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G@zette N°271, février 2014

ATTENTION DANGER: la finance ne doit pas peser sur la sûreté
Information Suisse
Participations cantonales dans les centrales nucléaires: des coûts de désaffectation et de gestion des déchets incertains menacent les fonds publics
Auteur du texte: Muriel Gschwend, WWF Suisse et Auteur des annexes: Florian Kasser, Greenpeace
Zurich, octobre 2013

(CHF = franc suisse)
     1. La valeur des participations cantonales dans les centrales nucléaires doit être remise en cause
     En Suisse, cinq réacteurs sont actuellement exploités: Muhleberg, Beznau I et II (dans ce texte simplement Beznau), Gosgen et Leibstadt. Après l'accident de Fukushima, le Conseil fédéral, le Conseil national et le Conseil des Etats ont décidé de sortir progressivement du nucléaire, sans pourtant déterminer de date exacte pour l'arrêt des centrales.
     La plupart des cantons (et quelques communes) et, avec eux, les contribuables, participent de manière plus ou moins importante aux centrales nucléaires suisses. Ces participations sont extrêmement complexes et enchevêtrées (un aperçu se trouve en annexe) et doivent être remises en question sous l'angle de leur valeur effective. En effet, les développements qui pourraient avoir une influence négative sur leur valeur se multiplient: en raison de la persistance des prix bas de l'électricité (résultat d'une offre excédentaire sur le marché européen et de la demande toujours faible due à la crise économique), les exploitants des centrales nucléaires ont toujours plus de peine à couvrir leurs frais de production. Avec le tournant énergétique, ils se retrouvent par ailleurs face à des défis de grande ampleur, qui auront aussi des conséquences financières.
     La procédure de consultation pour la révision de l'Ordonnance sur le fonds de désaffectation et sur le fonds de gestion des déchets radioactifs pour les installations nucléaires (OFDG) a été lancée le 21 août 2013. Dans ses grandes lignes, ce projet prévoit une nette augmentation des versements des exploitants de centrales nucléaires dans le fonds de désaffectation et de gestion des déchets, ce qui pourrait occasionner des difficultés financières. Enfin, une procédure pénale a été ouverte contre la centrale de Gosgen-Däniken SA et celle de Leibstadt SA pour faux dans les titres. Si les faits reprochés sont confirmés, les deux sociétés exploitantes pourraient être confrontées à des paiements de fonds propres complémentaires, ce qui pourrait également toucher les actionnaires de ces sociétés et, dans la foulée, divers cantons et communes. Même si la plainte ne débouche pas sur une condamnation, la comptabilité de ces centrales présente des risques pour les actionnaires. 
(suite)
suite:
     Ce papier met l'accent sur les risques économiques résultant des nombreuses incertitudes liées aux coûts de désaffectation et de gestion des déchets. Outre les critiques générales adressées depuis des décennies par les organisations de défense de l'environnement à l'encontre des centrales nucléaires, nous attirons depuis longtemps l'attention sur le fait que les fonds de désaffectation et de gestion des déchets nucléaires - censés garantir la couverture des coûts de désaffectation et de gestion des déchets - présentent une sous-couverture massive. Nous supposons que cette situation recèle d'importants risques financiers pour les cantons détenant des participations dans des centrales nucléaires. Afin d'illustrer toute la problématique, nous commençons par exposer la manière dont est actuellement gérée la prise en charge des coûts relatifs à la désaffectation des centrales nucléaires et à la gestion des déchets radioactifs (chapitre 2). Nous indiquons ensuite où nous situons les problèmes et les risques en la matière (chapitre 3). Finalement, nous expliquons la procédure pénale en cours à l'encontre de Leibstadt et de Gosgen, qui devrait en premier lieu affecter financièrement les cantons détenant des participations directes dans ces deux sociétés et, en second lieu, les autres cantons possédant des centrales nucléaires (chapitre 4). Les conclusions essentielles sont résumées dans les chapitres 5 et 6.
