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N°30

GSIEN - FICHE TECHNIQUE N° 34
EFFETS DES FAIBLES DOSES DE RAYONNEMENT
Analyse des données sur la mortalité par cancers et autres causes
parmi les travailleurs de l'usine nucléaire de Hanford


     Une analyse des données sur la mortalité par cancers et autres causes parmi tes travailleurs du Centre Nucléaire de Hanford (USA) a été effectuée récemment [1, 2, 3] par Thomas Mancuso, Alice Stewart et George Kneale. Cette étude concerne 35.000 personnes qui ont travaillé à Hanford entre 1944 et 1977. Les doses d'irradiation externe reçues par les travailleurs exposés au rayonnement ont été régulièrement mesurées par les films-dosimètres et les contaminations internes enregistrées. Il s'agissait de déterminer si les faibles doses de rayonnement auxquelles ont été soumis ces travailleurs - quelques rad pour l'ensemble de la vie professionnelle d'un travailleur - ont induit des cancers. Le but de cette étude, financée par l'Atomic Energy Commission, a en effet été explicité ainsi par les auteurs «d'après les dossiers des morts dont la cause est bien connue, nous devons être capables de découvrir si les recommandations de la NRCP (National Council on Radiation Protection) concernant la protection des travailleurs directement affectés à des travaux sous rayonnement, qui sont strictement imposées à toutes les entreprises ayant des contrats avec l'ERDA (Energy Research and Development Administration), ont été efficaces et ont éliminé les risques de cancers ou, si ayant échoué, elles ont maintenu les risques dans des limites acceptables». Parmi les 23.755 travailleurs contrôlés pour l'irradiation externe, 4.033 sont morts dont 832 de cancers (voir le tableau qui suit). D'après Mancuso, Stewart et Kneale, parmi les 743 cancers masculins, environ 35 à 40 cancers ont été radio-induits, soit 5% (principalement des cancers de la moelle osseuse, du pancréas et du poumon) alors que d'après les estimations de la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) il ne devrait y en avoir que 3 ou 4. Le risque est donc dix fois supérieur à celui estimé par la CIPR. Jusqu'à présent les estimations de la CIPR concernant les risques de cancers aux faibles doses étaient déduites par extrapolation des observations faites sur deux populations*:
     - les survivants de la bombe A qui ont reçu de très fortes doses (bien supérieures à 100 rad et en une seule fois),
     - les malades soignés par radiothérapie.
     L'étude de Mancuso, Stewart et Kneale est donc totalement nouvelle car elle concerne des travailleurs sélectionnés sur des critères de bonne santé et dont on a effectivement contrôlé les doses reçues. Elle se distingue des études du même genre par l'importance de la population étudiée et par le fait que toutes les causes de mort ont été analysées pour tous les travailleurs de l'usine même pour ceux ayant quitté l'usine depuis longtemps.
     La méthode statistique utilisée est également originale [2, 3]. Elle ne cherche pas à déterminer les taux de mortalité standard des travailleurs exposés ou non au rayonnement mais compare les doses de rayonnement reçues par les travailleurs morts par cancers ou par non-cancers. Cette méthode est beaucoup plus efficace que la précédente.
     On peut dire que cette étude est la première étude statistique précise faite sur l'effet du rayonnement aux faibles doses.

1. DONNEES ANALYSEES
     L'obtention des données est un point essentiel de cette étude, c'est pourquoi nous en indiquons les détails. Parmi les données rassemblées pendant plus de dix ans par Thomas Mancuso figurent:
     a) sexe, date de naissance, date d'embauche, numéro de sécurité sociale,
     b) date d'entrée en fonction et date de départ,
     c) niveau d'irradiation externe et de contamination interne pour chaque année de travail dans l'usine,
     d) date et cause de la mort.

suite:
     Dans le dossier médical de Hanford fjgurent pour chaque travailleur les doses d'irradiation extérne reçues année par année ainsi que les contaminatiôns internes éventuelles. C'est grâce au système particulier de la sécurité sociale américaine que Thomas Mancuso a pu corréler doses reçues et cause de mort. La sécurité sociale aux USA est un système de retraite auquel chaque travailleur cotise dès son premier emploi. On lui affecte alors un numérà mentionné sur tous les actes administratifs le concernant, en particulier sur l'acte de décès et sur l'acte permettant aux  ayants droit de réclamer les indemnités de décès (« death benefit cIaims~»). Le docteur Mancuso a mis au point une méthode qui permet de remonter au certificat de décès - donc à la cause de mort - à partir des réclamations des ayants droit par l'intermédiaire des numéros de sécurité sociale.
Signalons qu'en Frapce un tel système de données serait très difficile à rassembler, même en dehors de la mauvaise volonté évidente des responsables bfficiels de la santé. En effet, le numéro INSEE n'appara't pas sur le certificat de décès portant la cause du décès. Il ne mentionne qu'un numéro de code de catégorie socio-professionnelle trop vague pour identifier quelqu'un d'un Centre nucléairè.
     Le tableau suivant résume la composition de la populalation de travailleurs étudiée:
 
Survivants
Morts avec cause certifiée
Morts sans cause cerifiée
 
 
total
cancer
non-cancer
 
hommes 
contrôlés
18.009
3.742
743
2.999
129
femmes contrôlées
5.756
291
89
202
35
total des travailleurs
contrôlés
23.765
4.033
832
3.201
164
travailleurs non contrôlés
5.553
1.236
269
967
97

     Les travailleurs dits «contrôlés» sont ceux qui portaient un film dosimètre pour la mesure du rayonnement externe.

