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G@zette N°227/228, mars 2006
 Les conséquences sanitaires des contaminations internes chroniques par des radionucléides

Avis sur le rapport CERI
Etudes des effets sanitaires de l'exposition aux faibles doses de radiations ionisantes à des fins de radioprotection
et recommandations de l'IRSN
Rapport DRPH/N°2005-20
(fichier pdf, 1,5Mo)


     Préambule
     Le rapport publié en 2003 par le Comité Européen sur le Risque de l'Irradiation (CERI) critique sévèrement une partie des recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), adoptées par la directive européenne du 13 mai 1996 puis par l'Etat Français en 2002. Le CERI ne remet pas en question le système de radioprotection lorsqu'il s'applique aux expositions externes mais émet des critiques importantes dans le cas des contaminations internes par des radionucléides. Le comité considère que les évaluations actuelles du risque encouru après contamination sont sous-estimées et appuie son argumentaire sur des travaux publiés pour partie dans la littérature scientifique. Son analyse le conduit à proposer de nouveaux coefficients de risque et de nouvelles limites de dose très inférieures à celles adoptées dans le cadre des dispositions législatives et des recommandations internationales. 
     Le groupe CERI pose des questions fondamentales dans le domaine de la radioprotection. Ces questions sont recevables et méritent débat. En conséquence, l'IRSN souhaite fournir sa propre analyse en la matière et formuler des remarques sur la démarche scientifique suivie par le CERI. Pour ce faire, il a créé un groupe pluraliste d'experts nationaux et internationaux chargés de décrire la complexité des phénomènes de contamination interne, de réaliser une analyse scientifique et technique du rapport CERI, de fournir un état de l'art sur les connaissances acquises dans le domaine des contaminations internes et enfin, de faire des recommandations portant sur l'ensemble des thèmes évoqués. Le présent rapport cible les questions liées à la contamination interne et aux difficultés inhérentes à l'estimation des risques encourus après exposition chronique. En conséquence, il ne traite pas de l'ensemble des aspects de la protection des travailleurs et des populations contre les rayonnements ionisants.

I.Problématique de la contamination interne par des radionucléides

     Les contaminations internes résultent du passage transcutané de radionucléides déposés sur la peau ou de leur incorporation après ingestion, inhalation ou blessure. Un des enjeux de la radioprotection consiste à prédire les risques associés à ce type d'exposition. Cette évaluation est délicate car elle nécessite de connaître les relations entre les quantités de radionucléides incorporées et l'apparition des pathologies. Les données utilisables pour déterminer ces coefficients de risque spécifiques sont limitées car, le plus souvent, il est très difficile de relier les pathologies observées à des niveaux précis d'exposition. De fait, les seules données exploitables concernent les personnes exposées au radon-222, au thorium-232 sous forme de thorotrast, aux isotopes du radium et enfin au plutonium-239. Les principales pathologies répertoriées après exposition à ces radionucléides sont des cancers du poumon, du foie, de l'os ainsi que des leucémies.

    Les positions de principe de la CIPR et du CERI sur la contamination interne
     L'approche de la CIPR consiste à établir une relation entre les niveaux d'incorporation des radionucléides et les pathologies incidentes par l'intermédiaire de la dose délivrée aux organes, aux tissus ou au corps entier. Le calcul de la dose délivrée aux organes et aux tissus est réalisé à l'aide de modèles biocinétiques qui décrivent l'absorption, la distribution et l'excrétion des radionucléides après incorporation. Ces modèles permettent de définir le temps de résidence d'un radionucléide donné au voisinage des cellules cibles et donc la dose délivrée à tous les tissus sensibles.
   La CIPR considère que le risque lié à une exposition à un rayonnement est indépendant de la position de la source de rayonnements. Elle considère donc que les risques d'apparition de cancers après exposition interne peuvent être dérivés des coefficients de risque calculés sur des populations exposées à des sources de rayonnements externes, comme les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki. Cette approche est confortée par l'étude de Harrison et Muirhead (2003) qui montre que le risque d'apparition de cancers du poumon et du foie chez les personnes exposées respectivement au radon ou au thorotrast est correctement modélisé par cette approche. Dans certains cas, toujours selon ces auteurs, la CIPR surestime même le risque associé à l'incorporation des radionucléides puisque les cancers de l'os et les leucémies survenant chez des personnes exposées respectivement au radium et au thorium semblent être moins nombreux que ne le prédit la CIPR. 

suite:
     Cette position est radicalement opposée à celle du CERI qui rappelle que les populations de Hiroshima et Nagasaki ayant été exposées à des doses fortes provenant d'une exposition externe et délivrée en un très court instant, les coefficients de risque correspondants ne peuvent pas être appliqués aux individus contaminés, exposés en général à de faibles doses, résultant d''expositions internes chroniques. Le CERI appuie son argumentation sur de nombreux exemples de pathologies (leucémies autour de Sellafield, maladies diverses chez les enfants contaminés par les retombées de l'accident de Tchernobyl, cancers survenant après retombées des essais nucléaires, syndrome de la guerre du Golfe, etc.) qui sont, selon certains auteurs, associées à ces expositions. Le CERI s'appuie sur ces exemples pour affirmer que le système proposé par la CIPR n'est pas adapté à ce genre de situation puisque l'utilisation de ses modèles ne permet pas d'attribuer aux rayonnements les pathologies existantes. Le CERI considère donc que les expositions internes sont beaucoup plus dangereuses que les expositions externes en raison de l'incorporation des produits radioactifs au sein même des cellules et des constituants cellulaires. Il conclut que les risques de développer des pathologies dans cette situation d'exposition sont beaucoup plus élevés que ne le prédit la CIPR. 
     En marge de ces positions, il convient de constater que l'évaluation du risque associé aux contaminations internes est associée à de nombreuses incertitudes liées au manque de données dans certains domaines, à la complexité des calculs dosimétriques et à la qualité des données des enquêtes épidémiologiques. Divers phénomènes peuvent en outre compliquer l'estimation des doses et des risques voire même complètement fausser les interprétations. Parmi ceux-ci, il convient de citer la distribution hétérogène des radionucléides, la validité des facteurs de pondération utilisés pour le calcul des doses internes, l'influence de la spéciation des radionucléides sur leur comportement et la toxicité chimique de certains éléments. Ces points seront développés plus loin dans ce document. 

II. Analyse scientifique et technique du rapport CERI

     Le CERI, qui comprend près de 50 membres, a  été créé en 1997 pour discuter du contenu de la Directive 96/29 de la Communauté européenne. Dans son rapport publié en 2003 en langue anglaise, les objectifs poursuivis étaient les suivants:
   · estimer de façon indépendante, fondée sur sa propre évaluation de toutes les sources scientifiques, tous les risques résultant d'exposition aux rayonnements ionisants, avec une approche précautionneuse,
   · développer son meilleur modèle prédictif de détriment après exposition aux rayonnements ionisants en présentant les observations qui soutiennent ou remettent en question ce modèle et en mettant l'accent sur les domaines de recherche nécessaires pour compléter le schéma,
   · développer une analyse éthique et un cadre philosophique pour former les bases de ses recommandations en relation avec l'état de l'art sur le plan scientifique, l'expérience vécue et le principe de précaution,
   · présenter les risques et le modèle de détriment, avec l'analyse en support, de façon à permettre la mise en oeuvre de règles transparentes de décision pour la radioprotection des populations et de l'environnement.

     II.1. Questions soulevées par  le CERI
     Plusieurs questions soulevées par le CERI sont parfaitement pertinentes et ont conduit l'IRSN à étudier ce document dans un cadre pluraliste. 
     a. Indépendamment des expositions d'origine naturelle et d'origine médicale, les populations sont essentiellement soumises à des expositions internes prolongées à faibles doses et faibles débits de dose. Or les conséquences sanitaires possibles dans ces conditions d'exposition sont mal connues. Faute d'observations statistiquement significatives, les conséquences sanitaires des expositions à faibles doses sont estimées par extrapolation à partir des données d'exposition à débits de dose et à doses plus élevés. De même, peu de données épidémiologiques ont pu être exploitées pour évaluer les effets de l'exposition interne. Les risques ont donc été estimés à partir des conséquences sanitaires observées après exposition externe, en considérant que les effets étaient identiques que la source d'exposition soit à l'intérieur ou à l'extérieur du corps humain. Toutefois, l'intensité, voire la nature des effets pourraient être différentes.

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     b. La pertinence des grandeurs dosimétriques utilisées pour quantifier les doses peut être posée. En effet, les coefficients utilisés pour les grandeurs de gestion de risque sont essentiellement fondés sur les résultats du suivi des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki. Il n'est donc pas certain que les valeurs numériques de ces coefficients rendent compte du risque réel quelles que soient les conditions d'exposition, tout particulièrement après exposition interne à faibles doses. 
     c. Par ailleurs, depuis la rédaction de la publication CIPR 60, des progrès en radiobiologie et radiopathologie, voire en biologie générale, pourraient à terme remettre en cause le modèle de réponse cellulaire et tissulaire à une irradiation qui est utilisé pour justifier les recommandations en radioprotection. Il était donc légitime d'envisager l'impact que pourraient avoir ces  observations récentes sur l'estimation du risque d'exposition aux rayonnements ionisants.

     II.2. L'analyse de l'IRSN
     L'analyse menée porte uniquement sur l'aspect scientifique du document CERI, à savoir "l'évaluation de risque", et non sur "l'éthique et la philosophie de la gestion du risque". Le Groupe de travail de l'IRSN se propose de détailler un certain nombre de remarques et de commentaires qui ne prétendent pas être exhaustifs.


     Le rapport CERI comporte des inexactitudes, des affirmations non étayées et plusieurs types d'erreurs. Les erreurs sont de deux ordres, tantôt numériques, tantôt conceptuelles. Certaines affirmations des auteurs sont contradictoires à l'intérieur même du rapport, ce qui donne au lecteur une impression d'incohérence. Les inexactitudes sont assez fréquentes et plusieurs affirmations se fondent sur des hypothèses simplificatrices et réductrices.
     Contrairement à ce qui est la règle dans les publications scientifiques, règle appliquée dans les annexes de la CIPR 60 qui étayent et justifient les recommandations, le CERI a choisi délibérément de ne pas inclure de références dans le texte. Ceci ne permet pas au lecteur d'obtenir des informations complémentaires ou d'analyser certaines affirmations qui sont en contradiction apparente avec les données de la littérature internationale. De plus, la liste des références bibliographiques est incomplète, certaines sources de données n'étant même pas citées.
     Les paragraphes suivants présentent les quatre points les plus marquants où se conjuguent inexactitude, incohérence et/ou erreur conceptuelle.

