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G@zette N°268, mai 2013
Transparence?


PROPOSITION DE LOI N°256
portant actualisation de certaines dispositions de la loi n°2010-2 du  5 janvier 2010* relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français
LOI PRÉSENTÉE
Par MM. Richard TUHEIAVA, Maurice ANTISTE, Jean-Étienne ANTOINETTE, Jacques CORNANO, Félix DESPLAN, Jacques GILLOT, Serge LARCHER, Thani MOHAMED SOILIHI, Georges PATIENT, Michel VERGOZ et Mme Karine CLAIREAUX, Sénateurs
EXPOSÉ DES MOTIFS
(*N.du webmaistre: à noter dans ce site le chapitre III.B.2.d, intitulé "L'Etat garant: une garantie actuellement gratuite pour les exploitants" !...)



     Mesdames, Messieurs, 
     La loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a été promulguée le 6 janvier 2010 au Journal Officiel de la République française. 
     Ainsi qu’il ressort des débats parlementaires, ce texte dont la vocation indemnitaire affichée s’inscrivait quelque peu en marge de la politique d’austérité budgétaire du Gouvernement, était néanmoins encadré dans le respect de deux critères de fond qu’étaient l’objectivité et l’équité, d’après les termes du ministre de la défense M. Hervé Morin. 
     Cette loi faisait toutefois suite directe à deux propositions de loi déposées sur le Bureau de l’Assemblée nationale en 2002 (n°3542 du 17 janvier 2002 de Mme Marie-Hélène Aubert) puis en 2006 (n°3025 du 12 avril 2006 de Mme Christiane Taubira et du groupe socialiste et apparentés), tendant toutes les deux à interpeller le Gouvernement sur la problématique extrêmement sensible de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie française, et du suivi 
de leurs conséquences environnementales. 
     Bien que l’adoption au Parlement de cette loi ait représenté une avancée notable dans le processus de reconnaissance des conséquences sanitaires des essais nucléaires réalisés par le Gouvernement sur les sites du Sahara algérien et en Polynésie française, près de 13 années après le dernier essai nucléaire français réalisé le 27 janvier 1996 sur l’atoll de Fangataufa dans l’archipel des Tuamotu (Polynésie française), il n’en demeure pas moins que l’application de ce texte laisse apparaître de graves limites dans son but même et ce moins de deux années après son entrée en vigueur. 
     En effet, ainsi qu’il avait été anticipé conjointement par les associations de vétérans des essais nucléaires en Polynésie française et dans l’Hexagone, et ainsi que l’opposition parlementaire l’avait discerné en y exprimant ses plus vives réserves, le système d’indemnisation organisé par le comité d’indemnisation mis en place par la loi précitée a conduit à des résultats concrètement décevants. 
     En effet, il ressort de la réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires qui s’est tenue le 11 décembre 2012 à Paris que sur un total de 786 dossiers d’indemnisation déposés sous le régime de la loi du 5 janvier 2010, seuls 400 ont été examinés par le comité d’indemnisation, qui en a rejeté 391 et a recommandé seulement 9 indemnisations. 
     Ce résultat excessivement faible contraste avec les objectifs de la loi affichés par le Gouvernement de l’époque. Il est la conséquence de restrictions intrinsèques à l’articulation même du texte législatif tel qu’il ressort des débats parlementaires de 2010 qui sont à l’origine de dysfonctionnements du dispositif indemnitaire. 
     Tout d’abord, ce dysfonctionnement trouve sa source dans les dispositions in fine de l’article 4 paragraphe II de la loi précitée («à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable») qui est de nature à permettre le rejet des dossiers de demandes d’indemnisation, par dérogation au principe de présomption de causalité contenu dans l’article 1er.
suite:
     Cette disposition in fine a ouvert la porte à une interprétation restrictive et arbitraire des conditions de recevabilité et de fond de chaque dossier de demande d’indemnisation, ainsi qu’il fallait s’y attendre. 
     La présente proposition de loi tend à revenir au strict principe de présomption, c’est-à-dire celui en vertu duquel toute personne atteinte d’une des maladies radio-induites inscrites dans la liste établie par décret en Conseil d’État et qui se trouvait sur une zone géographique et à une période telles qu’indiquées à l’article 2 de la loi, bénéficie de la présomption sans qu’il soit nécessaire d’un examen au cas par cas de son exposition aux radiations. 
C’est l’objet de l’article 1er de la présente proposition de loi. 
     Ensuite, la loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a introduit la notion de zones géographiques et de périodes à l’intérieur exclusif desquelles sont éligibles les demandeurs à une indemnisation. 
     L’article 2 de la loi précitée a distingué selon que les victimes souffrant d’une pathologie radio-induite aient résidé ou séjourné sur les sites d’expérimentations nucléaires du Sahara algérien (à des périodes différentes suivant les essais), ou qu’elles aient  résidé ou séjourné dans les atolls polynésiens de Moruroa, Fangataufa ou Hao à des périodes différentes également. 
     L’analyse approfondie du rapport officiel du ministère de la défense, intitulé «La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie», permet de constater clairement qu’entre 1966 et la fin des essais en 1996, ce sont sur les atolls de Moruroa, de Fangataufa et de Hao que les travailleurs civils et militaires, voire les populations locales pour celui de Hao, ont été exposés à des rayonnements, et que c’est l’ensemble des cinq archipels polynésiens qui a été contaminé - en fonction des tirs aériens - par les retombées des essais nucléaires atmosphériques entre 1966 et 1974. 
     Dès lors, et sans craindre une contradiction manifeste avec les éléments techniques et scientifiques officiels décrits ci-dessus, l’article 2 de la loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français avait pour vocation inavouée de noyauter le périmètre éligible du droit à indemnisation en ce qui concerne la Polynésie française. 
     Il est bien évident que cette disposition a un impact direct sur le nombre total de dossiers de demande d’indemnisation déposés en vertu de la loi. Force est d’imaginer qu’un tel montant ne serait pas le même si le périmètre géographique d’éligibilité à une indemnisation avait été élargi équitablement à celui qui ressort des éléments en possession même du ministère de la défense. 
     Afin de se conformer à l’esprit de la loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, il est donc équitable mais également cohérent d’étendre la zone géographique d’indemnisation à l’ensemble du territoire de la Polynésie française, sans préjudice des critères complémentaires qui s’y attachent.
C’est l’objet de l’article 2 de la présente proposition de loi.
p.28



