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N°133/134 mars 1994
Le Livre Blanc de la Défense:

pour une sécurité commune respectant la vie


     L'élaboration du Livre Blanc de la Défense et celle de la nouvelle loi de Programmation Militaire interviennent à un moment charnière de l'histoire du monde.
     Quatre ans après la chute du mur de Berlin, deux ans après la Guerre du Golfe, en pleine guerre en ex-Yougoslavie, la «nouvelle sécurité commune» est en train de naître dans les douleurs de l'enfantement. L'ONU se voit confier des missions de plus en plus nombreuses. Les armées nationales et les blocs militaires, modelés par la Guerre Froide, s'interrogent sur leur existence et réfléchissent à des missions nouvelles.
     Le Libre Blanc de la Défense devrait, à notre sens, développer sa réflexion selon quatre axes principaux: la bombe atomique, les structures et les moyens d'une sécurité commune, les nouvelles missions de l'armée et la reconversion des activités et productions militaires.

1. L'arme atomique
     Dans deux ans, en 1995, nous célébrerons plusieurs cinquantenaires très importants:
     - le cinquantenaire des deux premiers essais «grandeur nature», effectués par les Américains sur Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, alors que la capitulation du Japon était acquise, et cela malgré l'opposition de chefs militaires comme Eisenhower et celle de l'écrasante majorité des scientifiques américains, dont les lettres à Truman sont à présent publiées,
     - le cinquantenaire de l'instauration par les Alliés, le 8 août 1945 à Londres, du Tribunal de Nuremberg, pour juger des crimes de guerre, et du génocide.
     En juin 1995, se tiendra également la conférence de prorogation du Traité de Non-Prolifération (TNP), qui décidera soit de proroger ce traité de manière définitive ou temporaire, soit de le révoquer purement et simplement.
     Ces trois échéances internationales sont d'une importance fondamentale pour un arbitrage nécessaire en faveur de l'abandon de l'arme atomique par la France.
     ï L'arrêt des essais nucléaires décidé le 8 avril 1992 par la France, première puissance occidentale à répondre au moratoire soviétique, doit aboutir très rapidement à la négociation, la signature et la ratification d'un Traité d'interdiction Totale des Essais Nucléaires (CTBT), dont le projet a été soumis en juin 1993 par la Suède à la Conférence du Désarmement à l'ONU à Genève.
     Ce traité doit, en tout état de cause, être signé avant l'ouverture de la conférence du Traité de Non-Prolifération, soit début 1995 au plus tard.
     En effet, les puissances atomiques sont, avec raison, accusées par les signataires non-nucléaires du TNP, de ne pas avoir respecté leurs engagements, consignés dans le préambule et dans l'article VI du Traité, à savoir supprimer le plus rapidement possible leurs armes atomiques et arrêter leurs essais nucléaires. Faute de mesures rapides, concrètes et significatives en ce sens, prises par la France, les USA, la Russie, la GrandeBretagne, et la Chine, le Traité de Non-Prolifération risque fort de ne pas être prorogé, ce qui ouvrira définitivement la boîte de Pandore nucléaire.
     ï Réparation des dommages occasionnés à l'environnement et à la santé des populations, des personnels civils et militaires engagés dans les programmes d'essais.
     La nouvelle Secrétaire d'Etat à l'Energie américaine (DOE), Hazel O'Leary, a déclaré en juin 1993 à l'UNESCO, qu'elle considérait que l'une de ses missions les plus importantes, était de réparer les terribles dégâts causés aux sols, aux nappes souterraines et eaux de surface par les activités nucléaires sur tous les sites de production et d'essais des bombes atomiques.