     2. Désaffectation des centrales nucléaires et gestion des déchets radioactifs: prise en charge des coûts
     La loi sur l'énergie nucléaire (LENu) et l'Ordonnance sur le fonds de désaffectation et sur le fonds de gestion des déchets radioactifs pour les installations nucléaires (OFDG) règlent les droits et les devoirs relatifs à la désaffectation et à la gestion des installations et des déchets nucléaires. Aux termes de l'article 31 alinéa 1 de la loi LENu, les exploitants de centrales nucléaires sont tenus d'évacuer, à leurs frais et de manière sûre, les déchets radioactifs produits par leur installation. Les exploitants prennent au fur et à mesure en charge les frais de gestion des déchets qui surviennent pendant l'exploitation de leur installation. Les coûts de désaffectation des centrales nucléaires ainsi que les coûts qui surviennent pour la gestion des déchets radioactifs après leur mise hors service sont en revanche pris en charge par deux fonds indépendants: le fonds de désaffectation et le fonds de gestion des déchets radioactifs pour les installations nucléaires. Ces deux fonds sont alimentés par les contributions annuelles dont s'acquittent les exploitants (1). Les fonds sont également financés par les revenus des capitaux (2)Le calcul des coûts de désaffectation et de gestion des déchets et des contributions que les exploitants doivent verser aux fonds repose sur des estimations (3), dont une durée d'exploitation présumée de 50 ans (4).
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     Les deux fonds sont brièvement expliqués ci-dessous:
     - Le fonds de désaffectation existe depuis 1984. Son but est de financer la désaffectation ou le démantèlement des centrales nucleaires mises hors service ainsi que la gestion des dechets qui en résultent. Selon l'étude des coûts de 2011, les coûts de désaffectation des cinq centrales nucléaires suisses et du dépôt intermédiaire (à Wurenlingen) se montent à 2,974 milliards CHF (sur la base des prix de 2011 - pour info 1CHF = 0,9117€ en avril 2014). Ces coûts sont entièrement à la charge du fonds de désaffectation, c'est-à-dire qu'ils sont couverts par les contributions annuelles des exploitants et les revenus des capitaux. Fin 2012, le capital du fonds se montait à 1,531 milliards CHF.
     - Le fonds de gestion a été créé en 2000. Il a pour but de financer la gestion des résidus d'exploitation et des éléments combustibles irradiés après la mise hors service des centrales nucléaires, selon l'étude des coûts de 2011 (base des prix de 2011), les coûts de gestion des déchets radioactifs s'élèvent à 15,970 milliards CHF et se repartissent ainsi: coûts qui ont déjà été dépensés par les exploitants (soit environ 5,1 milliards CHF jusqu'à fin 2012), coûts qui surviennent jusqu'à la mise hors service des centrales nucléaires et qui sont payés au fur et à mesure (2,4 milliards CHF) et coûts qui ne surviendront qu'après la mise hors service des centrales et qui devront être pris en charge par le fonds de gestion, c'est-à-dire par les contributions des exploitants et les revenus des capitaux (8,4 milliards de francs). Fin 2012, le capital du fonds se montait à 3,220 milliards de francs.
     Les explications qui précèdent révèlent que les coûts de gestion des déchets sont nettement plus importants que les coûts de désaffectation. Le graphique ci-dessous illustre par ailleurs le fait que les deux fonds ont été alimentés de manière insuffisante en comparaison de leur durée d'exploitation. En 2012, Leibstadt n'avait par exemple alimenté qu'un cinquième du fonds après plus de la moitié de sa durée d'exploitation.
fonds de gestion suisses
Source: OFEN, calculs de l'Office

     Mécanisme de responsabilité
     Si les contributions fournies pour couvrir les coûts ne suffisent pas, l'ensemble des moyens disponibles du fonds y sont consacrés (LENu, art. 79 al. 3). Dans ce cas, l'exploitant doit verser au fonds la différence, augmentée d'un intérêt calculé au taux usuel du marché (5). S'il ne peut fournir le remboursement dans le délai fixé par le Conseil fédéral, les autres exploitants sont tenus de couvrir la différence (LENu art. 80 al. 2). Le principe de versements complémentaires ou de responsabilité solidaire vaut aussi lorsque les montants revenus au fonds ne suffisent pas à couvrir les coûts de désaffectation ou d'évacuation des déchets et lorsque le responsable de l'évacuation des déchets ne restitue pas la différence au fonds (LENu art. 80 al. 3).
