Cependant, l’IRSN constate que les épaisseurs d’oxyde maximales calculées avec le modèle de corrosion révisé atteignent 115 μm pour les trois gestions précitées. Elles dépassent donc le critère de conception relatif à l’oxydation (100 μm) retenu par EDF pour se prémunir d’une diminution trop importante des caractéristiques mécaniques de la gaine. Ces dépassements pourraient mettre en cause la démonstration de sûreté. De ce fait, l’IRSN a demandé à EDF de préciser les conséquences d’un tel dépassement pour les études des situations accidentelles et d’en tenir compte. Par ailleurs, l’IRSN a analysé l’effet sur la corrosion des gaines en Zircaloy-4 des expérimentations menées par EDF en matière de chimie du circuit primaire. À la lumière du retour d’expérience, il apparaît que la chimie modifiée bore-lithium pourrait avoir un effet néfaste sur la corrosion à hauts taux de combustion. À cet égard, l’IRSN a noté qu’EDF complétera les mesures d’épaisseur d’oxyde pour des crayons des tranches dont la chimie a été modifiée et en tirera les conséquences sur le caractère enveloppe du modèle de corrosion.
(suite)
suite:
     L’IRSN a examiné la tenue en exploitation des combustibles. 119 assemblages inétanches ont été détectés parmi les 2.800 assemblages déchargés des tranches du parc au cours de la période 2003-2009. L'analyse des défaillances a permis de mettre en évidence trois types de défaillances, à savoir la présence de corps migrants, l’usure par fretting et des problèmes de fabrication. La période considérée a été marquée par une augmentation du taux de défaillances (% d'assemblages non étanches parmi les assemblages déchargés) pour les paliers 1.300 MWe et N4, du fait des problèmes d’usure par fretting et de percement des gaines en alliage M5.
     L’IRSN constate qu’EDF a mis en place de nombreuses dispositions visant à éviter les pertes d'étanchéité des crayons à gainage en alliage M5 dont l’origine est imputable aux procédés de fabrication (soudage des crayons ou insertion de ces derniers dans les grilles). Les modifications relatives au soudage des bouchons des crayons se sont déjà révélées appropriées. L’efficacité des mesures visant à éviter les effets néfastes de l’insertion des crayons dans les grilles, mises en œuvre postérieurement, ne peut pas être évaluée à ce jour. Enfin, au cours de cette période 2003-2009, des cas d’usure par fretting ont été constatés sur des assemblages Westinghouse sur le palier 900 MWe. Afin de remédier aux problèmes d’usure par fretting, EDF a décidé en 2006 de ne charger que des assemblages Westinghouse munis d’une grille complémentaire en pied d’assemblage pour limiter les vibrations.  
     Par ailleurs, toujours au cours de la période 2003-2009, deux types d’incidents ont affecté les combustibles sans pour autant mener à des pertes d’étanchéité des assemblages et des incidents de manutention:
     - l’IRSN note que le comportement des assemblages en termes de déformation a été stabilisé au cours de la période examinée pour les paliers 900 MWe et 1.300 MWe. Toutefois, la situation du palier N4, satisfaisante jusqu’en 2009, nécessite d’être suivie compte tenu des déformations résiduelles maximales atteintes en 2010 pour le réacteur 2 de Chooz B. À cet égard, l’IRSN souligne qu’EDF a engagé au cours des dernières années différentes actions de R&D en vue d’améliorer la compréhension des phénomènes conduisant à des déformations des assemblages sous irradiation. Les déformations d’assemblages peuvent conduire d’une part à ralentir voire bloquer la chute des grappes en cas d’arrêt automatique du réacteur, d’autre part à endommager des grilles d'assemblage lors de la manutention des assemblages dans le cœur. L’IRSN note qu’EDF a mis en place des dispositions d’exploitations complémentaires et que AREVA a modifié la conception des plaquettes externes des grilles afin de limiter les risques d’accrochage lors des manutentions. La mise en œuvre de ces dispositions apparaît à ce jour efficace: une stabilisation puis une baisse du nombre annuel des dégradations de ce type a en effet été constatée par EDF entre 2007 et 2009;
     - les incidents de manutention survenus au cours de la période 2003-2009 comportent trois événements d’accrochage d'assemblages combustibles lors de la levée des Equipements Internes Supérieurs (EIS). Ces événements récurrents ont conduit EDF à revoir les différents examens et contrôles prescrits pour éviter ces accrochages. Le retour d'expérience montre une amélioration du comportement des grappes en termes d’usure. En revanche, la période 2003-2009 a vu apparaître un phénomène de gonflement de grappes, affectant surtout les grappes de commande qui restent insérées dans le réacteur en puissance, c'est-à-dire directement soumises au flux neutronique. Ce phénomène a pour conséquence de ralentir la chute des grappes en cas d’arrêt automatique du réacteur, voire de bloquer certaines grappes dans le rétreint des tubes guides d'assemblage combustible. L’IRSN note qu’afin d’éviter un gonflement important des grappes, EDF a fait évoluer les stratégies de remplacement des grappes à partir de 2008, en limitant leur durée d'utilisation et en abaissant les critères de mise au rebut.