     II.2.1 - Relation dose-effet
     Il n'est pas recevable, dans un même document, à la fois d'affirmer que la relation linéaire sans seuil est "clairement fausse" (cf. Encadré 1) et d'utiliser cette relation pour des estimations de risque, même si, comme le mentionnent les auteurs, c'est un moyen facile d'effectuer des calculs de conséquences.

TABLEAU 5.2 : ECHEC DU MODELE BASE SUR LES SURVIVANTS D'HIROSHIMA
POUR EXPLIQUER OU PREVOIR LES CONSEQUENCES DE L'EXPOSITION
AUX RAYONNEMENTS IONISANTS
Mécanisme de l'échec Notes
Contrôles inadéquats Tant les groupes à l'étude que les groupes-contrôles ont été exposés à l'irradiation interne due aux retombées radioactives
Extrapolation des fortes doses aux faibles doses Tuées aux fortes doses, les cellules subissent des mutations aux faibles doses
Extrapolation de l'aigu au chronique Variation de sensibilité des cellules suite à une exposition précédente
Extrapolation de l'externe à l'interne L'exposition externe produit des doses homogènes (trace unique du rayonnement) tandis que l'exposition interne peut produire des doses élevées (traces multiples ou séquentielles) aux cellules proches de la source
Hypothèse de l'absence de seuil et de linéarité Clairement faux
Extrapolation du cas Japonais aux autres populations dans le monde Les différences de sensibilité d'une population à l'autre (et de contexte...) sont bien connues
Extrapolation à partir des survivants à la guerre Les survivants à la guerre sont sélectionnés par leur résistance
Etude commencée trop tard ; Décès précoces non pris en considération Résultat total inexact
Maladies ignorées hormis le cancer Dommage global à la santé ignoré pour les expositions plus récentes
Dommages génétiques modélisés sur la base d'anomalies flagrantes Effets mineurs ignorés, non prise en compte des effets du sexe ratio sur les taux de natalité
Encadré 1: Analyse, par le CERI, du modèle de radioprotection fondé sur les survivants de Hiroshima
(d'après le Tableau 5.2 extrait du rapport CERI 2003, page 41)

     Ainsi les auteurs déterminent des coefficients de risque par unité de dose (cf. Encadré 2) et évaluent des nombres de cancers à partir de ces coefficients, ce qui est une reconnaissance implicite d'une relation dose-effet linéaire. 
     La non-cohérence du raisonnement est d'ailleurs explicite dans le nouveau système de radioprotection que le CERI propose. Ainsi, pour le calcul du nombre de décès, les auteurs utilisent une formule d'estimation du risque de la CIPR fondée sur une relation linéaire sans seuil où ils remplacent la dose efficace (ou équivalente) par une dose équivalente biologique (cf. Encadré 3 et paragraphe suivant). Ceci induit ipso facto que leur calcul final de risque repose toujours sur une hypothèse de relation linéaire sans seuil.

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TABLEAU 7.5 : FACTEURS DE RISQUE DE LA CIPR ET DU CERI
CONCERNANT LES EFFETS SUR LE CORPS ENTIER
POUR L'ENSEMBLE DE LA POPULATION
Résultats Facteur de risque CIPR (par Sievert) Facteur de risque CERI (par Sievert)
Cancer mortel 0,05 0,1
Cancer non mortel 0,1 0,2
Défaut héréditaire grave 0,013 0,026
Malformation après exposition in utero seuil > 0,1Gy Aucun seuil
Cancer après exposition in utero 0,2 0,4
Baisse du QI après exposition in utero 30 points de QI 30 points de QI
Retard grave après exposition in utero 0,4 0,8
Coefficient nominal de probabilité exprimé en Sv-1
Note: Les valeurs pour les travailleurs, quand elles sont applicables, sont légèrement moindres que celles-ci en raison de la structure d'âge différente chez les travailleurs. Pour plus de détails, voir les publications CIPR.
 
Encadré 2 : Facteurs de risque de la CIPR et du CERI concernant les effets sur le corps entier pour l'ensemble de la population
(d'après le Tableau 7.5 extrait du rapport CERI 2003, page 71)

7.12 CALCUL DU TAUX DE CANCER MORTEL DANS UNE POPULATION EXPOSÉE
     Selon la CIPR, si nous supposons que la mortalité excédentaire liée au cancer est proportionnelle à la dose de rayonnement (le modèle linéaire sans seuil), alors le nombre de décès liés au cancer qui se produiront dans une population exposée à la radiation est donné par la formule:
     Décès = (nombre de personnes exposées x dose équivalente en Sv)x facteur de risque (par Sv)
Si la dose collective est connue (en Personne-Sievert), alors le terme de droite de l'équation peut être simplifié et devient:
     Dose équivalente collective (P-Sv) x facteur de risque (par Sv)
     Puisque le CERI a modifié le calcul de la dose équivalente en y incluant des facteurs de pondération pour l'efficacité du rayonnement quant à sa capacité à provoquer des mutations au niveau moléculaire, le calcul reste identique mis à part la substitution par la dose équivalente biologique. Le calcul CERI pour la mortalité excédentaire liée au cancer prend la forme suivante:
     Décès = nombre de personnes exposées x dose équivalente biologique(en Sv) x facteur de risque (par Sv)
Si la dose collective est connue (en Personne-Sievert), alors le côté droit de l'équation peut être simplifié et devient:
     Dose équivalente biologique collective (P-Sv) x facteur de risque (par Sv)

Encadré 3 : Calcul du taux de cancer mortel dans une population exposée selon la méthode CERI
(Extrait du rapport CERI 2003, Page 73). 

II.2.2 - Grandeurs dosimétriques
     Une des idées maîtresses du rapport CERI est l'introduction d'une nouvelle grandeur dosimétrique : la dose équivalente biologique. Cette proposition soulève plusieurs problèmes.
     Pour quantifier un détriment sanitaire comme l'apparition de cancers, Il faut corriger un paramètre physique, la dose, par un certain nombre de facteurs de pondération, qui permettent de rendre compte des effets de la plus ou moins grande efficacité des rayonnements incidents et de la plus ou moins grande sensibilité des tissus affectés par une même énergie déposée. Ces facteurs de pondération peuvent être soit macroscopiques et établis à partir de l'observation du détriment lui-même (par exemple incidence des cancers d'après les enquêtes épidémiologiques), soit être élaborés à partir de grandeurs microscopiques qui tiennent compte des mécanismes biophysiques, moléculaires, cellulaires et tissulaires mis en jeu.
     C'est cette dernière méthode qui est adoptée par le rapport CERI. Ce rapport propose deux facteurs microscopiques de pondération wJ et wK, l'un orienté sur des critères mécanistiques d'ordre biophysique (wJ) et l'autre sur des critères mécanistiques d'ordre biochimique (wK) (cf. Encadré 4 et 5). L'inconvénient de cette seconde méthode, à l'opposé de celle de la CIPR qui a délibérément choisi l'approche macroscopique, est la nécessité de connaître la quasi globalité des mécanismes mis en jeu à toutes les étapes du processus de cancérogenèse, depuis le dépôt d'énergie jusqu'à l'organisme, pour parvenir à obtenir une valeur représentative du détriment sanitaire.
     La stratégie qui consiste à remonter la chaîne des mécanismes au niveau sub-cellulaire ou cellulaire, tels ceux qui ont été pris en compte pour établir wJ et wK, rend indispensable d'établir un bilan aussi exhaustif que possible des mécanismes mis en jeu et de les quantifier pour déterminer les valeurs numériques des facteurs de pondération. Les auteurs n'ont ici pris en compte que quelques rares mécanismes biophysiques ou biochimiques, insuffisants pour rendre compte de la très grande complexité de la cancérogenèse radioinduite, et ont défini les valeurs numériques de leurs facteurs de pondération sur une échelle de plusieurs décades sans aucune justification scientifique du choix des mécanismes ni des valeurs numériques correspondantes.

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TABLEAU 6.2 : FACTEURS WJ DE RISQUE BIOPHYSIQUE POUR LES EXPOSITIONS AUX FAIBLES DOSES
Type d'exposition Facteur WJ  Notes
1. Aiguë externe 1,0
2. Externe prolongée (voir 3) 1,0 L'effet d'épargne du débit de dose n'est pas pris en considération
3. Externe : 2 expositions en 24 heures 10 à 50 Prend en compte l'interception de la réparation
4. Désintégration atomique interne unique 1,0 Par exemple le Potassium-40
5. 2e désintégration atomique interne 20 à 50 Dépend des séquences de désintégration et de la dose
6. Auger interne ou Coster-Kronig 1 à 100 Dépend de l'emplacement et de l'énergie
7. Particule insoluble interne 20 à 1000 Dépend de l'activité, de la dimension des particules et de la dose*
*Tamplin et Cochran (1974) attribuaient un accroissement de la dose pour les particules chaudes d'oxyde de plutonium aussi élevé que 115.000.

Encadré 4 : Facteurs Wj de risque biophysique établi selon le CERI
(d'après le Tableau 6.2 extrait du rapport CERI 2003, page 51).
TABLEAU 6.3 : FACTEURS WK D'ACCROISSEMENT BIOCHIMIQUE INTERNE
POUR DES ISOTOPES SPÉCIFIQUES

Isotope ou classe Facteur WK Mécanisme d'accroissement de l'effet
3-H ; Tritium 10 à 30 Transmutation et dose locale; liaison hydrogène; amplification enzymatique
Cations en équilibre ionique par exemple K, Cs, Ba, Sr, Zn 2 à 10 Concentration locale par adsorption ionique interfaciale; dépend de l'effet considéré
Liaison avec l'ADN par exemple, Sr, Ba, Pu 10 à 50 Rupture primaire, secondaire et tertiaire de la structure de l'ADN
14-C 5 à 20 Transmutation et amplification enzymatique
35-S, 132-Te 10 Transmutation et amplification enzymatique; liaison hydrogène
"Chercheurs" d'enzymes et de coenzymes par exemple Zn, Mn, Co, Fe 10 Amplification enzymatique
Gaz nobles solubles dans la graisse par exemple Ar-41, Kr-85 2 à 10 Dépend de l'effet considéré
Molécules qui se transforment d'ions bipositifs en  ions tripositifs par exemple Sr-90 Y-90 2 à 1000 Dépend de l'effet considéré
Encadré 5 :Facteurs WK de risque biochimique établi selon le CERI
(d'après le Tableau 6.3 extrait du rapport CERI 2003, page 52).

