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N°96/97 

L'EFFET BIOLOGIQUE DES FAIBLES DOSES DE RAYONNEMENT
ET SON IMPORTANCEPOUR L'ÉTABLISSEMENT D'UN VÉRITABLE BILAN DE LA CATASTROPHE


     Il n'y a guère eu de polémique sur les effets aigus des très fortes doses de rayonnement. Par contre, les effets à long terme continuent à être sujet de controverse. Il est évident que c'est là que se détermine le véritable bilan de la catastrophe. Deux termes sont à prendre en compte: les doses reçues par les populations, le facteur de risque du rayonnement. C'est ce dernier qui caractérise l'effet biologique des faibles doses de rayonnement.

1. Les conceptions de la CIPR
     Dans sa publication 26 de 1977, la CIPR recommandait le modèle suivant:
     - absence de seuil en-dessous duquel il n'y aurait aucun effet: toute dose de rayonnement est nocive et comporte un risque cancérigène et génétique.
     - le nombre de cancers mortels radioinduits est directement proportionnel à la dose de rayonnement reçue par la population (dose collective).
     - le facteur de risque du rayonnement pour une dose collective de 1 million de personnes x rem (ou 10.000 personnes x sievert) est: 125 cancers mortels, 42 maladies génétiques graves dans les deux générations suivantes.
     La CIPR pondérait ces recommandations en déclarant que ces hypothèses surestimaient probablement l'effet biologique réel. Cela laissait un certain flou qui permettait éventuellement de ne pas appliquer les règles que la Commission désirait recommander.

2. Les fondements de ces principes
     Les estimations de la CIPR étaient faites à partir de la mortalité observée entre 1950 et les années 70 chez les survivants des bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki. Elles présupposaient qu'à ce moment la totalité des cancers radioinduits s'était exprimée et que la population des survivants était revenue à une situation normale.
     En réalité, depuis les années 70, l'excès des cancers (hormis la leucémie) a continué à croître et on ne voit pas encore maintenant une amorce de décroissance (sauf pour la thyroïde). Ainsi le dernier bilan effectué récemment par la fondation américano-japonaise (RERF) chargée de cette étude donne un facteur de risque 14 fois supérieur à celui établi dans les années 70. De plus, la forme des courbes représentant les excès de cancer en fonction des doses reçues ne laisse plus aucun doute sur l'absence de seuil. Cependant, la CIPR dans sa dernière session plénière en 1987 à Côme a refusé de tenir compte de ces résultats pour réviser ses recommandations. Elle estime que «les données sur le risque sont loin d'être concluantes» et remet à plus tard le réexamen de ses concepts.  

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     Le bilan de la catastrophe de Tchernobyl met bien en évidence l'enjeu qui se cache derrière le facteur de risque des faibles doses de rayonnement.

3. Tentative de bilan
     En dehors des 30 morts à court terme, on pourrait présenter le bilan de la façon suivante:
-----------------------------------------------------------------------------
                         Dose moyenne  Cancers mortels dans les 70 ans
Population              engagée
                               (rem)                CIPR 26      RERF 87
-----------------------------------------------------------------------------
135.000 évacués        11,9*                  200              2.800

Ukraine et
Biélorussie                  3,3**              40.000         560.000
(75 millions)

     * Cette dose correspond au seul rayonnement externe. En toute rigueur, il faudrait y ajouter les 3,3 rem, dose engagée (essentiellement par contamination interne) puisque les gens évacués se trouvent en Ukraine ou en Biélorussie. Si l'on tient compte qu'ils ont été certainement assez fortement contaminés avant d'être évacués, on peut avancer pour eux une dose d'environ 20 rem. Cela donne pour les deux hypothèses retenues 340 et 4.700 morts par cancers radioinduits.
     ** Compte tenu des informations relatives aux difficultés de gestion de la crise, on peut raisonnablement supposer que cette dose est très fortement sous-estimée.
     Il y a encore deux autres composantes dans le bilan:
     - les cancers chez les grands irradiés qui ont survécu aux 
effets aigus à court terme,
     - les cancers radioinduits chez ceux qui ont participé et qui continuent à participer au «nettoyage» du site.
     Selon une source estonienne qui recoupe assez bien les témoignages des français qui ont visité le site de Tchernobyl, il pourrait y avoir 250.000 personnes concernées. En leur affectant une dose individuelle de 5 rem (norme de radioprotection généralement admise), cela conduit avec les deux hypothèses retenues à 160 et 2.200 cancers mortels. Les Soviétiques ne donnent guère d'information sur les doses effectivement reçues par ce personnel. Compte tenu des conditions de travail pour la décontamination du site et du coût élevé de ce personnel, une dose de 5 rem sous-estime très fortement les doses réelles.
     A ce bilan des cancers, il faudrait ajouter les effets génétiques sur les générations futures. Les données ne sont pas suffisamment fiables pour qu'on puisse avancer un bilan quantitatif. Mais cet effet est certainement loin d'être négligeable.

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4. Les effet sur la morbidité
     La CIPR ne tient compte que de la mortalité pour estimer le détriment causé par le rayonnement. Mais le rayonnement a des effets sur la santé, pouvant modifier assez profondément l'état de santé des individus. Il y a très peu de données statistiques sur ces effets. Le suivi des survivants japonais ne permet pas d'apprécier l'importance de ces effets car cette étude a démarré 5 ans après les irradiations (en 1950) alors que la population des deux villes bombardées sortait d'une période de sinistre pendant laquelle la mortalité avait été très forte.
     Les officiels soviétiques appuyés par les «responsables» occidentaux ont tendance à attribuer toute anomalie observée sur l'état de santé de la population à des causes autres que l'effet direct du rayonnement, la plus fréquente étant la somatisation de la radiophobie de la population.