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Les atteintes à l'environnement sont par ailleurs bien connues pour l'ancienne URSS: Tchéliabinsk, Nouvelle Zemble et Mer Blanche, Semipalatinsk et tant d'autres sites.
     Les Britanniques, en ce qui les concerne, viennent d'accorder en juin 1993 des réparations substantielles à l'Australie pour les essais effectués dans les années 50 et 60 dans le désert de Maralinga. Des centaines de kilomètres carrés de désert, contaminés par du plutonium et autres isotopes à longue durée de vie, doivent être enclos définitivement.
     La France quant à elle, doit enfin publier les données, collectées par l'armée et le CEA au Sahara et en Polynésie, sur l'état de santé des populations et des personnels civils et militaires (militaires de carrière et appelés, scientifiques et techniciens), engagés dans les essais nucléaires, ainsi que sur l'état de l'environnement. Des études pluridisciplinaires indépendantes doivent évaluer la situation actuelle dans le Sahara, où du Césium 137 a été retrouvé dans des plants: y a-t-il des zones contaminées, de quelle superficie, des puits et pâturages à interdire, des populations (sédentaires et nomades) dont la santé est atteinte ou menacée et quelles sont les mesures à prendre:
isolement temporaire ou définitif, décontamination, réparations, etc. Il serait en effet très surprenant que la situation au Sahara soit très différente de celle qui existe à Maralinga (approximativement même époque pour les essais et donc technologie apparentée, même nombre d'essais, même milieu).
     Des études et réparations similaires sont réclamées depuis des décennies par les autorités, les Eglises et les populations polynésiennes.
     ï Abandon de l'arme atomique
     En mai 1993, l'Assemblée Mondiale de la Santé a sollicité, par 73 voix contre 40, avec 10 abstentions, un avis de la Cour Internationale de Justice de La Haye, sur la légalité de l'utilisation de l'arme atomique. Le délai de consultation fixé par la Cour, avant de déposer son jugement, s'achève le 24 juin 1994. Cet automne, l'Assemblée Générale des Nations-Unies est saisie d'une résolution visant à solliciter l'avis de la Cour Internationale sur l'utilisation et la menace d'utilisation (autrement dit sur la dissuasion).
     Un rapport très documenté, élaboré par des juristes internationaux, établit en effet que l'arme atomique, instrument d'extermination de masse, viole une vingtaine de Traités et Conventions Internationales (pratiquement tout le corps international du «Droit de la Guerre»), signés par les puissances nucléaires, y compris la France. Les plus importants sont les Conventions de Genève sur la protection des populations civiles (blessés, vieillards, enfants), l'infliction de souffrances inutiles et à long terme, la protection des milieux aquatiques, de l'air, des sols, la condamnation du génocide, l'infliction de dommages à des pays neutres, et autres.
     L'opinion française et internationale estime, de plus en plus majoritairement, qu'asseoir sa défense sur des moyens d'extermination de masse est indigne de nations «civilisées».
     De même que c'est l'argument légal, invoqué par les abolitionnistes, qui a eu raison, au siècle dernier, de l'esclavage, il est probable que c'est la loi internationale qui va, dans un proche avenir, conduire à l'abolition des armes atomiques. La France, pays des Droits de l'Homme, ne peut être indifférente à ce combat.
     Que feront les militaires? En effet, le code Messmer, établi suite aux tortures en Algérie, et à l'insurrection des généraux, leur interdit d'obéir à des ordres illégaux.
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     Le Livre Blanc de la Défense français doit sans attendre, prendre en compte les arguments légaux présentés et anticiper sur une condarnnation très probable, par la Cour Internationale, de l'armement atomique, ces moyens d'extermination de masse étant, par ailleurs, totalement incompatible, selon nous, avec l'«honneur militaire».