     De plus, dans la formule donnant la dose équivalente biologique et la dose efficace biologique (cf. Encadré 6 et 7), les auteurs multiplient une grandeur macroscopique de la CIPR obtenue à partir de résultats des enquêtes épidémiologiques avec des grandeurs microscopiques wJ et wK, ce qui par définition est une erreur conceptuelle et détruit la cohérence du système. 

     La dose équivalente biologique B dans le tissu T résultant de l'exposition spécifique E d'une qualité R se définit comme suit:

BT, E = SR NE HT, R
     Avec HT, R la dose absorbée ramenée à une moyenne pour le tissu ou l'organe T, du fait d'une radiation R, et NE le facteur de pondération d'accroissement du risque pour l'exposition spécifique E.
     NE est composé d'un certain nombre de facteurs d'accroissement du risque liés aux différents processus menant à une mutation génétique et à d'autres dommages biologiques significatifs. Pour chaque type d'exposition dû à chaque source interne S, on considère qu'il y a une pondération pour le risque lié à cette exposition. Cette pondération se compose de facteurs biophysiques et biochimiques multiplicatifs puisque, conformément à la théorie probabiliste, ils sont considérés comme des facteurs binômes non indépendants qui agissent sur le même mécanisme (la mutation de l'ADN). Ainsi:
NE = S WJ WK
     où J représente différents aspects biophysiques de l'exposition spécifique et K différents aspects de l'exposition interne qui, selon le Comité, comporte un risque accru de dommages.
Encadré 6 :Dose équivalente biologique, définie selon le CERI
(Extrait du rapport CERI 2003, page 50).

     La dose efficace représente la somme des doses équivalentes pondérées à tous les tissus et organes du corps:

ET = ST WT HT
     où HT est la dose équivalente au tissu ou à l'organe T et WT , le facteur de pondération pour le tissu T. La dose efficace peut également s'exprimer comme la somme des doses absorbées doublement pondérées pour tous les tissus et organes du corps.
     Le système CIPR de dose efficace a également été adopté par le Comité mais la dose équivalente de la CIPR a été remplacée par la nouvelle dose équivalente biologique définie au point 6. Ainsi:
ET = ST WT BT
     ET représente la dose efficace biologique
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Encadré 7 : Dose efficace biologique, définie selon le CERI
(Extrait du rapport CERI 2003, page 53). 

II.2.3 - Réévaluation du risque
     L'introduction dans le rapport CERI d'une nouvelle grandeur dosimétrique (dose équivalente biologique) pour l'estimation du risque aurait nécessité une réévaluation des coefficients de risque par unité de dose à partir des résultats d'expériences animales ou d'enquêtes épidémiologiques pertinentes, c'est-à-dire après exposition interne. En effet, une augmentation de la valeur numérique de la dose se traduit mathématiquement par une diminution d'autant des coefficients de risque par unité de dose, le résultat final étant une annulation pure et simple de la réévaluation du risque.
     Ainsi pour le calcul de la dose équivalente biologique en cas d'exposition interne,  le CERI propose des facteurs de correction de la dose (wJ et wK ) qui peuvent varier de 1 à 1.000.000 (1.000 x 1.000 dans le cas de particules chaudes de Sr) ce qui donne une dose équivalente biologique considérablement élevée par rapport à celle délivrée par un rayonnement gamma en exposition externe. Si on applique cette dose équivalente biologique, qui peut avoir des valeurs considérables, à une situation d'exposition interne où l'impact sanitaire a été scientifiquement établi (par exemple mortalité par cancers radio-induits déterminée à l'aide d'une enquête épidémiologique), les coefficients de risque par unité de dose, définis par le simple rapport: nombre de cancers / dose équivalente, sont diminués d'un rapport égal à la valeur numérique des facteurs de correction. De même, dès lors que le nombre de cancers radio-induits dans les expérimentations animales en situation d'exposition interne est déterminé et fixé à certaines valeurs, l'utilisation de la dose équivalente biologique, majorée par l'application de ces facteurs ipso facto diminue d'autant le coefficient de risque par unité de dose.

TABLEAU 12.1: FACTEURS DE RISQUE POUR LA MORTALITE DU NOURRISSON,
LA MORTALITE NEONATALE PRECOCE, LA MORTINATALITE
ET LA CHUTE DU TAUX DE NATALITE
Effet sur la  naissance Augmentation relative du taux de base par mSv (CERI) c d'exposition parentale pendant l'année de la conception Nombre excédentaire observé pour mille nouveau-nés en 1963 par mSv (CIPR) d d'exposition parentale
Mortalité infantile (0-1an) 0,05% Augmentation de 21 à 24 = 3
Mortalité néonatale(0-28 jours) a 0,07% Augmentation de 13 à 16 = 3
Bébés morts-nés a 0,04% Augmentation de 13 à 17 = 4
Chute du taux de natalité b 0,05% -
a. basé sur l'exposition des parents au Sr-90 en 1963 en Angleterre et au Pays de Galles;
b. basé sur la chute du taux de natalité en Finlande et dans certaines régions du RU après Tchernobyl;
c. dose calculée selon le modèle CERI et comprenant les facteurs de pondération Wj et Wk;
d. dose calculée à l'époque en utilisant le modèle CIPR
Encadré 8 :Facteurs de risque, d'après le CERI, pour la mortalité infantile et néonatale
(d'après le Tableau 12.1 extrait du rapport CERI 2003, page 154).

     Par exemple, pour les effets génétiques:
     24 – 21 = 3 morts infantiles en excès, pour  une dose de 1 mSv estimée avec les coefficients de la CIPR (cf. Encadré 8).
     Si on considère à titre d'exemple que cette exposition est due en partie (de 0,5 à 50%) au strontium, il est possible de calculer les doses équivalentes biologiques correspondantes, en appliquant une pondération de 300, comme cela est indiqué dans le document CERI (cf. par exemple Tableau 13.1 page 164 et calcul du nombre de cancers en Bélarus):
% de la dose dû au Sr Dose CIPR (mSv) Dose CERI (mSv)
0 1 1
0,5 1 0,995 + 0,005 x 300 = 2,5
1 1 0,99 + 0,01 x 300 = 4
10 1 0,9 + 0,1 x 300 = 30,9
20 1 0,8 + 0,2 x 300 = 60,8
50 1 0,5 + 0,5 x 300 = 150,5
     Si l'on calcule l'excès de risque relatif (ERR) ici égal à (24 – 21) / 21 =  0,143 par unité de dose (mSv):

  Estimation CIPR Estimation CERI
% de la dose dû au Sr Dose (mSv) ERR par mSv Dose (mSv) ERR par mSv
0 1 0,143 1 0,143
0,5 1 0,143 2,5 5,7.10-2
1 1 0,143 4 3,57.10-2
10 1 0,143 30,9 4,6.10-3
20 1 0,143 60,8 2,35.10-3
50 1 0,143 150,5 0,95.10-3
     En conclusion, dans le système proposé par le CERI, l'excès de risque relatif par mSv diminue de 0,143 à 0,95.10-3 lorsque la dose est réévaluée en prenant en compte les nouveaux coefficients, ce qui semble à l'opposé du souhait exprimé par le CERI d'une réévaluation du risque. Ce point mériterait d'être discuté avec ce Comité.
p.21


II.2.4 - Approche réductrice  de la dose collective
     Les auteurs font une utilisation intensive de la grandeur dose collective, avec très souvent des hypothèses réductrices. Le calcul du nombre de cancers dus à l'accident de Tchernobyl en Bélarus en est un exemple, en raison des niveaux de dose et de la durée d'exposition utilisés (cf. Encadré 9).
     Dans un rapport commandé par l'ambassadeur biélorusse au R-U, Busby a récemment utilisé le taux de cancer lié aux retombées radioactives au Pays de Galles et a évalué l'augmentation du taux de cancer mortel en Biélorussie à 50%, ou 25.000 cancers mortels supplémentaires par an dans une population de 9.800.000 habitants, cancers dus aux expositions qui ont eu lieu durant les cinq années qui on suivi l'accident.
     Pour la Biélorussie, le Comité a réparti la dose avancée par UNSCEAR 1993 selon les expositions aux différents radio-isotopes et il a appliqué des pondérations pour le risque interne excédentaire présenté au chapitre 6. Le Comité a effectué un calcul approximatif de la manière suivante: Savchenko a avancé une dose efficace engagée moyenne de 2 mSv pour la première année en Biélorussie. Si on l'extrapole sur cinq ans et qu'un tiers de la dose est pondéré comme étant dû au Sr-90 ou à des particules dangereuses, les résultats des calculs du CERI selon son modèle de dose cumulée donnent une dose approximative de 900 mSv et un nombre de cancers mortels de 882.000 cas; selon le Comité, ce nombre s'exprimera sur 50 ans, ce qui représente 17.640 cancers mortels supplémentaires par an, soit un résultat approximativement conforme aux calculs de Busby. Rien que pour la Biélorussie, le bilan global sur 70 ans est de 1.200.000 cas. La même approche appliquée aux chiffres concernant la planète entière avancés par UNSCEAR suggère un chiffre global de mortalité liée au cancer sur 70 ans suite à Tchernobyl qui s'élève à plus de 6 millions.

III.  Les caractéristiques des contaminations internes
III.1. Les spécificités de l'exposition interne
Le problème de l'hétérogénéité de distribution des radionucléides 
     Un des problèmes majeurs lié à la contamination interne par des radionucléides est relié à l'hétérogénéité du dépôt dans les tissus. Ces dépôts spécifiques peuvent provenir, soit d'une concentration de radionucléides dans certains tissus ou cellules après incorporation et transfert vers le compartiment systémique (ex. de l'uranium dans les lysosomes de rein ou du neptunium dans les noyaux cellulaires hépatiques (Paquet et al.,1996, Galle, 1997, Boulhadour et al., 1997), soit directement de l'inhalation et du dépôt dans les poumons de particules insolubles (les particules chaudes, hot-particles). Ces particules sont constituées de produits de fission et d'activation et certaines ont été dispersées à la suite de l'accident de Tchernobyl. Ces phénomènes peuvent conduire, dans le cas des radionucléides émetteurs alpha, bêta et Auger à des dépôts d‘énergie très hétérogènes au sein des tissus. Ceci peut avoir des conséquences, à la fois sur l'estimation de la dose délivrée aux cellules cibles de l'organe et sur les pathologies consécutives à une contamination interne. 