5. L'effet sur les foetus
     La contamination des foetus in utero est aussi à prendre en compte pour le bilan complet de la catastrophe car ce sont des individus à haut risque. La CIPR, dans sa déclaration de 1987, fait mention d'un effet sans seuil de retard mental sévère chez les enfants qui ont été irradiés in utero. Des retards moteurs et d'autres anomalies devraient aussi se produire.
     Les autorités sanitaires soviétiques ne mentionnent aucune anomalie de ce type chez les enfants, ce qui n'est guère crédible.
     Signalons la convergence de diverses études corrélant cancers des enfants et leur irradiation in utero.

Conclusion
     Le bilan réel est finalement très lourd et les 30 morts identifiés bien que spectaculaires ne sont guère représentatifs de l'ampleur de la catastrophe. Cela n'empêcha pas M. Rosen, directeur de la sûreté nucléaire de l'AIEA, de déclarer à la Conférence de Vienne en août 1986 «Même s'il y avait un accident de ce type tous les ans, je considèrerais le nucléaire comme une source d'énergie intéressante» (propos rapportés par Le Monde du 28 août 1986). Il est vrai que l'AIEA a été créée pour développer dans le monde l'énergie nucléaire, ses responsables se considèrent donc comme des agents de promotion de cette industrie.


LES PROBLÈMES SANITAIRES

     Les informations dont nous disposons actuellement proviennent de deux sources:
     - Pour l'Ukraine, le reportage d'un journaliste, V. Kolinko, paru dans les Nouvelles de Moscou du 19 février 1989, «L'écho de Tchernobyl», et publié en version française sous le titre «Les Séquelles» et les commentaires qu'il a suscités parmi les officiels. L'article de Kolinko donne des indications sur l'incidence des maladies (la morbidité), l'état sanitaire en général à partir de témoignages recueillis auprès de la population.

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     - Pour la Biélorussie, des informations provenant de sources officielles et qui sont contradictoires entre les responsables politique locaux et les autorités de la République ou de Moscou.

I. La situation en Ukraine, dans la région de Jitomir, d'après les Nouvelles de Moscou
     Les autorites sovietiques, après la parution du reportage de Kolinko, ont convoqué d'urgence des scientifiques à une table ronde à Kiev et ont vigoureusement contre-attaqué.
     Tout d'abord dans la presse ukrainienne : Nucleonics Week du 16 mars 1989 analyse la Pravda d'Ukraine du 1er mars où il est affirmé que le district de Naroditchi n'est pas particulièrement dangereux; les statistiques officielles tant sur les personnes que sur les animaux ne montrent pas de dégradation depuis 1986. Les officiels dénient bien sûr toute valeur scientifique à ce reportage «il ne faut pas accorder de crédit à ce que racontent une infirmière, un éleveur de porcs et un ancien secrétaire du parti alors que nos experts comprennent le directeur de l'institut agro-radiologique d'Obninsk et le directeur de l'institut de médecine radiologique».
     D'après le bulletin de la BBC du 8 mars 1989, le ministre de la Santé d'Ukraine aurait indiqué le 7 mars à la station de radio de Kiev que le nombre d'avortements et des maladies chez les enfants aurait augmenté depuis Tchernobyl. Par contre, il aurait affirmé qu'aucune augmentation du nombre de cancers n'aurait été détectée ni de maladies qui pourraient être liées à de forts niveaux de rayonnement. Il a indiqué que des contrôles sévères de la nourriture seront maintenus et qu'une carte de la contamination concernant la région de Kiev serait publiée prochainement.
     Nous allons passer en reyue un certain nombre d'arguments avancés par les spécialistes, d'après Nucleonics Week.

1) Contamination en Cs 137 et débit de dose
     «Le district de Naroditchi n'est pas particulièrement dangereux». D'après les cartes publiées par la Pravda du 20 mars 1989, on voit près de Naroditchi une zone en forme de croissant où l'activité surfacique en Cs 137 dépasse 40 Ci/km2 (1,48 millions Bq/m2). Il est donc plausible de trouver des endroits contaminés à 80 Ci/km2. Nous montrons en annexe qu'une telle contamination conduit à un débit de dose de 1,4 mR/h voisin de ce qu'a observé le journaliste!
2) Les malformations à la naissance chez les animaux
     L'agro-radiologue Lochilov conteste le nombre de malformations relevées sur les animaux. D'après la commission qui a enquêté dans le kolkhoze près de Naroditchi, il n'y aurait «que» 8 veaux nés avec des malformations et non 62. D'ailleurs, ajoute Lochilov, «une ferme expérimentale a été installée à Vladimir où 700 animaux amenés de Pripyat (la ville la plus proche du réacteur de Tchernobyl) ont été nourris avec de la nourriture très contaminée et aucun animal né depuis ne présente de malformation». Or cette information ne prouve rien par rapport à ce qui a été observé dans le kolkhoze. 

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En effet, il est bien précisé que la nourriture des animaux de la ferme expérimentale était très contaminée, peut-être davantage que celle du kolkhoze. L'action des radioéléments peut avoir induit une irradiation plus importante des foetus conduisant par avortements spontanés à l'élimination des foetus trop malformés non viables. Dans ce cas précis, il importe de connaître le taux de fécondité du bétail avant et après exposition aux radiations, information qui n'est pas donnée par les officiels. On peut par contre supposer que si en plus des malformations le nombre de mises-bas avait été notablement modifié, les kolkhoziens l'auraient signalé vu le manque à gagner.

