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N°58, janvier-février 1984
DU BATIMENT A L'ELECTRICITE
L'industrie nucléaire et la promotion du tout-électrique
numérisation assurée par A.Léger/GSIEN

Editorial / SOMMAIRE


     Avec ce premier numéro de 1984, la rédaction de la Gazette Nucléaire vous souhaite une bonne année.
     Cette année 1984, qui verra vraisemblablement  le démarrage de Superphénix, a "bien" commencé: le 10 janvier 1984 a été signé un accord relatif à la coopération dans le domaine des  réacteurs «rapides» à métal liquide (appelés surgénérateurs en  France), accord signé à Paris entre la France, la RFA, l'Italie, le Royaume Uni, la Belgique. Les Pays-Bas sont pour le moment membres actifs mais n'ont pas signé.
Cet accord politique fait suite à divers accords techniques et industriels. Il a notamment pour objet:
     - d'harmoniser  leurs efforts de recherche et de développement,
     - d'organiser un échange complet d'information et de savoir-faire,
     - de promouvoir une coopération industrielle et une collaboration entre producteurs d'électricité.
     Monsieur Fabius, ministre de l'industrie et de la Recherche, a, en cette occasion, prononcé un discours. Aucun doute ne peut subsister:
     - sont bien oubliées les réserves de la pétition nationale de 1979!
     - sont bien oubliés les engagements du candidat Mitterrand,
     - est bien oublié le programme socialiste!
     Au nom du réalisme, il est dit: «Le surgénérateur est, parmi les technologies énergétiques en gestation, l'une des plus prometteuses en terme d'indépendance; produisant de la matière fissile à mesure qu'il en consomme, il permet théoriquement d'affranchir la production nucléaire d'électricité de la contrainte d'approvisionnement en uranium et donc de la contrainte extérieure
     Le moins que l'on puisse dire c'est que le message du CEA est  bien  passé.  Enfin, une bataille perdue n'empêche pas de continuer; encore que, prêcher dans un tel désert finit par lasser.
     Une information qui a son importance: ne parlez plus de SPX 2 pour faire initié car c'est déjà du passé, évoquez plutôt avec assurance l'hypothèse de 2 ou peut-être de 4 RNR de 1.500 MWé (RNR = réacteur à neutrons rapides).

     Vous ne voyez pas la subtilité:
     Tout d'abord  un nouveau sigle, ça fait «in» et puis SPX 2 ne serait que le 2ème prototype de la famille Superphénix alors que là, il s'agit maintenant d'une nouvelle génération, on voit plus grand.
     Bon, nos ministricules gambergent, se laissent avec plaisir bercer par les romances de nos chers technocrates. Il faut bien songer à laisser un vestige, une trace de son passage quand on n'est pas si sûr de rester en place très longtemps. 

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     Après Concorde, la Villette, les Renifleurs, le PS se devait, lui, de trouver un gouffre financier à sa hauteur, quelque chose dont on puisse se souvenir longtemps. Avec un programme de surgénérateurs, il devrait être possible d'atteindre ce but.
     Car, enfin, soyons sérieux et réfléchissons. Dans la situation actuelle de surcapacité d'électricité, pour qu'un programme industriel de RNR soit viable, il faut en lancer combien par an, 2 ou 3 comme pour les PWR? Mais d'où viendra le plutonium? Dans l'état actuel du retraitement RNR et compte tenu du temps d'immobilisation du coeur, il faudra maintenir un parc important de PWR. Pour maintenir ce parc, il faudra en construire et donc faire un programme minimal de construction. On appelle cela maintenir l'outil industriel.
     Cela devient alors la quadrature du cercle: il faut mener de front 2 programmes simultanés et avec quel argent?
     Dans la situation difficile où se trouve le pays, on va continuer à engloutir de l'argent dans l'industrie la moins créatrice d'emplois et la moins sujette à l'exportation. Bravo !!
     A moins que ce soit pour soutenir les entreprises de travaux publics. Pour le prix, en travaillant sur les points noirs routiers, qu'est-ce qu'on économiserait comme morts par an.
     Et pendant ce temps les charbonnages vont mourir. Bien sûr ce n'est pas rentable, le coût du kWh produit est plus cher que celui du nucléaire.