     La dosimétrie des dépôts hétérogènes de radionucléides.
     La CIPR propose de calculer une dose absorbée en moyennant l'énergie délivrée à l'ensemble de l'organe. Cette approche est recommandée pour la plupart des tissus car la CIPR fait l'hypothèse simplificatrice que les radionucléides et les cellules cibles sont distribués de façon uniforme. Une exception est consentie pour le tissu osseux, les systèmes respiratoire et digestif  où il est reconnu que les radionucléides peuvent être déposés de façon hétérogène (ICRP, 1989). Ces recommandations, lorsqu'elles ont été publiées, tenaient compte de l'état des connaissances en radiotoxicologie.  Aujourd'hui ce raisonnement peut être critiqué car on sait maintenant que de nombreux radionucléides se distribuent de façon très hétérogène dans tous les tissus. En revanche, un calcul  rigoureux de la dose aux cellules cibles demanderait de connaître avec précision à la fois cette distribution et la localisation des cellules cibles  et tout le monde reconnaît que les connaissances sur le sujet sont insuffisantes (ICRP, 1989). 

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Encadré 9: Calcul, selon la méthode CERI, du nombre de cancers dus à l'accident de Tchernobyl
(extrait du rapport CERI 2003, page 169):

Figure 1: Schéma de répartition du strontium autour de la centrale de Tchernobyl (d'après UNSCEAR 2000)

     Compte tenu de la répartition très hétérogène de la contamination surfacique, qui peut du reste avoir été sous estimée, il n'est pas recevable de raisonner en termes de dose moyenne pour l'ensemble de la population.
     A fortiori, il est impossible de considérer qu'un tiers de la dose est due au strontium pour l'ensemble de la population biélorusse compte tenu de la dispersion du strontium sur une zone de superficie limitée autour de la centrale de Tchernobyl et de plus à faible densité de population (Figure 1; UNSCEAR 2000).
      L'extrapolation sur 5 ans de la dose reçue la première année n'est pas justifiée. En effet, la première année, des radionucléides à vie courte, en particulier des isotopes de l'iode, ont contribué de façon importante à la dose reçue. Par contre, l'exposition des populations vivant dans les territoires contaminés persistera pendant plus de 5 ans.
 Par ailleurs, le nouveau facteur de pondération pour le strontium a été pris égal à 300, soit 15 fois le facteur de pondération pour les émetteurs alpha, sans que cette valeur soit justifiée par des données scientifiques.


      Les effets biologiques des dépôts hétérogènes des radionucléides
     Le CERI considère que les concentrations particulaires dans les tissus, générant localement des doses importantes de rayonnement sont plus carcinogènes que lorsque la même quantité d'énergie est déposée de façon uniforme dans les tissus. Un ensemble d'études, menées essentiellement sur des systèmes in vitro semblent aller dans ce sens (Lang et al., 1993; Servomaa et Rytomaa, 1990, Likhtarev et al., 1995; Sigg et al., 1997). D'autres études, fondées sur  des données expérimentales et sur des données épidémiologiques semblent montrer le contraire (Charles et al., 2003). Dans ces dernières études, les auteurs reconnaissent toutefois que les données humaines sont peu nombreuses et se limitent d'une part aux cas de cancers survenant après exposition aux aérosols de plutonium, d'autre part aux cas de cancers du foie et de leucémies apparus après administration de thorotrast à des fins diagnostiques. Dans ces deux cas, le dépôt des radionucléides est très hétérogène dans les cellules mais ne semble pas avoir augmenté de façon significative le risque de cancer. 
     La conclusion générale que l'on peut tirer est que le débat sur le sujet n'est pas clos, même s'il est légitime de penser que les données humaines sont plus pertinentes que celles obtenues in vitro sur des lignées cellulaires. De plus, il est généralement admis qu'une concentration importante d'émetteurs alpha dans une cellule a un effet létal et empêche donc de développer un cancer. Par contre, ces données restent limitées en nombre, contredites par des données récentes et des études complémentaires devraient être réalisées avant de conclure de façon définitive. 

     L'EBR et le facteur de pondération wR
     La probabilité d'apparition d'effets stochastiques dépend de la dose absorbée mais également du type et de l'énergie du rayonnement. Ce point est particulièrement important dans le cas des expositions internes et il a été pris en compte par la CIPR qui pondère la dose absorbée par un facteur qui reflète la nocivité du rayonnement. Ce facteur est appelé facteur de pondération pour les rayonnements et est désigné par l'abréviation wR.  Les valeurs de ce facteur de pondération ont été choisies par la CIPR pour être représentatives des valeurs d'efficacité biologique relative (EBR) du rayonnement. La CIPR a ainsi défini des valeurs de wR pour les photons, les électrons, les neutrons, les protons et les particules alpha (ICRP, 1990).
     La position de la CIPR est de fonder les facteurs de pondération sur le risque d'apparition d'effets stochastiques (ICRP, 2003). Elle considère que les valeurs de wR sont identiques pour tous les tissus, tout en reconnaissant qu'aucune donnée de radiobiologie ne vient à l'appui de ce concept. Elle considère également que ces facteurs ne varient pas en fonction de l'énergie des photons, électrons, protons et particules alpha. Une exception est faite pour les neutrons pour lesquels les valeurs diffèrent en fonction de l'énergie (ICRP, 1990). 
     Les valeurs de ce facteur de pondération sont d'une importance majeure car elles définissent la dose reçue au niveau d'un tissu et donc, in fine, le risque pour la personne contaminée de développer une pathologie. Ces valeurs sont fondées sur l'état des connaissances en biophysique et en radiobiologie et peuvent donc évoluer. La CIPR elle même reconnaît que ces valeurs sont entachées de nombreuses incertitudes, particulièrement pour les neutrons et les particules alpha (ICRP, 2003). 
     La question sur le sujet mérite donc d'être posée et soulève le problème général de la détermination de l'efficacité biologique des rayonnements (EBR). Le concept d'EBR suppose que les effets diffèrent quantitativement d'un rayonnement à un autre mais pas qualitativement. Des études récentes mettent à mal ce raisonnement en montrant que les rayonnements de faible transfert linéique d'énergie (TLE) peuvent induire des effets sur l'ADN distincts de ceux causés par des rayonnements de TLE élevé.

suite:
     Dans le même ordre d'idée, la compilation des données de la littérature semble indiquer que l'EBR peut varier en fonction des tissus entre 2 et 8 (Barnhart et Cox, 1979; Thacker et al., 1982; Chen et al., 1984; Schwartz et al., 1992) et donc que la position de la CIPR (wR= 20 pour les émetteurs alpha dans tous les tissus) est erronée. Il a également été montré que l'EBR pour les bêtas du tritum était supérieure à 1, ce qui est signifie que la position de la CIPR (wR= 1) est sous estimée. Ce point sera à vérifier dans le futur car il pourrait remettre en question un certain nombre d'hypothèses.
     L'EBR peut être également très difficile à déterminer lorsque la distribution de dose est non homogène (cf. ci-dessus). Ces cas de figure rendent la dosimétrie difficile et, pour des rayonnements faiblement pénétrant, il est indispensable de connaître précisément la position des cellules cibles. 
     Enfin, les difficultés rencontrées pour déterminer les EBR sont liées au fait que les données humaines ne sont disponibles que pour certains émetteurs alpha tels que les produits de filiation du radon, le radium et, plus récemment, le plutonium. Il n'existe pas de données humaines permettant d'évaluer les EBR pour les neutrons et les ions lourds et il faut alors extrapoler à l'homme les connaissances acquises dans des systèmes expérimentaux. 

     Les problèmes de spéciation et de toxicité chimique des radionucléides
     Influence de la spéciation sur les biocinétiques et la dosimétrie des composés
     La spéciation des radionucléides correspond à leur forme physico-chimique. Celle-ci peut varier en fonction des conditions environnementales et changer après incorporation dans l'organisme. La spéciation influence à la fois le devenir des radionucléides dans le corps humain et leur toxicité. 
     La CIPR reconnaît que les radionucléides incorporés par ingestion peuvent être absorbés plus facilement que les formes inorganiques (ICRP, 1989). De même, il est connu que la forme chimique des composés inhalés joue sur leur solubilité et donc sur leur transfert dans le compartiment systémique. Les données correspondantes sont intégrées dans les derniers modèles biocinétiques de la CIPR qui permettent de calculer la dose résultante d'une incorporation de radionucléide. Par contre, ces données sont le plus souvent limitées et ne tiennent pas compte de toutes les formes chimiques rencontrées dans l'environnement ou aux postes de travail. De plus, la spéciation d'un élément dans le corps humain influence sa rétention et son excrétion. Il a ainsi été démontré que la plupart des actinides sont transportés dans le sang grâce à un lien avec la transferrine plasmatique et que la constante de stabilité des complexes formés est inversement proportionnelle à la fois à la rapidité de distribution dans les tissus cibles et à leur excrétion urinaire (Durbin et al., 1997). Inversement, ces éléments ont tendance à se stocker dans les tissus possédant des récepteurs spécifiques de la transferrine. Ce phénomène joue donc sur les temps de rétention dans les tissus et donc sur la dose absorbée. 
     En outre, la spéciation d'un radionucléide dans le corps humain peut influencer sa toxicité et donc l'émergence d'une pathologie. Il a ainsi été récemment montré (Mirto et al., 1999) dans des études sur les interactions entre l'uranium et les cellules rénales (LLC-PK1) que le complexe UO2(CO3)22-, une fois à l'intérieur du compartiment cytoplasmique, précipitait sous forme d'aiguilles de phosphate d'uranyle et induisait une réponse toxique en fonction de la concentration. Au contraire, l'uranium, introduit sous forme citrate ne précipitait pas et n'induisait aucune toxicité, quelle que soit la concentration utilisée. Ce phénomène n'est pas particulier aux radionucléides et tous les métaux sont concernés. Ce point est parfaitement connu et modélisé en toxicologie et en écotoxicologie. La difficulté à laquelle on est confronté est que les données concernant la spéciation des radionucléides sont peu nombreuses et ne peuvent pas, à ce stade, être utilisées dans les modèles dosimétriques. Ce phénomène doit être étudié avec attention car il peut modifier considérablement la réponse toxique d'un élément et donc fausser l'évaluation du risque associé aux contaminations internes. 