3) L'état sanitaire des enfants. Les affections de la thyroïde
     D'après le radiologiste Bebeshko, l'augmentation des affections de la thyroïde chez les enfants est liée au fait qu'avant l'accident, la surveillance médicale effectuée par les pédiatres était médiocre alors que maintenant elle est effectuée par les spécialistes de médecine radiologique. «Les maladies de la thyroïde, à Naroditchi, n 'excèdent pas la moyenne nationale». Aucune indication n'est fournie sur les doses à la thyroïde. Relevons qu'on a des renseignements vagues sur l'Ukraine par l'intermédiaire du journal biélorusse Sovietskaya Biélorussia du 14 mars 1989. Dans son interview, le Pr Iline dit en effet «En ce qui concerne l'iode, le coup principal a été porté à l'Ukraine tandis que pour la Biélorussie et la Russie, d'après nos données, la moyenne des doses supplémentaires à la thyroïde serait de 30 rem» (mais il n'y a pas de distinction entre la dose moyenne des enfants et celle des adultes). «Quelles conséquences cela peut avoir ? De légères déviations par rapport à la normale sont possibles par exemple l'hypertrophie de la thyroïde. Les services de santé de la République et les autres organismes doivent aider les médecins à diagnostiquer ces modifications. Les districts doivent avoir des appareils de la firme Toshiba que notre industrie ne produit pas encore. Pour le moment, nous avons avec beaucoup de peine obtenu 20 de ces appareils, mais évidemment cela ne suffit pas».
     Il est intéressant d'apprendre ainsi que l'équipement médical est insuffisant, et que les pédiatres sont médiocres. Si les doses moyennes à la thyroïde sont supérieures à 30 rem en Ukraine, celles des enfants dans certains districts peuvent être de beaucoup plus élevées ce qui crédibilise l'article des Nouvelles de Moscou indiquant une augmentation des affections de la thyroïde.
     Les Nouvelles de Moscou du 28 mai 1989 nous apprennent que trois villages de plus vont être évacués dans le district de Naroditchi «et que cette mesure était à l'étude en ce qui concerne plusieurs autres villages. Il s'agit d'évacuer quelque trois milliers de personnes. Parce qu'il n'existe aucun danger ?»
     Nous avons à plusieurs reprises attiré l'attention dans la Gazette sur la nécessité de contrôler la fécondité et les malformations néonatales des animaux comme indicateurs de contamination par l'iode 131 car il y a plus de mises bas que de naissances humaines dans les régions rurales.
     Ce qui est rapporté par les Nouvelles de Moscou tant sur les malformations animales que sur les affections thyroïdiennes des enfants est très préoccupant car c'est le signe que la contamination par l'iode 131 a été beaucoup plus élevée qu'il n 'est dit et que les mesures de prévention par la distribution d'iode stable n'ont certainement pas été effectuées. 

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Il faut donc s'attendre à ce que des retards de développement mental et physique apparaissent chez les enfants qui ont été contaminés in utero; les tests de dépistage d'hypothyroïde à la naissance n'ont certainement pas été faits.

4) L'augmentation des cancers
     Rapportons ici une anecdote relative au Pr Pellerin. Dans la Pravda du 11 février 1989, les Soviétiques utilisent une unité intitulée «ber». Nous avons voulu savoir si le «ber» correspondait au «rem» utilisé en Occident; nous avons donc cherché à joindre le conseiller scientifique de l'ambassade soviétique à Paris. Nous ignorons en fin de compte qui nous avons eu au bout du fil le 14 mars dernier, mais l'échange a été le suivant:
     - «Je suis B... du Groupement de Scienfifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire. J'ai lu récemment deux articles au sujet de Tchernobyl dans les Nouvelles de Moscou et la Pravda. Il y est question d'une unité, le ber. J'aimerais savoir si ce mot est une abréviation et si c'est la même chose que le rem».
     - «Pour les cancers, j 'ai parlé à Monsieur Pellerin et il dit que c'est pas vrai».
     - «Mais ce n'est pas ce que je vous demande !»
     Alors notre Pellerin, non content de sévir en France et de siéger dans les instances européennes et internationales (comme l'UNSCEAR et l'OMS), se mêle également des affaires des autres pays et règlemente par un oukaze, «ce n'est pas vrai», les observations qui peuvent être faites après Tchernobyl. Ceci est très grave. En effet, il est important de recueillir sans a priori les informations sanitaires concernant les populations vivant sur des territoires contaminés, car on ne connait pratiquement rien sur les effets liés à la contamination interne dans le domaine des doses impliquées en Biélorussie et en Ukraine. Les données d'Hiroshima et Nagasaki sont relatives au rayonnement externe, pas à la contamination interne. Les seules données accessibles actuellement concernent essentiellement les retombées des tests de bombes dans l'atmosphère (iles Marshall, Nevada) et quelques études sur les travailleurs du nucléaire pour la contamination par le plutonium, par le radon et l'uranium pour les mineurs.
     Aucune donnée sur l'impact sanitaire n'a été fournie après la catastrophe de Kychtym dans l'Oural en 1957-1958. On ignore même si ces données ont été systématiquement recueillies. Il serait inadmissible qu'il en soit de même après Tchernobyl. Il faut au moins collecter les observations, c'est la base de la médecine expérimentale. De ce point de vue, l'attitude de M. Pellerin est complètement incantatoire et irrationnelle.
     Revenons en Ukraine et à Nucleonics Week. Contrairement à ce qu'affirme M. Pellerin, l'épidémiologiste Prisyaznik du Centre National de médecine radiologique confirme qu'il y a effectivement dans la région de Naroditchi une augmentation des cancers de la bouche mais il l'attribue à la diminution de qualité des soins dentaires sans donner les raisons de cette situation. D'après lui, des caries non soignées peuvent provoquer des cancers de la cavité buccale. Aucune donnée n'est fournie sur l'incidence «naturelle» de ce type de cancer dans la région, avant Tchernobyl. 

