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N°121/122

CONTRIBUTION
A LA REUNION DE MADRID SUR L'ENERGIE
(SEPTEMBRE 1992)
Voir notre dossier MOX


I. En France, le MOX est arrivé:
     L'Electricité de France (EDF) exploite actuellement des centrales nucléaires de 900 MW et 1.300 MW R.E.P. ou P.W.R. Elles fonctionnent à 1'UO2, enrichi dans l'usine Eurodif de Pierrelatte qui tourne à 50% de sa capacité.
     "Le stock d'uranium d'EDF atteint dix ans au lieu des 36 mois réglementaires, ce qui représente pour EDF une immobilisation de 53 milliards de francs" (Le Monde du 3 mars 1990, d'après le rapport Rouvillois).
     EDF tente d'utiliser, dans les centrales surgénératrices le plutonium extrait au centre de la Cogema de La Hague mais cette filière n'est plus fiable et le surgénérateur Superphénix vient d'être momentanément arrêté. Or à La Hague, la Cogema extrait cinq tonnes par an de plutonium des combustibles irradiés et retirés des réacteurs.
     On ne sait plus quoi faire de ce plutonium. On ne peut l'enfouir sous terre, ni au fond des mers, car il est chimiquement hautement toxique, 10-6 grammes de Pu ingéré par un être vivant suffit pour tuer.
     D'où l'idée d'utiliser, dans les centrales REP existantes et notamment dans les 900 MW, le Pu mélangé à de l'uranium sous forme de MOX (mélange d'oxydes UO2+PuO2). Trois centrales REP (St Laurent des Eaux, Gravelines, Dampierre) reçoivent à titre expérimental, les crayons de MOX fabriqués dans le centre de recherche de Cadarache. Treize autres 900 MW devront être alimentées en MOX lorsque l'usine Melox à Marcoule sera en condition de produire industriellement le MOX à raison de 100 tonnes par an. Ensuite les 1.300 REP seront chargées en MOX mais il faudra, alors, que EDF dépose une procédure d'autorisation avec probablement une enquête publique.

II. Les dangers du MOX:
1. La dissémination du Pu:
     Avec l'utilisation du MOX, le plutonium va être disséminé à travers toute la France, l'Europe voire le monde. C'est, pour les uns la "banalisation du Plutonium", pour les autres le "Connection-Plutonium".
     Le risque de contamination a, au cours de l'utilisation lors du pilotage des réacteurs nucléaires, par rupture de gaines par exemple, peut se produire. Un accident de circulation, un attentat terroriste (pendant les transports de La Hague à Melox, puis aux centrales et enfin durant le retour à La Hague du combustible MOX irradié) peut avoir lieu. En 1976, les Etats-Unis, après étude, ont compris ce danger et ont décidé de ne pas utiliser ce combustible MOX connu de scientifiques et mis à l'étude dans les années 1960.
2. Le pilotage délicat des réacteurs:
     Les risques de criticité des centrales REP se trouvent donc augmentés. Les barres de sécurité en bore sont moins efficaces, elles doivent être judicieusement placées dans la pile pour éviter les points chauds et limiter les risques. Des erreurs sont toujours possibles (St Laurent des Eaux - rapport Tanguy). Les dispositions techniques de renforcement de la sécurité et la formation du personnel entraînent un surcroît de coût de l'opération.
3. Les rebuts de l'usine Melox:
     De plus, "conformément au décret d'autorisation de la création de l'usine Melox à Marcoule, les déchets résultant de l'exploitation de l'installation doivent être triés par nature en vue de recueillir ceux qui pourraient faire l'objet d'un traitement de récupération et d'orienter les déchets conditionnés soit vers un centre de stockage en surface (catégorie A) soit vers un centre d'entreposage en attente du stockage en formation géologique profonde (déchets B)", La Gazette Nucléaire, août 1991, page 29.
     On peut se demander si le volume de ces déchets ne constitue pas un pourcentage important du volume annuel des déchets de retraitement que l'usine de La Hague produit. Enfin, faut-il rappeler que les options de sûreté de l'incinérateur de Melox vont faire l'objet d'un examen par la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires.
4. Une pollution radiotoxique du fleuve Rhône:
     Par l'activité à Marcoule de cet incinérateur, ne va-t-on pas contribuer une fois de plus à ajouter un peu plus de pollution radioactive, notamment dans le fleuve Rhône en aval de Marcoule?