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     La toxicité chimique des radionucléides
     Le système de radioprotection est fondé sur la relation dose-effet, qui ne tient compte que de la composante radiologique des éléments. En cas de contamination interne, les radionucléides sont incorporés et constituent d'abord un corps chimique dont la propriété est d'émettre des rayonnements. La plupart des cas de contamination interne concernent des masses infimes de radionucléides, qui se comportent comme des éléments trace, dont la concentration dans l'organisme est insignifiante. Dans certains cas toutefois, le niveau de contamination est suffisant pour que les masses incorporées soient significatives et pour que se pose le problème de la toxicité chimique de ces éléments. C'est le cas de l'uranium, connu pour induire des lésions rénales à partir d'une concentration dans l'organe de l'ordre de 3 µg.g-1 (Leggett, 1989). Cet élément semble provoquer comme le neptunium, le berylium ou le plomb, de nombreuses inclusions dans les noyaux des cellules hépatiques ou rénales dont la signification n'est pas encore connue (Berry et al., 1987 ; Boulhadour et al., 1997 ; Ceruti et al., 2002). 
     La toxicité chimique des radionucléides est aujourd'hui ignorée et devrait être intégrée dans les modèles de radioprotection car elle peut exacerber ou compliquer les pathologies résultant d'une contamination interne. 

     Une illustration des difficultés rencontrées pour l'estimation des risques après exposition interne: les cas du radon et des électrons Auger
     Le radon est un gaz radioactif ubiquiste, concentré dans les mines d'uranium et dans les habitations bâties sur des sols uranifères. Les problèmes soulevés par le radon sont particulièrement importants puisque l'exposition au radon et à ses descendants radioactifs solides correspond à environ 40% de la dose totale de la population (UNSCEAR, 2000). 
     L'estimation du risque associé à l'exposition au radon a traditionnellement été réalisée selon deux approches. La première approche, épidémiologique, est fondée sur l'étude de cohortes de mineurs d'uranium et l'apparition des pathologies est étudiée en relation avec le niveau d'exposition au radon. Dans la seconde approche, dosimétrique, la dose au poumon est calculée à partir des modèles de la CIPR, puis comparée à une échelle de risque fondée essentiellement sur les données d'Hiroshima et de Nagasaki. Les modèles utilisés pour calculer la dose au poumon requièrent de nombreuses informations telles que les caractéristiques du radon et de ses produits de filiation (taille des particules, solubilité,...) et les paramètres de référence de la population exposée (débit ventilatoire, morphométrie des poumons, localisation des cellules cibles, etc.).
     L'utilisation conjointe de ces deux approches montre que leurs résultats en termes de risque d'apparition de cancer pulmonaire dans une population exposée diffèrent d'un facteur 3 (4mSv.WLM-1 pour l'approche épidémiologique contre 15mSv.WLM-1 pour l'approche dosimétrique). 
     Les électrons Auger sont émis par quelques radionucléides dont certains, comme le 125I, ont la particularité de s'incorporer au niveau de l'ADN. Des auteurs ont fait remarquer à juste titre que ces électrons devaient, en raison de leur émission au sein même de l'ADN, avoir des EBR très élevées. Les études récentes montrent en effet que les EBR des électrons Auger peuvent varier entre 1,5 et 40 selon les radionucléides et les effets mesurés (Kasis et al., 1988). Ces chiffres sont très différents du facteur de pondération adopté pour les électrons (égal à 1) et confirment que les électrons Auger doivent faire l'objet d'une estimation particulière. Le problème majeur est que les connaissances sur le sujet sont éparses et qu'il faudrait acquérir de nombreuses données physiologiques et biophysiques sur l'incorporation, la localisation intracellulaire et le “ turn-over ” des radionucléides émettant des électrons Auger.

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     Ces deux exemples mettent en lumière les nombreuses incertitudes liées aux estimations de risque et en particulier celles liées aux facteurs de pondération des particules alpha. Ils montrent que le problème de l'exposition interne est délicat à traiter et qu'il est légitime de poser certaines questions. La difficulté sera de trouver les réponses adéquates, tout en sachant que les données exploitables dans le domaine sont limitées et que la construction d'un système de radioprotection nécessite de nombreuses approximations. 

     III.2. La problématique des expositions chroniques 
     Dans le cadre du présent rapport, une exposition chronique peut être définie comme étant une exposition prolongée à des rayonnements. Cette exposition pourra avoir une origine externe ou interne, ce dernier cas étant le seul traité ici. 
     Les expositions internes chroniques concernent tous les êtres humains. Les individus sont exposés leur vie durant à des radionucléides naturellement présents dans l'air, l'eau de boisson et la nourriture. Ils concentrent de fait un certain nombre d'éléments dont le 40K, le 14C, l'uranium et le thorium, qui irradient de façon continue le corps humain. 
     L''exposition chronique à des radionucléides artificiels concerne les travailleurs des installations industrielles, universitaires et hospitalières et les personnes du public vivant dans des territoires contaminés à des degrés divers par des produits radioactifs issus de l'activité humaine (extraction de minerais, rejets dans l'environnement, opérations militaires, accidents nucléaires, etc.). 

     III.2.1. La chronicité vue par la CIPR
     La chronicité des expositions n'est que partiellement évoquée par les instances traitant des problèmes de radioprotection et des effets des rayonnements, telles que la CIPR ou l'UNSCEAR (UNSCEAR, 1994 ; ICRP, 1999). La CIPR considère que les expositions chroniques ne concernent que les personnes du public et ne traite que des expositions "contrôlables", c'est-à-dire dont le niveau peut être diminué par des mesures de protection, en excluant donc tous les radionucléides ayant un rôle métabolique dans le corps humain (40K par exemple). 
     La CIPR considère que l'outil de choix pour estimer les expositions chroniques est la dose efficace individuelle annuelle, qui somme les doses externes et internes reçues en 1 an et qui ne doit pas dépasser 1 mSv par an pour les individus du public. La méthode de calcul de la dose résultant de l'incorporation de radionucléides est fondée sur des modèles biocinétiques, qui décrivent le comportement des radionucléides après incorporation. La CIPR considère qu'une exposition chronique est équivalente à la somme d'expositions aiguës (ICRP, 1995). Elle recommande donc d'utiliser de façon itérative les fonctions de rétention et d'excrétion définies pour les expositions aiguës, de calculer la dose résultante d'une exposition prolongée et de sommer les doses provenant de diverses sources d'exposition (ICRP, 1997 et 1999). 
     La CIPR considère également que les effets déterministes ne peuvent pas intervenir avant une exposition prolongée à une dose supérieure à 0,5Gy/an, bien que pour certains organes plus sensibles (cristallin, moelle osseuse), ce niveau puisse être de 0,4Gy/an (ICRP, 1990). Elle conclut que, dans la grande majorité des cas, les doses efficaces individuelles annuelles résultant d'expositions chroniques seront toujours en dessous des seuils d'apparition des effets déterministes et que, par conséquent, les effets stochastiques seront les seuls effets observables.

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     III.2.2. Les limites du système
     Le système de la CIPR implique que les radionucléides absorbés n'ont aucune action synergique et que la durée des expositions n'influe pas sur les biocinétiques des radionucléides (ICRP, 1995). Ces affirmations sont très contestées en écotoxicologie et en toxicologie humaine, où l'on reconnaît, d'une part que l'absorption et le comportement de certains métaux dans l'organisme sont fortement dépendants de la présence et de la concentration d'autres éléments chimiques, d'autre part que la durée des expositions est corrélée à l'âge des individus, ceci ayant pour conséquence de modifier certaines fonctions physiologiques et métaboliques qui peuvent elles-mêmes modifier la nature de la réponse toxique (WHO, 1978). 
     En outre, la CIPR ne dispose que de très peu de données pour estimer le détriment associé aux expositions chroniques. Les seuils à partir desquels les effets sont susceptibles d'apparaître ont donc été extrapolés à partir de données de patients ayant reçues des doses prolongées lors de traitements par rayonnements et qui ont été complétées par des données animales (ICRP, 1999). Ceci implique que les données provenant d'irradiations externes soient extrapolables à la contamination interne, ce qui n'est pas toujours le cas (cf. Paragraphe III.1.) 

     III.2.3. L'état des connaissances en radiotoxicologie
     Les données relatives à l'influence de la chronicité sur le comportement et la toxicité des radionucléides sont contradictoires. Ceci est dû en partie au fait que cette thématique recouvre deux problèmes différents qu'il faut traiter séparément. Le premier problème est de déterminer l'influence de la durée d'exposition aux radionucléides. Ceci ne peut être traité que de façon expérimentale. Il s'agit de comparer les effets d'une administration aiguë à ceux d'une administration chronique d'une même quantité finale de radionucléides. Dans ce cas, les conclusions les plus souvent avancées conduisent à une absence de nocivité des expositions chroniques, liée à la moindre quantité de radionucléides délivrée au quotidien. 
     Le second problème est d'analyser les effets d'une exposition continue à des radionucléides et de comparer ces effets à un niveau de référence, qui est généralement associé à l'irradiation naturelle. Ces études sont en général traitées par l'épidémiologie et peuvent être complétées par des études de laboratoire. Cette situation est à l'inverse de celle décrite précédemment puisque que, dans ce cas, la quantité de radionucléides ingérée ou inhalée croit graduellement avec le temps. Ce point précis a été largement exploité par certaines associations ou certains médias (Kempf, 2003) pour conclure au rôle néfaste des expositions chroniques. 
     Le point commun aux deux problèmes est qu'ils ont été largement négligés par la communauté scientifique. Dans le premier cas on avançait que les contaminations aiguës par des radionucléides -qui, elles, ont été largement étudiées- engendrent de toutes manières une exposition interne prolongée et qu'il n'y aurait pas lieu d'étudier spécifiquement des situations de contamination chronique. Cet argument est exact, mais n'est applicable que pour les radionucléides ayant une période biologique (Tb1/2) longue dans l'organisme. Cela est donc vrai pour la majorité des actinides (Tb1/2 comprise entre 2 et 50 ans) (ICRP, 1995) mais pas pour d'autres radionucléides comme le césium, l'iode ou le strontium (Tb1/2 comprise entre 2 et 110 jours) (ICRP, 1993).
     Dans le cas des études épidémiologiques, beaucoup pensaient pouvoir extrapoler les connaissances acquises à la lumière des données d'Hiroshima et de Nagasaki aux situations de contamination interne chronique. L'accident de Tchernobyl, qui a joué un rôle révélateur dans ce domaine,  montre que les choses ne sont pas si simples
     Les jugements émis ces dernières années pourraient donc être révisés. La première raison à cela est qu'il est maintenant évident que la toxicité d'un élément est une variable complexe qui dépend en partie du produit de sa concentration dans l'organisme et de son temps de résidence. 

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Sur ce point, il a longtemps été postulé que l'incorporation de 100 Bq sur 1 jour revenait à incorporer 1 Bq pendant 100 jours. Cela est tout à fait exact en mathématiques mais faux en biologie. La seconde raison est qu'il est fait de plus en plus souvent référence à certaines publications qui affirment que l'ingestion de nourriture contaminée dans les territoires de Belarus a entraîné un nombre important de pathologies et malformations en tout genre dans la population (Bandazhevsky, 2001). Ces travaux, même s'ils ne sont pas admis par la communauté scientifique internationale, contribuent à entretenir le doute dans l'esprit du public et méritent d'être complétés.