     EDF a transmis un bilan des évaluations réalisées lors des études de sûreté relatives aux recharges transmises à l’ASN en amont de chaque campagne. Ces évaluations ont pour objectif que la recharge respecte les hypothèses retenues dans les études présentées dans le rapport de sûreté. Par ailleurs, EDF a présenté un bilan des différences entre les cœurs effectivement chargés dans les réacteurs en exploitation (nombre de cycles d’irradiation des assemblages, nombre d’assemblages neufs rechargés, présence d’assemblages d’enrichissement différent de celui de la gestion prévisionnelle) et ceux retenus dans les gestions prévisionnelles du combustible en support des études génériques de sûreté. L’IRSN est conscient de la nécessité pour l’exploitant d’adapter la composition des cœurs rechargés pour faire face aux aléas d’exploitation. Toutefois, l’IRSN appelle l’attention sur les inconvénients de traiter les dossiers correspondants dans l’urgence. Compte tenu de la complexité des dossiers de ce type, une réflexion de fond est nécessaire à ce sujet et est déjà engagée entre EDF et l’IRSN.
p.26


III-B Avis-IRSN N° 2014-000032:
Objet: REP Accident d’insertion de réactivité-domaine de découplage - corrosion du Zircaloy-4

     Par lettre citée en référence (lettre ASN CODEP-DCN-2014-001251 du 17-01-2014), l’ASN sollicite l’avis de l’IRSN sur l'acceptabilité des réponses apportées par EDF en ce qui concerne les conséquences de la corrosion des crayons gainés en Zircaloy-4 sur le domaine de découplage défini par EDF afin de garantir l’absence de rupture de gaine par Interaction mécanique entre la Pastille et la Gaine (ImPG) du combustible en cas d’accident d’insertion de réactivité faisant suite à une éjection de grappe de commande.
     Il convient de rappeler qu’EDF définit désormais le domaine de découplage par les critères suivants:
     - Taux d’épuisement moyen crayon (1):
BUcrayon < 57 GWj/tU,
     - Épaisseur maximale de la couche d’oxyde externe (2):
eZrO2 =< 108 microns,
     - Variation d’enthalpie (3):
∆H < 57 cal/g,
     - Largeur de pulse à mi-hauteur (4):
L1/2 > 30 ms,
     - Température maximale dans la gaine:
T max. =< 700 °C,
     et qu’il estime que ce domaine est applicable aux crayons à gainage Zircaloy-4  qu’ils soient ou non desquamés (5).
     Cette demande fait suite à l’instruction par l’IRSN du domaine de découplage en 2011 qui avait conduit l’ASN à émettre des réserves à l’application de ce domaine pour les crayons gainés en Zircaloy-4 ainsi qu’à la réunion du groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires portant sur le retour d’expérience combustible sur la période 2003-2009. À cette occasion, il avait été constaté que les épaisseurs de corrosion du gainage Zircaloy-4 atteintes en réacteurs étaient supérieures à l’attendu et dépassaient la valeur dite «repère» de 100 microns.
     L’IRSN a plus particulièrement examiné:
     * «la possibilité ou l'impossibilité de définir des critères de rupture de crayons desquamés;
     * le fait qu'en-dessous d'une valeur d'épaisseur de corrosion de 80 microns, les risques liés au phénomène de desquamation sont négligeables;
     * les objectifs à fixer à EDF pour définir des mesures de restriction d'exploitation visant à limiter les possibilités d'apparition ou la sévérité de l'initiateur d'un accident d'éjection de grappe dès que l'épaisseur de corrosion ne permet plus de négliger le phénomène de desquamation;
     * les principes de sûreté à respecter dans une démonstration de sûreté provisoire».
     Pour ce qui concerne le domaine de découplage garantissant la non-rupture au cours d’un accident d’éjection de grappe, l’IRSN considère que pour les crayons Zircaloy-4 desquamés en fonctionnement normal, la définition d’un critère de non-rupture en variation d’enthalpie n’est pas possible. En effet, l’IRSN considère qu’il est difficile de prédire, d’une part les conséquences de la desquamation sur les propriétés des matériaux de gaine, d’autre part, les niveaux d’enthalpie à rupture des crayons desquamés du fait d’une forte variabilité dans les essais existants.
     Par ailleurs, l’IRSN considère que l’épaisseur de corrosion maximale de 108 microns sur lequel est fondé le domaine de découplage peut être considérée comme la valeur maximale admissible dans le domaine de découplage pour des crayons non desquamés. Sur ce sujet, EDF a présenté des mesures récentes d’épaisseur de corrosion réalisées sur le palier 1.300 MWe en gestion GEMMES qui montrent que 5% des crayons en fin de vie présentent des épaisseurs d’oxyde maximales supérieures à 108 microns. L’IRSN note qu’EDF justifie par argumentaire le caractère acceptable du dépassement de cette épaisseur de 108 microns pour un nombre limité de crayons. La justification d’EDF repose sur l’évaluation des conséquences de la rupture de crayons au cours d’un transitoire d’éjection de grappe. L’IRSN rappelle qu’en cas de rupture de gaine par ImPG, les fragments de combustible chauds sont susceptibles d’être éjectés dans l’eau du circuit primaire. L’interaction entre ces fragments chauds et l’eau peut générer une onde de pression et vaporiser l’eau autour de la zone d’éjection. Ces phénomènes peuvent endommager à leur tour les crayons voisins et in fine mettre en péril la refroidissabilité du cœur, voire créer des dommages à la deuxième barrière (circuit primaire principal). L’IRSN souligne que cette évaluation fait actuellement l’objet d’une instruction. Sur la base des éléments d’ores et déjà examinés et bien que la méthode utilisée par EDF semble acceptable dans son principe, l’IRSN considère que des hypothèses structurantes de l’approche d’EDF et relatives à la phénoménologie de l’interaction fluide-combustible ne sont pas valides.