2. La Sécurité Commune
     La nouvelle situation géopolitique recommande une nouvelle approche de la sécurité commune. Celle-ci, menacée par un large faisceau de facteurs d'instabilité: conflits ethniques, sociaux, environnementaux, économiques, fossé Nord-Sud, etc., ne peut plus être assurée par des moyens militaires.
     Bien plus, les déficits budgétaires affectant nos pays sont bien souvent à l'origine de certains de ces troubles. Les budgets alloués aux alliances militaires et aux forces armées font cruellement défaut à la réhabilitation des villes et des banlieues, à l'encadrement social et professionnel, en particulier celui des jeunes, à la lutte contre le chômage, à l'aide au développement.
     ï Le budget de l'OTAN, alliance militaire héritée de la Guerre Froide, est toujours encore de 100 milliards de dollars par an. En comparaison, les Etats-Unis sont actuellement débiteurs des Nations-Unies d'une somme de près de 1 milliard de dollars, somme qui manque cruellement au fonctionnement d'une institution internationale de plus en plus sollicitée pour assurer la sécurité commune. Les sommes consacrées à l'UEO, réputée «pilier européen» de l'OTAN, n'ont aucune justification, vu l'«inexistence» de ce fantôme, maintenu sous perfusion par la France et certains de ses alliés.
     ï Quant à la CSCE (Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe), instrument de sécurité commune, basée sur les droits de la personne, que se sont donnés les Occidentaux, les pays neutres et les anciens membres du Pacte de Varsovie, elle dispose d'un budget ridicule de 3 millions de dollars. Il est bien évident que la CSCE est absolument incapable de répondre à la mission ambitieuse qui lui a été confiée par la Charte de Paris en novembre 1991: prévention des conflits par le respect des droits des minorités et des personnes, maintien de la démocratie (élections libres), la médiation, promotion du respect des droits de la personne, des droits sociaux et économiques et de la protection de l'environnement.
     La dernière Assemblée Parlementaire de la CSCE, qui s'est tenue le 9 juillet 1993 à Helsinki, a formulé une résolution visant au renforcement de cette institution commune. Il est indispensable que le Livre Blanc de la Défense examine très attentivement ce document et la reprenne dans ses conclusions.
     Une des demandes les plus importantes est la reconnaissance de la CSCE comme organisation régionale des Nations-Unies, comme prévu à l'Article 8 de la Charte de l'ONU. Les Nations-Unies pourraient lui confier les missions d'interposition actuellement effectuées par les Casques Bleus. La CSCE deviendrait ainsi le cadre des opérations d'interposition en cas de conflit, domaine où l'UEO et l'OTAN sont absolument incompétentes et ne disposent d'aucune légitimité.

3. Armée ou institution civile d'intérêt public?
     ï Formation des militaires:
     L'action exemplaire menée en ex-Yougoslavie par le Général Morillon, commandant les Casques Bleus de l'ONU, a déclenché dans le monde entier une réflexion sur un nouveau type de mission et une formation correspondante pour l'armée et les militaires. Les généraux Morillon et Briquemont se sont continuellement défendus contre les propositions d'interventions militaires classiques, émanant de l'OTANet d'autres va-t-en guerre, dangereuses et contre-productives en cas de guerre civile et fratricide, de guerre de milice. Qui bombarder?
     Les sévices causés par les militaires aux populations civiles
ont, par ailleurs, conduit la CSCE et la Conférence Mondiale sur les Droits de la Personne (Vienne, juin 1993) à demander aux pays membres, donc à la France, d'inclure une formation aux droits de la personne dans tout curriculum militaire.

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     Il est par ailleurs apparu clairement que l'interposition et la médiation, le désarmement des milices et des franc-tireurs, exigeaient une formation très spécialisée et originale. Des séminaires se tiennent actuellement dans beaucoup de pays et aux Nations-Unies sur ce thème tout à fait inédit. La formation à la défense civile non-violente, réclamée depuis de nombreuses années par les mouvements non-violents et les objecteurs, serait une contribution très utile à cette formation de type nouveau. Le Livre Blanc de la Défense ne peut faire l'économie de cette problématique.
     ï Vers un service civil national et international:
     Pourquoi le rétablissement de l'ordre en cas de troubles internationaux d'origine sociales, ethniques, économiques, de guerre civile, ne pourrait-il être confié à une police internationale, formée à l'interposition, la médiation et la non-violence, avec mise à disposition de contingents non militaires, fournis par les pays membres de l'ONU ou de la CSCE, sans passer parl'armée?
     Le rétablissement de l'ordre passe par ailleurs par des missions strictement civiles: services de santé, services sociaux, observateurs des élections, rétablissement des transmissions, des ponts et routes par le génie civil, enseignement, pompiers et aide en cas de catastrophes naturelles ou industrielles. Ces missions pourraient être effectuées par des professionnels, non militaires, engagés dans un service international d'utilité publique. Médecins du Monde, Médecins sans Frontières ainsi que les missions de coopération ont déjà une expérience très précieuse dans ce domaine.
     Un tel service serait ouvert à parité aux femmes et jeunes filles, comme le sont déjà les missions du CICR (Comité International de la Croix Rouge) et du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés).
     Cette formation serait par ailleurs très utile en cas de problèmes intérieurs: inondations, tremblements de terre, réhabilitation de banlieues et autres missions d'utilité publique.
Au lieu de prévoir 103 milliards pour son budget militaire en 1994, la France pourrait allouer une grande partie de cette somme à la mise sur pieds de ce service civil d'intérêt public.

