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N°151/152
Impact des faibles doses et des maladies radio-induites

sur l'image et l'avenir de l'industrie nucléaire
Fédération nationale des syndicats des industries de l'énergie électrique et du gaz


     Le débat sur l'influence des faibles doses sur la santé est un vieux débat. Et pour cause tout a été fait par les responsables du SCPRI (Service Central de Protection contre les Rayonnements ionisants transformé en Office de Protection contre les rayonnement ionisants par décret du 19 juillet 1994) et d'EdF, pour limiter voire manipuler les informations dans les domaines touchant à la radioactivité.
     Avec les premiers résultats d'une étude épidémiologique menée sous l'égide de l'O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé) qui permettent une première quantification du risque, on arrive probablement à un virage dans ce débat.

L'action de Force Ouvrière pour améliorer la protection des travailleurs
     Le retour d'expérience du terrain fait par les militants ainsi que notre participation à divers organismes tels que la Commission Nationale des Accidents du Travail, nous ont amenés très tôt à revendiquer une meilleure connaissance des risques engendrés par les faibles doses de radioactivité. Mais la demande d'étude épidémiologique sur la population des agents EdF a été rejetée par la Direction Générale, celle-ci s'étant contentée après une longue hésitation, de se raccrocher à l'étudede 10mSv.
     Parallèlement, nous nous sommes penchés sur la politique de radioprotection et sur la formation correspondante. Nous avons dénoncé les insuffisances et fait des propositions d'action. Plusieurs courriers ont été adressés à ce sujet au Directeur de la D.E.P.T. et des articles y ont été consacrés dans nos différentes publications.
     Force est de constater qu'il reste beaucoup à faire.
     Lors du CNHSCT du 17 juin demier, Force Ouvrière a adressé un rappel sévère en ce sens à la Direction. Mais nous attendons toujours les réponses à nos questions et propositions.

L'éthique des représentants du pouvoir
     Il est intéressant de se poser cette question pour comprendre l'attitude des Directions face aux risques engendrés par la radioactivité. Pour nous faire une idée, posons-nous quelques questions simples.
     Il existe une Comité de Radioprotection qui est chargé de donner les orientations dans ce domaine:
     - est-ce normal et démocratique qu' il soit subordonné au Directeur Responsable du Nucléaire (juge et partie) ?
     - qui y représente les travailleurs ? Qui supporte les nuisances ? Personne évidemment!
     - combien a-t-on à EDF d'experts «radioprotection» dignes de ce nom? Sont-ils reconnus par le terrain ? Qu'attend-on pour en former et pour en embaucher?
     - a-t-on le droit de sous-traiter la radioprotection ?
     - quand la Direction interviendra-t-elle pour que, lors des stages d'habilitation, les formateurs indiquent que même quand on est inférieur â la limite de dose annuelle, le risque n'est pas nul ?
     - quelles sont les relations entre le DSRE et 1' OPRI?

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- la soi-disant égalité de protection pour les agents d'entreprises et ceux d'EdF que prône la Direction d'EdF, ne devrait-elle pas conduire cette dernière à revendiquer la reconnaissance automatique de la maladie professionnelle pour les agents d'entreprise qui développent une pathologie (puisque c'est le cas pour les agents EdF) ?
     Ce n'est pas plus brillant au niveau de la Tutelle:
     - qu'a apporté la transformation du SCPRI en OPRI ?

Les normes de radioprotection
     On ne disposait jusqu'ici d'aucune évaluation sur les maladies engendrées par les faibles doses.
     La CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) diffuse périodiquement des recommandation de protection radiologique. Elles découlaient, jusqu'à présent, principalement d'extrapolations des études de mortalité des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki ainsi que de la médecine par radiothérapie.
     Ces recommandations sont en général «traduites» dans la réglementation des états, en limites à ne pas dépasser.
     En 1990, les experts de la CIPR ayant corrigé leur modèle mathématique ont décidé de réviser leurs recommandations. De 5 REM/an, il était question de tomber à 2 REM/an. Il faut savoir que la France a fait le forcing pour obtenir et à obtenu l'autorisation d'aller à 5 REM/an à condition de ne pas dépasser 10 REM en 5 ans. On rapporte que l'augmentation des nucléocrates français était basée sur le fait que dire aux travailleurs qu'il fallait passer de 5 REM à 2 REM, équivalait à reconnaître qu'on avait fait courir des risques supérieurs jusqu'ici (ce qui est vrai).
     Dans le contexte de précarité que nous combattons mais qui est malheureusement réel, la règle des 10 REM/5 ans, permet en toute légalité de prendre 10 REM en 15 mois:
     -5 REM les 9 premiers mois
     -3 REM entre le 13ème et le 15ème mois
     - 2 REM le jour suivant!
     Bonjour les 10 REM / 5 ANS
     De plus aujourd'hui la Direction nous affirme que l'inventaire des différents textes réglementaires nationaux et européens n'a pas mis en évidence un texte spécifique à l'enregistrement. C'est pourquoi elle a décidé, avec le C.E.A. et la COGEMA, de retenir comme seuil d'enregistrement les doses supérieures à 20 REM.
     Remarquons d'autre part, que le facteur de qualité pour les neutrons a été multiplié par 2, dans les nouvelles recommandations. Cela signifie plus simplement que les neutrons sont dix fois plus dangereux que ce qu'on pensait jusqu'à présent.
     Il faut également avoir à l'esprit que malgré cet infléchissement des règles, la France s'était dans un premier temps, désolidarisée de 50 autres pays, en essayant d'en faire retarder l'application. En juillet dernier, Edouard Balladur revenait sur cette position et décidait d'adopter les nouvelles règles (mais il n'a pas dit quand elles entreraient en vigueur, ni comment).