2. LA MÉTHODE STATISTIQUE UTILISÉE:
MÉTHODE DES «DOSES COMPARÉES MOYENNES»
OU MÉTHODE CMD («Comparative Mean Dose»)
     Toute étude statistique comporte deux catégories  les «cas« » et les «contrôles» (témoins). Les études précédentes du même genre comparaient le taux de mortalité par cancers d'un groupe de personnes à celui d'un groupe témoin pris comme référence. Ici les deux groupes sont les travailleurs exposés au rayonnement («cas») et les travailleurs non-exposés («contrôles»). Cette méthode est dite méthode du taux de mortalité standard ou méthode SMR («Standard Mortality Ratio»).
     La méthode utilisée par Mancuso, Stewart et Kneale compare les doses cumulées moyennes reçues par deux groupes  les morts par cancers («cas») et les morts par non-cancers («contrôles»). C'est la méthode des «doses comparées moyennes».

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* En épidémiologie, on appelle «population» l'ensemble des personnes que l'on étudie. Ainsi les travailleurs de Hanford constituent une population. Parmi les travailleurs morts on distinguera 2 groupes: ceux morts par cancers et ceux morts pour d'autres causes (non-cancers).
     S'il n'y a pas corrélation entre doses reçues et morts par oencers, les deux groupes « cas » et « contrôles », morts par cancers et par non cancers, devraient en moyenne avoir reçu les mêmes doses. La méthode CMD est plus effioece que la méthode SMR.
     Pour avoir un niveau de confiance statistique à 95 %, en supposant une dose de doublement du risque de cancer par rayonnement de 15 rad et une dose cumulée moyenne pour les travailleurs de Hanford de 1,6 rad, avec un risque normal de mortalité par cancer de 2.600 par million, pour utiliser la méthode SMR, il faudrait pouvoir disposer d'une population de 135.000 personnes, c'est-à-dire 4 fois plus nombreuse que celle de Hanford. Une population de 32.700 personnes suffit pour la méthode CMD, c'est-à-dire une population de taille similaire à celle de Hanford.
     Les différences de doses reçues par les morts par cancers et par non-cancers sont significatives. Elles ont été contrôlées par une analyse de Mante-H aenszel pour 5 facteurs répartis en 240 niveaux   l'âge à la mort, le sexe, la date de la mort, la durée de l'exposition au rayonnement, la contamination interne. Les points les plus importants de l'étude concernent:
     - la fréquence des cancers en fonction des doses reçues dans une échelle de doses à 7 niveaux,
     - la dose reçue pour diverses catégories de cancers classés suivant la radiosensibi lité des tissus correspondants,
     - l'âge au moment de l'exposition.

3. RÉSULTATS
     Les doses de rayonnement prises en compte sont celles reçues par les travailleurs pendant leur séjour à l'usine de Hanford, telles qu'on peut les désuire des mesures faites sur les films dosimètres que les travailleurs affectés à des travaux sous rayonnement doivent obligatoirement porter. Il s'agit donc des doses d'irradiation externe.
     Il n'est tenu compte ni du rayonnement naturel ni du rayonnement professionnel reçus avant ou après la période de travail dans l'usine. Le rayonnement reçu pour des raisons médicales n'est pas pris en compte.
     Les différentes composantes du rayonnement (g , c, neutrons) ** ne sont pas séparées. Les doses concernent la totalité du rayonnement, mesurées en rad.

     3.1. Doses cumulées et causes de mort
     Comme il existe un relevé des doses annuelles pour les travailleurs morts de cause certifiée, il est possible de connaître la dose cumulée de chacun pendant sa vie professionnelle à Hanford. Les résultats sont les suivants:
     - 2,03 rad/homme pour les morts par cancers,
     - 1,66 rad/homme pour l'ensemble des morts,
     - 1,57 rad/homme pour les morts par non-cancer.
     Ces nombres sont les moyennes d'un grand nombre de doses individuelles. Ils pourraient éventuellement être affectés d'un biais systématique (voir la discussion faite plus loin à ce sujet).
     Les différences sont assez grandes pour être significatives au niveau statistique. Elles indiquent une cqrrélation entre les morts par cancers et la dose de rayonnement reçue.
     Il conviendra de noter que, dans cette étude, il s'agit de doses extrêmement faibles, ce qui s'explique par le fait que, dans un centre militaire, on manipule des combustibles peu irradiés.

suite:
3.2. Fréquence des cancers et doses reçues
     Les morts par cancers et par non-cancer ont été classées en sept catégories suivant sept niveaux de doses cumulées reçues. Les résultats sont les suivants:
Dose
rad/homme
Nbre de cancers
Nbre de
non-cancer
Cancer/
Total (%)
moins de 0,08
256
1.068
19,3
0,08 à 0,32
131
592
18,1
0,32 à 0,64
119
428
21,8
0,64 à 1,28
123
448
21,5
1,28 à 2,56
91
320
22,1
2,56 à 5, 11
48
147
24,6
plus de 5,11
64
198
24,4

     On voit un accroissement de pourcentage des morts par cancers par rapport aux morts par non cancer quand la dose reçue augmente.