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En général, on considère que l'incidence de ce cancer est favorisée entre autres par le tabac, l'alcool, la syphylis. C'est la première fois que nous voyons mentionnée une corrélation entre dents cariées et cancers de la bouche. Selon le spécialiste que nous avons consulté, les ulcérations de la bouche et de la langue peuvent dans certains cas devenir cancéreuses mais des caries mal soignées ne causent pas de cancers.
     Il est difficile de penser que ces cancers sont radio-induits à la lumière du suivi des survivants japonais des bombes A à l'exception des leucémies (qui sont apparues dans les 2 ans qui ont suivi les explosions), les autres cancers sont réputés avoir des temps de latence très longs, de 10-20 ans et plus. Remarquons cependant que le suivi des survivants japonais n' a commencé qu'en 1950; on ne peut exclure l'hypothèse que des cancers peu fréquents naturellement au Japon et à temps de latence court aient été mortels avant 1950, échappant de fait à l'étude épidémiologique.
     Il a été suggéré que ces cancers de la bouche pourraient étre induits par irradiation a due au plutonium ingéré. Certains villages du district de Naroditchi sont en bordure de la zone évacuée en rnai 1986 qui est fortement contaminée en plutonium (et en Strontium). Or on sait que des cancers de la bouche ont été corrélés à l'irradiation a et b provenant de l'uranium rajouté aux porcelaines dentaires (Nucleonics Week, 29 avril 1976, Science et Vie, juillet 1984). Dans ce cas, il s'agit d'irradiation chronique, mais nous n'avons pas d'indications concernant le temps de latence de ce type de cancer.
     L'hypothèse la plus vraisemblable est que, si la fréquence naturelle de ce cancer est relativement importante dans la région - information qui ne nous est pas connue - l'irradiation post-Tchernobyl, externe et interne, peut avoir joué le rôle de promoteur d'un cancer induit antérieurement dont l'expression serait ainsi accélérée.
     Selon les Izvestia du 4 mers. 1989, l'accroissement des cancers observé dans le district de Naroditchi serait lié au vieillissement de la population et le dépistage des personnes âgées serait effectué aujourd'hui contrairement à ce qui se passait avant l'accident.
     Il est donc indéniable qu'il y a un accroissement des cancers dans le district de Naroditchi. Aucune des explications officiellement avancées n'est convaincante et pour le moment il n'y a pas d'étude quantitative rendue publique montrant des corrélations statistiques entre l'accroissement des cancers et les causes avancées et l'absence de corrélation avec les niveaux de contamination.
LES SÉQUELLES
La campagne ukrainienne subit encore
les conséquences de l'accident de Tchernobyl

     Fin avril 1986, les «états-majors» des commissions qui venaient d'être déployées fourmillaient de monde. Chercheurs, ingénieurs et administrateurs arrivés à Tchernobyl et à Pripiat ne disposaient pas encore d'information suffisante sur l'accident. On voyait encore un halo rouge et de la fumée au-dessus du réacteur détruit, et les caries radiométriques de la région contaminée n'avaient pas encore été établies, mais les spécialistes menaient déjà des discussions interminables et tentaient d'évaluer la situation. Dans ce remue-ménage j'ai entendu bien des choses qui n'étaient pas destinées à mes oreilles de journaliste.

     Ensuite, l'information fut de plus en plus minutieusement passée au crible. J'ai pourtant retenu beaucoup de choses dont certaines ne me sont devenues claires que ces derniers temps. Par exemple, l'exactitude de certaines évaluations faites au début.

LES «PURS» ET LES «IMPURS»

     Le district de Naroditchi de la région de Jitomir ne faisait pas partie de la zone d'évacuation: ses villages les plus proches sont situés à 50 km de la centrale de Tchernobyl, et les plus éloignés à 90 km. Mais le 26 avril 1986, il soufflait un vent d'est qui apporta un nuage radioactif. A l'heure actuelle, dans ce district il y a des endroits où la radiation enregistrée à la surface du sol dépasse 80 curies par km2.

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     L'automne dernier, après avoir vérifié à l'aide d'un dosimètre l'enclos de la kolkhozienne Pavlina Stroutskaïa je n'y ai pas trouvé un coin où le niveau de radiation gamma fut inférieur à 0.2 mR/h. Devant la porte où la maîtresse de maison était en train de discuter avec ses voisines, elle était supérieure à 2 mR. Rappelons pour avoir un point de repère, que le fond naturel de radiation à Kiev est de 0,014 mR/h.
     Néanmoins, Anatoli Melnik, premier secrétaire du comité du parti du district de Naroditchi, obligé de devenir spécialiste de 
«radiologie appliquée», estime que le danger principal actuellement ce n'est pas la radiation, mais la contamination de l'organisme par des radionucléides contenus dans des denrées alimentaires. On continue d'amener dans les villages les plus contaminés les produits laitiers et de boucherie d'autres régions, et chaque habitant bénéficie d'une dotation - un rouble par jour - pour en acheter. Cependant, ce n'est qu'une solution partielle, car les produits purs sont manifestement en quantité insuffisante. Malgré les mises en garde des médecins, beaucoup boivent le lait de vaches locales et continuent de récolter les légumes et les fruits cultivés sur leurs lopins de terre.
     - C'est un bureaucrate dont le bureau se trouve loin de ces terres qui a dû inventer la division des villages en «purs» et «impurs», m'a dit avec amertume le secrétaire du comité de district du parti. La poussière radioactive est balayée d'un lieu vers un autre par le vent, charriée par les cours d'eau aprés la pluie, répandue par le bétail et les moyens de transports.
     Léonid Iline, vice-président de l'Académie de médecine de l'URSS, a plusieurs fois déclaré après l'accident de Tchernobyl que les doses relativement petites d'irradiation sont absolument anodines. Mais avant l'accident, on a vu paraître sous sa rédaction un ouvrage où l'on peut lire «Même les doses relativement petites d'irradiation perturbent le fonctionnement de réflexes conditionnés, modifient l'activité bio-électrique de l'écorce cérébrale et provoquent des altérations biochimiques et métaboliques au niveau moléculaire et cellulaire». L'optimisme actuel de l'académicien ne persuade pas tout le monde.