     De plus, les dispositions de l’article 7 de la loi du 5 janvier 2010 précitée prévoient que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires est présidée par le ministre de la défense, c’est-à-dire l’autorité même qui assure le règlement financier final de chaque dossier d’indemnisation. 
     Un tel conflit d’intérêts patent entre ces deux fonctions au sein d’un régime indemnitaire spécifique, compte tenu des enjeux politiques extrêmement sensibles que recouvre la question des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie française, avait été soulevé lors des débats parlementaires relatifs à la loi du 5 janvier 2010. 
     Compte tenu de la nature interministérielle que revêt le traitement des conséquences sanitaires des essais nucléaires, faisant appel non seulement aux attributions du ministère de la défense mais également à ceux du budget, de la santé, des affaires étrangères (Sahara algérien) et des outre-mer (Polynésie française), il est proposé présentement de confier la présidence de la commission consultative de suivi des essais nucléaires au Premier ministre. 
C’est l’objet de l’article 3 de la présente proposition de loi. 
     Le vote de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives a définitivement clos l’accès aux archives nucléaires françaises, en ajoutant un article L. 213-2 au code du patrimoine. Cette prohibition de principe est perpétuelle et se justifiait par le fait que personne ne devait avoir accès ni être en état de diffuser des informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue. 
     En tout ou en partie, ces archives contiennent des données nominatives, professionnelles et médicales afférentes à d’anciens travailleurs des sites d’expérimentations nucléaires françaises qui ont pu contracter des maladies radio-induites, données ou informations qui n’ont absolument rien à voir avec les procédés de conception, de fabrication, d’utilisation ou de localisation d’armes nucléaires. 
     D’autant que la totalité des essais nucléaires français, leur intensité, leurs emplacements géographiques et leurs retombées atmosphériques ou souterraines ont été largement documentés dans des ouvrages d’accès disponible aux pouvoirs publics. 
suite:
     La loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a institué un régime d’indemnisation qui impose de jure à toute victime de maladies radio-induites de justifier et produire un certain nombre de pièces et documents de nature à satisfaire aux critères légaux. Cela étant, ces pièces et documents ne sont plus en possession desdites victimes depuis longtemps ou ne l’ont jamais été pour la plupart, alors qu’elles sont conservées dans les archives nucléaires françaises qui tombent sous le coup du code du patrimoine ainsi modifié par la loi du 15 juillet 2008.
De jure, toutes les victimes des essais nucléaires français se trouvent dans une rupture d’égalité évidente puisqu’elles se heurtent à cette carence discriminatoire, résultant de la loi, dans la production des pièces déterminantes et substantielles dans le succès de leurs dossiers d’indemnisation. 
     Après plus de deux années d’application de la loi du 5 janvier 2010 précitée, il est apparu que cette carence entraine des résultats inacceptables en termes d’efficacité du processus d’indemnisation. 
     Il est donc plus qu’indispensable de faciliter le processus d’indemnisation dans des conditions qui soient les mêmes pour tous, notamment par l’ouverture d’un droit strictement individuel de consultation et de communication de copie de documents en provenance des archives nucléaires françaises avec pour conditions strictes : l’usage strictement à des fins personnelles et nominatives en vue d’une indemnisation encadrée par la loi du 5 janvier 2010, et le respect, par l’autorité délivrante, des dispositions de l’alinéa premier actuel du II de l’article L. 213-2 du code du patrimoine (c’est-à-dire de veiller à ce que les données consultables ou communiquées ne soient pas susceptibles de permettre de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, etc.), pour les besoins de sa défense, conformément au droit à un procès équitable prévu à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. 
     La présente proposition de loi tend donc à compléter le paragraphe II de l’article L. 213-2 du code du patrimoine par un alinéa qui répond à cette difficulté et encadre strictement ce droit de consultation et de délivrance de copie. 
C’est l’objet de l’article 4 de la présente proposition de loi. 
     L’article 5 de la présente proposition de loi institue un gage destiné à assurer la recevabilité des dispositions ci-après au regard de l’article 40 de la Constitution. 
     Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons d’adopter celle-ci.
p.29