(suite)
suite:
     Ainsi l’IRSN n’est pas en mesure de se prononcer sur la validité des estimations actuellement fournies par EDF concernant le nombre de crayons rompus qui pourrait conduire à un risque d’endommagement de la seconde barrière. En conclusion, l’IRSN estime que la justification apportée par EDF pour autoriser un dépassement de l’épaisseur d’oxyde maximale retenue dans le domaine de découplage et garantissant la non-rupture de gaine de crayons non-desquamés en cas d’éjection de grappe n’est pas suffisante, ce qui conduit l’IRSN à formuler la recommandation n°1 (voir Annexe 1).
     Pour ce qui concerne l’épaisseur de corrosion pour laquelle le risque de desquamation est susceptible d’apparaître, l’IRSN rappelle tout d’abord que plus l’épaisseur d’oxyde des crayons est importante, plus la probabilité de desquamation de la couche d’oxyde croît. A cet égard, EDF a présenté une base expérimentale de 13 crayons dans laquelle il estime qu’un seul crayon est représentatif des conditions actuelles d’exploitation vis-à-vis de la desquamation. L’IRSN considère que les arguments qui ont conduit EDF à ne pas considérer 12 des 13 crayons de sa base expérimentale ne sont pas recevables. À cet égard et sur la base des données fournies par EDF, l’IRSN estime qu’en dessous d’une épaisseur de corrosion de 80 microns en valeur moyenne azimutale, le risque de desquamation en fonctionnement normal est négligeable. 
     En ce qui concerne les principes de sûreté à respecter dans le cadre d’une démonstration de sûreté, l’IRSN estime que pour les crayons dont l’épaisseur d’oxyde dépasse 80 microns pour lesquels le risque de desquamation ne peut être exclu, la démonstration de l’intégrité de la gaine lors d’un transitoire d’éjection de grappe n’est pas apportée. Faute de pouvoir démontrer l’absence de rupture de gaine pour les crayons Zircaloy-4 desquamés, l’IRSN estime donc qu’EDF doit  démontrer que la rupture de gaines en cas d’éjection de grappe n’engendrerait pas de conséquences inacceptables, ce qui fait l’objet de la recommandation n°2.
     En ce qui concerne les objectifs à fixer à EDF pour définir des mesures de restriction d'exploitation, l’IRSN considère que deux objectifs doivent être fixés:
     - limiter les conséquences potentielles d’un accident d’éjection de grappe en privilégiant un fonctionnement des réacteurs concernés avec les grappes les plus extraites possible ou en plaçant les assemblages contenant des crayons potentiellement desquamés dans des zones du cœur moins sollicitées en cas d’éjection de grappe.
     - limiter les épaisseurs de corrosion atteintes en fonctionnement normal afin de limiter le nombre de crayons potentiellement desquamés en réacteur et donc, en cas d’éjection de grappe, le risque de ruptures de gaines par Interaction mécanique pastille-gaine.
     Le premier objectif doit être visé dès que le risque de desquamation n’est plus négligeable, c’est-à-dire à partir du moment où l’épaisseur de corrosion maximale d’un crayon est susceptible de dépasser 80 microns. De plus, EDF a récemment présenté des résultats de mesure des épaisseurs d’oxyde de crayons Zircaloy-4 réalisées sur le palier 1.300 MWe en gestion GEMMES qui montrent que la valeur de 80 microns est atteinte par près de 35% des crayons en fin de vie. L’IRSN estime que, du fait du nombre très important de crayons potentiellement desquamés en fonctionnement normal, la situation actuelle n’est pas acceptable et que ces mesures de restriction d’exploitation doivent être mises en œuvre rapidement d’où la recommandation n°3.
     Par ailleurs, l’ASN a souhaité recueillir les autres observations de l’IRSN sur ce dossier. L’IRSN note que les mesures d’épaisseur d’oxyde de crayons Zircaloy-4 réalisées sur le palier 1.300 MWe remettent en cause le modèle enveloppe de corrosion intégré au logiciel de thermomécanique utilisé par EDF et récemment analysé par l’IRSN et donc la validité des études de conception thermomécanique crayon réalisées avec ce logiciel. Ce constat a amené l’IRSN à formuler la recommandation n°4. De manière plus générale, l’IRSN note que ce modèle était établi sur la base de comparaisons entre des valeurs calculées et des mesures faites sur des réacteurs de types différents, alors que les épaisseurs de corrosion atteintes dépendent en fait du type de réacteur, voire de paramètres de fonctionnement propre à chaque réacteur. C’est pourquoi le caractère enveloppe du modèle actuel est aujourd’hui remis en cause pour le palier 1.300 MWe. En ce qui concerne les précautions à prendre dans l’établissement de ces modèles, l’IRSN émet l’observation n°1 en Annexe 2.
notes
1 Le taux de combustion (burning ou BU) correspond à la quantité d’énergie fournie par tonne du combustible au cours de l’irradiation.