     Cette responsabilité solidaire inquiète déjà certains exploitants, comme le révèle: http://www.nzz.ch/ (comme je ne lis pas l'allemand, j'ai mis la page qui donne les sites qui en parlent...). Si la couverture de la différence représente une «charge économique insupportable» pour les exploitants astreints aux versements complémentaires, c'est l’Assemblée fédérale qui décide si la Confédération participe aux frais non couverts et, si oui, dans quelle mesure (LENu art. 80 al. 4).
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     3. Les fonds de désaffectation et de gestion suscitent de nombreuses incertitudes
     Dans le domaine des fonds de désaffectation et de gestion des déchets nucléaires, les incertitudes sont nombreuses. Ce chapitre situe les problèmes et les risques et présente les conséquences financières menaçant les cantons et leurs contribuables.
     Estimations incertaines des coûts
      Une grande partie des coûts de désaffectation et de gestion ne surviennent pas pendant l'exploitation mais longtemps après. C'est pourquoi ces coûts doivent être estimés, ce qui ne va naturellement pas sans certaines incertitudes. À ce jour, les études sur les coûts de désaffectation et de gestion des déchets de toutes les centrales nucléaires ont été effectuées tous les cinq ans pour chaque centrale par Swissnuclear (pour les coûts de désaffectation), qui regroupe les exploitants des centrales nucléaires suisses, et par la coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (Nagra) (pour les coûts de gestion des déchets). Ce système est une source supplémentaire d'incertitude: Swissnuclear et la Nagra, et avec eux les exploitants des centrales nucléaires (6), fournissent eux-mêmes les bases de leurs versements aux fonds. Même si l'aspect technique des calculs est vérifié par I'IFSN (Inspection fédérale de la sécurité nucléaire) avec le concours d'experts externes, les contrôles sont plutôt superficiels (7). L'IFSN devrait préciser qu'une vérification sûre n'est que difficilement réalisable. Il paraît dès lors évident que les exploitants des centrales nucléaires ont intérêt à évaluer les coûts futurs aussi bas que possible pour avoir à s'acquitter de cotisations aussi faibles que possible (et pouvoir vendre leur électricité le meilleur marché possible). S'il apparaît, à un moment ou à un autre, que la désaffectation des centrales nucléaires et la gestion des déchets radioactifs coûtent plus cher que ce qui avait été estimé et prévu à l'origine, c'est la société - et en particulier la génération future - qui devra assumer les coûts supplémentaires. Si les coûts sont aujourd'hui calculés trop bas, nous consommons du courant trop bon marché, qui devra pratiquement être subventionné avec effet rétroactif dans 50 ans. les calculs dits «best estimates» sont par ailleurs appliqués pour estimer les coûts de désaffectation et de gestion des déchets. «Best estimate» signifie que l'estimation est une sorte de valeur moyenne attendue, sans réserve ou supplément de sécurité, selon les prix du marché et l'état actuel des connaissances. Pareille estimation n'est donc correcte que dans l'idéal, qui a peu de chances de se produire au vu du nombre d'incertitudes. L'ordonnance sur le fonds de désaffectation et sur le fonds de gestion des déchets radioactifs révisée prévoit pour la première fois un supplément d'(in)sécurité (davantage à ce sujet plus bas).
     Hypothèses incertaines quant aux taux d'intérêt
     Les revenus des capitaux doivent contribuer en grande partie à la constitution des fonds. Pour être en mesure de calculer leur part ou les cotisations dont devront s'acquitter les exploitants, des hypothèses doivent être établies. La précision de ces estimations est importante pour minimiser le risque de sous-couverture d'un fonds et, dans la foulée, le risque pour les contribuables. Ces hypothèses comprennent une incertitude naturelle, étant donné qu'il n'est possible de constater qu'ultérieurement si elles étaient exactes ou non. En raison des incertitudes déjà évoquées en matière d'estimation des coûts et de la volatilité des marchés financiers, ces hypothèses sur les taux d'intérêts doivent donc être très conservatrices si l'on veut minimiser les risques. En effet, la logique veut que plus le taux d'intérêt hypothétique est élevé, plus les cotisations des exploitants sont faibles. On ne peut donc pas parler d'hypothèses conservatrices en matière de taux d'intérêts: pour l'instant, un rendement très optimiste de 5% (tenant compte d'un taux de renchérissement de 3%) était attendu, sans jamais avoir été réalisé ces dernières années. L'ordonnance sur le fonds de désaffectation et sur le fonds de gestion des déchets radioactifs révisée prévoit en conséquence un rendement de 3,5% (tenant compte d'un taux de renchérissement de 1,5%). L'avenir dira si ces hypothèses sont toujours trop optimistes.