PROPOSITION DE LOI
Article 1er 
     Au premier alinéa du II de l’article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots: «à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable» sont supprimés
Article 2
** L’article 2 de la même loi est ainsi modifié:
    1° Au 2°, les mots: «Mururoa et Fangataufa» sont remplacés par les mots: «Moruroa, Fangataufa et Hao» et les mots: «dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire» sont remplacés par les mots: «sur l’ensemble du territoire de la Polynésie française».
    3° Les troisième et quatrième alinéas sont supprimés. 
Article 3
     Aux premier et deuxième alinéas de l’article 7 de la même loi, les mots: «ministre de la défense» sont remplacés par les mots: «Premier ministre».
Article 4
** Le II de l’article L. 213-2 du code du patrimoine est complété par un alinéa ainsi rédigé: «Dans le cadre de la constitution ou de l’instruction des dossiers d’indemnisation prévus par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, tout demandeur ou ses ayants droit peut consulter ou obtenir de l’administration copie conforme de documents, étrangers à la conception, la fabrication, l’utilisation et la localisation d’armes nucléaires, provenant des archives afférentes aux essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien de 1960 à 1966 puis en Polynésie française de 1966 à 1998. Ces documents sont communicables à l’administration ou aux juridictions compétentes à l’appui de la demande d’indemnisation ou du recours juridictionnel contre la décision de rejet
Article 5
     Les dépenses de l’État induites par l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par une majoration des droits visés par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.

ASSOCIATION  DES VETERANS DES ESSAIS NUCLEAIRES
Siège social: 44 rue de la Favorite – 69005 LYON
Site internet: www.aven.org - Courriel: aven@aven.org
Tél: 04 78 36 65 31
PETITION