2 Valeur maximale en moyenne azimutale.
3 Valeur de la variation d’enthalpie moyenne sur la section du crayon au point le plus chaud.
4 La largeur de pulse à mi-hauteur caractérise le temps d’éjection de la grappe au cours du transitoire de RIA.
5 La desquamation correspond à la perte localisée d’une partie de la couche d’oxyde se formant à la surface du crayon au cours de l’irradiation.

p.27

 
Annexe 1 à l’avis IRSN/2014-00032 du 30 janvier 2014
Recommandations


     Recommandation n°1
     L’IRSN recommande qu’EDF s’assure que l’épaisseur maximale de corrosion des crayons à gainage Zircaloy-4 évaluée pour les recharges de combustible reste inférieure à 108 microns en valeurs moyenne azimutale.
     Recommandation n°2
L’IRSN recommande qu’EDF justifie que la présence de crayons potentiellement desquamés ne remet pas en cause la refroidissabilité du cœur et ne risque pas d’engendrer de dommage supplémentaire à la seconde barrière en cas de rupture de ces crayons lors d’un accident d’éjection de grappe.
     Recommandation n°3
     L’IRSN recommande qu’EDF mette en œuvre rapidement des dispositions visant à:
     - limiter les conséquences potentielles d’un accident d’éjection de grappe dès lors que l’épaisseur de corrosion maximale d’un crayon est susceptible de dépasser 80 microns;
     - limiter le nombre de crayons potentiellement desquamés en réacteur et donc, en cas d’éjection de grappe, le risque de ruptures de gaines par interaction mécanique pastille-gaine.
     Recommandation n°4
     L’IRSN recommande qu’EDF révise au plus tôt le modèle enveloppe de corrosion du gainage Zircaloy-4 intégré à son logiciel de thermomécanique utilisé pour les études de conception thermomécaniques afin de prendre en compte le retour d’expérience récent du palier 1.300 MWe et évalue l’impact de cette révision sur lesdites études des crayons à gainage Zircaloy-4 chargés sur le parc en exploitation.

Annexe 2 à l’avis IRSN/2014-00032 du 30 janvier 2014
Observation
     Observation n°1
     L’IRSN considère qu’EDF devrait vérifier systématiquement dans l’établissement des modèles de corrosion enveloppe des gainages de combustible intégrés aux logiciels de thermomécanique qu’il ne considère pas un ensemble de points de mesures constitué de sous-population ayant un comportement différent vis-à-vis de la corrosion

IV-b Rapport EDF publié par MEDIAPART
Document UNIE –décembre 2013


     Ce document repose sur des informations émanant de Belleville, Blayais, Bugey, Cattenom, Chooz, Civaux, Cruas, Dampierre, Fessenheim, Flamanville, Golfech, Gravelines, Nogent, Paluel, Penly, Saint Alban, Saint Laurent et Tricastin.
     Extrait Médiapart:
     «À partir de la page 7, on peut y lire plusieurs paragraphes consacrés à un problème de corrosion sur le gainage en Zircaloy, un alliage métallique à base de zirconium présent dans 25 réacteurs du parc national – qui en compte 58 en tout, répartis entre 19 centrales. Ce matériau est présenté comme «plus sensible à la corrosio » que des produits plus récents, également utilisés dans les centrales françaises. Il fait donc l’objet d’une surveillance particulière, guidée par les modèles qu'ont établis les experts en sûreté nucléaire. Concrètement, sont concernées 13 tranches de 1.300 mégawatts (MW), parmi les plus puissantes, et 12 de 900 MW, parmi les plus anciennes»:
     a) les tranches 900 concernées sont FSH 1 et 2, Bugey (2, 3, 4, 5), en gestion CYCLADES, Blayais (3 et 4)  et Cruas (1,2,3,4) en gestion GARANCES
     b) les tranches 1.300 concernées sont probablement: Cattenom (1 à 4), Belleville (1 et 2), Paluel (1 à 4), St Alban (1 et 2) et Flamanville
(suite)
suite:
     Extrait Médiapart –réunion EDF-ASN-IRSN du 11-12-2013
     «Les principaux points à retenir de la réunion concernant la corrosion du Zircaloy-4:
     - L’ASN reconnaît qu’EDF a fait une proposition technique allant dans le sens attendu, mais ne considère pas comme acceptable cette démonstration de sûreté compte tenu de la position de l’IRSN réaffirmée en réunion: -Il n’est pas possible d’associer un critère de non-rupture en élévation d’enthalpie stocké pour un crayon desquamé-;
     - L’ASN a annoncé en séance qu’elle considère que la démonstration de sûreté de la tenue du crayon en éjection de grappe n’est plus établie au-delà d’une épaisseur de corrosion de 80 microns, cette valeur étant la limite au-delà de laquelle la présence de desquamation ne peut être écartée;
     - EDF considère que la valeur de 80 microns étant atteinte durant la seconde partie du cycle (entre 60 et 80% de la longueur naturelle de campagne), cette limite ne peut pas devenir une contrainte sur la longueur de campagne;
     - l’ASN demande de rétablir une démonstration de sûreté acceptable pour la période allant jusqu’au remplacement du Zircaloy-4 par des alliages avancés (M5 ou Zirlo) soit 2019-2020 selon une approche en deux temps:
     * A court terme, mettre en place des mesures de nature à réduire les risques à des niveaux aussi bas que possible. L’ASN suggère de fonctionner grappes extraites le plus possible durant la deuxième moitié du cycle lorsque le seuil de 80 microns est atteint (nous avons expliqué qu’il ne pouvait s’agir de revoir les limites d’insertion, le réacteur n’étant plus alors pilotable);
     L’ASN pourrait se satisfaire d’une approche de type - pas d’insertion programmée - ce qui reviendrait à un fonctionnement en base sur la moitié de la campagne. L’ASN a demandé un REX sur la durée des insertions de grappes au cours du cycle et nous sommes en mesure de lui fournir ces données;
     * A moyen terme, l’ASN suggère d’évaluer le nombre de crayons à corrosion supérieure à 80 microns susceptibles de rompre lors d’une éjection de grappe (donc ayant intégré une élévation d’enthalpie faible, peut être l’ordre de 10 à 15 cal/g, en cohérence avec la position de l’IRSN qui ne sait pas fixer un seuil) et de regarder si les conséquences sur la tenue de la cuve à l’onde de pression sont acceptables (selon la démarche de la note dite Natta), qui semble recevable par l’IRSN).