     L'influence de la chronicité sur les biocinétiques des radionucléides incorporés
     La difficulté pour trancher sans ambiguïté dans ce débat tient au fait que les recherches menées dans ce domaine sont très rares. Au niveau expérimental, quelques études ont tenté de comparer les cinétiques d'une même quantité de radionucléides après exposition aiguë ou chronique. Il a ainsi été démontré que la vitesse de l'épuration pulmonaire de l'oxyde de nickel chez le rat était inversement proportionnelle à la durée d'exposition (Benson et al., 1992). De même, l'excrétion du 90Sr chez les personnes contaminées pendant des dizaines d'années dans les environs de la rivière Techa semble être beaucoup plus lente que celle mesurée chez des personnes contaminées de façon aiguë (Leggett et al., 1982 ; ICRP, 1993 ; Shagina et al., 2003). Enfin, il a été montré que chez le rat, des expositions chroniques au plutonium par de l'eau de boisson peuvent conduire à un dépôt spécifique sur les dents qui n'était pas observé après exposition aiguë (Renaud Salis et al., 1990).

     L'influence de la chronicité sur la toxicité des radionucléides incorporés
     Des modifications de la biocinétique des radionucléides doivent être considérées comme le signe précurseur d'une éventuelle toxicité. Il faut savoir que les études menées dans ce dernier domaine sont encore plus rares. Parmi les plus sérieuses figurent celles menées sur des chiens contaminés par injection intraveineuse de citrate de 239Pu (Lloyd et al., 2001). Les auteurs de cette étude ont montré que, à dose équivalente, des injections répétées de plutonium conduisaient à plus de cancers qu'une seule injection. 
     Les autres études menées dans ce domaine sont relatives à des populations exposées de façon chronique à un environnement contaminé. L'essentiel des données dans ce cas provient des études menées sur les mineurs d'uranium et sur les populations civiles exposées à un environnement contaminé naturellement (New Mexico (USA); Canada, Sud Finlande) ou accidentellement (Savannah river, Techa river, Belarus) en radionucléides. 
     Les plus médiatisées de ces études font état de nombreuses pathologies chez les résidents de Belarus touchant les systèmes cardiovasculaire, nerveux central, digestif, respiratoire, immunitaire, reproducteur ainsi que la thyroïde et les reins (Bandazhevsky, 2001). L'auteur relie ces pathologies à une exposition continue au 137Cs présent sur le territoire. D'autres études, non controversées, font état d'une augmentation significative de cancers de la thyroïde chez les enfants des trois pays les plus contaminés (Belarus, Ukraine, Russie; UNSCEAR, 2000). Il faut remarquer, à ce sujet, que les expositions à l'iode ont été de courte durée, en raison de la courte période effective du 131I, ce qui n'est pas le cas du 137Cs. En dehors de l'accident de Tchernobyl et de son impact, des études menées au Canada semblent montrer que l'ingestion chronique d'eau naturellement chargée en uranium (de 2 à 781 µg/L) altère la fonction rénale et conduit à une augmentation de la concentration de glucose urinaire (Zamora et al., 1998).  Enfin, des études très récentes semblent indiquer que l'uranium donné quotidiennement à des souris par ingestion d'eau de boisson contaminée à des niveaux proches des niveaux maximum existant naturellement en Finlande modifie l'expression des gènes au niveau des reins des animaux alors que les concentrations en uranium à ce niveau sont réputées non toxiques (Taulan, 2003)

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     L'intérêt de l'ensemble de ces études réside dans le fait qu'elles montrent ou semblent montrer des effets qui n'avaient pas été suspectés auparavant, lorsque l'on se basait sur la seule expérience de Hiroshima et de Nagasaki ou sur les contaminations expérimentales aiguës d'animaux. Cela semble vouloir dire, même si les données disponibles sur le sujet ne sont que parcellaires, que la chronicité influe sur la toxicité des radionucléides. Il conviendrait donc de favoriser les recherches sur le sujet afin de mieux discerner ces effets et d'affiner encore le système de radioprotection. Ces recherches montrent également que la distribution de la dose dans un tissu est un point important à connaître, mais au même titre que le débit de dose et que le problème des expositions répétées au niveau des organes et tissus devrait être un problème clef à étudier dans les années à venir. 

     III.3. Données récentes de radiobiologie et de cancérologie susceptibles de modifier les estimations de risque 
     Les principes actuels de radioprotection sont fondés sur un modèle biologique simple. L'ADN est considéré comme la cible essentielle des rayonnements ionisants et les cassures double brin en sont la lésion critique.
     Une cellule impactée par un rayonnement peut réparer parfaitement les lésions et revenir à son état initial. Si les lésions de l'ADN sont trop nombreuses, elles ne pourront plus être réparées ce qui entraînera la mort de la cellule ; des effets déterministes d'atteinte des tissus et des organes surviennent lorsque le nombre de cellules éliminées est très élevé. Enfin, la cellule peut réparer imparfaitement et/ou incomplètement les lésions de l'ADN et donc survivre avec des modifications de son patrimoine génétique qui seraient à l'origine d'effets stochastiques (cancers et effets héréditaires) car ces altérations sont une première étape vers la transformation cancéreuse pour les cellules somatiques et peuvent être transmises à la descendance lorsqu'elles surviennent dans des cellules germinales.
     Il est possible de fixer des limites d'exposition pour éviter les effets déterministes qui surviennent à dose élevée au-delà d'un seuil. Les effets stochastiques représentent donc le risque essentiel à gérer dans des conditions normales.
     La probabilité, certes faible mais non nulle, pour une cellule porteuse de modification(s) du patrimoine génétique, d'être à l'origine d'effets stochastiques a été utilisée comme justification de la relation linéaire sans seuil. Or, certaines observations récentes en radiobiologie et en radiopathologie, pour la plupart postérieures à la rédaction de la CIPR 60, amènent à complexifier ce modèle de base, ce qui pourrait à terme conduire à une ré-estimation du risque d'exposition aux rayonnements ionisants. En fait, l'analyse de la littérature scientifique met en avant deux théories diamétralement opposées :

1. Certaines observations suggèrent que l'effet des expositions aux faibles doses est moins important que celui prédit à partir des effets des fortes doses. La relation dose-effet serait dans ce cas infra linéaire et pourrait même présenter un seuil:
     - Dans certains modèles expérimentaux, après expositions à de faibles doses, l'incidence des tumeurs est inférieure au taux spontané. Cependant, l'extrapolation à l'homme des données de cancérogenèse expérimentale doit être considérée avec la plus grande prudence, ces données ayant permis une étude comparative de l'efficacité des différents rayonnements, mais pas une quantification directe du risque. De plus, les résultats des enquêtes épidémiologiques chez l'homme se sont révélés êtres discordants. Ce phénomène d'hormesis a même conduit certains auteurs à suggérer un effet bénéfique des faibles doses de rayonnements ionisants.

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     - Le rôle du microenvironnement cellulaire sur le phénotype des cellules, même "initiées", remet en cause l'hypothèse selon laquelle un cancer résulte d'une atteinte de l'ADN dans une cellule. En effet, des résultats expérimentaux, dont certains ont été publiés il y a plusieurs années, mettent en évidence le rôle des interactions entre les cellules et leur environnement; ils suggèrent une origine tissulaire et pas seulement cellulaire du cancer (Barcellos-Hoff, 2001; Park et al., 2000;  Hanahan et Weinberg, 2000, Krtolica et Campisi, 2002).
     - L'influence de la réponse adaptative dans le cas de l'exposition des populations est plus difficile à appréhender. En théorie, elle pourrait conduire à une diminution du risque puisque les conséquences d'une irradiation à fortes doses (fréquence des mutations, remaniements chromosomiques,...) sont moins importantes si la cellule a été au préalable irradiée à faible dose (Rigaud et Moustacchi, 1996;  Rigaud, 1999). Toutefois, la réponse adaptative suppose d'être irradié de façon répétée et de plus ce phénomène ne concerne pas tous les paramètres: survie, mutations, aberrations chromosomiques dans une lignée cellulaire; par ailleurs, pour observer une réponse adaptative, des conditions très strictes, dose et débit de dose pour l'irradiation d'induction et intervalle de temps entre les deux irradiations, doivent être respectées.
     2. Au contraire, d'autres observations suggèrent que le risque d'exposition aux rayonnements ionisants aux faibles doses est sous-estimé; l'effet pourrait être supérieur à celui prédit par le modèle de référence, la relation dose-effet étant dans ce cas supra linéaire:
     - De nombreuses lignées cellulaires présentent en effet une hypersensibilité aux faibles doses se traduisant par une survie cellulaire pour des doses inférieures à 0,5 Gy plus faible que celle attendue par une simple extrapolation des taux de survie observés à plus fortes doses (Joiner et al., 2001). De plus, certaines études récentes ont révélé, à faibles doses et à faibles débits de doses, une absence de réparation des cassures double brin de l'ADN (Rothkamm et al., 2003). Ces phénomènes suggèrent que les processus cellulaires de défense contre les effets des rayonnements ionisants sont moins efficaces lorsque le niveau d'exposition est faible. Néanmoins, certains auteurs ont émis l'hypothèse que cette hypersensibilité aux très faibles doses entraînerait une élimination des cellules lésées et donc, paradoxalement, une diminution du risque d'effet à long terme. 
     - Les expériences d'irradiation à l'aide de micro-faisceaux ont montré que la cible des rayonnements ionisants n'est pas seulement l'ADN et le noyau, mais l'ensemble de la cellule, car une irradiation cytoplasmique peut induire des mutations sans effets notables sur la survie cellulaire (Wu et al., 1999).
     - L'effet de proximité (effet "bystander") démontre que le nombre de cellules présentant des modifications génétiques peut être supérieur au nombre de cellules traversées par un rayonnement ionisant. En effet, diverses modifications (mutations, induction de gènes, diminution de la survie, etc.) ont été mises en évidence dans des cellules non irradiées (Zhou et al., 2000 et 2001;  Mothersill et Seymour, 2001; Morgan, 2003a et b). Ces altérations génétiques seraient sous la dépendance de signaux provenant des cellules irradiées qui sont transmis par des facteurs diffusibles et/ou par les pores des jonctions intercellulaires (Azzam et al., 2003). Ce phénomène est à rapprocher d'observations plus anciennes sur les facteurs clastogènes présents dans le sang de sujets plusieurs années après leur irradiation, ces facteurs étant susceptibles d'induire des modifications génétiques cellulaires.
 