     3.3. Doses cumulées et nature des cancers
     Si la dose reçue est cause de certains cancers, il doit y avoir une corrélation entre cette dose et la radiosensibilité de certains tissus.
     Il n'est pas possible de faire une étude statistique détaillée de l'influence des doses reçues pour les 59 catégories de cancers de la classification officielle ICD (code d'identification des causes de mort), car le nombre de cas dans chacune de ces catégories est trop faible. Mais la publication 14 de la CIPR a groupé les tissus en 4 catégories suivant leur radiosensibilité:
     1. forte radiosensibilité établie: moelle osseuse, thyroïde,
     2. forte radiosensibilité supposée: ganglions lymphatiques, tissus réticulaires, pharynx, pcumons, pancréas, estomac, gros intestin,
     -3. faible radiosensibilité: bouche, oesophage, intestin grêle, foie, nez, larynx, os, peau, pénis, reins, yeux, etc.,
     4. non classés: rectum, poitrine, utérus, ovaires, prostate.
     Les cancers correspondant aux différents tissus ont donc été classés en 4 catégories. (En catégorie 4 ont été ajoutées la leucémie lymphoïde, la vésicule, etc.).
     Cette classification donnée par la CIPR est indépendante des données sur les travailleurs de Hanford, ce qui est nécessaire pour que le test de corrélation avec les doses reçues ait un sens.
     Les résultats sont les suivants pour les doses cumulées:
moyennes (en.rad/homme) dans chaque catégorie:
     1. forte radiosensibilité établie: 4,05 rad/h
     2. forte radiosensibilité supposée: 2,44 rad/h
     3. faible radiosensibilité: 1,52 rad/h
     4. non classés 0,96 rad/h: Pour l'ensemble des cancers des deux premières catégories, la dose cumulée moyenne est de 2,53 rad/homme, elle est de 1,23 rad/homme pour l'ensemble des autres cancers.
     On voit sur le tableau précédent une très forte corrélation entre les doses reçues et la nature des cancers. Il montre que le rayonnement est la cause de certains cancers des travailleurs de Hanfort. Ceci est confirmé par le fait que les cancers des tissus radiosensibles ont des fréquences plus élevées pour les travailleurs de Hanford que celles observées pour la population dans son ensemble (cancers de la moelle osseuse, des poumons, du pancréas).

p.4
** D'après Alice Stewart, 95% du rayonnement consiste en du rayonnement g ou c4
     L'effet du rayonnement se voit particulièrement bien sur les courbes représentant, en fonction du temps, les doses cumulées moyennes reçues par les travailleurs morts des cancers de chaque catégorie (voir figure). Les doses cumulées sont calculées en additionnant, pour chaque catégorie, les doses annuelles depuis la date d'embauche jusqu'à une date correspondant à n année avant la mort de chaque travaitieur. Les courbes donnent les variations de cette dose en fonction de n. Sur le graphique, on voit que les courbes sont nettement différentes pour les diverses catégories de cancers. Elles sont déjà significativement différentes quinze ans avant la mort.

     3.4. Influence du sexe
     Bien que le nombre de femmes parmi les travailleurs de Hanford soit assez petit, on peut cependant voir un effet d'induction de cancers par le rayonnement plus fort chez les femmes que chez les hommes.

     3.5. Influence de l'âge
     Les effets d'induction de cancers dépendent de l'âge au moment de l'irradiation. Il y a plus de risques de cancers pour les personnes de plus de 40 ans exposées au rayonnement que pour des personnes plus jeunes (mais les risques génétiques sont évidemment plus élevés pour les jeunes). Le maximum de morts par cancers est observé entre 50 et 60 ans.
     A cause du temps de latence de 10 à 20 ans et plus, séparant l'induction du cancer de la mort, il est nécessaire d'avoir beaucoup plus de données pour connaître avec certitude les effets avant 30 ans ou après 60 ans.

     3.6. Estimation du risque dû au rayonnement
     On peut caractériser le risque de mort par cancer en fonction de la dose reçue par un coefficient D appelé «dose de doublement du risque». C'est la dose de rayonnement qui double le risque (probabilité ou fréquence) d'apparition de cancer par rapport au risque naturel. Plus ce coefficient est faible, plus le risque dû au rayonnement est grand. Si x est la dose reçue, le risque de mort par cancer, dans un modèle linéaire est P = A (1 + x/D), où A est le risque naturel. On peut considérer ce coefficient D soit en moyenne pour la totalité des cancers, soit pour des cancers particuliers. Le tableau suivant donne les résultats (en rad) pour les hommes: 

Cancers
Dose de doublement du risque
(Mancuso, Stewart, Kneale)
Dose de doublement du risque de la CIPR*
 
Valeur estimée
Limites à un taux de confiance de 95%
 
 
 
mini
maxi
 
moelle osseuse
3,6
1,7
10,3
26
poumons
13,7
7,3
28,7
215
pancréas
estomac
gros intestin
15,6
7,3
55,0
813
tous cancers des groupes I et II
13,9
8,4
21,2
+
tous cancers
33,7
15,3
79,7
+

* D'après le rapport de 1972 (p 185) du Comité BEIR (Comité sur les effets biologiques des rayonnements ionisants) de l'Académie des Sciences des USA. Ce rapport a servi de base pour l'évaluation des risques liés au rayonnement faite par la CIPR.
+ Il n'y a pas de valeurs publiées pour les cancers groupés de cette façon.
suite:
     Le nombre de cancers induits par le rayonnement, estimé par cette étude, est compris entre 35 et 40 alors que l'estimation maximale du risque publiée par la CIPR en donne 3 ou 4. Le taux apparent de cancer est très peu modifié. Le taux naturel de cancer pour une population d'hommes en très bonne santé et bien suivie médicalement étant de l'ordre de 20% (743/3742) est augmenté d'environ 5% (37/743) par des expositions d'environ 2 rad sur la totalité de la vie professionnelle, ce qui fait varier de 1% (37/3742) le taux de mortalité total.