     - L’ASN doit nous transmettre un CR de cette réunion pour avis et prévoit de préparer une décision concernant l’exploitation des tranches utilisant du zircaloy-4 au début de l’année prochaine. Nous aurons le projet de décision pour avis, avant passage devant le collège.
     Compte tenu de cette situation, les 25 tranches recevant du combustible à gainage Zircaloy-4 sont concernées par la menace:
     - 13 réacteurs 1300 MW en gestion GEMMES;
     - 6 réacteurs 900 MW CP0 en gestion CYCLADES;
     - 6 réacteurs 900 MW CPY en gestion GARANCE.
     Le problème, c’est que l’exploitant a découvert que la corrosion s’étendait sur des épaisseurs plus profondes que prévu sur certaines gaines. Si bien qu’il a dû modifier son modèle de référence. Mais ces nouvelles mesures sont rejetées par l’ASN qui considèrent qu’elles ne sont pas acceptables, comme on peut le lire dans ce document. En conséquence, l’autorité «envisage la mise en place de restrictions d’exploitation afin d’en limiter l’irradiation et ainsi de réduire l’épaisseur de corrosion maximale du gainage.
      Autrement dit, elle pourrait demander par précaution à EDF d’utiliser moins longtemps ses combustibles et les remplacer plus souvent par du matériel neuf. Soit exactement l’inverse de ce que fait actuellement l’électricien, qui rallonge les durées d’utilisations de combustibles de plus en plus chargés en uranium 235, pour accroître sa production.
p.28


     Un bras de fer commence, et l'on en découvre toute l’intensité au fil des paragraphes. EDF propose d’élever le seuil maximal de corrosion à 108 microns, soit 0,108 millimètre. Une broutille? Pas vraiment: les gaines concernées ne mesurent pas plus de 0,57 millimètre, soit à peine cinq fois plus que l’épaisseur corrodée. «C’est beaucoup, ça pose problème. Cela signifie qu’entre un cinquième et un sixième de la gaine est partie», analyse la physicienne Monique Sené, fondatrice du Groupement de scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN).
     Mais de son côté, l’ASN envisage d’imposer une restriction plus drastique de 0,1 millimètre. Une perspective rejetée par EDF, qui l’exprime sans fard, «cette valeur étant la valeur repère historique sans lien avec une quelconque justification physique». Surtout, une telle limite entraînerait «une réduction drastique des longueurs de campagne», c’est-à-dire des durées d’utilisation des combustibles, dans les 13 réacteurs de 1.300 MW. Le groupe risque donc de devoir revoir de fond en comble sa gestion des combustibles d’uranium, au prix de substantielles dépenses supplémentaires.
     Habituellement, un crayon de combustible reste quatre ans dans un réacteur, ce qui correspond à trois «cycles» selon la typologie d’EDF. Ils en sont ensuite extraits, lors d’arrêts de maintenance, pour être renvoyés en traitement à l’usine Areva de la Hague. Dans le cœur des réacteurs, assemblages neufs et plus anciens sont mélangés, selon de savants calculs neutroniques. Plus longtemps les combustibles sont utilisés, moins souvent il faut les changer, et donc arrêter les réacteurs. C’est une mesure d’économie budgétaire.
     Mais ce n’est pas tout. Car en cas d’accident, la corrosion des gaines pourrait aggraver la situation. En temps normal, les réacteurs nucléaires sont contrôlés par des barres de commande. Elles en déterminent la puissance en se levant ou s’abaissant dans la machine. Si l’une d’entre elles s’éjecte brutalement sous l’effet d’une trop grande pression du système, c’est le début d’un accident potentiellement très grave – il ne s’en est jamais produit de tel jusqu’ici en France. La température intérieure du réacteur augmente alors beaucoup et très vite. Les crayons de combustibles sont soumis à un traitement de choc et peuvent se déformer. Les gaines corrodées risqueraient de rompre dès 0,08 millimètre (80 microns) de corrosion, alerte l’ASN, pour qui au-delà, «la démonstration de sûreté de la tenue du crayon en éjection de grappe n’est plus établie».