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     Par le passé, les nouvelles estimations ont toujours dépassé les anciennes...
     Un coup d'oeil aux études de coûts précédentes montre que les estimations des coûts de toutes les centrales nucléaires (y compris les dépôts intermédiaires) ont nettement augmenté de manière régulière. Dans l'étude de coûts de 2011 par exemple, les coûts de démantèlement estimés sont 17% plus élevés que dans l'étude de 2006. Quant à l'évolution des coûts de désaffectation calculés entre 1980 et 2011:
     Entre 1980 et 2001 l’augmentation a été de 48%. Entre 1980 et 2011 elle a été de 78% (Source: OFEN, Swiss nuclear)
     Il faut s'attendre à ce que les estimations de coûts futures augmentent encore en raison des expériences faites à l'étranger, de l'évolution des standards de sécurité ou de nouvelles conditions cadres. La révision actuelle du Conseil fédéral (voir à ce sujet le sous-chapitre suivant) rend cette hypothèse plausible, puisqu'il la justifie par le fait que les augmentations de coûts de ces 10 dernières années environ étaient plus importantes que prévu.
     La révision actuelle n'est pas encore satisfaisante
     Comme évoqué plusieurs fois déjà, le Conseil fédéral a lancé la procédure de consultation de l'OFDG révisée en août 2013. Outre un rendement du capital plus faible, il prévoit d'augmenter les estimations de coûts «best estimates» d'un supplément d'(in)sécurité de 30%. La probabilité que les coûts soient couverts s'ils s'avèrent plus importants que les «best estimates» actuels doit ainsi être augmentée. Pour la première fois, le Conseil fédéral suggère qu'une estimation de coûts sans supplément de risque n'est plus tolérable. La littérature scientifique -Flyvbjerg 2007- (8) confirme ce point de vue: on a en effet constaté que 9 grands projets de construction sur 10 connaissent des dépassements de coûts, indépendamment du pays dans lesquels ils ont lieu. La proposition du Conseil fédéral est donc un premier pas dans la bonne direction. Malgré cela, nous estimons que les incertitudes suivantes ne sont pas réglées: pour ce supplément d'(in)sécurité de 30%, le Conseil fédéral se base sur l'IFSN, qui se réfère à son tour a une étude suédoise sur l'analyse des coûts de désaffectation (mais pas de gestion des dechets).
     Le problème est que les incertitudes dans le domaine de la gestion des déchets sont aussi importantes que dans celui de la désaffectation. Personne n'a encore véritablement de connaissances complètes (9) de la gestion des déchets, raison pour laquelle on est en droit de penser que les incertitudes dans ce domaine sont nettement plus importantes que les 30% prévus. Le plus grand défi que la technologie nucléaire doit relever, et pour lequel il n'existe pas encore de solution, est l'entreposage sûr des déchets radioactifs, dont les radiations dangereuses peuvent menacer l'environnement pendant un million d'années (10). Pour l'humanité, cet horizon temporel est à la fois incontrôlable et indéterminé. La gestion des déchets radioactifs ne représente donc pas seulement un grave problème technique, mais pose également la question du financement, ce qui rend naturellement une estimation des coûts incertaine. En fait entre 1980 et 2011 on passe de 5 milliards CHF à 26 milliards CHF. Pour résumer, on peut donc saluer la révision du Conseil fédéral, tout en rappelant que le supplément d'(in)sécurité de 30% pour les coûts de gestion des déchets est encore trop faible et ne repose sur aucune base solide. Les incertitudes et le manque d'expérience dans ce domaine sont bien plus importants que dans celui de la désaffectation. De même, les coûts de gestion des déchets sont massivement plus élevés que ceux de la désaffectation. Les expériences avec d'autres projets de grande envergure en Suisse comme la construction des NlFA ou la décharge chimique de Kolliken illustrent parfaitement le fait que les coûts effectifs ont tendance à être plus élevés que les coûts budgétisés (que ce soit en raison d'imprévus, de l'ampleur ingérable d'un projet, de nouvelles informations sur la nécessité de mesures de sécurité supplémentaires, de l'implication de plusieurs acteurs aux intérêts divergents ou d'un long horizon de planification rendant, par nature, tout calcul sûr impossible). La construction d'un dépôt pour déchets radioactifs est un projet complexe, unique en son genre et de très longue haleine, difficilement comparable à la construction d'un tunnel ou d'une décharge pour déchets toxiques.