suite:
     Mais comme aucun point de référence précis en plutonium dans l'environnement de Marcoule n'a été effectué, il paraît difficile d'établir des données tangibles. Les valeurs mesurées par un laboratoire indépendant (CRII-RAD) permettent d'introduire le doute dans l'attitude des autorités responsables car les niveaux de contamination en plutonium relevés dans l'environnement mettent en cause la gestion des dossiers d'autorisation par les ministères concernés. (Etude radioécologique d'Avignon réalisée par la CRII-RAD, 1991):
     "Le centre de Marcoule est ainsi autorisé à rejeter, chaque année, dans les eaux du Rhône, 2.500 TBq de tritium, 150 TBq pour les radioéléments autres que le tritium, le strontium 90 et le césium 137, 6 TBq de strontium 90, 6 TBq de césium 137, 0,15 TBq pour les radioéléments émetteurs a. Marcoule est également autorisé à rejeter d'importantes quantités de substances radioactives dans l'atmosphère. Là encore, les autorisations incluent les radioéléments émetteurs a. Ces radioéléments, les plutoniums sont extrêmement radio-toxiques s'ils sont inhalés" (Le REM, bulletin de la CRII-RAD, juin 92).
     La mise en marche de l'usine Melox ne permettra pas, au contraire, d'éviter une augmentation de la pollution radioactive de la vallée moyenne du Rhône et de son fleuve.
5. Les déchets du programme MOX, l'incertitude:
     Enfin et c'est le plus inquiétant, le MOX ne pourra être retraité qu'une ou deux fois. Les déchets de retraitement contiendront des transuraniens de très longue durée qui émettent des a plus énergétiques que ceux du Pu, tels que l'américium et le curium, dont on ne saura que faire. Or, des incertitudes demeurent sur les modèles de calcul et les données. Peut-on connaître la durée du relâchement de la quantité des actinides contenus dans les déchets et évaluer les conséquences radiologiques associées à différents scénarios possibles de stockage? L'ensemble de toutes les données devrait être pris en charge, dans le cadre de l'évaluation de sûreté, par les services d'études de l'Andra, notamment pour le stockage en formation géologique profonde.

III. Le MOX est-il rentable?
     On nous assure que l'utilisation du MOX au lieu de l'UO2 dans les réacteurs à eau pressurisée apportera un gain économique de l'ordre de 5%. En réalité la question n'a aucun sens sinon de répondre par une autre question: pour qui?
     En effet, d'après Maryse Arditi, docteur en Physique Nucléaire:
     "- Le coût du combustible élaboré ne pèse que 28% du prix du kWh nucléaire.
     - Une économie de 10% sur ce coût représente moins de 3% de gain sur le kWh nucléaire.
     - Mais comme il ne s'agit que de remplacer un tiers du combustible, et encore pas dans toutes les centrales, cela fait moins de 1% d'économie sur le coût du kWh nucléaire.
     - En réalité, tout le calcul n'a aucun sens car le résultat dépend essentiellement du coût attribué au plutonium. Or, il n'y a pas de marché du plutonium, il n'y a pas de prix de vente. Comme le plutonium résulte d'un traitement complexe de déchets, on peut attribuer la totalité du coût aux déchets ou au contraire au plutonium, il n'y a pas de coût de revient économiquement défini. Le prix du plutonium est un prix politique. Le calcul économique n'a plus de signification. Le rapport Rouvillois le dit avec élégance: "Il semble néanmoins que la rentabilité réelle de l'investissement ne soit pas clairement établie".

Conclusion:
     Rien ne justifie Melox et son MOX: ni l'économie, ni la sécurité, ni la gestion des déchets. Ses inconvénients sont sans commune mesure avec ses rares avantages. Aussi une association a-t-elle eu l'audace d'attaquer devant le Conseil d'Etat, l'arrêté signé en mai 1990 par le premier ministre et par un ministre écologiste créant Melox, il s'agit du Collectif National d'Information et d'Opposition à l'usine Melox.

Marc FAIVET
p.29

QUELQUES ÉLÉMENTS SUPPLÉMENTAIRES
A PROPOS DU MOX
     Lors de la signature, début 90, du décret autorisant la construction de l'usine "Melox", l'ensemble du traitement des rebuts et déchets a été présenté comme étant réalisé sur le site de Marcoule dans un bâtiment spécialisé.
     Depuis, pour des raisons diverses (coût du bâtiment, en particulier, coût autour de 700 millions de francs), la Société Melox S.A. a décidé de revoir le projet à la baisse. Ceci se traduit par:
     - incinération et conditionnement réalisés à Marcoule
     - traitement chimique réalisé dans des installations existantes à l'usine de La Hague.
     Ceci entraine par an (voir croquis):
     - 2 tonnes de rebuts (90% de matière nucléaire contaminée a) transportés de Marcoule à La Hague.
     Cette façon de traiter le problème est en contradiction avec le décret où il est stipulé la présence d'un bâtiment de traitement des rebuts et déchets avec des unités de chimie.
     Il faut donc intervenir pour dénoncer cet abandon et obtenir que l'autorisation administrative de transport de ces produits radioactifs de Marcoule à La Hague soit l'occasion de rouvrir ce dossier sur lequel tant d'impasses se sont révélées et vont encore se révéler.
p.30