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La communication sur les risques des faibles doses de radioactivité
     L'information diffusée par le pouvoir a systématiquement tendance à minimiser les effets potentiels des rayonnements radioactifs. Ce penchant est dû à la fois à la volonté des dirigeants de protéger leurs choix, mais aussi à leur inculture sur le sujet.
     De plus, l'information est généralement simpliste. Cette simplification à l'extrême est due au manque de lucidité des managers. En effet, ils considèrent que les travailleurs et la Public sont des ignorants et ils pensent nécessaire d'utiliser des exemples très simples. Cela prouve qu'ils ignorent eux-mêmes que les travailleurs et le Public ont beaucoup mûri, notamment grâce à l'action des médias après Tchernobyl.
     Le discours des Directions sur «le risque sanitaire nul» est donc malvenu. Au lieu de rassurer, il inquiète ! Parfois, il crée même des psychoses, comme on a pu le voir au mois d'Août à Dampierre, avec l'iode 131. Nous avons déjà attiré l'attention de la Direction sur ce point, mais elle persiste.

Niveau du risque : état actuel des connaissances
     Une étude a été effectuée par le CICR (Centre International de Recherche sur le Cancer, basé à Lyon et dépendant de l'O.M.S.). Elle s'est déroulée de 1989 à 1994 et a porté sur environ 96.000 travailleurs appartenant à 7 entreprises nucléaires (Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni).
     L'étude révèle que pour une dose de 0,1 Sievert (10 REM), le risque de mortalité est de 22 % supérieur à celui d'un individu non exposé.
     Ces résultats appellent les commentaires suivants:
     - on est loin du «risque sanitaire nul», on a désormais la preuve que les faibles doses, même espacées dans le temps sont dangereuses. Espérons que tout cela coupera court, tant du côté des pro que de celui des antinucléaires, à tout discours partisan.
     - ces résultats ne doivent pas pour autant alarmer les travailleurs. En effet, le taux de mortalité par leucémie dans la population française est faible (environ 1 pour 10.000 personnes) et d'autres industries (PVC, Benzène, etc.) sont des industries qui peuvent être beaucoup plus cancérigènes (même si on en parle peu, car ces lobbies sont également très puissants).
     - en revanche, ils doivent être pris au sérieux car beaucoup de travailleurs français atteignent ou dépassent 50 REM /Vie, ce qui signifie que les risques sont plus importants.
     Une autre étude est en cours et porte sur 14 pays, dont la France. Ses résultats seront rapprochés des précédents et nous ne manquerons pas de vous en informer.

Conclusion
     La plupart des activités humaines comportent des risques. Tout domaine scientifique de pointe est potentiellement dangereux, tant qu'il est mal connu et que l'homme n'a pas assuré son entière maîtrise.
     La Fédération FORCE OUVRIÈRE a, maintes fois, rappelé qu'elle est favorable à l'énergie nucléaire, mais elle réclame l'amélioration des connaissances sur l'impact humain, sur le coût social du nucléaire. Elle condamne l'attitude du pouvoir qui freine la connaissance et par là même, ne permet pas d'anticiper la mise en place des remèdes adéquats.
     Force Ouvrière souhaite la transparence sur le nombre d'agents qui ont développé une leucémie, après avoir travaillé sur nos installations nucléaires. Il suffit de mettre en place tous les moyens pour suivre médicalement tous ces agents. Aujourd'hui, nous n'avons pas suffisamment de recul dans le nucléaire, c'est pourquoi Force Ouvrière revendique depuis des années un suivi médical de nos agents retraités ayant été exposés, au cours de leurs carrière, aux rayonnements ionisants.