4. VALIDITÉ STATISTIQUE DE L'ÉTUDE
DE MANCUSO, STEWART ET KNEALE
     Les résultats publiés dans les deux premières études ont été contrôlés par la procédure statistique de Mantel-Haenzel. Celle-ci permet de tester si des événements particuliers ou diverses circonstances (les facteurs de test) ont des effets sur l'incidence de maladies qui sont indépendantes d'autres événements ou circonstances (les facteurs de contrôle) dont les effets pourraient introduire des confusions dans une analyse élémentaire par suite d'associations non identifiées entre les divers facteurs. L'étude a pris en compte 240 niveaux répartis sur cinq facteurs. Les deux facteurs de contrôle les plus intéressants sont:
     1. la période d'exposition au rayonnement,
     2. la contamination interne: les travailleurs ont été divisés en trois classes:
     a) ceux qui n'ont jamais été examinés en vue d'une recherche de contamination interne;
     b) ceux qui ont été examinés en vue d'une recherche d'une éventuelle contamination interne avec des résultats négatifs pour les analyses;
     c) ceux qui, examinés pour une éventuelle contamination interne, ont eu des analyses dont les résultats étaient soit faux-positifs (contamination seulement externe), soit vrais-positifs (contamination interne).
     En tenant compte de ces facteurs dans l'étude statistique, la corrélation avec la dose externe reçue n'est pas sensiblement modifié.
     La conclusion de l'étude est «Puisqu'il n'y a pas de contradiction entre l'analyse Mantel-Haenzel et l'analyse élémentaire, nous devons expliquer pourquoi les morts par cancers ont reçu des doses plus élevées que les morts par non-cancer. Les doses ont été enregistrées avant que les causes de décès soient connues. Par conséquent, l'explication la plus plausible est qu'il y a une relation causale entre l'exposition au rayonnement et les morts par cancers, ou la présence d'un petit nombre de cancers radiogéniques dans la population étudiée.», et cela pour les doses de rayonnement où, d'après la CIPR, il ne devrait y avoir qu'un effet extrêmement faible, voire inexistant.

5. CRITIQUES FAITES A L'ÉTUDE DE MANCUSO, STEWART ET KNEALE
     La publication de ces résultats a déclenché une polémique très vive. La méthode utilisée par ces auteurs n'est évidemment pas orthodoxe mais elle semble pleinement justifiée. Ce qui est frappant dans les critiques qui portent sur la méthode c'est l'absence totale d'arguments statistiques.
     Les données de Hanford ont été réanalysées par Gilbert[5] à partir des taux de mortalité. Nous avons indiqué pourquoi cette méthode est peu sensible et même douteuse (étude d'une population trop faible numériquement). Gilbert cependant conclut à l'absence d'effet dû au rayonnement bien que son étude montre des taux inexpliqués de cancers de la moelle osseuse et du pancréas trop élevés par rapport à la moyenne nationale. Gilbert trouve, sans l'expliquer clairement que, pour les travailleurs de Hanford, le taux de mortalité générale est inférieur de 12% à celui du reste de la population.

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     Cependant elle met en évidence que, pour les ouvriers ayant travaillé plus de deux ans, ce taux augmente de 2% pour toutes les causes de mort et de 13% pour les morts par cancers, ceci par rapport aux travailleurs ayant travaillé moins de deux ans, alors que ces deux groupes de travailleurs ont subi les mêmes contrôles de santé à l'embauche. Bien évidemment, ceux qui ont travaillé plus de deux ans ont reçu plus de rayonnement que les autres.
     Les résultats de Gilbert se résument dans le tableau suivant. On y indique, pour les travailleurs de Hanford, les taux de mortalité pour toutes les causes de mort et pour les morts par cancers. Ces taux sont normalisés à 100 pour l'ensemble de la population des USA.
Durée de l'emploi
à Handford
Toutes causes
de mort
Cancer
moins de 2 ans
86
75
plus de 2 ans
88
85

      Sanders [6], lui, ne retient essentiellement des données sur les travailleurs de Hanford que la plus forte longévité des travailleurs exposés, par rapport aux autres, sans s'interroger sur la nature des contrôles de santé à l'embauche.
     Signalons enfin que Dolphin en Angleterre a fait une étude analogue sur les travailleurs de Windscale et n'a trouvé aucun effet. Dans cette étude n'ont été pris en compte que les travailleurs morts durant leur période de travail dans l'usine ou ceux qui ont choisi le régime de la pension pendant leur retraite. Les travailleurs quand ils quittent cette usine ont deux possibilités: soit toucher immédiatement un capital, soit opter pour un régime de pension pendant leur retraite. Il est évident que la population étudiée n'est pas représentative de tous les travailleurs de l'usine, car il est fort probable qu'un ouvrier à salaire faible quittant l'usine pour des raisons médicales optera plus facilement pour un capital qu'il peut toucher immédiatement plutôt que d'attendre sa retraite pour toucher une pension. L'étude prend donc un mauvais échantillonnage des travailleurs et ne tient pas compte du temps de latence long pour le développement des cancers (10 à 15 ans).
     Toutes ces critiques partent du fait que le taux de mortalité pour les travailleurs de Hanford est plus faible que celui du reste de la population. Ceci s'explique par le fait que ces travailleurs ne sont pas représentatifs, en ce qui concerne la santé, de l'ensemble de la population.
     On pourrait critiquer les résultats de Mancuso, Stewart et Kneale sur d'autres plans.