Retraitement au plan mondial
Extrait Enerpresse 5467 décembre 1991
JAPON:
     Le Japon manque de combustible fossile et de minerai d'uranium. C'est pourquoi ils se tournent vers les réacteurs à neutrons rapides et, en attendant leur commercialisation, vers le recyclage du plutonium dans les REP.
     Le Japon retraite et retraitera le combustible dans:
     - une installation pilote développée par SON, filiale du CEA à Tokaï Mura. Cette unité a retraité 500 tonnes depuis 1977 (capacité annoncée 100 tonnes par an donc rendement 33%). Prévue à l'origine zéro rejet, de nombreux problèmes sont apparus, corrosion sur les dissolveurs et l'évaporateur et ont nécessité de nombreuses recherches en sciences des matériaux,
     - une installation de 800 tonnes annuelles en cours de construction à Rokkasho-Mura. Elle doit démarrer en 1999 et le Japon a fait appel au savoir-faire de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne.

FRANCE:
     La France manque de combustible fossile et a contre toute logique tout misé sur le nucléaire. Elle dispose de plusieurs sites:
     - La Hague avec UP3 dont la mise en service date de 1990,
     - UP1 située à Marcoule et destinée maintenant aux combustibles graphite-gaz après avoir été dévolue aux combustibles militaires,
     - UP2, encore encours de modernisation.
     La France ou plutot la Cogéma est le numéro 1 mondial du retraitement.

LE ROYAUME-UNI:
     Les Britanniques pratiquent une politique fondée sur un cycle fermé avec retraitement:
     - Sellafield ex Winscale, usine qui retraite du combustible Magnox, celui des réacteurs anglais,
     - Thorp sur le site Sellafied, destinée aux combustibles REP. Son démarrage est prévu en 1992 (mais sera retardé).

L'UNION SOVIETIQUE:
     N'existe plus mais:
     Le concept de cycle fermé avait été testé dès 1977:
     - dans l'Oural avec une installation retraitant les combustibles VVER 440. Cette usine a une capacité de 400 tonnes et était suffisante pour tous les VVER44O ex-soviétiques et autres;
     - à Krasnoiarsk: une usine située en Sibérie a été commencée. Elle devait faire 1.000 tonnes et était destinée aux VVER1000. On a juste mis en service une piscine!
     Les pays s'orientent vers le recyclage sous forme de MOX et les réacteurs rapides, disent-ils.

suite:
     En fait, c'est le point mort et surtout l'état délabré des réacteurs est plus préoccupant que le stockage des déchets. En l'état on pourrait s'orienter vers un non retraitement et entreposage des barreaux en l'attente de solutions.

CHINE:
     La Chine a commencé à construire une usine de retraitement dès les années 50. Cette usine démarrée en 1968 est d'une capacité de 400 kg. Elle utilise le procédé PUREX (généralisé partout). Une usine est en cours de construction: démarrage prévu en 1998, capacité de 400 tonnes.

INDE:
     Il y a 2 unités en fonctionnement et 1 en construction:
     - Trombay unité pilote datant de 1964;
     - Tarapur pour les combustibles oxydes des REP;
     - Kalpakln en construction pour les REP et les rapides.

Commentaire Gazette
     L'examen des programmes des différents pays est très révélateur d'une politique sous-jacente de programme militaire sauf pour le Japon. Le Japon, en effet n'a aucune source de combustible pas même de minerai d' où son choix. Trompé (enfin, sans grande résistance) par le grand enthousiasme français il est parti sur la voie des rapides tels Superphénix et il a donc besoin de retraitement.
     Les programmes chinois et indien sont par contre totalement militaires. En ce qui concerne la France, l'ex-Union Soviétique et le Royaume-Uni ils ont démarré militaire et se parent maintenant des couleurs du civil. Il est à noter aussi que les USA n'apparaissent pas. Ils ne font que du retraitement militaire (petite information complémentaire parue dans les Echos, ils enverraient des combustibles irradiés à la Hague: 100 tonnes provenant de Shoreham.).
     L'inconvénient est que cette façon de procéder a interdit une réflexion sut TOUT le cycle du nucléaire et nous a conduit sur une impasse pour les déchets et une impasse pour un développement d'énergies alternatives.
     L'analyse des programmes de retraitement mondiaux est donc très instructive. Il est à noter que c'est la France qui en fait un véritable marché. Cette politique qui considère le déchet nucléaire ou chimique comme une source de revenus a des revers pervers. Notre législation est trop passoire pour pouvoir se permettre un tel commerce.
     Il est juste temps que les citoyens récupèrent la maîtrise de leur environnement en intervenant a tous les niveaux pour forcer à la réglementation. Bon courage!

p.31

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