UN TROUPEAU ANORMAL

     A la ferme du kolkhoze Petrovski, on m'a montré un porcelet dont la tête ressemblait à celle d'une grenouille: à la place des yeux il avait des excroissances tissulaires où l'on ne distinguait ni cornée ni pupille.
     - C'est un de nos nombreux monstres - m'a expliqué Piotr Koudine, vétérinaire du kolkhoze. Ordinairement, ils meurent sitôt venus au monde, mais celui-là vit encore.
     La ferme est petite: 350 vaches et 87 porcs. En cinq ans avant l'accident nucléaire, on n'y a enregistré que trois cas de monstruosité parmi les porcelets et pas un parmi les veaux. En un an aprés l'accident, il y a eu 64 monstres: 37 porcelets et 27 veaux. Dans les neuf premiers mois de 1988: 41 porcelets et 35 veaux. Ces derniers naissent le plus souvent sans tête ni extrémités, sans yeux ou côtes. Les porcelets sont exophtalmiques, ont le crâne déformé, etc.
     - Et que disent les savants ? A Kiev, on a créé un institut spécial de radiologie agricole.
     - Ils n'ont pas manifesté un intérêt particulier pour notre ferme - m'a répondu Piotr Koudine. - Ils ont examiné plusieurs cadavres de nouveau-nés monstrueux et déclaré que ce phénoméne pouvait être provoqué par des centaines de causes n'ayant rien à voir avec la radiation. Je suis vétérinaire, donc je le sais moi aussi, mais les statistiques de la monstruosité m'obligent à distinguer une cause bien déterminée. Car les fourrages sont produits par des champs contaminés par les radionucléides. Et puis, les responsables du stockage refusent notre bétail car les doses de radiations qu'il a reçues sont supérieures à la norme.

ET NOUS PAYONS AUJOURD'HUI

     La porchère ayant sorti le porcelet monstre pour que je puisse le photographier, m'a dit, les larmes aux yeux:
     - Ma fille vient de se marier. Comment sera mon petit-fils ?
     Je n'ai pas su comment la rassurer.
 

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     L'ouvrage cité plus haut (paru avant l'accident) contient les données obtenues par les radiologues réputés A. Gouskova, A. Moïsséév et L. Sokolina: la dose cumulée de 4,4 microcuries de césium 137 ou 0,4 micro-curie de strontium 90 peut provoquer des changements considérables dans l'organisme humain. Une telle irradiation nécessite un traitement.
     Voici les statistiques des services médicaux du district de Naroditchi: 35 % de sa population ont reçu une dose de 1 à 2 microcuries de césium 137, plus de 4% de 3 à 5 microcuries, et presque 4% de 5 à 10 microcuries. Plus de la moitié des enfants dans ce district souffrent d'affection de la glande thyroïde, dont beaucoup l'ont au deuxième ou troisième degré.
     Les responsables de la santé publique de la république affirment qu'au-delà de 30 km autour de la centrale nucléaire il n'y a aucun danger pour la santé des hommes, mais ils ne donnent aucune information à ceux qui viennent à Kiev pour se faire examiner. Les femmes s'inquiètent: s'il n'y a pas de danger, pourquoi nous déconseille-ton d'avoir des enfants ?
     - Nos médecins - m'a déclaré Anatoli Melnik, - notent l'aggravation de maladies chroniques parmi la population, ainsi que la convalescence difficile des personnes ayant subi des interventions chirurgicales. On a vu doubler la moyenne annuelle de maladies cancéreuses et notamment le nombre de cancers de lèvre et de la cavité buccale.
     Les conditions dans lesquelles nous habitons sont-elles normales ou non ? Si elles sont anormales, il faut des mesures de grande envergure, car ce qui se fait est insuffisant.
     Il faut asphalter toutes les routes et toutes les aires utilisées pour les travaux agricoles. Pour le moment, on n'a pas fait même un quart de ce travail. On installe trop lentement le réseau de gaz dans les localités dont la population se sert encore principalement de poêles à bois. On s'est contenté de recommander à la population de laver les bûches avant de les utiliser et de ne pas utiliser leurs cendres comme engrais.
     Il existe une multitude d'autres problèmes que le district est incapable de résoudre lui-même. Pourquoi, par exemple, les paysans ayant subi des pertes énormes par la faute des énergéticiens sont-ils obligés de dépenser leur argent pour acheter des tracteurs à cabines hermétiques ? De telles cabines coûtent 1.400 roubles et il en faut des centaines.
     Les autorités locales ne peuvent pas légitimer un congé allongé pour les habitants du district, bien que la pratique prouve qu'un mois et demi ou deux mois passés en dehors de la région contaminée permettent d'éliminer très efficacement de l'organisme le césium 137.
     On parle beaucoup de l'Etat de droit qu'on est censé construire, mals pourquoi les habitants du district de Naroditchi sont-ils voués au rôle humiliant de quémandeurs, alors qu'ils devraient avoir le droit d'exiger une compensation complète de leurs pertes des administrations qui en sont responsables, sans parler de leur droit d'avoir une information exhaustive sur la santé de la population et sur l'état des terres ?
Viadimir KOLINKO
     Lorsque cet article était en voie de préparation, à Moscou a eu lieu une projection d'un documentaire de 20 minutes «Micro !» tourné par Guéorgui Chkliarevski, réalisateur de Kiev. L'équipe a travaillé dans le district de Naroditchi de la région de Jitomir, celui-là même dont parle Vladimir Kolinko. Tout ce qu'il rapporte et bien d'autres choses encore a été filmé en septembre-novembre 1988.
     Ce documentaire fort impressionnant s'est heurté à des difficultés du fait de la censure car, selon les dispositions en vigueur, toute oeuvre sur Tchernobyl doit être examinée par une commission d'experts sous l'égide du Comité d'Etat de l'URSS pour l'utilisation de l'énergie atomique composée de représentants de différents ministères et comités d'Etat. 
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Le ministère de la Santé publique a émis une condition: supprimer dans le film l'interview des médecins. Le Comité d'Etat pour la météorologie a demandé de couper les séquences où figurait un dosimétriste travaillant sur le terrain. «Cela ne se répercutera pas sur la valeur artistique de votre film». C'est de cette manière qu'on a essayé de calmer les auteurs du film.
     La projection du film a été pourtant autorisée, fin janvier. Le documentaire «Micro !» fera sûrement beaucoup réfléchir de nouveau aux conséquences de l'accident de Tchernobyl.
Nouvelles de Moscou du 19 février 1989
(Edition française)
II. La situation en Biélorussie
(D'après Biélorussie Soviétique du 9 février 1989 et du 14 mars 1989 et la Pravda du Il février 1989)