 
     La loi du 5 janvier 2010, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français présente la caractéristique d’être une loi d’indemnisation qui n’indemnise pratiquement personne.
     En effet les articles 4 de la loi et 7 de son décret d’application, balaient d’un revers de manche la notion de présomption de causalité, pourtant voulue par les parlementaires, et ont également permis au comité d’indemnisation (CIVEN) de remettre en vigueur la valeur dosimétrique, sous prétexte de définition de la nature de l’exposition.
     Or, s’il est avéré que 80% du personnel sur place ne portait pas de dosimètres, il est également avéré que la dosimétrie d’ambiance ne pouvait enregistrer que les retombées ionisantes après tir, mais en aucun cas la contamination.
     Cette méthode de calcul imaginée par le CIVEN, permet à celui-ci de rejeter 99% des demandes d’indemnisations et crée des injustices flagrantes telles le cas de ce plongeur indemnisé alors que les membres du personnel du bâtiment qui recevait les déchets radioactifs sortis de l’eau ont été déboutés, ou de ce marin dont l’indemnisation a été refusée sous prétexte que son bâtiment se mettait à l’abri au moment des tirs aériens, alors que celui-ci une heure après, était à quai à Moruroa, comme l’atteste le journal de bord...
suite:
      L’AVEN avant la parution de la loi, avait au travers de diverses juridictions longues et coûteuses, obtenue un taux de vétérans indemnisés de plus de 10%. Après Loi, alors que celle-ci a été promulguée pour mettre fin à ce parcours judiciaire, le taux d’indemnisation est de 1%, et entraine de fait de nouveaux recours aux tribunaux, renvoyant ainsi les vétérans et leurs veuves dans les méandres judiciaires.
     C’est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir signer cette pétition pour modification de la Loi, afin que toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français, bénéficie d’une présomption de causalité et d’imputabilité stricte, avec disparition de la mention figurant à l’article 4 de la Loi et 7 de son décret d’application: «à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable»
p.30


 
     Les médecins du travail sont des spécialistes de la santé au travail. Les pratiques de l’ordre des médecins et de ses instances doivent dorénavant en prendre acte notamment en matière de plaintes d’employeur. Nous revendiquons par conséquent que :
     * Une plainte d’employeur ne soit recevable devant une juridiction ordinale que dès lors qu’elle représente l’intérêt de la santé des salariés de l’entreprise. La plainte doit être rejetée lorsqu’elle est fondée sur des motifs extérieurs à la santé des salariés et lorsque la responsabilité de l’entreprise ou de ses dirigeants est engagée, notamment dans un conflit les opposant à un ou plusieurs salariés.
     * Dès lors qu’elle serait recevable une plainte auprès du conseil de l’ordre doit être précédée d’une concertation confraternelle avec le médecin mis en cause. Pour les médecins du travail, la conciliation avec le plaignant-employeur ne peut avoir pour objet de s’expliquer sur leurs actes professionnels ce qui serait contraire aux dispositions réglementaires particulières concernant leur exercice.
     * L’ordre des médecins ne soit pas compétent pour juger des pratiques professionnelles des médecins spécialistes dès lors que ces pratiques ont fait l’objet d’une élaboration et d’une évaluation formalisée publiquement et dans un cadre institutionnel entre pairs.
     C’est pour avoir observé leurs obligations en rédigeant des certificats médicaux ou des courriers à leurs confrères, constatant les liens entre l’organisation du travail et ses effets sur la santé psychique de salariés, que, très récemment, trois médecins du travail: les Docteurs E. DELPUECH, D. HUEZ et B. BERNERON ont été l’objet de plaintes d’entreprises auprès du Conseil de l’ordre des médecins dont ils relèvent. Les deux premiers agissaient es qualité de médecins du travail et le troisième dans le cadre d’une consultation de psychopathologie du travail d’un CHU. Le premier a été condamné en première instance et s’est pourvu en appel.

     Nous demandons l’abandon des poursuites disciplinaires
contre les Docteurs E. DELPUECH, D. HUEZ et B.BERNERON