     Mais là encore, EDF fait de la résistance et considère que «la valeur de 80 microns étant atteinte durant la seconde partie du cycle (entre 60 et 80% de la longueur naturelle de campagne), cette limite ne peut pas devenir une contrainte sur la longueur de campagne».
     Autrement dit: puisque l’on sait que la corrosion atteint cette épaisseur avant la fin de la durée prévue d’utilisation, on ne peut pas s’interdire de franchir ce seuil.
     En réponse, l’ASN réclame à EDF une démonstration de sûreté «acceptable». Et pourrait accepter un fonctionnement ralenti, «en base», c’est-à-dire sans modifier la puissance du réacteur, lors du deuxième cycle d’utilisation des combustibles. «C’est un fonctionnement sur le fil du rasoir, analyse Monique Sené, en cas d’accident et d’éjection de grappes, il n’y a pas de marge de manœuvre. C’est embêtant de fonctionner sans filet.» On nage en pleine zone grise.
     L’ASN doit rendre son avis sur ce sujet controversé dans les jours qui viennent. Mais le problème pourrait durer cinq à six années supplémentaires, jusqu’en 2019 ou en 2020, date à laquelle tout le stock de gaines en Zircaloy devrait être écoulé. «Le cœur de la discussion actuellement, c’est de déterminer quelle épaisseur de corrosion est tolérable, explique à Mediapart Thomas Houdré, directeur du contrôle des centrales nucléaires à l’ASN; on examine techniquement ce sujet, qui n’est pas totalement trivial. C’est compliqué».
(suite)
suite:
IV b CODEP-DCN-2014-004499
Objet : Réacteurs électronucléaires  Corrosion du Zircaloy

     Réf. : [1] Lettre DSIN/GRE/SD2/n°29/99 du 12/02/1999
              [2]  Lettre DGSNR/SD2/n°591/2004 du 22/09/2004
              [3]  Lettre DGSNR/SD2/n°0201/2005 du 02/08/2005
              [4]  Lettre ASN CODEP
              [5]  Lettre ASN CODEP
              [6] Note EDF ENCNTC130237 indice A du 22/07/2013
     Par courriers en références [1] à [4], l’ASN vous a précisé sa position vis-à-vis de l‘oxydation et du risque de desquamation des gaines des crayons de combustible constituées en Zircaloy-4 et des conséquences potentielles sur leur tenue notamment lors d’un transitoire d’accident de réactivité (RIA), tel qu’un accident d’éjection de grappe (EDG). Dans ces différents courriers, l’ASN considère que l’absence de desquamation des gaines en Zircaloy-4 est l’une des garanties de la bonne tenue du combustible en cas de RIA. À ce titre, elle a considéré nécessaire de modifier le domaine de découplage (correspond à l’ensemble des paramètres définis pour assurer avec des marges le respect des exigences de sûreté) actuellement défini pour ce type d’accident pour les combustibles UO2 à gainage Zircaloy-4.
     La desquamation consiste en l’écaillage de la couche d’oxyde recouvrant le gainage des assemblages de combustible qui se forme en fonctionnement normal. L’oxydation du gainage des assemblages de combustible est associée à une absorption d’hydrogène par la gaine. En cas de desquamation de la couche d’oxyde en fonctionnement normal, l’hydrogène est susceptible de précipiter et de former des accumulations d’hydrures qui fragilisent alors localement la gaine. La desquamation conduit ainsi à une diminution de la tenue mécanique de la gaine susceptible d’entraîner localement sa rupture en cas de RIA.
     A l’issue de l’instruction réalisée en vue de la réunion du 23 juin 2011 du groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires portant sur le retour d’expérience du combustible durant la période comprise entre 2003 et 2009 (GP REX), l’ASN a constaté, dans ses courriers en références [4] et [5], que le nouveau modèle d’évaluation de la corrosion que vous utilisiez désormais pour calculer les épaisseurs maximales de corrosion susceptibles d’être atteintes pour les assemblages gainés en Zircaloy-4 conduisait dans certains cas, à des valeurs d’épaisseur de corrosion dépassant la limite de 100 microns utilisée comme critère, dans le domaine de découplage, pour la prévention de la rupture de gaine en cas d’accident d’EDG. Elle vous a demandé de vous prononcer «sur la valeur limite du paramètre épaisseur de corrosion à retenir dans la définition du domaine de découplage relatif aux accidents d’éjection de grappe (EDG), pour les gestions utilisant du combustible gainé en zircaloy-4
     Vous avez transmis des réponses aux demandes de l’ASN relatives à la corrosion du Zircaloy-4 des courriers en références [1] à [4] précités. Une note d’étude, en référence [6], récapitule l’ensemble des réponses aux questions de l’ASN concernant, d’une part le domaine de découplage lors d’un RIA, d’autre part les réponses aux questions posées par courrier en référence [5] à l’issue de la réunion du GP REX du 23 juin 2011 pour ce qui concerne la corrosion des gaines en Zircaloy-4. Cette note en référence [6] propose une version modifiée du domaine de découplage applicable en cas de RIA. Vous proposez en particulier de retenir la valeur de 108 microns pour la limite de l’épaisseur d’oxydation.