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     Les Pouvoirs Publics ont la possibilité de mener cette enquête grâce à la Sécurité Sociale.
     Continuer la politique de l'autruche alors que le risque commence à être quantifié grâce aux étrangers, est une politique qui retournerait immanquablement l'opinion publique contre le nucléaire.
     Faute d'avoir été entendue au niveau de la D.E.P.T. et du C.N.H.S.C.T., Force Ouvrière va interpeller le Directeur Général, pour essayer de le convaincre d'adopter une meilleure politique de prévention et de transparence, seule capable d'assurer la pérennité du nucléaire.
     Cette démarche confirme celle de la DIGEC qui «suggère d'introduire une démarche assurance de la sécurité».

Commentaire Gazette
     Il nous a semblé très important de vous faire connaître la position d'un syndicat sur ce problème des doses. J'ajouterai que je viens de recevoir un papier important de la Hague.
     Pour la première fois le Conseil d'État a reconnu en appel qu'un travailleur pouvait refuser de travailler en zone chaude si la société qui l'avait recruté changeait ses partenaires. Il a été admis que ce n'était pas une faute professionnelle et un motif de renvoi. C'est la première fois qu'un tel jugement se termine de cette façon. Notez-le c'est important.


Lettre de FORCE OUVRIÈRE à
Mr Jacques BARROT, Ministre du Travail, du Dialogue Social et de la Participation
Objet Conditions de travail des salariés intermittents dans le secteur nucléaire

Monsieur le Ministre,

     Depuis plusieurs années, la Confédération F.O. appelle l'attention des pouvoirs publics et du patronnat, sur les conditions de travail des salariés à contrat précaire (Intérim - CDD) et sur leurs conséquences (taux d'accidentalité - troubles de la santé physique et psychique - perturbation de la vie familiale).
     S'agissant des salariés travaillant dans l'industrie nucléaire, qui font l'objet du présent courrier, des études récentes, telles:
     l'enquête de médecine du travail sur le suivi médico réglementaire des salariés prestataires de service dans les installations nucléaires de base (menée conjointement par l'inspection médicale de la région centre et l'INSERM en 1993), l'enquête STED en 1993, ainsi que les travaux menés par l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques relatifs à la radioprotection des travailleurs des centrales nucléaires (Rapporteur Monsieur le Député C. BIRRAUX audition du 28 novembre 1993), confirment et formalisent ce que nous disons depuis longtemps.
     Par ailleurs, à la demande de quelques uns de ses membres, dont notre représentant, le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'Information Nucléaire (CSSIN) a décidé de constituer en son sein un groupe de travail pour l'éclairer sur les problèmes soulevés par l'enquête de médecine du travail de la région Centre et le rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques déjà cités.
     Après examen ces conclusions du groupe de travail, présidé par le représentant de votre ministère, le CSSIN a adopté le 14 mars 1995 des recommandations opérationnelles destinées à assurer une protection identique à tous les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants, demandant aux pouvoirs publics, en particulier, aux Ministres du Travail et de la Santé de les traduire dans la réglementation.