1) Des chiffres flous...
     Selon V.N. Bouriak, médecin-chef sanitaire de Biélorussie, «c'est plus de 520.000 habitants de la République de Biélorussue qui ont subi à des degrés divers la contamination par les radionucléides». Or, par la suite, il fait mention des 103.000 personnes habitant dans les zones à contrôle permanent. D'autres mentionneront les 206.600 personnes habitant les zones à contrôle périodique. Il manque 210.000 personnes dans les décomptes...
     A propos des critères qui régissent les zones à contrôle 
permanent («strict») et de la résidence sans danger en un lieu, il dit : «Ces critères sont au nombre de deux:
     - la contamination du sol
     - la limite de dose annuelle d'irradiation.
     Rappelons que pour le Cs 137 qui est le radionucléide le plus répandu dans la République, c'est 15 Ci/km2 et 10 rem la première année après l'accident, 3 rem la deuxième année, 2,5 rem la troisième et 2,5rem la quatrième».
     «Les efforts communs de tous ceux qui ont participé à la liquidation des conséquences de l'accident se sont montrés assez efficaces. Personne parmi les gens évacués n'a reçu la dose limite de 75 rem [limite supérieure de dose externe dans les contre-mesures d'évacuation, d'après Iline et Pavlovski]. Les doses d'irradiation à la thyroïde ont aussi été de 5 à 20 fois inférieures à ce qu'on prévoyait [la dose thyroïde pour l'évacuation obligatoire avait été fixée à 250 rem].
     La dose totale reçue par les habitants des zones sous contrôle durant les années 86-88 a été de 9 rem et 3,3 rem sur les autres parties du territoire avec une dose admissible [pour ces trois années] de 15,5 rem».
     L'exégèse est délicate: les 9 rem «des habitants des zones sous contrôle» concernent-ils les 309.000 personnes et les 3,3 rem le reste des Biélorusses, ce qui fait 9 millions de personnes ? La dose collective serait alors très élevée !
     Le Président du Conseil de Biélorussie rectifie dans la Pravda du 11 février 1989 : [après l'accident] «l'activité des services de santé a commencé dès le premier jour. Toute la population qui devait être sous observation a été comptabilisée. Il s'agit de 171.000 personnes. Pour généraliser les résultats et élaborer les règlementations, on a créé une banque de données médico-biologiques intitulée «registre» qui inclut les données sur toute la population, y compris 37.400 enfants. Les études ont démontré que personne, parmi les évacués, n'avait reçu de dose de rayonnement supérieure aux normes permises. La dose totale d'irradiation des habitants de la zone sous contrôle permanent s'élève au bout de deux ans à 9 rem en moyenne tandis que pour les territoires de la zone sous contrôle périodique, elle s'élève à moins de 3,3 rem. On considère que la limite admissible de la dose d'irradiation post-accidentelle pour cette période est de 15,5 rem».

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     La dose moyenne de 309.600 personnes sous contrôle serait alors de 5,2 rem.
     Remarquons que Y. Izraël, dans son rapport de mise au point sur la situation radiologique (Pravda, 20 mars 1989), indique quasiment la même dose moyenne, 5,3 rem pour cette même période mais la «majorité de la population» à laquelle elle s'applique n'est pas précisée... Quelques colonnes plus loin, lorsqu'il donne la superficie des territoires contaminés à 15 Ci/km2 et plus à la fois pour l'Ukraine, la Biélorussie, et la Russie, il indique que 230.000 personnes y vivent. Il s'agit là de zones à contrôle permanent pour ces trois républiques.
     Il est dit que la population des zones à contrôle permanent est soumise à une surveillance médicale spéciale. Nulle part ne sont précisés la nature des examens pratiqués ni bien sûr leurs résultats.

2) Augmentation de mortalité dans les régions sinistrées ?
     Réponse négative du Président du Conseil de Biélorussie «D'après les conclusions des spécialistes, la structure générale des maladies n 'a pas changé en 1988 pour la population des régions de Gomel et de Moghilev. Le niveau de mortalité infantile durant les trois dernières années a une tendance nette à diminuer aussi bien dans les régions de Gomel et Moghilev que dans les 14 districts sous surveillance. L'accroissement de maladies par tumeurs malignes à Gomel et Moghilev ne diffère pas pour la période 1986-1988 de la croissance observée sur plusieurs années».
     Iline, quant à lui, donne des chiffres de mortalité par cancer avant Tchernobyl, de 1978 à 1982, mais pas après !
     dans la région de Gomel 13,4%
     dans la région de Moghilev 15,9 %
     la moyenne pour la Biélorussie étant de 16,6 % (Biélorussie Soviétique du 14 mars 1989). Les calculs qu'il a effectués conduiraient dans ces régions à une augmentation des cancers dus au rayonnement dans les 70 ans à venir de 0,5 à 1,5% et serait impossible à détecter.