     5.1. Effet du rayonnement naturel
     Les doses annuelles reçues par les travailleurs de Hanford sont assez faibles, de 0,3 à 0,4 rad en moyenne. Dans ces conditions, il devrait être possible de voir des différences sur les taux de mortalité par cancers pour des populations vivant dans des régions où les niveaux de radioactivité naturelle sont très différents. Par exemple entre la population du Colorado (0,105 rad/an) et la population de Californie (0,050 rad/an). Pour voir un effet dans ces conditions, il faudrait tester une population considérable (avec évidemment des causes de décès certifiées) et être sûr que, dans les deux cas, l'identification des causes de décès se fait avec le même taux de confiance. Il est certain que l'identification des causes de mort dans les régions de haute montagne, où la radioactivité naturelle est plus élevée, est plus mauvaise qu'ailleurs. Quant aux régions où la radioactivité naturelle est très forte, au Kérala par exemple(1,5 à 3 rem/an), l'étude sur les cancers n'est possible que si le taux de mortalité par d'autres causes n'est pas trop élevé pour masquer l'effet du rayonnement sur l'induction des cancers. Au Kérala il a été mis en évidence [7] l'effet génétique du rayonnement naturel.

suite:
5.2. Dosimétrie du rayonnement reçu
     La critique des résultats à partir de la dosimé trie n'est pas officiellement faite car c'est là un terrain aussi dangereux pour l'industrie nucléaire que celui des résultats eux-mêmes.
     On pourrait critiquer certaines conclusions de l'étude à partir de la dosimétrie du rayonnement reçu. Les indications fournies par les films de contrôle reflètent-elles correctement tout le rayonnement reçu? Nous avons vu qu'en utilisant trois niveaux de contamination interne comme facteurs de contrôle, les résultats restent inchangés.
     Les doses indiquées ne séparent pas les composantes du rayonnement: g, c, neutrons. Pour les travailleurs de Hanford, environ 5% des doses absorbées proviennent des neutrons [4]. Pour évaluer le risque en fonction des doses en rem, comme le fait la CIPR, il faudrait connaître avec précision le facteur de qualité des neutrons. En prenant pour ceux-ci un facteur de qualité 10, comme le recommande la publication 26 de la CIPR (1977) la dose équivalente serait multipliée par 1,5 et le risque évalué par Mancuso, Stewart et Kneale serait surestimé de 30%. L'effet biologique des neutrons est actuellement fortement controversé, Rossi [8] par exemple estime que l'effet cancérigène des neutrons est beaucoup plus important que celui officiellement admis. En prenant un facteur de qualité de 20 pour les neutrons, il resterait encore un facteur 5 entre le risque trouvé et celui estimé par la CIPR. Ceci d'ailleurs impliquerait que cette Commission réévalue en hausse l'effet biologique des neutrons. De toute façon cela ne change rien en ce qui concerne les risques courus par les travailleurs par rapport aux doses de rayonnement qu'ils reçoivent. On voit que c'est là un terrain peu favorable aux promoteurs du nucléaire.
     Quelle que soit la critique qu'on puisse faire à la dosimétrie du rayonnement pris en compte dans l'étude des travailleurs de Hanford, l'existence d'une corrélation linéaire très forte entre les morts par cancers et les doses mesurées par les films de contrôle implique ou bien qu'il y a perturbation éventuellement par les irradiations aléatoires assez faibles, ou bien que ces perturbations sont directement proportionnelles à la dose enregistrée sur les films de contrôle. Dans ce dernier cas, il pourrait se faire que les estimations de la CIPR ne soient pas aussi fausses qu'il est dit, mais alors c'est toute la dosimétrie de contrôle qui est à mettre en cause et les travailleurs auraient reçu des doses de rayonnement beaucoup plus importantes que l'on croyait et bien au-dessus des normes recommandées par la CIPR, avec des risques élevés pour les travailleurs.

6. ORIGINE DES DIFFERENCES TROUVEES PAR RAPPORT A L'ESTIMATION DE LA CIPR
     L'évaluation du risque pour les travailleurs de Hanford, suivant l'étude de Mancuso, Stewart et Kneale, montre une sous-estimation du risque par la CIPR d'un facteur d'environ 10. D'où peut provenir cette différence?
     Les estimations de la CIPR sont extrapolées aux doses faibles à partir de l'étude des survivants japonais [9] des bombes A et aussi à partir des malades soignés par radiothérapie.
     De par leur nature, les deux populations qui ont servi pour ces extrapolations étaient pour des raisons évidentes des populations très différentes de celle des travailleurs de l'énergie nucléaire. Ceux-ci doivent subir des visites médicales à l'embauche sur des critères de santé ne correspondant pas à la moyenne de la population. De plus, ils sont suivis médicalement et sont retirés des zones dangereuses en cas d'accident de santé. La population des travailleurs de Hanford, en ce sens, est supranormale par rapport à l'ensemble de la population.

p.6

     Le modèle de risque admis par la CIPR à partir des survivants des bombes A implique, d'une façon ou d'une autre, l'existence d'un seuil pour les effets biologiques de rayonnement car pour cette Commission, aux faibles doses le risque serait extrêmement faible, voire inexistant, et les niveaux de risques qui sont indiqués dans ses publications sont présentés comme des surestimations par rapport au risque réel déduit de l'étude des surviyants des bombes A.
     L'hypothèse d'un seuil n'a aucun support théorique bien qu'elle ait encore certains adeptes parmi les promoteurs du nucléaire. Bien au contraire, le développement des cancers se faisant à partir de la modification de cellules individuelles, il ne peut exister de seuil de niveau de rayonnement en-dessous duquel il n'y aurait pas d'effet et il est officiellement admis actuellement que toute dose de rayonnement comporte un danger soit par effet direct du rayonnernent, soit par effet synergique*** avec des substances potentiellement cancérigènes.
     Signalons tout de suite que les observations faites sur les survivants des bombes A sont en contradiction avec celles faites sur d'autres populations irradiées. Rotblat [10] a résumé les résultats dans le tableau suivant en ce qui concerne le risque de radio-induction de cancer observé sur les survivants japonais et sur d'autres populations irradiées (mineurs des mines d'uranium, habitants des îles Marshall irradiés par les retombées radioactives de tests de bombes, malades soignés par radiothérapie). Les risques sont indiqués en nombre de cancers par million de rem/homme.
Type de cancer
Survivants
japonais
Autres populations
irradiées
Rapport
Thyroïde
19
107
5,6
Poitrine
10
47
4,7
Poumon
18
110
6,1
Leucémie
30
30
1