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     Mais il apparaît nécessaire de faire le point de la situation.
     Ce sont le plus souvent désormais les salariés d'entreprises extérieures qui, dans le cadre de la sous-traitance, interviennent en milieu ionisant dans les entreprises C.E.A., COGEMA, EDF.
     Ce sont ces même salariés : 22.000 chez EDF selon l'enquête STED, qui supportent sur un même site, la part la plus importante d'expositions aux rayonnements ionisants.
     Cette sous-traitance interne crée des difficultés en matière de suivi médical et radiologique, aggravées, et peut-être même créées, par la multiplicité de statuts des travailleurs.
     S'agissant du suivi radiologique, EDF a mis en place un fichier national de tous les intervenants EDF et extérieurs travaillant en zone contrôlée permettant un historique en cumul dosimétrique.
     Ce système dénommé DOSINAT est en voie d'extension, sous le nom de DOSIMO au C.E.A., à la COGEMA et à la Délégation Générale de l'Armement.
     Il serait, pour ce que nous en connaissons, un système performant et fiable au plan technique.
     Sa mise en application suscite néanmoins de nombreuses interrogations au plan du droit, au regard de la législation et de la réglementation nationales.
     Par ailleurs, et c'est pour la Confédération F.O. un point essentiel, l'utilisation qui sera faite de ce livret entraîne, de façon inéluctable une gestion de l'emploi des travailleurs par la dose.
     L'abaissement des limites de dose par la CIPR, repris prochainement par le droit national mettra l'exploitant devant un choix:
     - soit renforcer les limites de prévention pour abaisser les normes d'exposition subies par les travailleurs au poste de travail.
     - soit laisser s'amplifier le mouvement de précarisation, laissant aux entreprises extérieures la charge de gérer la dosimétrie de leur personnel par un recours accru aux contrats couvrant la durée d'un chantier.
     Une telle situation engendrera, et engendre probablement déjà chez les salariés concernés, des comportements rendant les contrôles radiologiques illusoires. Pris entre l'aléa d'une altération de leur santé repoussée dans le temps, et la certitude de la perte immédiate de leur emploi lorsqu'ils sont proches ou ont atteint les limites d'équivalent de doses, ils choisiront l'emploi.
     Nous n'ignorons pas les difficultés posées par la surveillance radiologique des travailleurs.
     Elle doit selon nous répondre à une double exigence qui n'est contradictoire qu'en apparence:
     - assurer leur protection sanitaire,
     - ne pas être constitutive de situation entraînant leur exclusion de l'emploi.
     Pour répondre à cette double exigence, il nous parait indispensable:
     - primo de renforcer la prévention par des études approfondies des méthodes et postes de travail pour l'obtention d'un moindre coût radiologique pour les travailleurs,
     - secondo d'assurer des moyens suffisants aux organismes
chargés des contrôles (médecine du travail - OPRI - Inspection du travail).
suite:
     Il faut aussi garantir par la loi, l'emploi au salarié qui serait proche ou aurait subi un dépassement des limites d'équivalents de doses, quelles que soient les circonstances dans lesquelles celui-ci s'est produit, en veillant à ce les CDD et les intérimaires, dans les faits, ne soient pas exclus de ses dispositions, comme tel est le cas dans la loi de décembre 1989 relative au reclassement des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
     Il est également indispensable de dormer un statut réglementaire à la dosimétrie opérationnelle mise en place sous DOSINAT ou DOSIMO, de sorte que les dérives au plan de l'emploi et des libertés individuelles puissent être écartées.
     S'agissant des conditions de travail des sous-traitants d'EDF, il nous apparaît que la saisonalisation des arrêts de tranches soit un facteur de précarisation de l'emploi.
     Nous nous interrogeons beaucoup sur cette organisation, dès lors que la capacité de production permettrait d'étendre ces arrêts sur toute l'année.
     Par ailleurs, il nous paraît opportun de faire un état des différentes couvertures conventionnelles (où dans certains cas de leur absence) dont bénéficient les salariés concernés.
     D'ores et déjà, nous demandons des garanties communes pources salariés reprenant évidemment celles qui sont les plus favorables.
     Enfin, nous nous interrogeons également sur les conséquences d'une sous-traitance massive sur la sûreté des installations et la sécurité des salariés.
     Nous connaissons les velléités des industriels du nucléaire qui, après avoir sous-traité l'assainissement radioactif au prétexte, audacieux, que celui-ci n'est pas un métier du nucléaire, envisagent maintenant la possibilité de sous-traitance de la personne compétente en radioprotection, se livrant à une exégèse du décret de 1986, contestable au plan du droit et des principes en ce que celle-ci aboutirait à une déresponsabilisation de l'exploitant.
     Nous avions déjà saisi votre prédécesseur demandant que les problèmes soulevés soient examinés par le Conseil Supérieur de la Prévention des Risques Professionnels.
     Le calendrier électoral n'a pas permis que nous poursuivions les contacts déjà engagés.
     En effet, lors d'une entrevue à la D.R.T., consécutive à notre demande auprès de Monsieur GIRAUD, il avait été convenu que le Conseil Supérieur de la Prévention des Risques Professionnels pourrait examiner ces questions dès que serait connu l'avis du CSSIN.
     Celui-ci est désormais rendu depuis le 14 mars 1995.
     Aujourd'hui nous les uns et les autres disposons de tous les éléments propres à la discussion.
     Nous renouvelons donc notre demande de voir examinés les sujets abordés dans cette lettre par le Conseil Supérieur de la Prévention des Risques Professionnels, ainsi que les questions relevant de sa compétence soulevées par la CSSIN.
     Nous souhaiterions au préalable pouvoir nous entretenir avec vous pour leur approfondissement de tous les sujets évoqués.
     Dans cette attente,
     Nous vous prions de trouver ici, Monsieur le Ministre, l'expression de notre haute considération.
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