4. La reconversion des activités militaires et de l'industrie d'armement
     La Communauté européenne a prévu, dans son budget 1993,
une ligne spécifique, baptisée KONVER, destinée à soutenir les projets de reconversion des activités militaires (garnisons), et de l'industrie d'armement vers des activités civiles.
     En effet, aussi longtemps que l'on produira des armes, on les retrouvera, officiellement ou par l'intermédiaire du marché noir ou gris, dans les foyers de crise. Elles continueront à armer des chefs de guerre, des factions rebelles, à protéger des intérêts économiques menacés. Elles continueront à empêcher la solution politique des conflits dans le monde entier. C'est pourquoi, demander l'arrêt des ventes d'armes sans demander l'arrêt de leur fabrication, est une hypocrisie qu'il est nécessaire de dénoncer.
     Or malheureusement, l'économie de notre pays, et celle de régions entières, ainsi que des centaines de milliers d'emplois dépendent directement ou indirectement (sous-traitance) de la fabrication d'armes de mort.
     La reconversion exige une volonté politique très ferme et les moyens budgétaires correspondants.
     Malheureusement, après un sursaut au lendemain de la Guerre du Golfe, où les Occidentaux ont regretté de se trouver affrontés à des escadrilles de Mirages, d'Exocets, d'Alouettes, Superfrelons et autres fleurons de notre industrie, vendus à notre ancien «ami» Saddam Hussein, la France a recommencé, contre toute raison, à se battre pour les marchés du Moyen-Orient, du Sud-Est Asiatique, pour le marché chinois, à organiser des salons pour la promotion des armes les plus modernes. Cette attitude est tout à fait contraire aux impératifs de notre sécurité commune.

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     Le Libre Blanc de la Défense doit, à notre sens, faire une place correspondante à l'importance économique qu'il revet, au problème de la reconversion de l'industrie d'armement de notre pays.
     Le domaine des énergies renouvelables offre des perspectives pratiquement illimitées pour cette reconversion. Il s'agit d'un secteur moderne, de technologies de pointe, d'un savoir faire disponible dans les industries de l'armement (alliages, informatique, aérodynamique, etc.). La source d'énergie, le soleil est disponible, quant à lui, de manière pratiquement illimitée.
     L'Etat devra par ailleurs participer au décollage de cette reconversion par le lancement de contrats publics d'équipement
solaire (capteurs ou panneaux photovoltaïques couplés au réseau), ou éolien des bâtiments, terrains et installations publiques (administrations, gares, hangars, hôpitaux, écoles, etc.).
     En conclusion, à situation nouvelle, il faut répondre par des solutions nouvelles. Pour cela, sortir des ornières, ôter ses oeillères, penser globalement et à long terme.
     Les quelques propositions exposées ici au nom des Verts dans le cadre de la réflexion sur le Livre Blanc de la Défense, souhaitent s'inscrire dans la perspective d'une sécurité commune, respectant et préservant la Vie, la nôtre et celle des générations futures, toute VIE.
Le 13 septembre 1993, Conférence de l'IRIS au Sénat, Paris

Solange FERNEX
Les Verts au Parlement Européen
Présidente de l'Intergroupe «Paix et Désarmement» du P.E. Vice-Présidente du Bureau International de la Paix

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Pour la survie de l'ACRO, laboratoire indépendant en péril

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