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     - L'instabilité génomique qui est observée dans la descendance des cellules irradiées, mais également dans les cellules non irradiées atteintes par l'effet de proximité, augmente la probabilité de transformation cancéreuse (Hoeijmakers, 2001; Huang et al., 2003). L'instabilité génomique se traduit par la survenue, après plusieurs divisions cellulaires suite à l'irradiation, d'altérations biologiques (remaniements chromosomiques, mutations, diminution de la survie cellulaire, amplification de matériel génétique, micronoyaux, etc.) qui ne sont pas identiques dans toutes les cellules (Morgan 2003 a et b; Lorimore et al., 1998). Il est à noter que ce phénomène ne serait pas la conséquence d'une mutation mais, en grande partie, de modifications du contrôle du génome et de l'expression génique (Baverstock, 2000), fonctions qui seraient en grande partie régulées par le micro-environnement cellulaire.
     - De plus, l'estimation du risque pour la population générale doit prendre en compte l'impact de la radiosensibilité individuelle qui intervient dans les capacités de réparation des lésions de l'ADN, dans la réponse adaptative qui n'a pu être mise en évidence chez toutes les personnes testées. De même, le patrimoine génétique pourrait jouer un rôle dans l'instabilité génétique radio-induite (Kadhim, 2003). 
     - Par ailleurs, des effets stochastiques, autres que ceux précédemment décrits (effets héréditaires et pathologies cancéreuses) ont été observés sur la cohorte des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki: pathologies cardiovasculaires, etc. (Preston et al., 2003). Ces pathologies ne peuvent résulter de modifications du patrimoine génétique dans une seule cellule.
     Les progrès scientifiques ont mis en évidence une complexité de plus en plus grande des phénomènes mis en jeu. Leurs mécanismes et leur contribution au processus de cancérogenèse restent à préciser et des étapes sont encore méconnues. De plus, pour les expositions à faibles doses, certains résultats suggèrent un effet plus important, d'autres un effet plus faible que celui prédit par la relation linéaire sans seuil, l'existence d'un seuil étant même possible. Il est donc peu probable de pouvoir, à court terme, quantifier le processus de cancérogenèse, et donc définir la forme de la (des) relation(s) dose-effet, à partir des données de biologie fondamentale. La seule approche qui reste valide aujourd'hui pour évaluer le risque est donc celle adoptée par la CIPR, qui consiste à maintenir le système de la relation linéaire sans seuil établie à partir des effets observés sur la santé. 

     III.4. Evaluation des conséquences sanitaires par l'épidémiologie 
     L'épidémiologie des rayonnements ionisants s'est appuyée pendant de nombreuses années sur l'étude des effets à long terme observés dans la population des survivants de Hiroshima et Nagasaki. Cette étude de cohorte de plus de 80.000 personnes présente une puissance statistique suffisante pour étudier le risque en fonction de la dose d'irradiation, et ceci grâce à un suivi de plus de 40 ans. La qualité de cette étude repose sur un suivi sanitaire rigoureux (peu de perdus de vue, étude de la mortalité et de la morbidité menées parallèlement) et une estimation rétrospective individuelle de l'exposition, ayant suscité de nombreuses expertises au niveau international. Elle reste une possibilité unique d'étude du risque de cancer en fonction du temps depuis l'exposition, en fonction de l'âge au moment de l'exposition, en fonction du type de cancer et de son histologie au moment du diagnostic et, bien sûr en fonction de la dose reçue en 1945. L''incertitude de cette estimation dosimétrique a été discutée à de nombreuses reprises et on peut considérer que les résultats de cette étude de cohorte restent une base fiable pour la réglementation en radioprotection, au stade actuel de nos connaissances.
     Cependant, durant les dix dernières années, un certain nombre d'études d'autres cohortes ont été mises en place et soutenues au niveau international, afin de vérifier si les résultats d'Hiroshima et de Nagasaki sont extrapolables à d'autres populations que la population japonaise (prises en compte de co-facteurs, notamment liés au mode de vie et à l'alimentation). Les résultats observés après une exposition flash de quelques secondes, concernant le corps entier, ne sont pas obligatoirement identiques à ceux résultant d'une exposition étalée sur de longues périodes, qu'elle soit de type irradiation externe, corps entier, ou de type contamination interne visant préférentiellement un organe cible. 

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     Dans le cadre de la contamination interne, il faut tenir compte du type de rayonnement en jeu et la comparaison d''une exposition externe de type gamma à une exposition interne de type alpha nécessite la prise en compte de l'énergie déposée au niveau de la cellule cible et une discussion du facteur de pondération des rayonnements en cause. 
     Les résultats des études des cohortes de mineurs d'uranium ayant inhalé les descendants radioactifs du radon ont suscité beaucoup de discussions au sein des comités de radioprotection, car ces résultats n'étaient pas en accord avec les prédictions venant de l'extrapolation des résultats d'Hiroshima et de Nagasaki (en utilisant le coefficient de risque de cancer du poumon par unité de dose). La discussion a porté surtout sur le facteur de pondération 20 des rayonnements alpha, mais il ne faut pas oublier que cette exposition en milieu minier, étalée sur de nombreuses années et résultant d'une inhalation, peut engendrer des mécanismes biologiques bien différents d'une irradiation externe corps entier, reçue en quelques secondes.
     Aujourd'hui, les études de cohortes en épidémiologie font également appel à des modèles statistiques tenant compte des mécanismes capables de décrire le développement d'une cellule irradiée vers un processus cancéreux, que ce soit dans la phase d'initiation, de promotion ou de transformation cellulaire.

     Etudes pertinentes pour une meilleure estimation du risque lié à l'exposition chronique 
     Pour la plupart des études impliquant une exposition chronique, donc étalée sur de nombreuses années, la qualité de l'étude dépend de la précision de l'exposition individuelle enregistrée dans le temps sur la base d'une exposition mensuelle, voire annuelle. Le but final est de tester la variation du risque sanitaire en fonction du niveau de l'exposition cumulée dans le temps, et de voir si le débit d'exposition peut modifier la relation dose-effet. Il faut noter que le débit, c'est-à-dire l'étalement de l'exposition dans le temps, ne doit pas être confondu avec la notion de fractionnement de dose utilisée en radiothérapie, l'échelle de temps étant très différente.
     Les études en milieu professionnel semblent être la meilleure approche pour l'étude du risque sanitaire après exposition chronique, même si l'exposition individuelle est forcément faible.
     Les études après exposition médicale peuvent également apporter une information dans ce domaine, à condition qu'il s'agisse d'expositions individuelles bien documentées et étalées sur de longues périodes, par exemple certaines maladies chroniques, qui nécessitent une surveillance radiologique systématique ou certaines expositions du jeune enfant.
     L'exposition à des sources naturelles de rayonnements ionisants a permis dans certains cas également une approche du risque après contamination interne. De larges études cas-témoins ont permis d'étudier le risque de cancer du poumon en reconstituant l'exposition au radon domestique au cours des 30 ans précédant le diagnostic de cancer. Il s'agit ici d'études de type analytique, demandant une large collaboration des patients choisis comme cas et comme témoins ; en effet, ces personnes ont accepté la mesure de leur exposition au radon à l'intérieur de leurs différentes habitations occupées durant les trente dernières années. De plus, ces études ont permis d'interroger de façon précise sur un facteur cancérigène fort, et parfois concomitant de l'exposition au radon, le tabagisme. Ces études permettent donc d'étudier le risque pour une exposition chronique sur une période de 30 ans, après ajustement sur le facteur tabac. Elles permettent également d'étudier le type d'interaction entre ces deux cancérigènes par la mise en oeuvre de modèles additifs ou multiplicatifs. Elles permettront de comparer les modèles de risque issus des études de mineurs à ceux issus de l'exposition domestique.

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     Certains auteurs développent des études descriptives en comparant les indicateurs sanitaires de différentes régions plus ou moins fortement exposées aux rayonnements : ces études permettent de décrire l'évolution d'un indicateur sanitaire en fonction du temps, en fonction de l'âge, mais la démonstration d'une relation causale entre une exposition environnementale et un indicateur sanitaire moyen, observé dans une population à un moment donné n'est guère concluante, surtout dans les conditions d'exposition faible; trop de co-facteurs peuvent intervenir ; au mieux, ces études peuvent suggérer des hypothèses pour des études analytiques futures.
     L'utilisation d'études géographiques est possible face à un facteur cancérigène fort, ou face à une maladie très rare dont l'incidence augmente de façon importante. Ces études servent d'alerte et nécessitent  le développement ultérieur d'études de type analytique, comme par exemple la détection d'un excès élevé de cancers de la thyroïde chez le jeune enfant en Belarus et Ukraine après l'accident de Tchernobyl.
     En conclusion, les études des effets sanitaires liés à des expositions chroniques font actuellement partie d'un vaste champ de recherche dans lequel la part de l'épidémiologie est importante; la connaissance des mécanismes biologiques sous-jacents apporterait une aide certaine à l'interprétation des résultats issus de populations et d'expositions variées. Le choix des études est fortement dépendant de la qualité de la dosimétrie individuelle et de la possibilité de mener ces études à grande échelle.

     IV. Conclusions et recommandations de l'IRSN 
     Les phénomènes de contamination interne par les radionucléides sont complexes car ils impliquent de nombreux mécanismes physico-chimiques, biochimiques et physiologiques insuffisamment connus et donc difficiles à modéliser. Cette complexité fait que le devenir des radionucléides dans l'organisme est souvent mal décrit et qu'il est difficile d'établir précisément une relation entre la dose délivrée par les radionucléides et les conséquences sanitaires observées. Ceci a conduit les spécialistes de radioprotection à utiliser le plus souvent les relations dose/risque établies à partir de l'étude des survivants de Hiroshima/Nagasaki, exposés dans des conditions très différentes de celles rencontrées dans les cas de contaminations internes. 
     Cet état de fait soulève de nombreuses questions qui doivent être considérées avec attention car une part importante de l'exposition du public dans certaines régions du monde est due aux contaminations internes chroniques et les données relatives à ces situations sont très parcellaires. 
     Le CERI a tenté de répondre à ces lacunes en proposant de modifier le système de radioprotection de la CIPR et de réduire arbitrairement les limites annuelles d'exposition. Si les questions posées par le CERI sont totalement recevables, il n'en demeure pas moins que les arguments présentés pour justifier ce changement de doctrine ne sont pas convaincants, car la démonstration dans son ensemble ne répond pas aux critères d'une démarche scientifique rigoureuse et cohérente. 
     La question de fond est de savoir si le système de radioprotection actuellement en vigueur, qui se veut être un "système enveloppe" prévu pour couvrir un grand nombre de situations, protège ou non, avec une marge de sécurité suffisante, les populations exposées par contamination interne. Les derniers travaux visant à confronter les coefficients de risque calculés à partir d'études menées sur les personnes exposées au radon-222, au thorium-232, aux isotopes du radium et au plutonium-239, à ceux prédits par le modèle actuel Hiroshima/Nagasaki semblent être rassurants sur cette question car ils montrent que le modèle en vigueur aurait tendance au contraire à légèrement surestimer le risque d'apparition de certains cancers après contamination interne par des émetteurs alpha (Harrison et Muirhead, 2003).