   L'accord n'est bon que pour les risques de leucémie. Pour les autres cancers, les résûltats sont plus proches de ceux de l'étude des travailleurs de Hanford que des survivants japonais.
     Des études en cours actuellement vont dans le même sens que celle faite sur les travailleurs de Hanford. Ces études concernent les soldats américains qui ont assisté aux tests de bombes atomiques, les travailleurs des chantiers navals de Portsmouth ayant participé à la réparation des sous-marins atomiques, et les Japonais qui ont pénétré à Hiroshima et Nagasaki après l'explosion des bombes pour aider les survivants.
    Différentes causes peuvent être avancées pour expliquer la différence trouvée entre les survivants japonais et les travailleurs de Hanford.

6.1. Dosimétrie de rayonnement
     Dans l'étude de Hanford les doses prises en compte sont des doses effectivement mesurées. Pour les survivants japonais elles ne proviennent pas des mesures faites directement sur les personnes elles-mêmes. Elles ont été déduites de l'explosion expérimentale d'une bombe faite aux Etats-Unis et de la connaissance de la position des personnes au moment de l'explosion par rapport au centre de l'explosion. Cette dernière donnée a été obtenue par enquête parmi la population et l'existence d'indemnités pour ceux qui étaient à Hiroshima et à Nagasaki pendant les explosions a pu inciter à de fausses déclarations, en particulier parmi les personnes qui sont entrées dans ces villes après les explosions [10]. Les doses évaluées seraient alors plus fortes que celles réellement reçues. D'autre part, le rayonnement reçu par les Japonais comportait une très forte composante de neutrons dont le facteur de qualité est probablement fortement sous-estimé. Pour les travailleurs de Hanford, la dose de neutrons était beaucoup plus faible.

suite:
6.2. Fractionnement des doses reçues
     Les survivants japonais ont reçu de fortes doses en une seule fois. Les travailleurs de Hanford ont reçu des doses faibles très fractionnées. Il a été mis en évidence [11] sur des cellules que le fractionnement des doses joue un rôle important et qu'il accroît le risque pour des doses faibles et qu'il le décroît pour des doses fortes. D'autre part ceci pourrait jouer un rôle dans la nature des cancers, les doses massives reçues en une seule fois pourraient conduire à des cancers généralisés (leucémie), les doses fractionnées faibles, à des cancers localisés [2, 4].

6.3. Nature des populations
     Les travailleurs de Hanford, par suite de la sélection faite à l'embauche sur des critères de santé, est une population à faible taux de mortalité générale. Les survivants japonais forment évidemment une population ayant subi, en dehors du rayonnement, toutes sortes d'autres dommages. Dans le cas d'une population à très forte mortalité pour toutes sortes de maladies, il n'est pas possible de détecter tous les cancers induits par le rayonnement car la mort survient trop souvent avant que le cancer ait pu se développer sous la forme d'une tumeur mortelle ou détectable. C'est le cas des survivants des bombes A et des malades soignés par radiothérapie.
     Ceci a été bien mis en évidence par Stewart et Kneale dans le cas de la leucémie des enfants. Un enfant préleucémique a une probabilité plus grande de mourir de pneumonie que de leucémie. Ceci est confirmé par l'observation d'un accroissement du taux de mortalité par leucémie chez les enfants après la découverte des antibiotiques.
     Les temps de latence sont généralement longs (supérieurs à 10 ans). Si le développement d'un cancer vers une tumeur est lié à une baisse d'efficacité du système immunologique vis-à-vis d'une anomalie au niveau cellulaire déjà existante, cette baisse d'efficacité pourra aussi se traduire par une plus forte sensibilité à des infections diverses à développement plus rapide que le cancer, masquant par une mort pour causes diverses l'apparition d'une tumeur identifiable. Pour identifier tous les cancers radio-induits, il faut donc un faible taux de mortalité, ce qui n'est évidemment pas le cas des survivants des bombes A ou des malades soignés par radiothérapie.
     Cette explication a été largement développée par Stewart. Rotblat [10] signale que le faible taux de cancers observé parmi les survivants des bombes A pose un problème. Il suggère que seuls les individus génétiquement les plus résistants ont survécu aux effets à court terme des explosions. Il signale que ces survivants, de toute façon, forment une population très spéciale qui n'est pas forcément bien adaptée pour fonder le calcul des risques de cancer par irradiation dans des situations très différentes des explosions nucléaires.

6.4. Population de référence
     La population de référence prise pour les survivants japonais est constituée par les personnes ayant reçu moins de 10 rem. Il est bien évident que dans ces conditions il est impossible de mettre en évidence l'induction de cancers pour des doses cumulées identiques à celles des travailleurs de Hanford, qui sont inférieures à 10 rem.