(suite)
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     4. Les centrales nucleaires de Gosgen-Daniken SA et de leibstadt SA
     Des sociétés externalisées renfermant d'importants risques financiers
     Leibstadt et Gosgen sont deux cas particulièrement délicats dans le paysage nucléaire suisse. Il s'agit en effet de sociétés anonymes externalisées, avec une centrale nucléaire pour seul actif. Cet aspect est problématique, l'obligation de versements complémentaires conformément à la législation actuelle en cas de sous-couverture des fonds de désaffectation et de gestion des déchets ne concernant que l'exploitant (propriétaire de l'autorisation d'exploitation) d'une centrale nucléaire. Les centrales de Gosgen et de Leibstadt sont des sociétés anonymes autonomes, pour lesquelles les autorisations ont été délivrées à la centrale de Gosgen-Daniken SA et à la centrale de Leibstadt AG (11). Ainsi, seules ces deux SA sont astreintes à des versements complémentaires. Si les centrales nucléaires sont hors service, ces sociétés n'ont toutefois plus de source de revenus et se trouvent donc dans l'incapacité d'effectuer des versements complémentaires aux fonds. Dans pareil cas, la responsabilité solidaire des autres exploitants de centrales nucleaires est engagée ou, autre scénario possible, c'est à la société dans son ensemble de s'acquitter des sommes manquantes.
     D'une manière ou d'une autre, si des paiements complémentaires sont nécessaires, tous les cantons ayant des participations dans les centrales nucléaires et donc leurs contribuables seront concernés et devront payer la facture à la place des exploitants actuels des centrales de Leibstadt et de Gosgen. Que ce soit en raison du report d'une éventuelle reprise des coûts sur les cantons par le Conseil fédéral, par l'absence de dividendes et/ou suite aux prélèvements sur les fonds publics. Officiellement, on est ainsi d'avis que «le risque que les contribuables soient en fin de compte mis à contribution ne peut pas être évalué»  (http://www.parlament.ch/). Ne sont à l'abri que les cantons de Bâle, des Grisons, du Tessin et de Jura puisqu'ils n'ont (probablement) aucune participation dans des centrales nucléaires, de même que les cantons de Suisse centrale Uri, Schwyz, Obwald et Nidwald, pour autant qu'ils ne possèdent pas d'actions de CKW (détails sur les participations cantonales en annexe). Si, en plus des cantons exploitants, la Confédération devait être priée de passer à la caisse, les habitants de ces cantons n'y échapperaient pas, bien qu'ils ne participent pas aux centrales nucléaires.

     Capital propre artificiellement gonflé - des paiements complémentaires menacent
     Dans le cas de Leibstadt et de Gosgen, un autre problème réside dans la procédure pénale en cours en raison de faux dans les titres. Les deux griefs retenus sont les suivants:
     a. Capitalisation des «coûts à amortir pour la post-exploitation, la désaffectation et la gestion des déchets»: les deux exploitants considèrent les coûts de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs comme des actifs (en plus de la centrale elle-même, des bâtiments, des installations, etc.). Le CO(*) exclut toutefois la capitalisation de tels coûts. Les standards de comptabilité suisses (GAAP FER) n'acceptent en outre ce genre de capitalisation que lorsqu'un actif peut être séparé de l'organisation pour être vendu, loué ou échangé. Ce qui n'est visiblement pas le cas des coûts de désaffectation et de gestion des déchets.
     b. Surévaluation du fonds de désaffectation et de gestion des déchets: dans leurs bilans respectifs, les deux exploitants évaluent ces fonds à une valeur supérieure à celle du marché, alors que le CO précise que ces titres peuvent au maximum être évalués à la valeur du marché (12).