     Informer chaque travailleur du lien entre les risques du travail et les effets négatifs sur sa santé est un droit inscrit dans le code du travail et une obligation pour chaque médecin du travail. Rédiger des écrits, notamment des certificats médicaux, et assurer ainsi l’effectivité du droit du travailleur et particulièrement de ses droits à réparation fait également partie du devoir de tout médecin et spécialement de tout médecin du travail. L’ensemble de ces droits et devoirs est inscrit dans le code du travail et les codes de la santé publique et de la sécurité sociale. C’est cela que font les médecins du travail qui rédigent des certificats médicaux à l’appui d’une déclaration de maladie professionnelle, par exemple en attestant du lien entre une exposition à un cancérogène et la survenue d’un cancer professionnel.
     Ces plaintes et leur recevabilité par le conseil de l’ordre soulèvent des questions politiques et professionnelles.
     Le choix des juridictions disciplinaires de l’ordre des médecins ne doit rien au hasard. Alors qu’ils pourraient poursuivre les médecins incriminés dans le cadre d’une juridiction pénale, ces plaintes permettent d’intimider les médecins du travail sans risquer de publicité sur des pratiques d’entreprises, ce que pourrait impliquer la voie judiciaire.
     Ces plaintes sont donc des plaintes de circonstance, destinées à décrédibiliser les écrits des médecins du travail. Les employeurs veulent ainsi déclencher un réflexe de peur et d’abstention de témoignage chez les médecins du travail déjà malmenés par une réglementation récente.
     Ainsi, on comprend pourquoi, alors que toutes les enquêtes montrent l’impact massif sur la santé des salariés des nouvelles formes d’organisation du travail, des employeurs tentent de se garantir contre tout constat, notamment médical.
(suite)
suite:
     La voie ordinale est ouverte aux employeurs par l’aubaine d’un « notamment » inscrit dans l’article R4126-1 du code de la santé publique qui ne les cite pas nommément. Se pose donc la question de leur légitimité à porter plainte. Or c’est précisément de la capacité à porter plainte des patients ou des organismes publics et des associations de patients que traite cet article. Il est par conséquent logique qu’une plainte de l’entreprise puisse être recevable dès lors que l’exercice professionnel d’un médecin du travail met en péril la santé des salariés de cette entreprise. Mais une telle plainte ne répond plus aux conditions de saisine lorsqu’il s’agit de protéger les intérêts d’une entreprise notamment dans un litige l’opposant à un ou plusieurs salariés.
     Une conciliation avec le plaignant-employeur est ici exigée par le conseil de l’ordre. Pour le médecin du travail, elle n’est pas conforme aux dispositions du code du travail. En effet, son indépendance est garantie par l’article L4623-8 du code du travail et, notamment, est mise en place, par l’article L4624-1, une procédure qui le dispense de justifier de ses actes professionnels devant un employeur en interposant l’intervention de l’inspection du travail.
     Actuellement, des méthodes d’organisation du travail et de gestion des ressources humaines génèrent des atteintes fréquentes à la santé des travailleurs du fait de risques psychosociaux. Les médecins du travail, par leur travail clinique, peuvent  discerner et diagnostiquer les effets négatifs des risques psychosociaux sur la santé des travailleurs. L’évolution des entreprises, de leur fonctionnement et les pratiques professionnelles des médecins du travail sont souvent ignorées des autres médecins, notamment du conseil de l’ordre. C’est ce que pourrait laisser penser  un commentaire d’un rapport du conseil national de l’ordre des médecins qui mentionne concernant la rédaction des certificats médicaux par un médecin: «Il lui est interdit d’attester d’une relation causale entre les difficultés familiales ou professionnelles... et l’état de santé présenté par le patient.».

     Ces prises de position ordinales ignorent deux faits majeurs:
     * la qualité de spécialiste du médecin du travail, qui lui permet de diagnostiquer le lien clinique entre des caractéristiques pathogènes du travail et de son organisation et des effets délétères sur la santé, notamment psychique, des salariés, comme tout autre spécialiste le pratique dans d’autres champs médicaux
     * l’existence de pratiques professionnelles construites entre pairs intégrant à la clinique médicale les références scientifiques et médicales ainsi que les acquis des sciences sociales, les rendent scientifiquement pertinentes et permettent l’exercice spécialisé d’une clinique médicale du travail. Ces pratiques sont par ailleurs validées dans le cadre d’évaluation des pratiques professionnelles encadrées par la HAS
     Un ordre professionnel ne saurait avoir pour compétence d’intervenir dans les pratiques professionnelles spécialisées qui relèvent de l’élaboration et de la validation entre pairs dans un cadre collectif associatif et d’ordre public social.
     Ce qui se joue ici, c’est le droit légitime de tout travailleur à une information du médecin du travail sur les risques qu’il court personnellement et les effets qu’ils entrainent sur sa santé.  En mettant en visibilité le lien santé-travail, l’attestation rédigée par le médecin du travail, permet de stimuler la prévention du risque. Cette attestation peut permettre au travailleur de prétendre à une juste réparation.

C’est pourquoi nous apportons notre soutien aux médecins du travail mis en cause.

Notre initiative fait écho à la déclaration de l’association SMT mise en ligne sur son site:
http://www.a-smt.org/
p.31

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