6.5. Conclusion
     On pourrait conclure de la façon suivante: l'évaluation du risque est probablement correcte pour les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki, les évaluations faites à partir des travailleurs de Hanford sont correctes pour les travailleurs de l'industrie nucléaire. Pour pouvoir évaluer correctement les risques de cancers liés aux faibles doses, il faut une population à taux de mortalité (par non-cancers) faible, ce qui est le cas des travailleurs de Hanford.

p.7
*** On appelle effet synergique un effet de renforcement des effets.
     Pour maintenir le risque au niveau considéré comme «acceptable» par la CIPR, il faudrait donc réduire les doses maximales admissibles par un facteur 10.
     Cette réduction aurait des conséquences considérables sur le développement de l'industrie nucléaire. Il ne faudrait pas que cette réduction, si elle était décidée (ce qui est loin d'être envisagé par les responsables de la CIPR), s'accompagne d'un accroissement du personnel pour effectuer les travaux les plus exposés au rayonnement; en effet dans ce cas le nombre total de cancers parmi les travailleurs resterait inchangé car la dose totale du rayonnement reçu ne serait pas modifiée. Elle serait probablement même augmentée [12] car le nombre d'entrées en zones contaminées augmenterait et ces entrées contribuent pour une part non négligeable dans les doses totales par rapport aux doses reçues pendant le temps de travail effectif. Quant aux effets génétiques, ils seraient probablement accrus du fait de leur répartition sur un plus grand nombre d'individus.
     La réduction des doses devrait être obtenue non pas en augmentant le personnel mais en augmentant les blindages et les automatismes, ce qui accroît évidemment les coûts de construction et peut rendre quasi impossible l'exploitation de certaines installations nucléaires comme les usines de retraitement.
     Les résultats de Mancuso, Stewart et Kneale devraient aussi être pris en compte pour l'évaluation des concentrations maximales admissibles des éléments radioactifs rejetés dans l'environnement et l'évaluation des risques que la population subit du fait des rejets radioactifs des installations nucléaires****.
     Enfin ces résultats concernent aussi les dangers des examens radiologiques médicaux. Signalons à ce sujet que, depuis 1975, l'EPA (Agence pour la Protection de l"Environnement, équivalent américain de notre SCPRI) recommande à tous les hôpitaux et cliniques américains de ne procéder à des examens par rayons X que lorsque le clinicien cherche quelque chose (pas de radiodiagnostic systématique). Cela ne serait pas nécessaire si les risques courus étaient aussi négligeables que le prétend la CIPR.

7. OU EN EST ACTUELLEMENT L'ETUDE SUR LES TRAVAILLEURS DE HANFORD?
     L'étude de Mancuso a été financée par l'Atomic Energy Commission. Dès que Milham a signalé que le taux de morts par cancers semblait trop élevé pour les travailleurs de Hanford par rapport à la population de l'Etat de Washington où se trouve l'usine, alors que Mancuso n'avait encore obtenu aucun résultat de son analyse, l'AEC a commencé à faire des pressions pour que l'étude soit arrêtée. Lorsque l'analyse a donné les premiers résultats, Mancuso a connu le début d'une série d'ennuis qui n'ont fait que s'amplifier: pressions pour empêcher la publication de ses résultats, suppression des contrats de l'ERDA, pressions faites sur l'Université de Pittsburgh pour le mettre en. retraite anticipée. L'étude lui a donc été retirée alors qu'il reste encore de nombreuses données à analyser, elle a été confiée à une équipe d'Oak Ridge spécialement chargée de critiquer les résultats de Mancuso, Stewart et Kneale. Cette équipe n'est évidemment pas neutre vis-à-vis du développement de l'industrie nucléaire*****. Mancuso n'a pu obtenir les rapports d'Oak Bridge concernant la critique de ses résultats qu'en faisant jouer le Freedom of Information Act, qui oblige toute administration à publier ses rapports à la demande de tout citoyen. Après avoir travaillé pendant 14 ans sur ce sujet, avoir rassemblé l'ensemble de données le plus complet qu'on puisse souhaiter pour une étude épidémiologique, il risque fort de perdre son travail.

suite:
     Il est vrai que les résultats, lorsqu'ils ont été publiés en 1977, ont créé beaucoup de remous à la fois dans la presse américaine, dans les comités officiels de spécialistes de la santé et de l'environnement et même jusqu'au Congrès.
     La réduction d'un facteur 10 des doses maximales admissibles augmenterait considérablement le coût de l'énergie nucléaire. Il ne faut donc pas s'étonner que Mancuso ait eu quelques ennuis professionnels.
****Kan Z. Morgan [13] suggère une réduction d'un facteur au moins 200 de la dose maximale admissible du plutonium dans le corps.
***** Oak Ridge est un centre d'études nucléaires donc très impliqué dans le développement de l'industrie nucléaire.