3) Tout va bien, mais...
     Il nous paraît important de donner une vision plus concrète de la réalité au travers des préoccupations des responsables locaux par rapport aux réponses des experts.

a) L'immunologie, l'hématologie infantile, l'endocrinologie
     Lors de la réunion publique de Minsk du 2 février 1989, la question suivante a été posée «Dans la région de Khoïniki, le nombre de malades a brusquement augmenté. Le service des maladies respiratoires de l'hôpital a été agrandi de cinq fois et il n'y a toujours pas suffisamment de place».
     Dans sa réponse, le Dr Bouriak indique que cette augmentation du nombre de maladies respiratoires a été dûe à une épidémie de grippe et paradoxalement à une amélioration du travail des médecins et de la surveillance médicale de la population. [Rappelons cependant que l'inhalation de radionucléides peut entraîner des dommages aux poumons (La CIPR 40 en tient compte dans l'établissement des contre-mesures)]. 

suite:
Plus loin, il déclare «je ne veux tromper personne et dire que nous n'avons pas de raisons de nous inquiéter. Les dernières études scientifiques ont montré qu'il y avait des troubles de santé parmi certains groupes de la population. Heureusement, ces troubles ne sont pas suffisamment importants pour ne pas être compensés et provoquer des maladies sérieuses. Des études approfondies se poursuivent dans cette région et des branches de la médecine - l'hématologie infantile et l'endocrinologie - sont rapidement développés dans notre République».
     C'est bien reconnaître qu'il y a des problèmes sanguins chez certains enfants, de même que des problèmes vraisemblablement thyroïdiens (comme en Ukraine).
     Un mois plus tard, réunion avec les experts de Moscou. Leonov, 1er secrétaire du comité du PC de Moghilev, s'inquiète: «Selon le ministère de la santé de Biélorussie, ces temps derniers l'état de santé des enfants s'est dégradé en comparant les régions «propres» et les régions polluées. La statistique des maladies montre une augmentation et l'immunité est amoindrie».
     Au contraire, pour le Pr Piniguine, chef du Département de l'Institut d'immunologie du Ministère de la Santé d'URSS, tout va bien du côté de l'immunologie. Les données concernant les enfants du district de Moghilev ont été analysées pour les maladies infectieuses et il n'y a pas de détérioration si on compare les données de 1984-85 et celles de 1987-1988 en particulier pour les pneumonies graves. On note même une tendance à la baisse de la tuberculose et de certaines maladies infectieuses.
     Cependant, les chiffres fournis présentent une lacune de taille car il n'y a aucune indication sur l'âge des enfants étudiés. Il est évidemment important de séparer les nourrissons et les très jeunes enfants des autres classes d'âge.
     La conclusion du Pr Piniguine est importante: «Notre Commission a constaté qu'il n'y avait pas de troubles du système immunitaire chez les enfants de ces régions [de Moghilev et Gomel] mais il faut une observation constante. Nous proposons d'ouvrir à Gomel et Moghilev des laboratoires d'immunologie clinique pour avoir les moyens d'observer en permanence l'état immunitaire non seulement chez les enfants mais aussi chez les adultes».

b) Le manque d'équipement sanitaire, de cadres médicaux
     Dans les régions contaminées, un certain nombre de
médecins sont partis. Le Dr Bouriak le reconnaît puisqu'il dit qu'au début de cette année dans tous les districts à l'exception de Krasnopol et Vietkov les effectifs du personnel hospitalier ont été rétablis et que certains médecins qui avaient quitté les zones contaminées en 1986 reviennent aujourd'hui dans les hôpitaux. Un gros effort est fait dans la formation de cadres médicaux de dentistes, de médecins radiologistes, de médecins scolaires.
     Cependant, le Dr Bouriak a clairement indiqué que les régions de Gomel et Moghilev sont insuffisamment pourvues de cadres médicaux. Elles manquent également de médicaments et de matériel médical. 

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Selon lui, les capitaux affectés par la République à ces problèmes sont notoirement insuffisants.

En conclusion

     On peut espérer qu'effectivement il n'a pas été observé de maladies non stochastiques induites par le rayonnement. Néanmoins, on aimerait avoir des renseignements sur d'éventuelles modifications de formule sanguine (anémie, leucopénie) également sur les aberrations chromosomiques, Iline indique que c'est un bon critère de mesure de dose (pour le rayonnement externe; qu'en est-il de la contamination interne ?) et sur les problèmes thyroïdiens chez les enfants.
     Rappelons d'autre part le «gommage» effectué par l'utilisation de dose moyennées sur une région qui font ignorer à la population de certains districts l'ampleur des retombées et leurs conséquences.
     Pour conclure sur la situation en Biélorussie, citons les Nouvelles de Moscou du 28 mai 1989 faisatit état d'une lettre signée par 515 personnes de Gomel dont des scientifiques se plaignant du manque de nourriture «propre» importée, de l'absence de dosimètres individuels, d'équipements médicaux. La pollution radioactive s'est ajoutée à la pollution par les produits chimiques pour laquelle la région de Gomel occupe la deuxième place en Biélorussie.