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     Par contre, ces travaux ne traitent pas de l'ensemble des radionucléides susceptibles de poser des problèmes sanitaires, notamment certains produits de fission retrouvés sur certains sites industriels (ex 90Sr) ou certains autres émetteurs bêta ou électrons Auger.
     En plus de cela, l'ensemble de la communauté scientifique admet maintenant que les estimations de risques consécutifs aux contaminations internes sont entachées d'incertitudes et que le concept de risque est délicat à utiliser. Le comité anglais CERRIE, chargé d'étudier ces risques, conclut dans son rapport que, lorsque cela est possible, les estimations de doses et de risques doivent être fournies avec un exposé explicite des incertitudes associées (CERRIE, 2004). En sus de ces recommandations, le président du Comité conclut que "les incertitudes liées à l'évaluation des risques après contamination interne peuvent être importantes et cela doit être pris en compte dans les décisions politiques et réglementaires" (Goodhead, 2004). 
      Le problème majeur est que, si ces incertitudes sont reconnues, elles sont difficilement quantifiables et que nous ne possédons pas, en l'état actuel des connaissances, les éléments nécessaires pour améliorer le système de radioprotection en vigueur. L'IRSN considère donc que la structure et les fondements de ce système ne doivent pas être modifiés dans le contexte actuel, car il est le meilleur outil dont nous pouvons disposer à ce jour pour protéger l'homme des effets délétères des rayonnements ionisants. Néanmoins, certains composants de ce système pourraient être améliorés en s'intéressant de façon plus explicite et systématique aux incertitudes liées à la détermination de la dose après contamination interne. 
     Une amélioration significative du système de radioprotection ne peut s'envisager dans le domaine de la contamination interne que par une politique de développement d'études et de recherches. L'IRSN recommande de fait d'initier des recherches dans un certain nombre de domaines afin d'acquérir les connaissances manquantes et de mieux quantifier les incertitudes associées à l'estimation des risques consécutifs aux contaminations internes chroniques. 
     Ainsi, l'IRSN recommande en premier lieu d'initier des recherches afin de répondre aux interrogations des populations vivant sur les territoires contaminés de l'Europe de l'Est. Les craintes de ces populations trouvent leur origine dans l'observation de pathologies cardiovasculaires, de baisses de fertilité et de troubles comportementaux qui seraient, selon certains chercheurs, directement liés à l'accident de Tchernobyl. Le problème réside dans l'absence de données fiables pour déterminer aujourd'hui s'il y a causalité directe entre le niveau de contamination interne de ces populations et ces pathologies. En conséquence, l'IRSN considère qu'il est urgent de lancer des recherches spécifiques dans ce domaine afin d'apporter les premiers éléments de réponse. 
     L'IRSN recommande ensuite d'initier des recherches de fond afin d'améliorer les connaissances dans le domaine des conséquences sanitaires des contaminations internes chroniques et de réduire les incertitudes associées. 
     Les recherches doivent porter d'abord sur les cinétiques des radionucléides dans l'organisme après exposition chronique afin de déterminer avec précision la localisation et le temps de résidence des éléments. L'objet de ces recherches sera de vérifier si les cinétiques d'accumulation et d'excrétion sont sensibles ou non à la durée des expositions. Les recherches doivent être menées en priorité sur des radioéléments connus pour se concentrer dans certaines structures tissulaires ou cellulaires (uranium, éléments transuraniens, strontium, ..) car ces interactions avec la matière vivante sont susceptibles d'être modifiées lors des expositions de longue durée. Les données de cinétique sont essentielles pour déterminer la dose délivrée aux tissus et à l'organisme entier et serviront de données de base pour l'établissement des coefficients de risque. 
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     Les recherches doivent porter ensuite sur la toxicité des radionucléides, en ne s'intéressant pas seulement aux cancers mais également aux autres types d'effets et à tous les tissus. La principale critique faite au système actuel est qu'il est fondé principalement sur la notion de détriment, lié lui-même à la probabilité d'apparition de cancer et d'effets héréditaires graves. Ce détriment ne tient pas compte aujourd'hui d'autres pathologies et, de fait, les recherches menées ces dernières années en radiotoxicologie se sont essentiellement intéressées à l'apparition de cancers en négligeant les autres effets. Il est temps de combler les lacunes dans le domaine et de décrire l'ensemble des effets biologiques et sanitaires pouvant survenir après contamination chronique par des radionucléides. 
     Enfin, la majorité des études discutées dans le rapport CERI se limitait à des études descriptives, comparant des taux d'incidence pour différents niveaux de contamination environnementale. Face à des expositions chroniques, variables dans le temps et avec une distribution non homogène au niveau des populations considérées, les études dites descriptives ou écologiques ont peu de chance de mettre en évidence un risque, notamment un risque de cancer s'exprimant après un temps de latence important. En conséquence, l'IRSN recommande d'accroître les études épidémiologiques de type analytique ayant pour finalité une meilleure estimation du risque de cancer en fonction de la dose au niveau de l'organe cible. Un effort approprié devra être consenti pour mener à bien les nouvelles études qui vont être lancées prochainement sur d'autres cohortes de travailleurs en Europe, plus spécifiquement exposées à certains radioéléments comme l'uranium. Le but de ces études est de cibler des populations dont l'exposition interne a été estimée correctement, de les suivre sur plus de 20 ans et d'enregistrer un ensemble d'indicateurs de santé (cancer, leucémies, maladies chroniques rénales, pulmonaires, cardio-vasculaires...). Ces études sont réalisées dans le cadre d'un programme soutenu par l'Union Européenne. A terme elles apporteront des connaissances supplémentaires sur les risques liés aux expositions internes à faibles niveaux.
     L'ensemble de ces études permettrait de mieux appréhender les phénomènes de contamination interne et leurs conséquences sanitaires. Elles devraient apporter les données de base qui font défaut dans le domaine et devraient ainsi contribuer à améliorer l'ensemble de notre système de radioprotection. Ces recherches nécessitent toutefois un effort soutenu pendant de nombreuses années et un plateau technique développé et très diversifié, impliquant une mise en commun de moyens humains considérables. Ces recherches devraient donc être menées dans un cadre international sous forme d'actions concertées au niveau européen ou mondial. 
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GLOSSAIRE
     - L'acronyme CERI correspond à la traduction du terme originel anglais ECRR (European Committee on Radiation Risks). Ce sigle ne doit pas être confondu avec celui de CERRIE (Committee Examining Radiation Risks of Internal Emitters) dont il sera question plus loin dans le document. 
     Le terme “ facteur de risque” provient de la traduction française du rapport CERI. Dans le présent document, nous utiliserons le terme “ coefficient de risque ”. 
     - EBR: Efficacité biologique relative: C'est le rapport de la dose d'un rayonnement de référence (rayons X, rayonnement gamma du 60Co) à la dose du rayonnement étudié produisant un même effet biologique. Ce concept a été créé pour tenter de rendre compte de l'efficacité relative des différentes sortes de rayonnement dans la matière vivante. Ce concept n'est pas utilisé directement dans le cadre réglementaire qui utilise le facteur de pondération wR qui attribue une valeur spécifique aux différents types de rayonnements. 
     - Dans ce cas,  la dose est une grandeur de gestion de risque et non pas une grandeur physique.
     - TLE: Transfert linéique d'énergie. défini comme étant la quantité d'énergie perdue par unité de longueur de trajectoire.
     - WLM: Working Level Month.  Un "Working Level" (WL) correspond à la concentration, dans 1 litre d'air, des produits de filiation du radon ayant une énergie potentielle de 1,3x105 MeV. Le WLM correspond au produit WL par une durée travaillée mensuelle de 170 heures. 
     - Effets déterministes: Effets nocifs précoces des rayonnements sur les tissus vivants (mort d'un organisme, lésions au niveau d'organes ou tissus, cataracte,...) qui se produisent généralement au-dessus d'un seuil de dose et dont la gravité dépend du niveau de dose absorbée. Ils se manifestent en général dans un bref délai suivant l'irradiation (heure, jours ou semaines suivant la dose reçue).
     - Effets stochastiques: Effets nocifs tardifs des rayonnements (leucémies, tumeurs par exemple) dont la gravité est indépendante de la dose et dont la probabilité d'apparition est proportionnelle à la dose reçue. On suppose qu'il n'y a pas de dose seuil en dessous de laquelle les effets stochastiques ne se produiront pas. Les effets stochastiques surviennent donc à des doses inférieures à celles qui produisent des effets déterministes et peuvent se manifester après un long délai (années, décennies) suivant l'irradiation. 
     - Les mécanismes impliqués dans ces phénomènes restent hypothétiques. Les évènements les plus probables seraient ceux liés à un effet de la masse incorporée qui serait plus importante dans le cas d'une contamination aiguë et aurait pour effet de saturer certains transporteurs à tous les niveaux de l'organisme (porte d'entrée, sang, organe de stockage) puis de dévier l'excédent vers d'autres voies métaboliques. Ce phénomène a été maintes fois démontré aussi bien au niveau de l'organisme qu'au niveau cellulaire et intracellulaire (Paquet et al., 1996).  Dans le cas des actinides et du sang, une saturation du transporteur principal qui est la transferrine aurait pour effet principal de laisser la majorité des radionucléides sous forme ultrafiltrable, qui seraient alors rapidement excrétés par les voies urinaires. Au contraire, dans le cas d'une contamination chronique avec un niveau plus faible de radionucléides, cette saturation n'interviendrait pas et conduirait à un dépôt plus important dans les organes cibles et donc à des taux de rétention différents. De la même façon, il est connu que les lysosomes des cellules sont chargés entre autres de stocker la plupart des produits exogènes sous forme de précipité. Une contamination chronique aurait donc pour effet de concentrer, petit à petit, les radionucléides dans ces structures et de conduire à des phénomènes de bioaccumulation, distincts de ceux observés après contamination aiguë. 
-Leucémies et cancers osseux
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