(*) Le Code des Obligations est un texte de loi faisant partie du droit privé suisse. C'est en fait le 5e livre du Code civil suisse. Son titre exact est Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième : Droit des obligations). Il réglemente les obligations en droit privé suisse, issues principalement du contrat et de la responsabilité civile. Il est aussi le texte central du droit des sociétés.
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     Ces astuces permettent aux deux exploitants de gonfler artificiellement leur capital-propre. En tout, plus de 1,8 milliard de francs ont été déclarés artificiellement dans les bilans:

gonflement artificiel du capital

     Si la justice confirme ce qui précède, les deux entreprises pourraient être assainies par une augmentation du capital-propre. Cette mesure peut être réalisée de différentes manières:
     - augmentation de capital par les actionnaires (ce qui devrait faire baisser nettement la valeur des actions actuelles),
     - renoncement au versement de dividendes (ce qui aurait un effet sur les versements aux cantons)
     ou
     - hausse des recettes, c'est-à-dire des prix nettement plus élevés pour le courant d'origine nucléaire, ce qui n'est réalisable que sur un marché monopolistique.
     Quoi qu'il en soit, une condamnation présenterait de graves risques financiers: si Leibstadt et Gösgen doivent s'acquitter de versements de capital-propre complémentaires et si elles ne sont plus en mesure de contribuer aux fonds, les autres exploitants de centrales nucleaires seront aussi touchés en raison de la responsabilité solidaire.

     5- Risques pour les cantons
     En résumé, il existe plusieurs risques pour les cantons et les communes au vu de la valeur de leur participation dans les centrales nucléaires:
     * La rentabilité des centrales nucléaires a fortement souffert ces dernières années. Les prix de l'électricité restent bas et il n'y a, actuellement, aucun signe d'une future hausse conséquente ces prochaines années sur le marché européen. Le courant d'origine nucléaire a plus de peine à générer des contributions de couverture pour l'amortissement et la constitution de fonds de désaffectation et de démantèlement, sans parler de rendement.
-En raison de la révision de l'Ordonnance sur le fonds de désaffectation et sur le fonds de gestion des déchets radioactifs pour les installations nucléaires (OFDG) lancée à fin août 2013 par le Conseil fédéral, la situation financière des exploitants de centrales nucléaires devrait encore se détériorer, puisqu'ils devront s'acquitter de cotisations plus élevées encore pour les fonds de désaffectation et de gestion des déchets.
     * Malgré la révision de l'OFDG, il reste des incertitudes et des risques, raison pour laquelle il n'est pas exclu que des paiements complémentaires soient nécessaires:
     * Les coûts réels de la désaffectation et de la gestion des déchets ne sont pas connus à l'avance, raison pour laquelle les contributions aux fonds doivent être estimées, ce qui entraîne une incertitude naturelle.
     * Les estimations de coûts sont réalisées par Swiss nuclear et la Nagra, ce qui signifie qu'elles sont effectuées par les exploitants des centrales eux-mêmes. Dans le cadre actuel, ils ont tout intérêt à ce que ces estimations restent basses.
     * Une vérification sûre de ces estimations de coûts par l'lnspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) n'est que difficilement possible et a également, dans le rapport actuel, (prise de position de l'IFSN sur l'étude des coûts 2011 pour les coûts de désaffectation et de gestion des déchets des installations nucléaires en Suisse) débouché sur des recommandations qui devraient avoir pour effet une hausse des coûts estimés à l'avenir.
     * Les nouvelles hypothèses pour les taux d'intérêts selon le projet d'ordonnance révisée (3,5% de rendement nominal, taux de renchérissement de 1,5%), à la base de la constitution des fonds par les rendements des capitaux, sont elles aussi plutôt optimistes, raison pour laquelle les cotisations des exploitants s'avéreront très probablement trop basses.
     * Le supplément de sécurité de 30% sur les coûts estimés tel qu'il est prévu dans la révision de l'OFDG est toujours très bas, surtout dans le domaine de la gestion des déchets, et ne repose sur aucun fondement sérieux. Les expériences avec les dépôts finaux de déchets nucléaires sont pratiquement inexistantes dans le monde, personne ne connait donc les coûts exacts.