Dernière nouvelle en guise de conclusion

     L'édition française des Nouvelles de Moscou du 23 au 29 juin 1989 éditée à Paris montre en première page une photo de porcs monstrueux. Ils existent donc bel et bien ces animaux nés avec des malformations.
     Pire encore, des médecins du district de Naroditchi témoignent que:
     - faute de soins à base d'iode, la dose à la thyroïde de certains enfants aurait atteint 500 rads et plus
     - les cas de cataracte chez les enfants seraient devenus plus fréquents
     - le système immunitaire de certains enfants serait déficient.
     Il est clair que si de tels symptômes sont observés dès à présent, c'est que les doses aux organes et les équivalents de dose efficace sont beaucoup plus élevés que ce qu'affirment les officiels comme lline, ce que semble confirmer la déclaration suivante des Nouvelles de Moscou:

     «Lors des discussions ayant eu lieu à l'Institut des recherches nucléaires de l'académie des sciences d'Ukraine, on a avancé que les médecins avaient incorrectement interprété les mesures de radioactivité et avaient sous-estimé les doses réelles... En d'autres termes, la situation serait plus grave qu'on ne le pensait au début».
     Il est inutile de commenter davantage: le bilan s'alourdit de jour en jour.

PÉTITION

     Nous donnons ci-dessous le texte d'une pétition qui circule en Ukraine.

     En soutenant l'appel du Comité exécutif de l'Union Ukrainienne d'Helsinki, nous, soussignés, exigeons du gouvernement de la RSS d'Ukraine et du gouvernement de l'URSS:
     - qu'il arrête immédiatement la construction des centrales nucléaires de Crimée et de Tchyhyryn
     - l'arrêt de l'exploitation de la centrale nucléaire de Tchernobyl et la transformation de cette zone en réserve qui remplirait un rôle d'avertissement à l'échelle internationale
     - qu'il empêche la mise en route de tout réacteur supplémentaire dans les centrales en activité
     - qu'il élabore et rende public un plan de liquidation progressive (avec des échéances précises) de toutes les centrales nucléaires en Ukraine, en les remplaçant par des méthodes alternatives de production d'énergie et en fermant les usines nucléaires écologiquement nocives dans les zones surchargées et à forte densité de population.

     Malheur nucléaire, hors d'Ukraine !

suite:
QUELQUES INDICATIONS SUR LES COÛTS
Interview du Président du Conseil des Ministres de Biélorussie

     Dans la zone polluée par la radioactivité, dans les régions* de Gomel et de Moghilev, là où la population est restée sur place, on a décontaminé 432 lieux d'habitation; on a reconstruit 214 fermes d'élevage et 96 ateliers de mécanique. On a détruit plus de 4.500 constructions, on a remplacé plus de 600.000 m2 de toiture et 698 km de clôtures. On a construit 650 km de routes goudronnées et 542 km de lignes haute tension. On a construit 1.128 km de conduites d'eau, 147 km d'égoûts; 388 puits artésiens ont été forés; plus de 3.000 points de distribution d'eau ont été construits. On a effectué toute une série d'autres travaux; on a réalisé un complexe de mesures agrochimique pour améliorer l'agriculture sur des centaines de milliers d'hectares. On a effectué l'apport de carbonates dans le sol. On a labouré plus profond. On a augmenté les quantités d'engrais minéraux et amélioré les pâturages. On a dépensé pour tous ces travaux 904,5 millions de roubles fournis par l'Etat.
...
     En dehors du contrôle, nous prenons activement des mesures pour améliorer l'état sanitaire de la population. On a commencé par utiliser les sanatoriums, les maisons de repos et autres. Chaque année 140.000 enfants, écoliers et adultes de la zone sinistrée améliorent leur santé dans les sanatoriums, les maisons de repos et les camps de pionniers. Pour cela on dépense environ 30 millions de roubles par an.

La Pravda, 11 février 1989
* Un «oblast», que nous avons traduit par région, comprend plusieurs «raïon» traduits par districts.
 
Interview de Kovalev, Président du Conseil des Ministres de Biélorussie

Question: Comme je le vois on a obtenu que beaucoup de choses soient faites. Maintenant on commence à recevoir des subventions supplémentaires... Malgré tout en tant que Président du gouvernement, quels sont vos soucis ?

Réponse: Malheureusement, certains dirigeants, des spécialistes qui participent à la liquidation des conséquences de cet accident surtout dans les organismes centraux, sont devenus moins sensibilisés à l'estimation réelle de l'importance de ce travail et on constate un certain fléchissement des responsabilités quand il s'agit de solutionner certains problèmes. On ne peut pas expliquer autrement le fait que certaines commandes d'Etat n'aient pas été réalisées jusqu'à présent, telles que les cabines étanches pour les tracteurs, les appareils de contrôle et de mesure de radioactivité, les produits nécessaires à la neutralisation du sol contaminé. Notre deuxième problème: jusqu'à présent nous n'avons pas réussi à faire le maximum vu le caractère complexe des travaux de décontamination. Malheureusement nous n'avons pas réussi à remettre le «djinn radioactif dans sa bouteille», c'est-à-dire limiter l'extension de la zone contaminée. Nous labourons profondément la terre tandis qu'à côté il y a des routes non goudronnées et la poussière transporte les radionucléides. Nous chauffons les cheminées avec de la tourbe et du bois «sales» et avec la fumée nous dispersons la radioactivité sur des territoires déjà nettoyés. Nous produisons des milliers de tonnes de blé «sale» et ensuite nous ne savons pas quoi en faire. Voilà pourquoi c'est avec la plus grande reconnaissance que nous acceptons les investissements supplémentaires pour le goudron, les pipe-lines, les lignes électriques haute tension, que nous acceptons d'être libérés de la nécessité de fournir du blé, etc... Tout cela permettra de remédier plus rapidement aux maux dus à Tchernobyl.

Interview réalisée par A. Cimourov,
correspondant de la Pravda à Minsk
(La Pravda, 11 février 1989)
p.21

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