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Gazette N°219/220

DÉBAT SUR LES FAIBLES DOSES


     Le débat sur l'effet des faibles doses est toujours d'actualité. Trois principaux rapports concrétisent les différentes positions en présence:

     1. Les recommandations 2005 de la CIPR
Ces recommandations confirment les raisons du choix de l'hypothèse linéaire sans seuil pour la relation dose-effet. Ainsi le chapitre 4 de ces recommandations, consacré aux aspects biologiques, précise (paragraphe 101) que :
     "Although there are recognised exceptions, for the purposes of radiological protection the Commission judges that the weight of evidence on fundamental cellular processes supports the view that in the low dose range up to a few tens of mSv, it is scientifically reasonable to assume that in general and for practical purposes cancer risk will rise in direct proportion to absorbed dose in organs and tissues.  This view accords with that given by UNSCEAR (2000)".
     Le détail des analyses faites par la CIPR pour aboutir à ces conclusions est contenu dans :
     - le document fondateur du Comité 1 "Biological and epidemiological information on health risks attribuable to ionizing radiation: a summary of judgements for the purpose of radiological protection". Non encore approuvé par la Commission Principale il doit être réexaminé en mars avant sa mise sur le site web pour consultation,
     - le rapport du Groupe de travail "Low doses extrapolation of radiation-related cancer risk" a été approuvé pour consultation sur le site web de la CIPR.

     2. Le rapport du Comité britannique CERRIE (Committee Examining Radiation Risks of Internal Emitters).
     Ce rapport, publié en octobre 2004, met l'accent sur les incertitudes associées à l'évolution du risque de cancer dû à l'exposition aux rayonnements lorsque l'exposition résulte de l'incorporation de radionucléides. Il considère que le niveau d'incertitude dans l'estimation d'une l'exposition interne est comparable à celui qui existe dans le cas de l'exposition externe, pour les quelques radionucléides (Il s'agit du plutonium, du thorium (sous forme de thorotrast) et du radium.) dont les données de base sont solides et fiables ; la gamme d'incertitude associée à l'évaluation de la dose aux organes et aux tissus correspond à un facteur 2 à 3 au-dessous ou au-dessus de la valeur centrale acceptée. Pour les autres radionucléides, cette gamme d'incertitude serait nettement supérieure (facteur d'incertitude de 10 ou plus). A ces incertitudes sur la dose s'ajoutent celles liées aux estimations du risque. 
     Le Comité COMARE (Committee on Medical Aspects of Radiation in the Environment) dont dépend CERRIE, a donné son avis sur le rapport produit par celui-ci. COMARE déclare approuver l'essentiel des conclusions tout en précisant que les données disponibles ne permettent pas de montrer que le risque dû aux expositions internes est radicalement sous-estimé. Dans son communiqué de presse du 20 octobre 2004 (cf. www.comare.org.uk), COMARE indique:
     "The CERRIE report examines in detail the uncertainties involved in making radiation risk estimates and shows that the uncertainties are greater for internal emitters than for external radiation. Uncertainties in estimating risk from internal emitters are typically within a factor of two or three above and below a central best estimate, but in some cases they can become a factor of ten or more.  Current recommendations on radiation risks from the International Commission on Radiological Protection (ICRP) are under review.  COMARE hopes that ICRP will address the issue of uncertainties in future recommendations."
     traduction: Le rapport CERRIE examine en détail les incertitudes liées à l'estimation du risque lié aux radiations et montre que les incertitudes sont plus importantes lors de contamination interne que lors d'irradiation externe. Typiquement les incertitudes dans l'estamination du risque lors d'une contamination interne sont sous estimées d'un facteur 2 à 3, pouvant même dans certains cas atteindre un facteur 10 ou plus. Les recommandations de la CIPR sont en révision. COMARE espère que la CIPR  se penchera sur les incertitudes pour les futures recommandations.

suite:
     Il faut rappeler que le Comité CERRIE a été mis en place en 2001 et comporte une douzaine d'experts du NRPB, de l'industrie nucléaire, des universités et de groupes écologistes (deux membres du Comité se sont désolidarisés des conclusions de CERRIE considérant que les radionucléides artificiels présentent un bien plus grand danger que les radionucléides naturels, car l'espèce humaine n'a pas eu la possibilité de s'y adapter et de s'en protéger efficacement au fil des siècles passés ; en conséquence le facteur d'incertitude à retenir devrait plutôt être de 100 ou 1000. Ces deux experts ont contribué à la rédaction du rapport ECRR qui a été à l'origine de la création du Comité CERRIE et du GT/ECRR à l'IRSN).

3. Le nouveau rapport de l'Académie des Sciences et de l'Académie de médecine
     Ce rapport, sur "la relation dose/effet et l'estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants", publié le 20 octobre 2004,  fait suite et réactualise d'autres travaux de l'Académie des Sciences (1995) et de l'Académie de Médecine (1999-2000). Il souligne les limitations de l'hypothèse linéaire sans seuil :
     "En conclusion, ce rapport émet des réserves sur l'usage de la RLSS (relation linéaire sans seuil) pour évaluer le risque cancérogène des très faibles doses. La RLSS peut constituer un outil pragmatique utile pour fixer les règles de la radioprotection pour des doses supérieures à une dizaine de mSv ; mais, n'étant pas en accord avec les concepts biologiques correspondant à nos connaissances actuelles, elle ne peut pas être extrapolée sans discussion aux très faibles doses, ni utilisée pour l'évaluation du rapport bénéfice-risque, imposée au praticien dans le cadre de la pratique radiologique par la directive européenne 97-43. Les mécanismes biologiques sont différents pour des doses inférieures à quelques dizaines de mSv et pour des doses supérieures. Les risques éventuels dans la gamme de dose des examens radiologiques doivent être estimés en tenant compte des données radiobiologiques et expérimentales ; on ne peut pas se contenter de l'usage d'une relation empirique dont la validité est problématique. Pour de telles doses, son usage pourrait surévaluer le risque et faire renoncer à des examens susceptibles d'apporter au malade des informations utiles. 
     Sur le plan de la radioprotection, ce rapport devrait conduire les décideurs confrontés au problème des déchets radioactifs ou au risque de contamination à réexaminer la méthodologie utilisée pour l'évaluation des risques de ces très faibles doses délivrées avec un très faible débit de dose. 
     Enfin ce rapport confirme qu'il n'est pas acceptable d'utiliser le concept de dose collective pour évaluer les risques liés à l'irradiation d'une population."



Commentaire
     Le rapport CERI (ECRR en anglais) critique une partie des recommandations de la CIPR. En particulier si le CERI ne remet pas en question le système de radioprotection quand il est question des expositions externes, il n'en est pas de même pour la contamination interne. Il considère que les évaluations actuelles sous estiment fortement ce mode de contamination. 
     Le CERI propose donc de nouveaux coefficients de risque et de nouvelles limites de doses. Ces limites sont très inférieures (facteur 300 pour le strontium) à celles adoptées dans le cadre de la législation française (européenne et internationale aussi). 
     Quant à l'Académie des Sciences et celle de Médecine elles continuent à s'arquebouter sur la certitude que les faibles doses sont sans effet. En conséquence et par défense de pratiques médicales qu'il serait bon de revoir, il ne faut pas trop s'attarder. En particulier cette position peut aider pour les déchets et leur banalisation sous dérogation.
     A suivre... 
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