p.29


     Après examen par l’ASN et son appui technique des éléments de réponse que vous récapitulez dans la note d’étude en référence [6] et en prenant en compte l’avis rendu par le GPR le 23 juin 2011, l’ASN constate que:
     - les épaisseurs de corrosion des assemblages de combustible gainés en Zircaloy-4 actuellement présents dans les réacteurs en fonctionnement peuvent dépasser la valeur limite fixée dans le domaine de découplage défini pour la prévention des ruptures de gaine en cas d’accident d’EDG;
     - le risque de desquamation des crayons gainés en Zircaloy-4 ne peut être exclu pour des gaines de combustible dont l’épaisseur de corrosion atteint 80 microns. À l’inverse, pour des valeurs d’épaisseur de corrosion de gaines en Zircaloy-4 inférieures à 80 microns, le risque de desquamation en fonctionnement normal peut être considéré comme négligeable;
     - au vu des connaissances actuelles, il n’est pas possible de définir des critères permettant de garantir l’absence de rupture, en cas de RIA, de gaines de crayons de combustible desquamées;
     - les mesures d’épaisseur d’oxyde réalisées sur des réacteurs de 1.300 MWe remettent en cause le modèle enveloppe de corrosion, intégré au logiciel Cyrano 3 utilisé par EDF pour calculer ces épaisseurs et donc la validité des études réalisées avec ce modèle.
      Compte tenu de ces constats, des conditions de fonctionnement actuelles des réacteurs et des taux de combustion autorisés dans les différentes gestions de combustible, l’ASN considère qu’il n’est pas possible d’exclure la desquamation en fonctionnement normal des gaines de crayons en Zircaloy-4. Dès lors, l’ASN considère que la démonstration de sûreté lors d’un RIA, telle que présentée dans les rapports de sûreté des différents réacteurs en fonctionnement utilisant du combustible avec gainage Zircaloy-4, est remise en cause.
     Par conséquent, l’ASN vous demande de lui fournir, dans un délai maximal d’un an, une nouvelle démonstration de sûreté prenant en compte les risques de desquamation des gaines de crayons de combustible en Zircaloy-4 et de mettre à jour les rapports de sûreté des différents réacteurs concernés. Cette démonstration de sûreté devra reposer sur les principes de sûreté applicables dans les cas d’accidents d’EDG:
     - la structure géométrique du cœur n’est pas détériorée, de sorte que le refroidissement du cœur puisse être convenablement assuré;
     - la deuxième barrière ne subit pas de dommage supplémentaire.
     L’ASN vous demande également de réviser au plus tôt le modèle enveloppe de corrosion du zircaloy-4 utilisé dans le logiciel Cyrano 3 afin de prendre en compte le retour d’expérience récent des réacteurs de 1.300 MWe et d’évaluer l’impact de cette révision sur les études de conception des crayons gainés en zircaloy-4 chargés sur le parc en exploitation.
     Par ailleurs, au cours d’une réunion entre l’ASN et vos services, vous avez indiqué qu’un plan de suppression des assemblages gainés en Zircaloy-4 est actuellement en cours de déploiement. Ainsi, vous procédez au remplacement des assemblages de combustible gainés en Zircaloy-4 par des assemblages de combustible gainés en alliages s’oxydant moins. Ces nouveaux gainages sont d’ailleurs déjà présents sur certains réacteurs en fonctionnement. En tenant compte des contraintes industrielles de fabrication, des autorisations d’utilisation à obtenir auprès de l’ASN et du nombre de réacteurs concernés, vous prévoyez de ne plus intégrer de combustible neuf à gainage Zircaloy-4 dès 2015.
     En l’attente du déploiement complet de ce plan de remplacement, de l’élaboration d’une nouvelle démonstration de sûreté dans la période transitoire et compte tenu des risques en cas de RIA, l’ASN considère que le fonctionnement des réacteurs comportant des combustibles gainés en Zircaloy-4 ne peut se poursuivre sans mesures compensatoires.
     Par conséquent, l’ASN vous demande, dès les prochains arrêts des réacteurs utilisant du combustible à gainage Zircaloy-4, de prendre les mesures suivantes:
     - soit à limiter l’épaisseur maximale de corrosion des assemblages gainés en Zircaloy-4 dans les réacteurs en fonctionnement à une valeur permettant de négliger le phénomène de desquamation des gaines, donc pouvant atteindre au maximum 80 microns (en valeur moyenne azimutale);
      - soit à respecter la valeur limite de 108 microns (en valeur moyenne azimutale) fixée dans la  nouvelle version du domaine de découplage que vous proposez et à limiter les possibilités d’apparition ou les conséquences d’un accident d’éjection de grappe dès que l’épaisseur de corrosion des assemblages gainés en Zircaloy-4 dans les réacteurs en fonctionnement atteint 80 microns.
     Ces mesures seront un préalable à l’autorisation de divergence des réacteurs concernés.
     Dans les deux cas, l’épaisseur de corrosion devra être calculée selon les méthodes actuellement en vigueur sur les réacteurs du parc pour démontrer la sûreté des cœurs et à l’aide d’une version du logiciel Cyrano 3 révisée comme indiqué plus haut. 