ANNEXE I
Evolution des doses maximales admissibles
(d'après K.Z. Morgan) (12)
Voir également ce dossier SEBES: Radioprotection et droit nucléaire

Pour les travailleurs

Valeur recommandée Commentaires
52 Roentgen/an
(46 rem/an)
1925: recommandée par A. Mutscheller et MR Sievant
1934: recommandée par la  CIPR et pratiquée dans le  monde entier jusqu'en 1959.
36 Roentgen/an
(31,5 rem/an)
1934: recommandée par la NRCP (National Council on Radiation Protection)
15 rem/an 1949: recommandée par la NRCP
1959: recommandée par la  CIPR pour l'irradiation de la totalité du corps.
5 rem/an 1956: recommandée par la CIPR
1957: recommandée par la NRCP.
Pour le public
1,5 rem/an 1952: proposée par la NRCP pour tout organe du corps
0,5 rem/an 1958:  proposée par la NRCP.
1959: proposée par la CIPR pour les gonades ou la totalité du corps.
0,17 rem/an 1958: proposée par la CIPR pour les gonades ou la totalité du corps.
0,025 rem/an 1977: proposée par l'EPA (Environment Protection Agency)  pour tout organe sauf la thyroïde.
0,005 rem/an 1974: proposée par l'E RDA (Energy Research and Development Agency) pour les personnes vivant près d'une installation nucléaire.
p.8

ANNEXE II
La législation française concernant les normes

     Quelle est la législation française en ce qui concerne la protection des travailleurs? Les doses maximales admissibles sont régies par le décret du 20 juin 1966 (Journal 0Officiel du 30 juin 1966). Ce décret ne suit pas les recommandations faites par la CIPR en ce qui concerne les 5 rem par an.
     On peut lire dans le décret de 1966:

ART. 7 - Pour les personnes directement affectées à des travaux sous rayonnement:
     A - Les équivalents de dose maximaux admissibles dans les conditions normales de travail sont les suivants:
     1. Organisme entier, organes hématopolétiques et gonades:
     a) L'équivalent de dose cumulé à un âge donné N, exprimé en années, ne doit pas dépasser la valeur D, exprimée en rem, calculée par la formule de base:

D = 5 (N - 18)
     b) L 'équivalent de dose reçu au cours d'une période de 3 mois consécutifs ne doit pas dépasser 3 rem.

     La législation française considère les 5 rem comme une valeur moyenne à ne pas dépasser avec un maximum absolu de 12 rem dans une année.
     L'application du décret de 1966 semble varier suivant les divers centres nucléaires du CEA. En particulier aux Centres Nucléaires de Saclay et de Fontenay-aux-Roses (essentiellement des centres de recherche), la dose maximale admissible de 5 rem est annuelle: «L'équivalent de dose reçu au cours d'une année ne doit pas dépasser 5 rem» (Annexe II d'une «Note d'information individuelle concernant les travaux sous rayonnement» du CEN de Fontenay-aux-Roses). On trouve une phrase analogue dans les notices d'information individuelle du CEN-Saclay.
     Au Centre de retraitement de La Hague (usine de production), les 5 rem sont un équivalent de dose moyen maximum: «La dose reçue en 1 an pourra dépasser 5 rem à condition que la dose cumulée ne dépasse pas la valeur donnée par la formule D = 5 (N- 18) où N est l'âge du travailleur en années» (extrait d'une «Notice d'information concernant les travaux sous rayonnement ionisant» remise à chaque travailleur du Centre).
     Il faut de nombreuses années pour que les recommandations de la CIPR deviennent légales en France, bien que la CIPR comprenne un représentant officiel français, le Dr. Jammet, responsable au CEA des problèmes de santé liés au rayonnement (Chef du Département de Protection CEA).

suite:
REFERENCES

1. Thomas Mancuso, Alice Stewart et George Kneale: «Radiation exposure of Hanford workers dying from cancer and other causes» (irradiation des travailleurs de Hanford qui sont morts de cancers ou d'autres causes): Health Physics, vol. 33, n°5, pp. 369-384 (1977).
2. George Kneale, Alice Stewart and Thomas Mancuso: Reanalysis of data relating to Hanford Study of the cancer risks of radiation workers» (réanalyse des données relatives à l'étude de Hanford sur les risques de cancers chez les travailleurs») présenté au Symposium International sur les effets biologiques à long terme des rayonnements ionisants, IAEA-SM-224/510, Vienne, 13/17 mars 1978.
3. Alice Stewart, George Kneal and Thomas Mancuso: article soumis à Health Physics pour publication.
4. Alice Stewart: communication privée.
5. Marks S., Gilbert E.S. and Breitenstein D.: «Cancer mortality in Hanford workers» (mortalité par cancer parmi les travailleurs de Hanford), IAEA-SM-224-509, Vienne 1978.
6. Barkev S. Sanders: «Low-level radiation and cancer deaths» (faibles doses de rayonnement et mortalité par cancer), Health Physics, vol. 34, pp. 521-538 (1978).
7. Christine Richard-Mollard: «Les mutations génétiques au Kérala», Fiche technique n°21 du GSIEN, juin 1977.
8. Harald H. Rossi: «The effects of small doses of ionizing radiation» (les effets des faibles doses de rayonnement ionisant), Radiation Research 71, pp. 1-8 (1977).
9. D. Lalanne: «Analyse et critique des cas de leucémie observés à Nagasaki et Hiroshima», Fiche technique n°4 du GSIEN, janvier 1976.
10. J. Rotblat: «The risks for radiation workers» (les risques pour les travailleurs soumis au rayonnement), The Bulletin of Atomic Scientists, pp. 41-46, sept. 1978.
11. Manette Gerber: «Effet biologique des faibles dosesde radiations ionisantes - Fractionnement de la dose et cancérogénèse», Fiche technique n°26 du GSIEN, mai 1978.
12. Karl Z. Morgan: «Cancer and low level ionizing radiation» (cancer et faibles doses de rayonnement ionisant), The Bulletin of Atomic Scientists, pp. 3041, sept. 1978.
13. Karl Z. Morgan: «Suggested reduction of permissible exposure to plutonium and other transuranium elements» (Proposition de réduction de la dose permissible de contamination au plutonium et autres éléments transuraniens), American Industrial Hygien Association Journal, pp. 567-575, août 1975.

p.9

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