     * Par le passé, chaque nouvelle réévaluation a débouché sur des coûts massivement plus élevés. Il faut donc partir du principe que cela ne sera pas différent lors des analyses futures.
     Il faut également s'attendre au fait que des opérations comptables problématiques soient effectuées dans les bilans de Gösgen et de Leibstadt, conduisant à des assainissements susceptibles d'engager les moyens des cantons participants.

     6. Conclusion: les fonds publics sont en danger
     Les risques existants, présentés en détail dans les chapitres 3 et 4 et résumés au chapitre 5, montrent clairement qu'une menace existe de voir des lacunes de financement massives dans les deux fonds ainsi que dans la couverture en fonds propres des centrales de Leibstadt et de Gösgen. Avec la baisse de rentabilité des centrales nucléaires, il y a danger de voir les coûts de désaffectation et de gestion des déchets imputés à la collectivité. Cela signifie que les paiements complémentaires par les cantons ayant des participations dans les centrales nucléaires et, enfin de compte, par leurs contribuables, pourraient s'avérer nécessaires, remettant massivement en question la valeur des participations correspondantes dans ces mêmes centrales. En plus des amortissements sur le patrimoine, les dividendes ne seraient trés probablement plus versés comme à l'accoutumée (ce qui toucherait les revenus des cantons actionnaires) et des moyens financiers supplémentaires devraient être engagés dans les assainissements nécessaires. Des conséquences financières supplémentaires comme les mesures d'économies et/ou les hausses d'impôts pourraient en résulter.

     Conclusion: les fonds publics sont menacés, raison pour laquelle la vérification de la valeur des participations est nécessaire.


Notes
1 Les exploitants doivent s'acquitter de leurs cotisations d'après le principe du pollueur-payeur. Ils reportent ces coûts sur les utilisateurs par le biais du prix de l'électricité: en moyenne à long terme, la redevance se monte entre 0,8 et 0,9 centimes par kWh (prix de 2012). Avec la révision de l'OFDG proposée par le Conseil fédéral, ce montant va probablement augmenter.
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2 Informations détaillées à ce sujet au chapitre trois «Hypothèses incertaines concernant les taux d'intérêt».
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3 Informations détaillées à ce sujet au chapitre trois «Hypothèses incertaines concernant les taux d'intérêt».
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4 Il ne s'agit pas ici d'une décision de politique énergétique concernant le maintien ou non de l'énergie nucléaire ou la durée de son utilisation. La base de calcul doit être fixée indépendamment de la durée de fonctionnement effective des centrales nucléaires assujetties au versement de contributions; elle sert de fondement à l'établissement des coûts de désaffectation et de gestion des déchets ainsi que des montants à verser aux fonds et peut être adaptée en cas de besoin.
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5 Inversement, d’éventuels excédents lui seraient reversés.
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6 Les coopérateurs de la Nagra sont, outre la Confédération, tous les exploitants de centrales nucléaires.
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7 L'IFSN fait toujours des recommandations pour les études de coûts suivantes. Ces dernières doivent alors tenir compte de paramètres supplémentaires (voir également: http://static.ensi.ch/ - 52 pages pdf en allemand...).
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8 Flyvbjerg Bent (2007): Policy and planning for large-infrastructure projects: problems, cause, cures. In Environment and Planning B: Planning and Design, volume 34, p. 578-597.
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9 Il n'existe pas encore de dépôt final pour les déchets hautement radioactifs en activité dans le monde (il n'existe que quelques dépôts pour les déchets faiblement à moyennement radioactifs), nous évoluons donc ici sur un terrain extrêmement fragile.
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10 les radiations sont extrêmement dangereuses les 10.000 premières années, puis diminuent régulièrement. Il faut des millions d'années pour que le rayonnement soit aussi faible que celui que l'on rencontre dans la nature.
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11 Muhleberg et Beznau ne sont pas des filiales avec leur propre forme juridique, raison pour laquelle BKW et Axpo sont responsables avec tous leurs autres actifs.
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12 Les exploitants partent d'un rendement nominal annuel théorique de 5%, bien que cette valeur soit en réalité nettement inférieure.
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p.21

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