    Comment, vous doutez?! Le dossier vous paraît léger, les chiffres un peu tirés dans le mauvais sens (il y a autant d'imprévu dans un calcul économique que dans une partie de bonneteau).
     Il faut être réaliste les mines sont mourantes depuis longtemps, depuis l'avènement du pétrole. Tout se passait sans trop d'à-coups, mais on a lancé une diversification des sources d'énergie et une relance alors nécesaire du charbon. Le problème est d'avoir voulu financer le nucléaire et le charbon. Ça, ce n'est pas possible.
     D'ailleurs les investissements sont faits dans les gisements étrangers, pas en France. Résultat, on produit 18 millions de tonnes et on en importe 20.
     Vous aimeriez qu'on vous démontre que le nucléaire est vraiment rentable. Cela vous tranquilliserait. L'ennui, c'est que d'aucuns commencent à penser qu'en fait on risque de se trouver doté d'un nucléaire «renifleur» Et dans ce cas, on peut se préparer au choc, car la note sera autrement salée.
     Bien sûr on a su construire des centrales, on a su produire de l'électricité, c'est vrai. Le problème est que la tromperie est sur un autre plan.
     Combien ce programme aura-t-il coûté à la nation, au prix de quelle perte d'indépendance? Réfléchissez un peu à la dépendance technologique vis-à-vis des USA. Même francisée, la filière PWR est encore totalement dépendante du bon vouloir américain pour la moindre vanne,  soupape,  nuance d'acier.
     A quel prix se monte le coût de la production d'électricité? A-t-on vraiment pris en compte le suivi de charge, le téléréglage? A-t-on pris un réacteur et calculé son prix de revient, le vrai, pas celui prévu?

suite:
     Une fois analysé ce poste, il reste les impasses actuelles, tous les problèmes laissés en suspens, non résolus, transmis aux générations futures.

     Ce qui nous a conduit, c'est, comme pour les avions renifleurs, une confiance aveugle en la Science ou plus exactement en ses grands prêtres, qui ne savent pas ce qu'est le doute: ils ont toujours raison et ils ne peuvent se tromper.
     Dans le nucléaire, comme dans les autres activités industrielles, la règle est la fuite en avant avec comme credo, «les techniciens trouveront».
     Même si on arrêtait tout le nucléaire aujourd'hui, l'humanité aurait quand même à gérer les combustibles irradiés, les centres, type centre de stockage de la Manche. Nous n'avons jamais réussi à gérer la chimie, les responsables baissent les bras. Les cours d'eau sont tués, les forêts meurent sous les pluies acides. Ce qui jusqu'à maintenant faisait apparaître l'industrie nucléaire comme moins encombrante que la chimie (aux yeux des technocrates), c'était sa faible dimension, le petit nombre des installations.
     Mais aujourd'hui, c'est bien fini. Nous avons dépassé le point de non-retour, le point au-delà duquel on continue à faire quelque chose de nocif ou de non rentable pour ne pas gêner des groupes de pression trop puissants. On vous parle encore des limites d'acceptabilité de l'écosystème, mais s'il est encore possible de considérer le Rhône, par exemple, comme une rivière vivante à la hauteur de Bugey, qu'en est-il après Marcoule?
     Alors réfléchissez aux problèmes, mobilisez-vous vraiment, posez des questions, exigez des réponses, les réponses.
     Croyez-vous que la première urgence de ce monde soit l'énergie? Regardez autour de vous: on meurt de faim et ce n'est pas avec plus d'énergie qu'on pourra satisfaire ce besoin primordial, c'est en organisant la production, en réduisant les gaspillages.
     La course à l'énergie et la course aux armements sont les fléaux actuels de notre monde. Nous sacrifions à ces fléaux plus de 2 millions de chômeurs chez nous et le tiers monde que l'on exploite en lui volant ses ressources et en lui donnant en échange des armes.
     Alors que faire?
     Commençons par poser des questions, les vraies questions et exigeons les réponses.

     Nous vous donnons dans nos dossiers des  documents d'appréciation, dossier Castaing, dossier Alice Steward, dossier économique. En voici un autre: le poids du nucléaire dans les entreprises du bâtiment.
     Montrons à la technocratie dirigeante que nous sommes adultes, que nous pouvons les forcer à dire la vérité et pour cela il faut en connaître déjà une bonne part.

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SOMMAIRE
EDITO
L'industrie nucléaire et la promotion du tout-électrique:
Le secteur BTP; Autres exemples de l'auto-organisation de ses débouchés par l'industrie nucléaire
Nouvelles brèves; Bibliographie


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