(suite)
suite:
     Vous informerez l’ASN des mesures prises en ce sens dans les meilleurs délais, et en tout état de cause avant le rechargement en combustible du prochain réacteur utilisant du combustible gainé en Zircaloy-4 et s’arrêtant pour rechargement de combustible. Pour les réacteurs utilisant du combustible gainé en Zircaloy-4 et dont le prochain arrêt est prévu postérieurement au 30 juin 2014, vous proposerez à l’ASN, avant cette date, des mesures provisoires adaptées pour la fin du cycle en cours. Pour les réacteurs utilisant du combustible gainé en Zircaloy-4 et actuellement à l’arrêt pour rechargement, vous proposerez à l’ASN, avant leur redémarrage, des mesures particulières visant les mêmes objectifs que ceux mentionnés plus haut. 
La directrice générale adjointe,
Signé par Sophie MOURLON

ET POUR CONCLURE  un commentaire GAZETTE


     Les combustibles ont toujours fait l’objet d’un examen, par le GSIEN, dans les divers dossiers de Visite Décennale.
     Il y avait bien sûr la manutention des combustibles usés et leur rayonnement neutronique (protection des travailleurs), mais il y avait aussi la tenue des piscines d’entreposage de ces fameux combustibles.
     La synthèse de l’IRSN pose bien le sujet. Il est assez évident que les orientations stratégiques d’EDF étaient très pointues, mais manquaient quelque peu de données obtenues en réacteurs.
     - privilégier l’accroissement de la production nucléaire par rapport à l’obtention de très hauts taux de combustion,
     Excellente idée sauf que l’on sait depuis 30 ans que les hauts taux de combustion exigent des gaines résistantes, des pastilles sans défauts et savoir traiter les gaz de fission.
     Superphénix avait permis de constater que le problème restait entier : les nouveaux combustibles ont montré leur faiblesse.
     - améliorer la sûreté et les performances en exploitation,
     Toujours excellent, mais mieux vaut éviter de tester en vraie grandeur; à part contaminer le fluide primaire et l’enceinte de confinement, on ne résout pas le problème de tenue des gaines et de surcroît on risque un accident d’interaction mécanique pastille-gaine
     - maintenir dans la durée sa capacité à diversifier les combustibles et les fournisseurs,
     Louable pour éviter les problèmes, mais cela ne marche pas si les combustibles choisis présentent des défauts liés aux «progrès» demandés (taux de combustion plus élevé,...)
     - maîtriser la cohérence du cycle, notamment en adaptant les flux des combustibles MOX et URE aux besoins.
     Toujours très bien, mais ne marche pas…. L’optimisme ne suffit pas, encore faut-il mener des expérimentations et tenir compte des résultats.
     La Gazette appuie très fermement la conclusion de l’IRSN
     «EDF a transmis un bilan des évaluations réalisées lors des études de sûreté relatives aux recharges transmises à l’ASN en amont de chaque campagne
     Comme il apparaît que les cœurs effectivement chargés diffèrent du cœur prévisionnel: comment a-t-on calé les calculs pour changer l’agencement d’un cœur? Comment minimiser la fluence arrivant sur la cuve? Comment être capable de calculer la température de transition ductile fragile si on n’a pas une connaissance des cœurs?
     Ces évaluations ont pour objectif que la recharge respecte les hypothèses retenues dans les études présentées dans le rapport de sûreté. Par ailleurs, EDF a présenté un bilan des différences entre les cœurs effectivement chargés dans les réacteurs en exploitation (nombre de cycles d’irradiation des assemblages, nombre d’assemblages neufs rechargés, présence d’assemblages d’enrichissement différent de celui de la gestion prévisionnelle) et ceux retenus dans les gestions prévisionnelles du combustible en support des études génériques de sûreté.
     Excellent d’avoir ce dossier après quasi 30 ans de fonctionnement des réacteurs, mais c’est fort inquiétant pour faire un suivi de l’évolution des aciers sous irradiation: quelles incertitudes?
     L’IRSN est conscient de la nécessité pour l’exploitant d’adapter la composition des cœurs rechargés pour faire face aux aléas d’exploitation. Toutefois, l’IRSN appelle l’attention sur les inconvénients de traiter les dossiers correspondants dans l’urgence. Compte tenu de la complexité des dossiers de ce type, une réflexion de fond est nécessaire à ce sujet et est déjà engagée entre EDF et l’IRSN.
     On ne peut qu’être d’accord: travailler en estimation des usures qui dépendent du taux de combustion, qui lui dépend de la place du combustible dans le cœur n’a rien de simple mais attendre 2020 est un sacré pari.
     Et pour finir les essais menés sur les 1.300 sont très alarmants quant à la tenue des gaines. Faut-il souligner que ce qui coince c’est qu’on a déjà les fameux combustibles et que les mettre en réacteur suppose de les sortir non pas au bout de 3 ou 4 cycles, mais seulement au bout de 2 (2 et demi) d’où une perte de kW assurée et des coûts supplémentaires (moins importants tout de même que ceux d’un accident...) Et puis un tel accident pourrait entraîner a minima la perte d’un réacteur...
p.30

Retour vers la G@zette N°271